Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville, rapporteur :

Je vous remercie pour la considération que vous avez accordée à ces propositions de loi. Ce débat, incontournable, va être appelé à se poursuivre dans les temps qui viennent, et c'était mon souhait que d'ouvrir la discussion. D'ailleurs, de même que Dominique Potier et le groupe Socialistes et apparentés, nous avions déposé à l'occasion de la réforme constitutionnelle un certain nombre d'amendements qui préfiguraient ces textes.

J'ai conscience que la proposition que je formule bouscule le cadre juridique, en remettant en cause le caractère absolu du droit de propriété. Je signale que, dans un certain nombre de pays, a été engagée une révision de la manière dont celui-ci est constitué ; en Belgique, par exemple, ont été modifiés l'article 544 du code civil, qui établit le caractère absolu du droit de propriété, et l'article 714, relatif aux choses communes, en intégrant notamment le souci des générations futures dans la gestion de celles-ci. Il faut qu'en France aussi, nous parvenions à lever ce tabou et que soit lancée la discussion sur la révision de textes certes très anciens, qui forment la pierre de touche d'un édifice juridique auquel certains d'entre nous ne voudraient surtout pas toucher. Ma proposition vise à ouvrir ce débat non seulement ici, au Parlement, mais dans l'ensemble de la société, à chaque fois que cela s'avérera nécessaire.

L'une des objections qui m'ont été faites, notamment par Émilie Guerel, porte sur la nature même du dispositif, à savoir que la définition que je propose n'emporterait aucune conséquence juridique et que le texte serait inopérant. C'est un choix délibéré de ma part que de ne pas créer un troisième statut de propriété, entre la propriété publique et la propriété privée.

Il a aussi été évoqué un risque de judiciarisation accrue. Bien au contraire, mes textes mettent en place un processus de délibération démocratique : l'inscription de la notion de bien commun dans le droit permettrait d'ouvrir des débats et de faire évoluer démocratiquement certaines choses.

La proposition que je formule, cher Dominique Potier, n'exclut pas pour autant le Parlement. Celui-ci conserverait toutes ses attributions ; en revanche, le mécanisme envisagé permettrait de nourrir le débat public et d'identifier un certain nombre de sujets de débat dont le Parlement serait amené à se saisir.

On a évoqué l'ombre d'une volonté excessive, mais je ne souhaite qu'ouvrir la discussion de manière institutionnelle, afin de lui donner une plus grande force. Il ne s'agit nullement, pour reprendre cet exemple, d'empêcher toute action judiciaire ; cela permettrait simplement d'ouvrir la voie à d'autres types d'action, notamment sur les questions environnementales.

Certains d'entre vous ont évoqué la nécessaire conciliation d'un tel dispositif avec le principe constitutionnel du droit de propriété. Ce que je constate, c'est, comme l'a montré Dominique Potier, que ce principe nous est presque systématiquement opposé lorsque nous voulons prendre certaines dispositions d'ordre public visant à protéger l'intérêt général. Cela pose un problème.

Vous estimez, monsieur Bru, que le mécanisme proposé ferait sortir le CESE de son rôle, qui doit rester purement consultatif. Je ne pense pas que ce soit le cas, puisque le CESE ne ferait qu'émettre des recommandations, qui seraient rendues publiques et transmises aux assemblées délibérantes, seules légitimes pour prendre des décisions en matière de conséquences juridiques. Si l'attribution du statut en elle-même pose difficulté, il pourrait être envisagé qu'elle ne soit que recommandée par le CESE et mise en œuvre, le cas échéant, par la suite. En outre, si nous devions adopter en première lecture cette proposition de loi organique, il conviendrait d'approfondir la discussion avec le CESE, notamment pour examiner dans le détail la manière dont il pourrait traiter les saisines. Je formulerai par voie d'amendements des propositions en ce sens.

Il me semble que ce que je propose va néanmoins dans le sens de l'évolution engagée récemment, la Constitution et la loi organique du 15 janvier 2021 prévoyant que le CESE peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental.

Nous avons fait, pour notre part, monsieur Potier, le choix de ne pas faire porter le débat sur les modifications constitutionnelles. Certaines pourraient se révéler nécessaires, et nous ne les méprisons pas, mais nous avons privilégié la logique d'un mécanisme concret qui viendrait en complément d'éventuelles avancées constitutionnelles, sans que celles-ci ne soient une condition préalable.

Je vous remercie pour votre appui, madame Panot. L'exemple de la forêt est en effet édifiant. Il s'agit, selon nous, d'un bien commun, et il convient de se saisir du problème et d'arbitrer les conflits concernant son usage. Des mobilisations ont eu lieu récemment en faveur de la préservation d'un espace forestier en montagne, et le mécanisme que je propose aurait été tout à fait adapté pour traiter cette affaire. Vous avez évoqué l'idée d'un Défenseur des biens communs ; on pourrait imaginer des dispositifs encore plus ambitieux, comme un ministère ou un parlement des biens communs. Pour l'heure, il ne s'agit que d'amorcer le mouvement et d'inviter à une construction collective.

Monsieur Houbron, la définition que nous proposons du bien commun est volontairement large, afin d'ouvrir autant que possible le champ du débat, mais elle ne tire pas à conséquence pour ce qui concerne le régime de propriété lui-même. Je ne crois pas qu'elle remette fondamentalement en cause le droit de propriété tel que l'entendaient celles et ceux qui ont rédigé le code civil. Vous estimez que cette proposition risquerait de porter atteinte aux droits fondamentaux ; je pense, au contraire, que c'est le glissement observé actuellement qui leur porte atteinte. Comment articuler, concrètement, les libertés individuelles et la liberté collective ? C'est toute la question.

Je voudrais enfin remercier Jean-Paul Dufrègne pour le soutien qu'il m'apporte à titre personnel et au nom de notre groupe.

J'espère que je vous ai convaincus de la validité du dispositif et que le débat que nous engageons aujourd'hui pourra prospérer. Il est temps de nous doter des moyens pour agir et de conforter les mouvements susceptibles de faire émerger du commun. Nous avons bien besoin de retrouver le sens et le goût de celui-ci, alors que les fractures minent notre société et compromettent son avenir.

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