Intervention de Guillaume Gouffier-Cha

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Gouffier-Cha :

Nous sommes appelés à débattre d'un texte qui a pour ambition de remédier à la crise démocratique que traverse notre pays. À l'évidence, cette crise existe, et nous nous devons de trouver des solutions. Mais l'instauration d'un référendum révocatoire n'en est pas une. Du reste, monsieur le rapporteur, cette proposition, que votre mouvement politique a souvent défendue, n'a jamais été plébiscitée, comme en témoignent les résultats des élections – les sondages ne suffisent pas, en la matière.

Nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte, car il est juridiquement inopérant, politiquement irresponsable et philosophiquement contradictoire.

Il est juridiquement inopérant car, lorsque le dogmatisme rencontre le populisme, il passe bien souvent à côté de la règle de droit. Or, voyez-vous, en matière constitutionnelle, c'est problématique. Vous souhaitez constitutionnaliser un principe de révocabilité applicable et opposable à l'ensemble des titulaires d'un mandat électif. Soit, mais donnez-vous les moyens de votre politique : précisez, à l'appui des articles 11 et 68 de la Constitution, le champ matériel de la révocation ; abrogez, en toute logique, la prohibition du mandat impératif, proscrit à l'article 27 ; donnez-vous au moins la peine d'encadrer le mécanisme – à moins que votre inconscient ne soit bonapartiste et rêve de le détourner à des fins plébiscitaires ; enfin, départagez ce qui est révocable et ce qui ne l'est pas. Mais encore eût-il fallu, pour cela, que vous déposiez des amendements, organisiez des auditions...

En bref, monsieur le rapporteur, vous pensez ouvrir le champ des possibles, mais vous fermez la porte au réel, car votre texte est inapplicable.

Il est également politiquement irresponsable. Un illustre professeur mettait en garde : en matière d'ingénierie constitutionnelle, il ne faut pas s'inspirer de l'archer, car la flèche peut manquer la cible. Votre cible est le lien entre gouvernants et gouvernés, et vous la manquez. Empiriquement, ni le recall américain, qui a bombardé Arnold Schwarzenegger gouverneur de Californie, ni le référendum vénézuélien, dont a pu tirer profit Hugo Chavez en 2004, n'ont démontré la vertu du dispositif proposé.

Par ailleurs, pour écrire une bonne Constitution, il faut avoir un esprit de système, autrement dit, être, d'une certaine manière, un bon joueur de billard. Or, sur les bandes de ce billard, votre droit de révoquer les élus se cogne : au mieux, la révocation possible de tous nuira à l'engagement de chacun, mènera à l'institutionnalisation de la défiance et à la polarisation extrême des antagonismes ; au pire, elle conduira à une contestation systématique des résultats des urnes par les mauvais perdants et à une action politique « court-termiste », les élus cherchant à s'adapter au risque d'une révocation pouvant intervenir à tout moment. Voilà qui est peu compatible avec la planification écologique de type mélenchoniste – je dis cela, je ne dis rien !

Enfin, et surtout, ce texte est paradoxal dans ces termes. J'y vois en effet une quadruple négation.

Négation, d'abord, du député en tant qu'élu de la nation, puisque vous renvoyez son mandat aux intérêts catégoriels et géographiques d'une circonscription.

Négation, ensuite, de la souveraineté nationale, par essence indivisible, qui appartient au peuple, lequel l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum, sans pouvoir être fragmentée dans l'expression de sa volonté dès lors qu'« aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ».

Négation, par conséquent, du projet national, car vous faites la courte échelle à des coalitions du mécontentement. Voici votre projet : « Le citoyen révoque » ! Son rôle est purement négatif. C'est ainsi que la révocation, loin d'éclairer la volonté générale, l'obscurcit, compte tenu de raisons multiples et variées qui trouvent ainsi un lit commun pour s'exprimer sans convergence possible.

Négation, enfin, des corps intermédiaires, écartés du lien direct et absolu qui serait établi entre représentants et représentés.

Au fond, les termes du problème sont mal posés. Ce qui importe, en effet, c'est moins la confiance dans tel ou tel mandataire que la confiance dans les institutions politiques, que notre majorité s'est évertuée à rétablir depuis 2017, en assainissant l'infrastructure de la vie politique. Nous avons ainsi redonné confiance en interdisant aux parlementaires d'exercer l'activité de représentant d'intérêts, garanti la transparence en imposant à tout candidat à l'élection présidentielle de fournir une déclaration d'intérêts et d'activités en sus de la déclaration de patrimoine, favorisé le pluralisme des idées en renforçant le contrôle des comptes des partis politiques, conforté la démocratie communale – cette petite république dans la grande – grâce au droit à la formation des élus, à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et familiale et engagement politique et à la revalorisation historique des indemnités de fonction des élus locaux. Nous avons, enfin, valorisé l'engagement de la jeunesse, en abaissant, par exemple, le seuil requis pour la saisine citoyenne du Conseil économique, social et environnemental à 150 000 pétitionnaires âgés de 16 ans et plus.

Mes chers collègues, élever cette démocratie de la gâchette au rang constitutionnel est, à l'évidence, une fausse promesse de revitalisation, et les élus qui l'adopteraient se rendraient coupables d'un mensonge de plus. Aussi voterons-nous contre cette proposition de loi constitutionnelle.

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