Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne, rapporteur :

Je remercie la commission des Lois de m'accueillir. L'objet de la proposition de loi que j'ai déposée avec mon collègue André Chassaigne pour le groupe GDR est simple : supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences eau et assainissement, prévu au plus tard pour le 1er janvier 2026.

Cette obligation de transfert, actée à la va-vite et en l'absence de concertation avec les élus locaux par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, suscite depuis plus de six ans des oppositions fortes, légitimes, répétées et transpartisanes. De nombreuses initiatives législatives ont été prises par des groupes politiques de tous horizons afin de revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert de compétences à l'échelon intercommunal. Ainsi nos collègues sénateurs ont-ils adopté un article 5 bis au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS, que la commission des lois, à l'initiative du groupe La République en marche, a hélas décidé de supprimer hier après-midi.

L'obligation de transfert soulève pourtant, depuis 2015, des difficultés majeures, qui ont d'ailleurs contraint le Gouvernement à plusieurs reculades, certes bienvenues mais insuffisantes. La loi du 3 août 2018 a repoussé, pour les seules communautés de communes, la date butoir du transfert au 1er janvier 2026 – alors qu'elle était initialement fixée au 1er janvier 2020 – grâce à l'activation d'une minorité de blocage. Déjà, 61 % des communautés de communes ont décidé d'activer ce mécanisme. La loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a ouvert la possibilité aux intercommunalités exerçant déjà les compétences eau et assainissement de les déléguer aux communes par convention.

S'ils vont dans le bon sens, ces assouplissements progressifs ne s'attaquent pas au fond du problème, c'est-à-dire la rigidité, la brutalité et l'inopportunité profonde de l'obligation faite aux communes d'abandonner leurs compétences à la communauté de communes à laquelle elles appartiennent. Six ans après la loi NOTRe, une large majorité des communes membres d'une communauté de communes ne souhaitent toujours pas abandonner leurs prérogatives en la matière. Seules 33 % des communautés de communes exercent à ce jour la compétence eau et 41 % la compétence assainissement collectif : de tels chiffres démontrent que le transfert obligatoire ne satisfait aucun besoin général exprimé par les communes et par les communautés de communes – les auditions que j'ai conduites l'ont confirmé.

Il est inutile et même dangereux de prétendre savoir à la place des communes ce qui serait le mieux pour elles. Si la plupart exercent encore aujourd'hui les compétences eau et assainissement, alors que tout pousse à en confier l'exercice aux communautés de communes, notamment la politique de subventions très critiquable de certaines agences de l'eau, c'est parce que la gestion actuelle de l'eau et de l'assainissement dépend des spécificités propres à chaque territoire. Ainsi, l'exercice de ces compétences par des communes ou par des syndicats auxquels elles adhèrent est tout à fait satisfaisant s'agissant tant de la qualité du service que du prix facturé à l'usager.

Pourquoi donc détruire ce qui fonctionne bien aujourd'hui ? L'intercommunalisation à marche forcée ne constitue pas une solution d'avenir. C'est un mouvement profondément incompatible avec les principes de différenciation territoriale et de libre administration des collectivités locales, que le Gouvernement et sa majorité prétendent d'ailleurs défendre. Deux points me semblent essentiels.

Premièrement, le périmètre géographique des communautés de communes n'est pas forcément adapté au périmètre naturel des services d'eau et d'assainissement, qui doivent être organisés autour des zones de prélèvement et dimensionnés en fonction de la ressource disponible, ce qui dépend de la localisation des bassins versants. Cette dimension topographique propre à chaque territoire ne plaide pas en faveur d'une grille de lecture uniformément intercommunale.

Deuxièmement, le transfert obligatoire aux communautés de communes ne va pas automatiquement conduire à des économies d'échelle, pas plus qu'à une amélioration de la qualité du service ou à une baisse du prix. Au contraire, la gestion administrative n'en sera que plus éloignée, au risque de provoquer une perte de compétences et de connaissance fine des réseaux d'eau et d'assainissement. Cette évolution peut ainsi ouvrir la voie à des tentations compréhensibles de confier à des entreprises privées la gestion de ces missions par le biais de délégations de service public (DSP), dont on a déjà vu les défaillances en la matière, au cours de la dernière décennie. In fine, ce n'est donc pas dans l'intérêt de nos concitoyens, alors même que la gestion en régie a déjà fait ses preuves. La question de la proximité est également fondamentale.

Pour l'ensemble de ces raisons, la proposition de loi a pour objet de supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences eau et assainissement, en réinsérant ces compétences parmi celles pouvant être exercées par ces mêmes communautés à titre optionnel. Si les communes membres de ces intercommunalités souhaitent malgré tout transférer ces compétences à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), elles en conserveront la possibilité, mais elles ne doivent en aucun cas y être contraintes, au mépris des réalités territoriales auxquelles elles sont confrontées de longue date.

Alexis de Tocqueville, philosophe dont je ne partage pas nécessairement les idées politiques, défendait dès le milieu du XIXe siècle et avec justesse le rôle des communes dans notre pays : « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple, elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. »

Tâchons collectivement de rester fidèles à ces principes qui demeurent plus que jamais d'actualité.

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