Intervention de Serge Lasvignes

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Serge Lasvignes :

La première question est spécialement difficile. Que faire à l'égard de la CJUE lorsqu'on est la CNCTR ? Directement, rien ; c'est clair.

Je ne pense pas que l'État français ait intérêt à fermer les yeux, mais je ne pense pas non plus que la solution soit dans une sorte de rébellion juridique contre la CJUE. Les avis peuvent diverger, mais, de mon point de vue – celui d'un défenseur de l'Union européenne –, la bonne voie serait une action politique des divers États concernés – la France n'est pas la seule à l'être –, y compris ceux qui se sont peu exprimés jusqu'à présent, afin de montrer en quoi ce type de décision est susceptible de déséquilibrer le fonctionnement de l'Europe.

La CJUE est en train de faire un travail sur les droits et les libertés en utilisant la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce travail se développera-t-il ? Y aura-t-il d'autres surprises de ce genre ? La question qui se pose est celle de la régulation du fonctionnement des institutions européennes, et elle est essentiellement politique.

La CNCTR ne peut qu'appeler, comme je le fais, à une réaction nationale et, le cas échéant, fournir des arguments. Mais, directement, toute seule, elle ne peut pas grand-chose.

J'en viens à l'évolution des relations avec le pouvoir exécutif. Du point de vue des pouvoirs de la CNCTR, la loi du 30 juillet 2021 apporte effectivement une innovation juridique : si le Premier ministre n'est pas d'accord avec un avis négatif, le Conseil d'État est saisi ; autrement dit, c'est à un juge qu'il revient de trancher un éventuel différend entre le Gouvernement et la CNCTR. Cela dit, il n'est jamais arrivé, à ma connaissance, que le Premier ministre délivre une autorisation contre l'avis de la CNCTR.

Je ne pense pas que les relations avec le Gouvernement évolueront beaucoup. D'ailleurs, la formule qui a été trouvée – sous la contrainte de la Cour de Strasbourg et de celle de Luxembourg – évite élégamment des dispositions plus agressives à l'égard du Gouvernement, comme la transformation de l'avis de la CNCTR en avis conforme.

Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question des moyens et insisté sur la compétence technique de la CNCTR. Je ne suis pas un technicien, loin de là, mais je suis parfaitement sensibilisé à ces sujets, notamment au numérique. En effet, j'étais à Matignon à une époque où l'enjeu était la numérisation du centre de gouvernement. C'est le moment où l'on a créé des sites tels que Légifrance et Jurifrance ou le dispositif Solon, qui relie les différents ministères et les assemblées pour l'élaboration des textes. Cela dit, dans la mesure où je prends mes fonctions, il me faudra réaliser une sorte d'audit pour apprécier la capacité technique de la CNCTR. Celle-ci n'a pas été maltraitée et dispose de moyens. On sait qu'elle doit pouvoir, si nécessaire, enrichir son personnel, mais il convient d'identifier précisément la nature de ses besoins.

Vous m'avez interrogé, madame Buffet, sur la conservation des données et sur les possibilités de vérification de la CNCTR en la matière. La CNCTR a virtuellement la faculté de tout vérifier, puisqu'elle a un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place, à l'improviste ou sur convocation. Cependant, tout est une question de centralisation : si les données sont dispersées, le pouvoir de vérification de la CNCTR risque d'être limité, notamment en ce qui concerne la destruction de ces données.

Lorsqu'il existe une possibilité de transférer les données – la loi du 30 juillet 2021 a notamment prévu un système d'échange de données entre services –, il faut savoir exactement quand et où. Le risque est que les données finissent par arriver dans un lieu hors de la compétence de la CNCTR; il faut donc faire attention. Les services fiscaux, par exemple, se servent désormais de techniques qui rappellent celles des services de renseignement. Tout cela doit être maîtrisé : il ne faudrait pas qu'il y ait, d'un côté, un paysage parfaitement régulé où tout est très civilisé et, de l'autre, des « zones de non-droit ».

Vous m'avez interrogé aussi sur les critères de proportionnalité qu'il convient de retenir pour assurer l'équilibre entre la nécessaire ingérence et la défense des libertés. Selon moi, l'enjeu est l'acculturation des services. On peut faire des déclarations solennelles, mais c'est surtout la manière dont les agents des services comprennent la doctrine de la CNCTR et l'appliquent d'eux-mêmes qui importe. Je suis frappé par la diminution des avis négatifs : leur proportion était, en 2020, inférieure à 1 % ; sachant que le nombre de demandes tourne autour de 80 000, l'évolution est très impressionnante.

Quelle publicité donner aux travaux de la CNCTR ? J'ai connu une période, à Matignon, où je ne devais jamais rencontrer de journalistes ; mon obligation était de travailler dans le secret absolu. J'ai connu une autre période, au centre Pompidou, où ma mission impliquait de rencontrer le plus possible de journalistes...

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