L'objectif de la proposition de loi – renforcer la confiance des citoyens dans la vie politique – est louable, et partagé par l'ensemble des sensibilités politiques représentées au sein de notre commission.
Dans un rapport sur la révocation populaire de maires et d'élus locaux publié en juin 2019, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, recense les nombreux bienfaits de l'instauration d'un système de révocation, tels que le comblement du déficit démocratique créé par la fréquente baisse du taux de participation aux élections ou la prévention de l'ingérence d'influences ou d'intérêts indus dans les affaires de la collectivité. Mais elle note que la révocation populaire « présente aussi des risques considérables. [...] elle peut être détournée (par les partis dans leur lutte contre leurs rivaux politiques, mais aussi par des élus sortants cherchant à peser artificiellement sur la situation électorale) et devenir une arme politique. Elle peut aussi être distordue par des groupes d'intérêts ou de pression cherchant à déstabiliser la gouvernance et à lui faire perdre son efficacité en empêchant des responsables de prendre certaines mesures ou décisions par peur de la révocation. Cela rend les charges publiques moins attrayantes, et peut induire des comportements irresponsables. »
Compte tenu des enjeux actuels – je pense notamment à la crise environnementale –, il est essentiel que les élus ne soient pas en campagne permanente et qu'ils osent entreprendre des actions qui ne porteraient leurs fruits qu'à long terme. Or la pression permanente que ferait peser la menace de la révocation anesthésierait l'action publique, et même le courage des élus, alors que nous allons être amenés à prendre des décisions de plus en plus difficiles.
Dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous citez l'exemple des vingt-huit États fédérés américains qui prévoient une procédure dite de recall. Mais, vous l'admettrez, l'existence cette procédure de révocation s'explique par une histoire et une culture profondément différentes de la nôtre – Tocqueville le dirait mieux que nous. Ainsi, elle permet de révoquer, dans certains États, des fonctionnaires et des juges, dont l'élection participe de la conception de la démocratie américaine. En d'autres termes, il ne semble pas judicieux d'insérer dans notre droit quelques-unes des briques d'un dispositif démocratique étranger sans prendre celui-ci en compte dans sa globalité. Encore une fois, dans ces États américains, la révocation n'a de sens que si elle est également applicable à des fonctionnaires et à des juges.
Par ailleurs, l'article 27 de notre Constitution proclame que « tout mandat impératif est nul ». Concrètement, une élection n'est pas un contrat comportant une obligation de résultat. Du fait de l'héritage démocratique de notre pays, notre mandat ne se traduit pas par un contrat écrit : nos promesses de campagne ne sont pas des devis, notre profession de foi n'est pas une facture, notre bulletin de vote n'est pas un chèque de banque, notre élection ne procède pas d'un appel d'offres. C'est bien plus abstrait, et nous le savons.
J'ajoute que la possibilité de révoquer des maires au cours de leur mandat existe. Cette procédure est méconnue du grand public, car elle ne fut activée par le Conseil des ministres qu'à six reprises depuis 1958. Les maires concernés furent révoqués à la suite d'une condamnation en justice, notamment pour avoir tenu des propos outranciers lors de la cérémonie de commémoration de l'Armistice du 11 novembre, pour attentat à la pudeur sur des mineurs de moins de 15 ans, pour détournement de fonds…
Même si la proposition de loi constitutionnelle se fonde sur un diagnostic avéré et partagé, la solution préconisée risque de créer des problématiques hautement inflammables. Le groupe Agir ensemble ne votera donc pas en faveur de ce texte.