Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur :

D'abord, je n'ai pas la prétention d'être l'auteur de cette proposition de loi organique : elle émane du Sénat. Parce que nous l'avons jugée intéressante, nous avons souhaité que l'Assemblée en débatte. Ensuite, elle n'apporte pas la solution au problème de la désaffection de nos concitoyens pour la politique, mais elle est une des pistes qui méritent d'être explorées. Il ne s'agit pas, ici, de faire au dispositif actuel un procès en ancrage politique ; nous constatons simplement que la possibilité de cumuler un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, qui est à présent refusée aux députés, n'a détruit l'Assemblée ni sous la IIIe République, ni sous la IVe République, ni sous la Ve République. Il n'y a donc pas lieu d'en faire un tabou ou de la diaboliser. Par ailleurs, notre propos n'est pas de définir ce qu'est un bon député ou un bon sénateur : ce sont les électeurs qui en décident.

Madame Florennes disait que le Parlement doit être le reflet de la société. C'est vrai et, actuellement, une grande diversité de parcours personnels peut être représentée à l'Assemblée ; le seul qui n'ait plus droit de cité, c'est celui d'adjoint au maire, de conseiller municipal délégué ou de maire. Il faut donc parvenir à un équilibre en la matière.

Je n'ai pas la naïveté de croire que la majorité adoptera cette proposition de loi, qui plus est en fin de législature, mais je connais suffisamment le fonctionnement du Parlement et l'opinion publique pour savoir qu'une idée a besoin de temps pour faire son chemin. Notre ambition, en vous soumettant ce texte, est de défendre l'idée qu'en 2014, nous sommes tombés dans l'excès et que des ajustements sont nécessaires.

Je ne citerai qu'un seul exemple. Un parlementaire ne peut pas être président du conseil d'administration d'un office public HLM, alors que cette fonction ne requiert que cinq jours de présence par an, qu'elle ne confère aucun pouvoir exécutif et qu'elle n'est pas indemnisée. Pourtant, lors de l'examen d'un texte tel que la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, il peut être utile de connaître les enjeux du logement social. Certes, on peut auditionner les acteurs concernés, mais cela ne vaut pas l'observation directe et la pratique. Telle est la philosophie de cette proposition de loi organique.

Je souhaiterais que l'on se garde, les uns et les autres, de verser dans la caricature. Monsieur Cazeneuve, vous avez commencé votre intervention par quelques affirmations péremptoires, avant d'admettre que la question devait être examinée de manière globale. Je partage l'idée selon laquelle le cumul de mandats locaux peut faire naître des conflits d'intérêts potentiels – par exemple, lorsqu'un élu est à la fois vice-président d'un conseil départemental ou régional et maire de sa commune ou président d'un EPCI. Tel n'est pas le cas, contrairement à ce qu'ont dit certains d'entre vous, lorsqu'on cumule une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire, et ce pour une raison simple : chacun d'entre nous représente un cinq-cent-soixante-dix-septième du pouvoir de cette assemblée, si tant est qu'elle en ait ! La capacité à peser sur la décision est donc – nous le mesurons chaque jour – beaucoup plus faible que lorsqu'on exerce deux mandats exécutifs locaux.

Toutefois, vous le savez, la Constitution de la Ve République et le règlement de notre assemblée sont ainsi faits qu'un groupe parlementaire comme le groupe UDI-I a une seule journée par an pour poser une question. Dès lors, il ne peut pas consacrer l'entièreté de cette journée à l'examen de l'ensemble des problèmes soulevés par le cumul. Notre ambition est de susciter la réflexion. Au reste, on pourrait au moins nous reconnaître le courage d'aborder cette question avant les élections. Contrairement à ce qui a été dit, c'est bien le moment de le faire, car c'est à la fin d'un mandat qu'on en dresse le bilan et qu'on trace des perspectives.

Le seuil de 10 000 habitants retenu dans la proposition de loi organique ne pose pas de problème d'ordre constitutionnel. Le Conseil constitutionnel – je réponds là à Madame Ménard – considère en effet qu'un tel seuil doit être justifié. Il ne le serait pas s'il était fixé à 5 000 habitants, par exemple ; il le serait davantage s'il correspondait à l'un des différents seuils qui figurent déjà dans nos lois. Nous pourrions donc en discuter : pourquoi pas 9 000 habitants plutôt que 10 000 ? J'ai repris le seuil retenu par le Sénat, mais M. Brindeau en proposera d'autres. En tout état de cause, il me semble qu'une limite est souhaitable, y compris, même si le Sénat n'en a pas prévu, pour le mandat d'adjoint au maire – je proposerai donc que nous en fixions une.

Le mandat parlementaire, a-t-on dit, s'exerce à plein-temps. Enfin, soyons sérieux ! Lequel d'entre nous travaille 35 heures par semaine ? Lorsque j'étais député et maire, je devais travailler 110 à 115 heures par semaine. De fait, chacun de ces deux mandats représente à lui seul beaucoup plus qu'un plein-temps. Par ailleurs, je conçois parfaitement, cher collègue Cazeneuve, que le maire d'une petite commune rencontre davantage de difficultés que le maire d'une grande commune, ne serait-ce que parce qu'il a moins de services à sa disposition. Mais j'observe que la plupart de ces maires sont dans l'obligation d'exercer un métier à côté de leur mandat, notamment en raison de la faiblesse des indemnités qu'ils perçoivent. Cependant, on ne peut tout de même pas verser une indemnité correspondant à un plein-temps au maire d'une commune de 1 500 habitants. Il faut donc accepter qu'ils travaillent par ailleurs, à moins qu'ils ne soient tous retraités – ce qui ne serait pas forcément une bonne chose, car ils ne représenteraient pas la diversité de la population. Et, s'ils travaillent par ailleurs, sans doute peuvent-ils exercer des fonctions parlementaires.

Ne pas pouvoir exercer une fonction exécutive locale – celle d'adjoint au maire ou de conseiller délégué, par exemple – appauvrit la capacité que l'on a de percevoir ce qui se passe. Je ne dis pas qu'un parlementaire doit forcément exercer une telle fonction, je dis que le priver de cette possibilité est excessif. J'observe du reste, madame Florennes, qu'au Sénat, les représentants du MODEM ont voté cette proposition de loi organique. Ils ne la jugent sans doute pas parfaite, mais le débat existe : assumons-le !

Madame Untermaier et madame Buffet, en revanche, ont indiqué qu'il n'y avait pas lieu de débattre de cette question. Pourtant, encore une fois, le débat existe. Il y a une seule affirmation que je conteste, c'est celle selon laquelle l'opinion publique se serait prononcée à ce sujet. De fait, jamais il n'a été démontré que les électeurs rejetaient le cumul de la fonction de maire et du mandat de député. J'irai même au-delà : lorsque c'était le cas, ils n'avaient qu'à ne pas choisir leur maire comme député... Ils avaient évidemment tout le loisir de le faire !

Au demeurant, si l'on adoptait le seuil proposé, l'Assemblée nationale ne redeviendrait pas ce qu'elle était avant 2014, puisque les députés qui cumulaient alors étaient les maires des grandes communes. Il y avait d'ailleurs là quelque chose d'anormal car, dans un pays aussi centralisé que le nôtre, le rôle du député peut effectivement être d'ouvrir des portes à Paris – et je réponds là à monsieur Euzet –, notamment celles des administrations. Or si le maire d'une grande commune – Marseille, Toulouse ou Paris – a accès aux ministères, ce n'est pas le cas de l'édile d'une commune de 6 000 ou 7 000 habitants, qui n'a quant à lui accès qu'au préfet – ce n'est pas la même chose.

Monsieur Gosselin s'est dit favorable au texte. Je précise cependant que l'objet de la proposition de loi organique est d'assurer, non pas la visibilité du travail des parlementaires, mais la diversité de leurs profils. Il est arrivé que se succèdent des assemblées où siégeaient majoritairement des membres de la fonction publique, des chefs d'entreprise ou des élus locaux. Ce n'est pas sain : il n'est pas bon de limiter la diversité des profils composant une assemblée. On a dit que le rôle des maires des petites communes était trop complexe, mais qui est responsable de cette situation, sinon le Parlement, qui vote la loi, et le Gouvernement, qui édicte des décrets ? L'AMF a ainsi rapporté que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, impose aux maires d'augmenter de 50 % la production de logements sociaux dans leur commune quand la loi « climat et résilience » les exhorte à limiter l'artificialisation des sols ! Oui, nous rendons la vie difficile aux maires. C'est pourquoi il serait bon que certains d'entre eux puissent siéger à l'Assemblée et au Sénat pour éviter ce type d'injonctions contradictoires.

Madame Untermaier, l'interdiction actuelle me paraît trop stricte : il est des fonctions que des députés pourraient utilement occuper sans être de mauvais parlementaires. Je ne crois pas que la vie privée, si riche soit-elle, permette de connaître la diversité des difficultés et des aspirations de nos concitoyens qu'un mandat municipal, même d'adjoint au maire, permet d'appréhender. Dans vos permanences, vous ne serez jamais saisis de certains problèmes, qui sont pourtant soumis au maire. Il est dommage que nous soyons privés de cette possibilité d'alimenter notre mandat parlementaire.

Encore une fois, le cumul des mandats ne serait pas une obligation. Limité aux maires des communes de 9 000 ou 10 000 habitants, il ne conférerait pas une position prédominante dans la circonscription, mais permettrait à celui qui est élu député d'avoir une corde de plus à son arc. J'ajoute que, comme vous l'avez dit, madame Buffet, l'élection présidentielle précédant les élections législatives, la volonté de donner une majorité au Président prime, si bien que le fait d'être maire d'une commune de 5 000 habitants ne favoriserait guère votre élection en tant que député.

Enfin, je le répète, nous savons que la proposition de loi ne sera pas adoptée, mais le moment viendra. Il n'est pas logique que l'on puisse être parlementaire sans avoir la possibilité d'acquérir une expérience locale. Les lois que nous votons s'appliquent aux chefs d'entreprise – et un chef d'entreprise peut être député –, aux administrations – et un fonctionnaire, même en exercice, peut être parlementaire –, mais elles s'appliquent également aux collectivités ; or un maire ne peut pas être député…

Pour conclure, je suis d'accord avec ceux qui estiment qu'une réforme plus globale est nécessaire. Cependant, j'appelle votre attention sur la petite musique que l'on entend de plus en plus selon laquelle les sénateurs sont plus proches des élus locaux. On finira donc par admettre, lorsqu'interviendra la révision constitutionnelle, qu'il est légitime que les sénateurs puissent cumuler, mais pas les députés. Du point de vue de l'équilibre des pouvoirs entre les deux assemblées, une telle réforme serait délétère, car elle accroîtrait la capacité des sénateurs à peser sur le processus législatif et à faire remonter des questions dont nous n'aurions toujours pas connaissance – je parle bien entendu d'une prochaine législature.

Madame Ménard, comme moi, vous êtes bien placée pour savoir qu'un maire reçoit des informations dont vous êtes privée en tant que députée et qu'on le sollicite au sujet de problèmes qui ne seront pas abordés dans votre permanence. J'ajoute, pour répondre à votre question, qu'il existe bien entendu des EPCI de moins de 10 000 habitants. Enfin, je ferai des propositions sur le cumul du mandat de parlementaire avec certaines fonctions au sein de sociétés d'économie mixte et de sociétés publiques locales car de telles fonctions, qui ne sont pas chronophages, permettent d'apprendre beaucoup sur la réalité du terrain.

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