Je vous remercie d'avoir nourri la discussion de vos réflexions et arguments – plus ou moins vifs, mais il en est ainsi du débat démocratique – et je forme le vœu qu'elle se poursuive, notamment le 13 janvier dans l'Hémicycle.
Permettez-moi tout d'abord de souligner que vos réflexions sont celles d'élus – ne le prenez pas mal, je m'inclus dans ce constat. Or peut-être le propos d'un élu est-il différent, sur ce sujet, de celui d'un citoyen qui ne détient pas de mandat électif. Certains d'entre vous estiment que le dispositif proposé favoriserait la tyrannie des minorités : soyons attentifs à ce que le cercle restreint des élus n'en devienne pas une. J'ai en effet entendu des propos qui peuvent choquer : on a dit – pardonnez-moi de ne pas me souvenir des termes exacts qui ont été utilisés – que, si le droit de révocation était instauré, les élus seraient entre les mains du peuple. Oui, en toutes circonstances, le souverain, c'est le peuple ! C'est lui qui doit décider de ce qu'il fait de ses élus. Nous n'avons pas à nous méfier d'un peuple insouciant qui, tête folle, pourrait prendre des décisions déraisonnables.
D'aucuns ont dit que certaines décisions étaient difficiles et impopulaires. Parlent-ils de décisions qui seraient minoritaires dans le pays ? Dans ce cas, il ne faut pas les prendre ! Sinon, on acte le fait qu'on exerce un pouvoir autoritaire. Il faut, inlassablement, expliquer, convaincre, se demander pourquoi un argument ne passe pas ou plus, au lieu d'invoquer l'ignorance du peuple. On a forgé le concept de populisme : non seulement il ne faudrait plus parler au peuple, au motif qu'il ne comprend rien – alors que nous, nous serions les « sachants » –, mais nous devrions louer nos institutions de continuer à fonctionner même lorsqu'il ne va plus voter ! C'est précisément là que réside l'instabilité, mes chers collègues : lorsque les deux tiers des électeurs ne viennent plus voter, les institutions ne sont plus stables, en vérité – c'est un problème fondamental.
Il ne faudrait pas, dites-vous – en vous appuyant sur la Constitution, selon laquelle aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale –, qu'une minorité exerce le pouvoir contre la majorité. Mais prenons l'exemple de mon élection : formellement, j'ai été élu, au second tour, par 59 % des électeurs de ma circonscription ; en réalité, seulement 21 % des inscrits sont venus voter. Autrement dit, près de 80 % des électeurs de ma circonscription n'ont pas voté pour moi – et d'autres députés ont été élus dans les mêmes conditions. On peut toujours dire que les électeurs sont des imbéciles désintéressés qui ne comprennent rien ; je n'y crois pas. J'estime, pour ma part, que nous devons donner des droits nouveaux aux citoyens, non pas seulement pour qu'ils puissent remplacer un mauvais élu par un bon, mais aussi pour que change la manière dont le pouvoir s'exerce.
Vous affirmez, monsieur Gouffier-Cha, que nos propositions n'ont pas été validées lors des élections. Pardon, mais lors de la dernière élection présidentielle, le candidat Jean-Luc Mélenchon, qui défendait la proposition que nous vous soumettons, a rassemblé sept millions de voix, soit 19,5 % des suffrages, contre 24 % pour le candidat de la majorité. La différence vous est, certes, favorable, mais l'écart n'est pas si grand que l'on puisse affirmer que notre proposition a été balayée par les électeurs.
Vous dites que le dispositif proposé favoriserait les coalitions d'oppositions. Mais le président Macron n'a-t-il pas été élu précisément par une coalition d'oppositions à la candidate qu'il affrontait au second tour ? Son élection n'a pas été pour autant invalidée. Tout cela n'a pas de sens.
Peut-être n'avez-vous pas bien compris ma proposition : il s'agit, non pas de donner la possibilité à une minorité de désigner un candidat, mais de permettre, si un nombre significatif d'électeurs le souhaitent, qu'un nouveau scrutin soit organisé et que le peuple souverain s'exprime à nouveau.
M. Balanant a soulevé une question pertinente. Peut-être me suis-je mal fait comprendre : mon propos, aujourd'hui, est de discuter avec vous du principe du droit de révocation, ses modalités d'application étant renvoyées à la discussion ultérieure d'une proposition de loi organique. En 2019 – je remercie notre collègue du MODEM de l'avoir rappelé –, nous avions fixé, dans une proposition de loi précédente, à 5 % du corps électoral le seuil à atteindre pour convoquer les électeurs. On peut estimer que ce taux est trop bas et qu'il permettrait aux éternelles oppositions de provoquer l'organisation d'une consultation – encore que convaincre 5 % des électeurs de convoquer une nouvelle élection n'est pas si facile. Aussi pourrions-nous très bien fixer ce seuil à 10 %, voire à 20 %. C'est une discussion d'ordre technique.
Aujourd'hui, encore une fois, il s'agit de discuter avec vous du principe : est-il pertinent de considérer que l'une des raisons de la désaffection de nos concitoyens pour les urnes est liée à leur sentiment qu'une fois leurs représentants désignés, ils ne sont plus des électeurs dotés de droits civiques mais en quelque sorte des mineurs politiques ?
Nos collègues du groupe LaREM répondent que notre proposition manque son but, qu'ils ont déjà agi pour remédier au problème. Soit, mais force est de constater, sans même juger de la pertinence des mesures adoptées, que l'abstention a continué de progresser. Ma proposition n'est peut-être pas pertinente, mais les leurs n'ont pas été efficaces. Poursuivons donc le débat, en nous épargnant les arguments trop faciles.
J'en ai relevé un autre : notre proposition ne serait pas compatible avec la planification écologique. Pour ma part, je suis défavorable au mandat impératif : on est amené, lorsqu'on est aux responsabilités, à prendre des décisions face à des événements imprévus – la crise du covid-19, par exemple, n'a pas fait l'objet, et pour cause, de discussions en 2017. Mais nous devons toujours garder à l'esprit que notre action doit recueillir l'adhésion de la majorité. Or j'affirme que notre système, en raison du confort qu'il donne parfois aux élus et de la faible intensité démocratique qui s'est installée, nous éloigne de cette préoccupation. Je reprends les termes qui ont été utilisés par plusieurs d'entre vous : il faudrait savoir prendre des décisions difficiles, impopulaires... Il y a tout un champ sémantique qu'en tant que républicain, je n'apprécie pas. En république, on ne prend pas de décisions qui ne sont pas approuvées par la majorité de nos concitoyens. Pour le dire crûment, on ne gouverne pas contre le peuple ! Accepter que les électeurs ne se déplacent plus, voire prendre des décisions sur lesquelles ils ne sont pas d'accord, c'est créer les conditions d'une tentation autoritaire dans le pays.
Soyons attentifs à ce qui se passe aujourd'hui. Je n'apprécie pas que beaucoup de nos concitoyens, estimant notre système démocratique bloqué, cèdent à la brutalité, voire envisagent une solution autoritaire. Or nous avons parfois nous-mêmes inoculé un poison dans la vie démocratique en considérant qu'en définitive, on peut se satisfaire d'institutions fortes qui donnent à une personne le pouvoir de prendre des décisions, le cas échéant contre le peuple. Il est là, le bonapartisme, monsieur Gouffier-Cha : dans des institutions autoritaires se passant de la consultation du peuple et créant de grands personnages omniscients qui peuvent gouverner sans chercher à convaincre, voire se permettre, forts de la pompe et de la puissance que leur confère le mandat présidentiel, d'avoir des mots volontairement provocateurs envers une minorité. Cela ne rend pas service à la démocratie : nous devons convaincre en permanence.
Madame Untermaier, nous réalisons tous des comptes rendus de mandat. C'est intéressant et indispensable, mais avouez que l'on ne peut pas s'en contenter. Des mairies cherchent désormais à créer des conseils de citoyens mais, ces organes n'ayant aucun pouvoir, les citoyens n'y participent pas : ils ont le sentiment que cela permet uniquement à l'élu, au sachant, de s'exprimer, de s'expliquer et, en définitive, de ne présenter que ce qu'il a prévu de présenter. Ainsi, seuls ses fidèles et quelques autres personnes sont présents. Pour que les gens soient motivés, pour qu'ils soient pleinement citoyens, il faut que le pouvoir soit en jeu, donc qu'ils aient la possibilité de confirmer ou de révoquer.
Encore une fois, je suis défavorable au mandat impératif : ce n'est pas l'objet de ma proposition. L'élu doit pouvoir prendre sa décision en conscience, en fonction des éléments dont il dispose. En revanche, il faut qu'il ait un rapport plus vivant avec ceux qu'il représente, lesquels doivent pouvoir le révoquer, dans un cadre raisonnable – on peut même envisager que la révocation d'un élu ne puisse être discutée qu'une seule fois au cours du mandat. Un tel dispositif me paraît pertinent et à la hauteur de la crise que nous traversons. Je suis conscient – je ne suis pas naïf – que cela bouleverserait notre vie démocratique, mais nous avons besoin de rompre avec des pratiques que je considère comme antidémocratiques ou tout au moins de faible intensité démocratique.
Ce serait, avez-vous dit, monsieur Gouffier-Cha, la « démocratie de la gâchette ». En ces temps où nous sommes, les uns et les autres, régulièrement menacés – je l'ai moi-même été par des gens d'extrême droite qui ont utilisé un fusil –, je préférerais que l'on évite d'employer ce vocabulaire, même si je comprends l'image. Mais admettons : de quelle arme s'agit-il ? du peuple ? Mais enfin, quand le peuple se mobilise, ce n'est pas une arme à feu !
Quant à nos collègues du groupe LR, ils sont, on le sait, très favorables aux institutions de la Ve République. Pour ma part, je n'adhère pas à la doxa selon laquelle la IVe République est le pire des régimes, coupable de bien des maux auxquels la Ve République aurait remédié. N'oublions pas que cette dernière est née dans un moment de grande crise démocratique, je dirai même, en étant provocateur, de quasi-guerre civile, marquée par un coup d'État militaire. Qui plus est, lors de sa création, le général de Gaulle avait pris l'engagement, notamment auprès de Gaston Monnerville, que le Président de la République ne serait pas élu au suffrage universel direct. Lorsqu'en 1962, il est revenu sur cet engagement – à la suite de l'attentat du Petit-Clamart –, Gaston Monnerville s'en est offusqué et a déclaré qu'il s'agissait d'une forfaiture. Nous ne devons pas oublier ces débats ni les circonstances dans lesquelles sont nées les institutions actuelles. Lorsqu'on évoque leur solidité, je pense au village Potemkine : cette solidité n'est qu'apparente, dès lors que le peuple ne se rend plus aux urnes.
À l'argument selon lequel le Gouvernement peut révoquer des maires, je réponds qu'il est préférable que ce pouvoir soit entre les mains du peuple, car un gouvernement, même paré des meilleures intentions, est de nature politique. Il pourrait donc éventuellement révoquer un maire qui ne lui serait pas favorable, même si, jusqu'à présent, ces révocations ont été fondées sur des raisons objectives.
Enfin, notre collègue d'Agir ensemble – qui a, et je l'en remercie, exprimé, malgré son désaccord sur le fond, la volonté que nous réfléchissions ensemble à ces questions – a évoqué la Commission de Venise. Mais celle-ci n'invalide pas le droit de révocation ; elle constate : « Dans quelques pays […], [la révocation populaire] a été introduite, en particulier depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, comme une réponse possible au besoin de revitalisation de la démocratie par la participation plus directe des citoyens ; les exemples d'application pratique de ces dispositifs se multiplient. » La commission ne propose pas d'instaurer ce droit, mais elle considère que, là où il s'applique, il « participe à la revitalisation du fonctionnement démocratique ». De même, le fait qu'aux États-Unis, la révocation puisse s'appliquer à des fonctions qui, en France, ne sont pas électives n'invalide pas l'éventuelle introduction dans notre droit de ce dispositif ; il atteste que celui-ci contribue, ailleurs, à la vie démocratique.
Mes chers collègues, encore une fois, prenez garde de ne pas apparaître, lorsque vous critiquez ce texte, comme des élus qui rejettent toute contrainte supplémentaire qui leur serait imposée par le corps électoral, car celui-ci pourrait s'étonner que vous vous méfiiez de lui, au point de considérer qu'il userait à mauvais escient des droits nouveaux qui pourraient lui être accordés.
Quant à moi, pour le dire clairement, je préfère me tromper avec la majorité du peuple que d'avoir apparemment raison avec une minorité. J'y insiste, actuellement, une minorité exerce le pouvoir. Observez la sociologie de ceux qui votent : ce sont souvent ceux de nos concitoyens qui ont les revenus les plus élevés et sont les plus éduqués, de sorte que s'installe progressivement – je vais être provocateur – une forme de démocratie censitaire. Ce sont des citoyens au même titre que les autres : je n'institue pas de hiérarchie. Mais prenons garde qu'à terme, ne se mobilisent plus que des intérêts privés, des groupes de pression, au détriment des milieux populaires, majoritaires dans le pays.
Notre proposition est-elle la réponse définitive à la crise démocratique ? Non, elle n'est sans doute pas suffisante, je vous le concède ; du reste, j'ai indiqué qu'elle s'inscrivait dans le cadre plus général de la VIe République que nous appelons de nos vœux. Mais elle en est un des éléments fondamentaux. Le droit de révocation permettrait, en outre, d'en finir avec l'extrême concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République, ce personnage si singulier de notre vie politique au regard des institutions des autres pays démocratiques. Dans aucune autre démocratie libérale, un personnage ne détient autant de pouvoirs en ayant si peu de comptes à rendre à la représentation nationale. Ce système d'irresponsabilité n'est pas sain.
L'instabilité est là, la crise s'aggrave un peu plus à chaque élection et témoigne du dégoût que ressentent nombre de nos citoyens. La situation est dangereuse, en vérité. Or je ne veux pas qu'à cette crise soit apportée une réponse autoritaire, « peuplophobe » en quelque sorte, qui consisterait à gouverner sans le peuple et à renforcer toujours plus les pouvoirs des représentants.