Intervention de Mathilde Panot

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot, rapporteure :

Cette proposition de loi vise à abroger les régimes d'exception créés pendant la crise sanitaire : elle implique donc l'abrogation du passe sanitaire et du passe vaccinal, dont nous débattons actuellement, précisément parce que notre ambition n'est pas « d'emmerder les Français » ni de transiger avec les exigences de santé publique.

J'imagine que certains seront tentés de nous traiter d'irresponsables, d'obscurantistes et même d'assimiler cette proposition à une politique digne de Trump ou de Bolsonaro, comme je l'ai entendu de la bouche du ministre des solidarités et de la santé lundi soir, en séance publique. C'est dire la difficulté que vous avez à distinguer la vaccination du passe sanitaire ou vaccinal – et de la critique qu'on peut en faire. Rassurez-vous, nous voudrions remplacer cela par tout autre chose – tout ce que vous ne faites pas aujourd'hui.

Je suis fière de faire partie du camp des réfractaires qui réunit la Défenseure des droits, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui appelle à convaincre plutôt qu'à contraindre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui a demandé, en vain, le bilan sanitaire des instruments liberticides mis en œuvre par le Gouvernement et même, à certains égards, le Conseil scientifique, qui appelle à un changement de cap dans la stratégie de lutte contre le virus.

Commençons par votre premier argument : le passe sanitaire permet de lutter contre l'épidémie. Depuis sept mois qu'il est appliqué, il n'en est rien : les contaminations au variant omicron s'élèvent aujourd'hui à 300 000 cas par jour.

Le vaccin, nous en sommes tous ici convaincus, permet de lutter contre les formes graves. Nous savons aussi que nous pouvons contracter le virus et le transmettre, même avec trois doses. Munies d'un passe vaccinal, des personnes vaccinées pourront se rendre dans n'importe quel lieu fermé, se croire immunisées et contaminer une personne non vaccinée ou vaccinée quelques jours plus tard. Cette illusion de sécurité est contre-productive, voire dangereuse.

Le plus surprenant, c'est que depuis juillet 2021, date à laquelle le passe sanitaire a été déployé, nous n'avons aucune donnée qui permette d'étayer son efficacité. Rien ! Depuis sept mois, vous imposez à la population un dispositif sans fondement scientifique, sans évaluation aucune. Les Français s'interrogent sur ces mesures inintelligibles et arbitraires.

Le 27 décembre, Jean Castex a annoncé l'interdiction formelle d'enlever son masque dans un TGV pour manger un sandwich. On nous annonce que, finalement, on pourra manger en cas de besoin physiologique. Grand seigneur ! Comment définit-on un besoin physiologique ? Est-ce avoir un peu faim ou être à la limite du malaise vagal ? Dans le même temps, on a le droit de s'entasser dans les rames de métro ou dans des salles de classe, dépourvues de purificateurs d'air ; on peut boire un verre, assis, mais pas debout ; on peut enlever son masque chez soi mais on doit le porter en extérieur, bien que la contamination par aérosol soit, en toute logique, plus faible à l'air libre. L'absurdie généralisée, le non-sens permanent !

Prenons le second argument : les passes sont une obligation vaccinale déguisée. Le 29 décembre 2021, en commission des Lois, le ministre Olivier Véran a livré une fine analyse ethnographique du profil des personnes non vaccinées, distinguant trois catégories que je pourrais résumer ainsi : les personnes éloignées du système de santé, les flemmards et les timbrés. Ceux-là, le Président veut les emmerder jusqu'au bout ! De tels propos sont indignes et révèlent la seule ambition de cette mesure qui n'a rien de sanitaire : créer un ennemi de toutes pièces.

Qui pensez-vous convaincre quand Emmanuel Macron stigmatise et insulte de la sorte une partie de nos concitoyens ? Ajouter qu'« un irresponsable n'est plus un citoyen » est un comble de la part d'un président de la Ve République, irresponsable par nature. Après la déchéance de citoyenneté, bientôt l'exclusion des soins des personnes non vaccinées ? Voilà à quel genre de folie ces propos peuvent conduire !

Jeter en pâture une partie des Français permet au Gouvernement d'évacuer sa responsabilité dans le chaos. La vaccination est un fait social : il s'agit d'un acte dont les conditions de mise en œuvre sont produites politiquement ; elles le sont par la confiance. Si des personnes ne sont pas convaincues, c'est aux non-convaincants de rendre des comptes.

Le refus de certaines personnes d'aller se faire vacciner n'est pas étranger aux mensonges obstinés du Gouvernement, sans aucun mea culpa depuis le début de la crise sanitaire : Agnès Buzyn a parlé d'un risque modéré d'importation des cas depuis Wuhan, Sibeth Ndiaye a expliqué que le port du masque n'était pas nécessaire, le Président de la République a nié l'existence d'une pénurie de masques. Et je ne compte pas les méthodes brutales, les récentes déclarations du Président qui hystérisent le débat, l'écrasement du Parlement et l'état délabré de l'hôpital public, dont nos concitoyens sont les spectateurs affligés.

Cette politique sourde et brutale s'est abattue sans discernement dans les outre-mer où l'état d'urgence sanitaire a sans cesse été prorogé, ou redéclaré, par pure commodité. L'obligation vaccinale déguisée y a été imposée à coups de matraque et de gaz lacrymogènes, dans une confusion totale entre persuasion et répression. La santé publique y est abandonnée depuis des années et la population n'a toujours pas accès à l'eau courante pour se laver les mains.

Le Gouvernement cherche à nous rassurer en expliquant qu'il applique, en parallèle, une politique d'« aller vers ». Or le taux de vaccination des personnes de plus de 80 ans est d'à peine 87 %, soit l'un des plus bas sur le plan européen. La politique d'« aller vers » existe-t-elle vraiment ? Où sont les chiffres ? Dans l'hémicycle, on nous parle de porte-à-porte : combien de personnes, avec quels moyens, avec quels arguments ? Jamais la représentation nationale n'a été informée des modalités ou de l'avancement de la campagne vaccinale, comme de bien d'autres choses, tant le Parlement a été piétiné ces derniers mois !

C'est aux régimes d'exception que nous devons cette situation absurde et dangereuse pour notre démocratie. Du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, et depuis le 23 mars 2020, les états d'exception sécuritaire, sanitaire, ou les deux à la fois, poursuivent de manière quasi continue leur travail de sape démocratique.

Depuis mars 2020, dix lois se sont succédé pour créer et prolonger ces états d'exception, à raison d'une loi tous les deux, trois ou quatre mois, examinées dans des conditions déplorables et dans la précipitation, afin d'avaliser des décisions prises dans l'obscurité du Conseil de défense.

Cette situation nous pose une question fondamentale : à quoi nous habituons-nous ? Une stratégie implacable est à l'œuvre : à l'état de sidération initiale, qui justifiait, aux yeux du plus grand nombre, le déploiement de mesures extraordinaires a succédé un état de lassitude et de résignation. Ces régimes d'exception produisent un effet cliquet redoutable : lorsqu'une mesure est mise en place, elle est comme irréversible. L'accoutumance de notre République aux régimes d'exception présente un véritable danger. De nombreux juristes et défenseurs des droits humains nous alertent – de la Défenseure des droits à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Car ces régimes d'exception donnent lieu à une extension accrue du pouvoir exécutif, réduisent les libertés et produisent un déséquilibre des pouvoirs. Depuis mars 2020, l'exécutif donne ordres et contre-ordres, parle et se renie aussitôt. C'est ainsi qu'Olivier Véran a pu expliquer : « à titre personnel, je ne suis pas favorable à un passe sanitaire pour aller au restaurant, au cinéma ou pour pratiquer des activités de la vie quotidienne. » Comme il est savoureux que vous nous traitiez d'irresponsables quand vous étiez vous-même opposés à cette discrimination !

La culture du contrôle permanent n'est pas la nôtre. Avec le passe vaccinal, partout sur le territoire, des professionnels du transport, de la culture, des commerçants, des restaurateurs, des serveurs et des agents de sécurité contrôleront de manière systématique une autre partie de la population et devront désormais procéder à des vérifications d'identité. Et pour quels résultats? Non, les états d'exception ne garantissent pas la protection vis-à-vis du virus. Une véritable politique sanitaire exige de prendre en compte l'impact des mesures liberticides sur les suicides, la santé mentale des jeunes et des enfants : chez les 11-14 ans, on a relevé en 2021 une augmentation de 61 % des gestes suicidaires, de 140 % des idées suicidaires et de 93 % des troubles de l'humeur. De même, n'existe-t-il pas des conséquences dramatiques en matière de dépistage du VIH, de traitement du cancer, d'accueil en EHPAD, de prise en charge des autres pathologies et, au-delà, de décrochage scolaire et universitaire ?

Mais le Gouvernement persiste et signe, au nom de la théorie des circonstances exceptionnelles. Or, cela fera bientôt deux ans que nous connaissons une pandémie. Je crains que nous n'en soyons qu'aux débuts d'une nouvelle ère, si nous ne nous attaquons pas aux racines du phénomène. Cette crise sanitaire préfigure le type de restriction des libertés publiques que nous pourrions connaître avec le dérèglement climatique.

S'il faut nous habituer, nous devons procéder autrement. Une autre gestion sanitaire est possible. Dans les années 1980, on n'a pas attendu de trouver un vaccin pour lutter contre le VIH : on a privilégié les gestes barrières – le port du préservatif – et le dépistage. Vous, vous déremboursez les tests et vous faites du passe l'alpha et l'oméga de votre politique de santé.

Cette idée fixe n'a d'autre objet que de dissimuler la casse méthodique de l'hôpital public. Depuis le début du quinquennat, 17 900 lits ont été fermés. En 2020, ce sont 5 700 lits d'hospitalisation complète qui ont disparu, alors que la population endurait les deux premiers confinements – confinements justifiés par la saturation des capacités hospitalières dont vous êtes tributaire. Aujourd'hui, des personnes atteintes de maladies chroniques subissent des déprogrammations d'opérations et des retards de diagnostic, des enfants ne peuvent être admis aux urgences pédiatriques, faute de lits et de soignants.

Il est temps de mettre en place une véritable démocratie sanitaire où le Parlement et les citoyens pourront décider collectivement de la stratégie à adopter face au covid et aux futures épidémies.

Les alternatives existent : restauration d'un service public hospitalier gratuit et de qualité, avec formation, embauche et augmentation des salaires des personnels ; tests gratuits ; généralisation des purificateurs d'air ; instauration de roulements pour le travail, les transports et les écoles ; création d'un pôle public du médicament.

Où en est-on de la distribution gratuite des masques FFP2, notamment aux enseignants et aux personnels de l'éducation ? Des chaînes de production pour en produire ? Des capteurs de CO2 ? Où en est-on du plaidoyer de la France en faveur de la levée des brevets sur les vaccins, afin de faire du vaccin un bien public mondial ? Car nous ne sortirons pas seuls de cette épidémie. Garantir un accès universel au vaccin relève de l'intérêt général humain. Toutes ces mesures correspondent à des amendements ou à des propositions de loi que vous avez refusés.

Une réelle politique de santé publique, pensée sur le long terme, doit se substituer au chantage permanent qui consiste à opposer protection de la santé et sauvegarde des libertés. Couvre-feux intempestifs, confinements à répétition, applications téléphoniques, QR code, passe sanitaire, passe vaccinal, il est temps d'en finir avec cette fuite en avant autoritaire. Collègues, il est temps de retrouver le goût de la liberté !

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