Intervention de Mathilde Panot

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Je remercie, moi aussi, le groupe GDR et Pierre Dharréville pour leurs propositions. Nous partageons un même constat, à savoir que le coupable du désastre écologique en cours est le capitalisme, avec ses deux piliers : le productivisme, qui consiste à produire tout et n'importe quoi en exploitant toujours plus de ressources naturelles, pourvu que ce soit rentable, et le consumérisme, machine à frustration alimentée par le matraquage publicitaire. Je crois que nous sommes d'accord pour dire que nous devons rompre avec ce système qui exploite les êtres humains et le vivant, et qui étend à l'infini le domaine du marché au détriment de l'intérêt général humain.

Karl Polanyi écrivait en 1944 : « L'idée d'un marché s'ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l'homme et sans transformer son milieu en désert. » Le désert, voilà ce à quoi nous sommes promis si nous n'engageons pas une bifurcation écologique et solidaire de nos modèles de production et de consommation. Pour ce faire, il nous paraît indispensable de sanctuariser certains biens communs, c'est-à-dire de les extraire de la logique du marché et de limiter drastiquement certains aspects du droit de propriété.

Pour l'illustrer, je prendrai l'exemple des forêts. Depuis quelques semaines, à la suite de l'appel pour des forêts vivantes, des citoyens, des associations et des collectifs se mobilisent partout en France, avec pour seul mot d'ordre la lutte contre l'industrialisation des forêts. Ces femmes et ces hommes mènent des actions pour dénoncer un certain type de gestion forestière, qui se répand dans notre pays à travers toujours le même triptyque, celui qui s'applique dans l'agriculture intensive : coupes rases ; plantations ; monocultures. C'est un modèle qui épuise les sols, qui détruit la biodiversité, qui maltraite les femmes et les hommes qui travaillent en forêt, à qui l'on nie toute expertise et tout savoir-faire et qui deviennent de simples coupeurs d'arbre. C'est, en outre, un modèle qui n'est pas résilient au changement climatique, puisque les forêts industrialisées sont plus vulnérables aux aléas climatiques. C'est pourtant ce modèle qui nous est imposé, sans que nous ayons pu en discuter démocratiquement.

Aujourd'hui, des coopératives forestières se gavent en vendant des coupes rases à des propriétaires forestiers au prétexte que leur forêt est « improductive », c'est-à-dire inapte au marché tel qu'il est structuré. Les effets de ces coupes sont connus : elles tassent les sols, accélèrent leur érosion, libèrent le carbone, détruisent la biodiversité et les habitats naturels d'espèces essentielles, entravent la régénération naturelle des forêts. La situation est alarmante, car les forêts sont nos alliées pour faire face au dérèglement climatique : elles séquestrent le carbone, préservent la biodiversité, filtrent la ressource en eau. Elles sont, en outre, des lieux de loisir et de pédagogie. Elles sont multifonctionnelles et rendent des services écosystémiques à l'ensemble de la population.

Le problème, c'est que l'immense majorité des forêts françaises sont privées. La forêt est morcelée, c'est-à-dire que des milliers de propriétaires différents la possèdent. Et il ne faudrait rien leur imposer au prétexte qu'il s'agit de leur propriété, ne pas édicter de conditionnalités écologiques au nom de la propriété privée ? On voit bien qu'il y a là une dérive de l'idéologie de la propriété absolue qui se fait contre toute logique. C'est pourquoi nous estimons que les forêts devraient être des biens communs.

On pourrait appliquer le même constat à l'eau. Est-il raisonnable, alors que la ressource en eau, indispensable à la vie, est menacée, de la laisser aux mains des intérêts privés ? Est-il désirable que des entreprises, dont l'objectif est toujours la rentabilité, puissent accaparer ce bien commun sans lequel nous mourons en l'espace de trois jours ? Là encore, la logique du marché défie le bon sens et menace l'intérêt général humain. Regardez ce qui s'est passé en Australie lors des « mégafeux » de 2019 : une entreprise singapourienne n'a rien trouvé de mieux que de vendre 89 milliards de litres d'eau à un fonds de pension canadien pour irriguer des amandiers, culture destinée à l'exportation.

C'est au peuple de contrôler démocratiquement l'usage de ces biens communs et leur protection. Nous pourrions établir par référendum la liste des biens communs et services essentiels, créer un Défenseur des biens communs, comme il existe aujourd'hui un Défenseur des droits, empêcher le droit de propriété de prévaloir sur la protection de l'eau, de l'air, de l'alimentation, du vivant, de la santé, de l'énergie, enfin inscrire dans la Constitution que l'eau, par exemple, est un bien commun dont on doit protéger l'ensemble du cycle, y compris les nappes phréatiques.

Le groupe La France insoumise soutiendra évidemment ces deux propositions de loi.

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