Intervention de Alexis Corbière

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière, rapporteur :

Mes chers collègues, sans doute la proposition de loi constitutionnelle que je m'apprête à vous présenter ne suscite-t-elle guère votre adhésion, mais je vous invite à l'examiner sans a priori. Ayant pour origine un constat simple, celui de la grave détérioration de notre vie civique, qui se manifeste de la façon la plus spectaculaire par une abstention très forte, elle traduit notre volonté d'inciter les citoyens à retourner aux urnes en leur octroyant des droits nouveaux de nature à modifier les rapports qu'ils entretiennent avec leurs représentants.

Cette proposition de loi est simple, forte et conforme aux fondements de notre tradition républicaine.

Je veux insister tout d'abord sur l'abstention, dont on dit parfois qu'elle est une grève civique. De fait, lors des derniers rendez-vous électoraux, le peuple, souverain en république, ne s'est pas présenté. Ce phénomène ne doit pas rester dans l'angle mort de nos débats : nous sommes face à une urgence démocratique. Nous estimons, pour notre part, que si beaucoup ne voient plus l'intérêt d'aller voter, c'est parce que les institutions de la Ve République concentrent l'essentiel des pouvoirs entre les mains du Président de la République, au détriment notamment du Parlement. Aussi voulons-nous que le citoyen dispose de droits non seulement le jour du scrutin, mais aussi entre deux rendez-vous électoraux. Tel est l'objet de notre proposition de loi : le droit de révoquer les élus, nouveau droit démocratique, susciterait l'implication des citoyens, des électeurs. Il s'agit ici de remédier concrètement à une situation politique identifiée.

Bien entendu, pour mon groupe, le droit de révocation s'inscrit dans le projet plus général de modifier radicalement nos institutions. En effet, si nous étions aux responsabilités, nous convoquerions une assemblée constituante afin que le peuple désigne des représentants chargés de débattre, puis d'adopter de nouvelles institutions, qui formeraient la VIe République. Toutefois, il nous a semblé pertinent de profiter de cette journée réservée à notre groupe pour débattre, voire adopter dès à présent le droit de révocation, qui nous semble compatible avec les institutions actuelles. Un tel droit modifierait profondément la nature des relations entre le mandant et le mandataire, entre le peuple et ses représentants, puisqu'il permettrait à nos concitoyens, dans des conditions qui restent à préciser dans une loi organique, de rappeler un élu s'ils le jugent pertinent.

Que les choses soient claires : si cette procédure ne fait pas partie de notre droit constitutionnel, son instauration ne marquerait pas une rupture avec notre histoire. Déjà sous l'Ancien régime, le système dit des commis de confiance permettait à ceux qui désignaient leurs représentants au sein des assemblées communales de les remplacer. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Quant au projet d'article V de la Constitution adoptée en 1793, il proclame sans ambiguïté que « la souveraineté réside essentiellement dans le peuple français ; tous les fonctionnaires publics sont ses mandataires : il peut les révoquer de la même manière qu'il les a choisis ». Enfin – chacun appréciera cette référence comme il l'entend, mais elle appartient à notre patrimoine républicain et politique –, en 1871, lors de la Commune de Paris, il fut proclamé que « les membres de l'assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l'opinion, sont révocables, comptables et responsables ». Le droit de révocation est donc une idée ancienne dans le débat démocratique français ; il a été, sinon mis en application, du moins proclamé dans des textes importants.

Aussi notre proposition de loi constitutionnelle vise-t-elle à mettre en œuvre le référendum révocatoire. Il s'agit d'offrir la possibilité aux électeurs, si un certain nombre d'entre eux en font la demande, de révoquer un élu, cette révocation ne pouvant intervenir qu'à l'issue du premier tiers de son mandat et avant la dernière année de celui-ci.

J'insiste sur le fait que de nombreux pays disposent déjà, dans leur attirail législatif et démocratique, de dispositions s'apparentant au droit de révocation. Ainsi, aux États-Unis, la procédure dite de recall existe dans vingt-huit États ; elle a rang constitutionnel dans seize d'entre eux et rang législatif dans les douze autres. À titre d'exemple, Arnold Schwarzenegger a été élu gouverneur de Californie à la suite de la révocation du gouverneur précédent. Une procédure analogue existe dans certains pays d'Amérique latine, tels que la Bolivie ou l'Équateur, ainsi que dans certains pays d'Europe, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Autriche, selon des modalités variées qui ne sont pas exactement conformes à la proposition que je vous présente. En tout cas, ces exemples étrangers attestent de la faisabilité d'une mesure jusqu'à présent ignorée par notre droit constitutionnel.

Nombre de nos concitoyens expriment le sentiment que nous ne nous adressons à eux que lors des échéances électorales et ont trop souvent l'impression que les décisions prises ne sont pas conformes à leurs attentes. En créant un lien plus vivant, plus dynamique entre représentés et représentants, ce droit nouveau accordé à nos concitoyens favoriserait une démocratie plus active, en leur permettant d'exercer également leurs droits civiques entre deux échéances électorales. Serait ainsi créé un cercle vertueux : le souverain pourrait garder le contrôle sur ceux qui le représentent.

Il ne s'agit pas d'instituer un système chaotique d'élections permanentes. Ainsi, le droit de révocation pourrait ne s'exercer qu'une seule fois au cours d'un mandat et le seuil requis pour l'organisation de la nouvelle consultation pourrait être suffisamment élevé pour empêcher qu'elle ne soit déclenchée par la seule opposition ou par un noyau d'irréductibles. Si l'on fixait ce seuil à 10 % du corps électoral, par exemple, il ne pourrait être atteint qu'à la suite d'une mobilisation certaine, provoquée par un trouble réel des électeurs. Je vous rappelle que beaucoup d'entre nous n'ont été élus que par 15 % à 20 % des électeurs inscrits...

Enfin, nous proposons que le droit de révoquer les élus soit applicable à tous les mandats, en particulier au mandat présidentiel. De fait, sous la Ve République, le Président de la République n'est pas responsable durant son mandat : il n'a de comptes à rendre à personne – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ne peut venir devant l'Assemblée nationale. Or il me semble que si le corps électoral savait qu'il peut, le cas échéant, convoquer une nouvelle élection, cela apaiserait la situation. C'est en effet la confirmation d'un lien direct fort entre représentés et représentants qui apaisera notre vie démocratique et créera les conditions d'une plus forte participation aux scrutins. Sans quoi, nous risquons de laisser s'installer un système de basse intensité démocratique dans lequel les représentants seront élus par un petit nombre d'électeurs mobilisés et où se renforcera le sentiment populaire que les décisions ne sont pas prises au nom des citoyens.

Je vous invite donc à réfléchir à notre proposition. Comprenons-le bien, les tensions sont importantes : nous traversons une véritable crise démocratique. J'y insiste, car nul d'entre nous ne peut demeurer insensible au fait que, lors des derniers scrutins, régionaux et municipaux, les deux tiers de nos concitoyens ne sont pas venus voter – les deux tiers ! En république, le souverain, c'est le peuple. Lorsqu'il ne se présente pas aux urnes, nous ne pouvons pas nous contenter de dire que c'est sa faute, et en rester là. Nos institutions exacerbent la distance entre les représentants et les représentés ; il faut accorder à ces derniers des droits nouveaux.

Parmi les différentes mobilisations sociales qui sont intervenues au cours du quinquennat, celle des gilets jaunes a d'abord été suscitée par une colère fiscale, puis elle a exprimé des exigences sociales, mais aussi démocratiques ; je pense notamment à l'instauration du référendum d'initiative citoyenne. La recherche d'une démocratie plus active, offrant des droits nouveaux aux citoyens, me semble être au cœur des préoccupations de la majorité de nos concitoyens. Du reste, nous avons réalisé une étude d'opinion à l'occasion de cette niche parlementaire : la proposition de créer un droit de révocation recueille l'adhésion de 75 % des personnes interrogées ! L'idée circule, donc ; il s'agit de l'organiser de manière sérieuse. En république, nous devons être attachés à l'idée fondamentale que le souverain, c'est le peuple : c'est lui qui décide et, à ce titre, il doit pouvoir retirer le mandat qu'il a accordé.

Enfin, la révocation est possible dans le mouvement associatif, le mouvement sportif et même dans le monde de l'entreprise, auquel vous êtes, pour certains d'entre vous, particulièrement attachés. Il est en effet possible à celles et ceux qui ont confié des responsabilités à une personne de lui retirer son mandat à l'occasion d'un conseil d'administration ou de l'assemblée générale des membres de l'association. Pourquoi cela ne serait-il pas possible dans notre vie démocratique ?

Pour conclure, le droit de révoquer les élus nous semble renouer avec la promesse républicaine : le souverain doit pouvoir conserver ses droits à tout moment. Il faut l'entendre et lui donner la possibilité de rappeler ceux qu'il a désignés pour nommer d'autres représentants.

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