Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé, rapporteur :

Je voudrais revenir sur les rapports qu'entretiennent le législateur et les cours européennes, et rebondir, monsieur le conseiller d'État, sur votre appel à une initiative politique.

Nous faisons face à un danger. En effet, la CEDH et la CJUE se livrent à une sorte d'émulation. Je suis totalement en phase avec ce que vous avez dit au sujet de la CEDH. Cette juridiction a développé, dans le domaine du droit du renseignement, une jurisprudence très nuancée, qui nous a été fort utile. Je ne dirais pas la même chose de sa jurisprudence dans d'autres domaines, à commencer par le droit de l'immigration. Concernant le droit du renseignement, la CEDH a veillé à l'équilibre entre les nécessités de l'ordre public, lato sensu, et le respect des droits et libertés : elle a laissé une marge de manœuvre aux États et nous a permis de progresser. Si elle n'avait pas pris ces décisions, dans les années 1980, nous n'aurions pas connu les lois de 1991 et de 2015. À cet égard, le dialogue que nous entretenons avec la CEDH est utile.

Il en va autrement de la CJUE, qui a la prétention d'être une autre CEDH dans ce domaine. Pour ce faire, elle se saisit de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de tout texte pouvant constituer une accroche – dans l'arrêt Prokuratuur, elle s'est appuyée sur la directive concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Il y a là une difficulté qui n'est pas réglée. Cela appelle deux types de réponses.

D'une part, je plaide pour que les chefs d'État et de gouvernement, dans le cadre des conclusions d'un conseil européen – qui n'ont pas une valeur normative immédiate mais permettent d'avoir un dialogue –opposent un refus à la prétention de la CJUE d'entrer dans le champ de l'article 4 des traités, autrement dit de la sécurité nationale. Nous devons bâtir une vraie coalition. À la suite de la jurisprudence Tele2, plusieurs États étaient intervenus en soutien de nos positions. Il faut élargir cette coalition et la porter au plus haut niveau. Nous devons affirmer, par une déclaration politique, que nous n'entendons pas déléguer à la CJUE la responsabilité de bâtir – en l'occurrence, mieux vaudrait dire de détruire – les systèmes de renseignement de nos États.

D'autre part, les juridictions suprêmes françaises doivent peut-être aussi s'interroger sur leurs propres pouvoirs. Le Conseil d'État, dans son arrêt de 2021, a fait usage de ce qu'il appelle la « clause de sauvegarde » : il a fait prévaloir – ce qui est heureux – la norme constitutionnelle sur la jurisprudence de la CJUE – pour résumer la décision de manière un peu caricaturale. Il a défendu le droit national face à des évolutions du droit européen qui n'étaient pas maîtrisées.

Il pourrait aller au-delà, en engageant un contrôle ultra vires, qui est déjà appliqué en Allemagne : le tribunal constitutionnel de Karlsruhe considère, de longue date – il a rendu sa décision Solange I en 1974 – qu'il est juge de la délégation donnée par la nation allemande aux institutions européennes. De ce fait, il s'autorise à vérifier que la CJUE n'excède pas le périmètre de ses compétences. Le Conseil d'État français se refuse à le faire : il a clairement écarté cette possibilité dans son arrêt d'assemblée de 2021. Cette réflexion pourrait utilement être reprise si la CJUE repassait à l'attaque. Même si l'on peut estimer que cela excède quelque peu notre compétence de législateur, nous ne devons pas être, en bout de course, le scribe des évolutions jurisprudentielles de la CJUE. Nous devons faire respecter ce que nous sommes : une démocratie, un État de droit, qui doit être fort. Nous avons toute légitimité pour défendre un système très équilibré et assez efficace, que l'on a défini au fil des années.

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