Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Je tiens à saluer l'initiative de Pierre Dharréville et du groupe GDR concernant un sujet pour lequel le groupe Socialistes et apparentés s'est, lui aussi, passionné. Je me suis moi-même beaucoup investi sur cette question ces dernières années, pour des raisons non seulement philosophiques, mais aussi pratiques. En effet, l'exercice du pouvoir législatif s'est heurté à deux reprises, s'agissant de dispositions qui nous semblaient concourir à l'intérêt général, à une censure de la part du Conseil constitutionnel. La disposition de la loi Sapin 2 prévoyant d'étendre aux holdings financières la transparence fiscale imposée aux banques – la plupart des transactions illicites ou, tout au moins, immorales effectuées dans les paradis fiscaux ne passant pas par le système bancaire – a ainsi été censurée au nom de la liberté d'entreprendre, parce que la divulgation d'informations relatives à la nature des entreprises aurait été susceptible d'aiguiser l'appétit de la concurrence. De même, l'accaparement des terres par le phénomène sociétaire, boîte noire qui échappe à tout contrôle politique ou juridique depuis l'après-guerre, a été protégé, là encore au nom de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, les articles visant à étendre le droit de préemption public par l'intermédiaire des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) ayant été censurés.

Ces décisions ont suscité chez moi une profonde indignation. Je me suis donc rapproché de juristes et de constitutionnalistes, notamment ceux avec lesquels nous avions préparé la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre – qui est d'ailleurs en passe de devenir une directive européenne. Nous avons été cinquante, dont Antoine Lyon-Caen, Mireille Delmas-Marty, Cynthia Fleury, Thomas Piketty, Gaël Giraud et bien d'autres – représentant, à mon sens, ce qu'il y a de plus beau en France en matière intellectuelle – à signer dans Le Monde une tribune appelant à adapter la notion de bien commun à l'anthropocène, à la globalisation et à la mondialisation, bref à la modernité, et à réécrire notre Constitution afin de ne pas déformer les attendus de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, dont le Conseil constitutionnel tire indûment des arguments pour défendre une forme de despotisme économique, celle-là même que dénonce Pierre Dharréville à travers ses deux propositions de loi.

Nous sommes ensuite passés à l'acte en plusieurs occasions, notamment par la rédaction d'amendements au projet de loi constitutionnelle de 2018, lequel a avorté à la suite de la sombre affaire que tout le monde connaît. Il s'agirait d'inscrire dans la Constitution que « la loi détermine les mesures propres à assurer que l'exercice du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre respecte le bien commun. Elle détermine les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou d'intérêt général justifient des limitations à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. » On se rapprocherait ainsi des législations autrichienne, allemande, italienne ou suisse, qui ne sont pas à proprement parler des dictatures du prolétariat… Voilà la voie que les socialistes privilégient, et ils ne désespèrent pas de pouvoir un jour, grâce à une majorité ad hoc, réformer la Constitution dans ce sens.

C'est cette même voie que je défendrai à travers un amendement à la proposition de loi ordinaire, tout en soutenant l'initiative du groupe GDR, et cela bien que je partage pour partie les critiques émises contre le recours à la pétition citoyenne et au CESE – voies ô combien « deuxième gauche ». Je serai sur ce point plus républicain que vous, monsieur Dharréville, étant attaché à la primauté de la Constitution et du Parlement, même si la société civile doit nous aiguiller et nous alerter.

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