Beaucoup de questions portent sur les suites qui seront données au rapport. Notre mission s'est achevée avec le rendu du rapport, il y a deux semaines ; désormais, c'est à l'Église catholique de se déterminer. Mais, étant donné l'ampleur des faits révélés et la substance des recommandations, on comprend que l'on ne puisse y avoir apporté des réponses en deux semaines, d'autant que la Conférence des évêques se réunit en assemblée générale à Lourdes la première semaine de novembre et la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) la deuxième semaine du même mois.
J'entends ce qui a été dit sur l'opportunité de créer un dispositif indépendant de suivi des recommandations. Mais cette question s'adresse à l'Église catholique, et je n'ai pas à prendre position à ce sujet. Quoiqu'il en soit, considérant la lourdeur de la tâche et notre implication pendant près de trois ans, nous avons assez donné. De toute façon, l'éthique et la déontologie empêchent que l'on soit à la fois les inspirateurs d'une politique puis les acteurs et les contrôleurs de sa mise en œuvre. Notre rôle est donc terminé, d'autres personnes doivent prendre la main.
Pour l'Église catholique, il y a deux manières d'aborder les suites à nos recommandations. L'une est de cocher les 45 recommandations une à une pour mesurer si elles ont été mises en œuvre. L'autre consiste à définir une procédure pour travailler sur ce sujet. Des questions majeures ont été soulevées, et il ne serait pas absurde d'imaginer, compte tenu de ce qui se passe aujourd'hui dans des communautés catholiques, qu'une démarche globale et collective soit engagée pour y répondre. En résumé, nous sommes maintenant dessaisis, la suite relève de la responsabilité de l'Église catholique, et il ne faut pas se focaliser sur un tableau de mesures mais sans doute réfléchir à ce que doit être la meilleure démarche pour appréhender le diagnostic établi dans le rapport et les recommandations qu'il contient. On a suffisamment décrit et décrié le caractère hiérarchique de l'Église catholique, une de ses forces mais aussi une de ses infirmités, pour ne pas se demander si des procédures plus collectives d'appréhension du rapport et de réflexion sur les suites qu'il doit recevoir ne seraient pas appropriées.
L'Église catholique a pris l'initiative de créer cette commission sans y être contrainte, dans le contexte, il est vrai, d'un projet de création de commission d'enquête parlementaire au Sénat, mais cette initiative doit être saluée et mériterait de faire école, tant pour le fond que dans la méthode. Non seulement, pour la première fois, après 45 ans de vie professionnelle, j'ai travaillé sans contrainte budgétaire, mais il ne nous a jamais été opposé de plafond budgétaire et aucune de nos dépenses n'a été contestée sur le terrain de l'opportunité. Un simple contrôle formel a été opéré par un magistrat honoraire de la Cour des comptes, chargé par exemple de vérifier que conclure un contrat de recherche ne signifie pas que l'on va passer des vacances à Majorque…
Y a-t-il eu des réticences ? Quand on parle de l'Église catholique, on pense à une structure unique. En réalité, l'Église catholique de France, c'est une centaine de diocèses et chaque évêque est maître chez lui. Le président de la Conférence des évêques n'a aucune espèce d'autorité sur ses collègues et les 450 congrégations masculines et féminines de France regroupées au sein de la Corref sont également souveraines. Indépendamment des problèmes de moyens internes, nous avions bien senti des réserves ici ou là, mais tout le monde a participé à l'inventaire des archives de manière correcte. Pour les enquêtes sur place, seuls un diocèse et une société apostolique assimilable à une congrégation nous ont répondu négativement. Cela représente nettement moins de 5 % des institutions auxquelles nous nous sommes adressés, et ce résultat était difficile à imaginer. En effet, il m'était dit dans la lettre de mission « Vous accéderez aux archives », mais je savais que les signataires de cette lettre s'engageaient moralement sans pouvoir s'engager juridiquement au nom de toutes les personnes auxquelles nous nous adresserions. Donc, le travail a été bien fait et cela doit être porté au crédit de l'Église catholique.
Pour tout ce qui est prescrit, M. Mazars a évoqué l'« obligation naturelle » qui vaut dans l'Église, l'obligation de solidarité dans le langage de la République. Faut-il laisser la main à l'Église ou créer une commission ad hoc ? Je pense, je vous l'ai dit, que l'Église doit maintenant prendre ses responsabilités.
Monsieur Houlié, il y a effectivement un non-dit sur ces questions dans notre pays, dans tous les secteurs de socialisation. Pour l'Église catholique, on sent très bien, notamment au cours de la période 1950-1970 et jusqu'aux années 1990, et on en trouve des traces ensuite, une volonté de protection de l'institution. Puis une mutation sociale majeure est intervenue : nous sommes passés du monde de l'honneur et de la réputation des institutions au monde de la transparence et de la reconnaissance des droits individuels. Mais rappelons-nous que dans le monde ancien, l'Église catholique n'a pas été la seule à protéger son honneur et sa réputation : l'ensemble des institutions ont procédé de la sorte.
Nous avons trouvé dans les archives d'un diocèse des correspondances entre un procureur et un évêque, qui se tutoient. Le procureur écrit à l'évêque : « Je vais classer l'affaire, mais tu dois faire quelque chose, parce que j'ai une enquête de police montrant que le prêtre a commis des abus sur plusieurs enfants, et je ne pourrai pas classer la prochaine fois ». On voit le lien entre les autorités. Dans les archives d'un autre diocèse, ont été trouvées des correspondances entre l'évêché et la rédaction régionale d'un quotidien. Autrement dit, il y a eu jusqu'à une période qui n'est pas si ancienne une collusion généralisée entre les institutions, et la presse a été partie à ces accords. Dans le deuxième cas que j'ai évoqué, qui n'a pas eu lieu dans l'Ouest, région de tradition catholique, on constate un accord de la presse pour en dire le moins possible. Et quand on ne pouvait pas cacher, il est arrivé que l'on écrive le nom de l'auteur des faits sans dire qu'il était prêtre – voyez jusqu'où ça va. Il faut donc avoir une vue globale de ce qu'était alors la protection de la réputation des institutions.
Jusqu'où l'Église catholique a-t-elle poussé cette politique ? Pendant les années 1950-1970, l'Église avait, au niveau national, des établissements de soins et des structures d'accompagnement des prêtres en difficulté. Le Secours sacerdotal, devenu l'Entraide sacerdotale, venait en aide aux prêtres qui rencontraient des problèmes psychologiques ou psychiatriques : prêtres dépressifs et alcooliques et prêtres qui, selon les euphémismes qui ont fait tant de tort à l'Église, avaient « des problèmes avec les enfants ». Mais quand on ne sait pas nommer les choses, on ne peut pas les traiter d'une manière adéquate : un viol, ce ne sont pas des « gestes déplacés ». L'Église catholique avait donc un dispositif interne de traitement de ses prêtres en difficulté, à la fois sur le plan médical et sur le plan de l'accompagnement personnel. Ce système, qui s'est effondré à partir des années 1970, était aussi destiné à protéger la réputation de l'institution en remettant dans le droit chemin des prêtres qui avait commis des actes répréhensibles ou dont l'inconduite commençait à faire scandale.
Quand je parle des pouvoirs publics, je parle de tous les ministères concernés : le ministère des solidarités et de la santé, qui est chargé de l'enfance ; le ministère chargé de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; le ministère de la justice. Et puisque vous vous interrogez sur les suites du rapport, je vais vous donner un scoop. Notre rapport a été remis le 5 octobre et, le 8 octobre, le garde des Sceaux a signé une circulaire destinée aux parquets généraux et aux parquets pour mettre en œuvre celles des recommandations que nous avons formulées et qui ont un impact sur la justice. D'une part, nous recommandons, pour les auteurs de faits prescrits, qu'il puisse y avoir des recherches sur des infractions non prescrites ; le ministre donne des directives à ce sujet. D'autre part, nous recommandons l'établissement de protocoles entre les parquets et les évêques pour permettre des signalements, des enquêtes rapides et des mesures conservatoires à l'égard de prêtres qui auraient commis des faits commençants d'être étayés. Là encore, la circulaire du garde des Sceaux en tire immédiatement les conséquences. Je ne m'attendais pas à cette célérité.
Vous m'avez démasqué : je suis effectivement chargé de présider le comité des états généraux de la justice. Ma déontologie professionnelle me dissuadera de mélanger les genres, c'est-à-dire d'utiliser une casquette pour régler des questions auxquelles j'ai été sensibilisé avec une autre casquette. Je ne réduirai pas les états généraux de la justice uniquement ou principalement aux suites de ce rapport.
Monsieur Bru, les protocoles entre parquets et diocèses posent plus de problèmes à l'Église qu'à la République puisque le droit canonique prévoit qu'une enquête interne doit être faite lorsque des agissements répréhensibles sont commis par des clercs. Le signalement direct au parquet provoque sinon une contradiction du moins un léger frottement par rapport aux règles internes de l'Église. Mais, d'une part, l'Église n'a pas les moyens de conduire des enquêtes, d'autre part, dans le contexte actuel, des enquêtes internes de cette nature pourraient être très rapidement disqualifiées en tentative de couverture et de dissimulation. Aussi, bien que des canonistes éminents aient critiqué le protocole signé à Paris entre le procureur de la République et l'archevêque, ces protocoles ne doivent pas être mis en cause.
Pour le secret de la confession, vous avez rappelé l'exigence de clarté et de sécurité juridique. La règle est un peu complexe mais la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est très claire. Bien entendu, il revient à la représentation nationale d'apprécier les choses, mais de mon point de vue il n'est pas nécessaire de légiférer.
Madame Ménard, notre intime conviction est qu'un auteur d'abus se construit un dispositif intellectuel qui le dispense de dire en confession ce qu'il a fait. En tout cas, en 32 mois de travaux, nous n'avons eu aucune indication sur ce sujet. En revanche, par l'audition des victimes et par les 2 800 courriers que nous avons reçus, nous avons acquis la conviction qu'un certain nombre de victimes mineures ont dit en confession ce qui leur était arrivé. Nous avons donc considéré ne pouvoir laisser ce sujet de côté. J'ai évoqué tout à l'heure les possibilités de dérogations à la règle de l'Église catholique, en l'espèce aux canons 983 et 984, et je vais vous suggérer une piste d'interprétation. Le secret de la confession, c'est le secret sur les péchés avoués par le pénitent. Un enfant disant en confession qu'il a été sexuellement agressé par un prêtre confesse-t-il un péché, un crime ou un délit qu'il a commis ? Évidemment pas. Aussi, je ne pense pas que le secret de la confession s'applique principalement ou en priorité à ce type de sujet.
Monsieur Matras, dans un régime de séparation des Églises et de l'État, il faut se garder de toute tentative de contrôle ou d'accompagnement par l'État des mesures prises par l'Église. Comment faire en sorte que les mesures s'appliquent ? La question se pose à l'Église et à ses fidèles, sous le regard de la société, car l'Église n'est pas isolée du reste de la société.
La non-dénonciation d'un crime constituant un délit, l'obligation de dénoncer s'applique pendant le délai de prescription du délit, c'est-à-dire cinq ans à compter du moment où la confidence a été reçue, et elle s'applique à la fois pour le présent et pour le passé, dans la limite du nouveau délai de prescription résultant de la proposition de loi de MM. Tourret et Fenech.
Il est évident, monsieur le président Warsmann, que le patrimoine des congrégations doit être sollicité, d'autant que certaines congrégations ont encore un patrimoine mais n'ont plus d'effectifs. Votre question nous renvoie à une réalité financière tangible dont il faudra bien que l'Église catholique parle. Des règles d'indemnisation des victimes doivent être définies et même si les montages juridiques et administratifs sont différents pour les diocèses et pour les congrégations, les mêmes règles et les mêmes principes doivent impérativement s'appliquer. On n'imagine pas que la victime d'un prêtre diocésain enseignant dans un collège tenu par les Frères des écoles chrétiennes se voit appliquer des règles A si l'on fait prévaloir le collège, des règles B si l'on met l'accent sur le fait que l'auteur des abus est un prêtre diocésain. Le financement doit normalement incomber à chaque évêque et à chaque congrégation, mais je pressens que les situations financières et patrimoniales des diocèses français sont radicalement différentes, et qu'il en va de même pour les congrégations. Aussi, si j'ai une recommandation à formuler, c'est de mutualiser. Il doit y avoir une solidarité interne à l'Église catholique pour cette affaire exceptionnelle et qui va coûter cher. Donc, il faut évidemment solliciter le patrimoine des congrégations, établir des mécanismes aussi identiques que possible pour toute l'Église catholique, mettre en œuvre une mutualisation et une solidarité par le biais d'un ou de deux fonds de dotation – s'il y en a deux, ce seront le fonds des diocèses d'une part, le fonds des congrégations d'autre part.
Considérons-nous qu'il a existé dans l'Église catholique un système de silence organisé, m'a demandé M. Florent Boudié ? Avec l'État, l'Église catholique est l'institution par excellence, dans une société dans laquelle les institutions se protégeaient ; le silence, inhérent à ce système de protection, est évidemment blâmable au regard des règles actuelles. Nous n'avons en aucun cas acquis la conviction qu'il y a eu des entreprises criminelles, des réseaux de prêtres qui se sont organisés entre eux pour faire venir des enfants et partager des proies. Quand nous parlons de responsabilité systémique, nous disons que des fautes civiles et pénales manifestes ont été commises et, au-delà, une défaillance institutionnelle car on n'a pas su voir, entendre, traiter de manière adéquate.
Nous disons aussi que l'article 1242 du code civil sur la responsabilité du fait d'autrui trouverait probablement à s'appliquer en la matière. Certes, il n'y a pas de contrat de travail entre le prêtre et l'évêque. Malgré tout, il y a un rapport d'autorité suffisant : lors de son ordination, le prêtre promet obéissance à l'évêque et à ses successeurs, et c'est bien l'évêque qui l'envoie en mission. Or, quand, dans le cadre d'une mission, un salarié commet des fautes qui entraînent des dommages pour les tiers, l'employeur est responsable. Nous pensons, en l'absence de jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, que le même raisonnement doit trouver à s'appliquer en ce cas.
Quelles sont les parts de responsabilité respectives de l'Église de France et de l'Église universelle ? Dans des recommandations que nous formulons, il y a une part égale pour les deux niveaux. Le code de droit canonique émanant du pape, tout ce que nous disons vaut pour l'Église universelle, et c'est pourquoi le rapport doit être reçu, débattu, délibéré au sein de l'Église et qu'elle trouve des solutions. Mes collègues et moi-même rencontrerons le pape en décembre ; c'est dire si le Vatican a bien conscience que ce que nous disons a un impact sur l'Église universelle.
Je partage les interrogations de Mme Lorho sur le dédommagement par les fidèles. Les associations diocésaines sont faites pour financer un culte, non pour réparer les conséquences dommageables des crimes et des délits commis par les ministres de ce culte. Il y a une vraie difficulté, et c'est pourquoi un fonds de dotation a été créé au sein de l'Église catholique pour collecter des fonds qui ne sont pas le denier du culte.
Mme Karamanli se demande s'il faut créer une instance ad hoc pour la réparation dans les cas les plus graves. Nous considérons que de telles instances sont effectivement nécessaires, pour le moment au sein de l'Église catholique, sur le modèle de notre commission : c'est-à-dire des instances indépendantes afin qu'il n'y ait pas de doute sur la reconnaissance de la qualité de victime et sur l'évaluation du préjudice.
Les obstacles vis-à-vis de l'Église ont été parfaitement gérés, mais le chemin, madame Thourot, a été douloureux. Nous avons éprouvé du dégoût, de la colère, de l'indignation, mais ce que les membres de la commission et toutes les personnes qui ont travaillé avec nous ont ressenti n'est rien à côté de ce qu'ont vécu et de ce que continuent de vivre les victimes, dont plus de la moitié sont toujours dans une situation psychologique difficile ou très difficile. Les difficultés rencontrées sont beaucoup plus importantes dans leur vie affective, familiale, sexuelle que dans leur vie sociale et professionnelle. J'ai rencontré ès qualités plusieurs hauts fonctionnaires dont je pensais qu'ils venaient me demander un conseil. Au bout de trois phrases, je comprenais l'objet de leur visite : me raconter ce qui leur était arrivé quand ils avaient 12 ans. Des personnes que j'avais connues au cabinet du Premier ministre et qui ont mené des vies professionnelles brillantes me disaient à peu près : « J'en suis à mon troisième divorce, j'ai tout raté dans ma vie personnelle ». L'abus sexuel, la violence sexuelle sont vécus par beaucoup de victimes comme l'expérience princeps : il y a la vie d'avant, et la vie d'après est sous l'ombre projetée. Il y a les conséquences des abus commis par un prêtre qui est d'une certaine manière, en tant que ministre du culte, porteur d'une figure sacrée, mais les abus sexuels ont tous des conséquences graves.
Nous ne pensons pas, monsieur Rudigoz, que l'on puisse établir un rapport de causalité entre le célibat des prêtres et le constat que nous avons fait. Les défaillances institutionnelles sont manifestes et j'ai indiqué quelle était la proportion : 88 % des victimes dans le culte catholique, 12 % pour les autres cultes. Mais on peut interpréter les choses différemment. Certes, 88 % dans l'Église catholique, c'est absolument effrayant, mais le judaïsme représente 1 % de la population et le protestantisme 2 %. L'islam est certes plus important aujourd'hui, mais nous travaillons sur toute la population française, septuagénaires compris. En conséquence, 12 % de victimes dans les autres cultes, c'est beaucoup, et il faut se garder de considérer que cette proportion signifie un état des lieux sans nuage.
S'il y a eu quelques investigations de notre commission dans d'autres milieux que l'Église catholique, c'est parce que l'enquête en population générale a porté sur 28 000 personnes et que nous avons eu quelques indications sur le cadre dans lequel des abus avaient été subis par 5,5 millions de personnes. Ce travail sera approfondi par la CIIVISE.
J'ai largement traité du ratio des genres, madame Ménard : dans l'Église, les victimes sont à une majorité écrasante des garçons, dans les familles, ce sont les filles, dans les autres milieux c'est une majorité de garçons et une minorité de filles mais dans proportions beaucoup plus équilibrées. Pour le fonds de dotation, il y a un risque d'insolvabilité, et si l'Église catholique décide de créer un mécanisme d'indemnisation, je voudrais bien qu'elle mobilise les ressources nécessaires. Je ne doute pas qu'elle parviendra à mettre en œuvre le dispositif qu'elle décidera.