Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Noël Barrot, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir au sein de la commission des Lois et de me permettre ainsi de vous présenter une proposition de loi, cosignée avec mes collègues du groupe MoDem et apparentés, visant à rétablir le vote par correspondance.

Ce texte a été déposé le 2 juin 2020, après que l'irruption de la covid-19 a considérablement perturbé les opérations de vote du premier tour des élections municipales et avant que le second tour de ces mêmes élections soit, hélas, marqué par une abstention record, près de six électeurs sur dix ne s'étant pas rendus aux urnes. Pourtant, dans d'autres grandes démocraties, l'Allemagne et les États-Unis notamment, le taux de participation aux élections a augmenté pendant la pandémie. S'il n'explique pas à lui seul cette différence, le vote par correspondance semble néanmoins avoir joué un rôle puisqu'il a été utilisé par 42 % des électeurs américains lors du dernier scrutin présidentiel – soit trois fois plus qu'en 2016 – et par plus d'un tiers des électeurs allemands lors des dernières élections fédérales, en 2021.

En France, le vote par correspondance postale est autorisé pour l'élection des députés représentant les Français de l'étranger et pour le vote des personnes détenues. La faculté offerte à ces dernières de voter par correspondance, expérimentée avec succès lors des élections européennes de 2019 puis généralisée par la loi « Engagement et proximité » depuis le 1er janvier 2021, a nettement favorisé leur participation électorale, qui a été multipliée par huit entre les élections législatives de 2017 et les élections les régionales et départementales de 2021.

Étendre la possibilité de voter par correspondance permettrait aux électeurs qui le souhaitent, notamment les plus vulnérables d'entre eux, d'exprimer individuellement leur choix sans être contraints de se rendre au bureau de vote. Cela faciliterait également la participation de tous ceux qui n'habitent pas de façon effective et permanente dans la circonscription électorale dans laquelle ils sont inscrits, soit près de 8 millions d'électeurs. Cette proposition de loi n'est donc pas une simple réponse conjoncturelle liée à la crise sanitaire : elle a vocation à offrir une souplesse supplémentaire aux électeurs qui n'ont pas la possibilité de voter personnellement le jour du scrutin.

De plus en plus utilisé dans de nombreux pays, le vote par correspondance est une technique qui bénéficie d'un avis favorable des organisations internationales telles que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la commission de Venise du Conseil de l'Europe et les institutions de l'ONU, à condition que la procédure soit précisément encadrée. Les Français y sont eux-mêmes majoritairement favorables, comme en témoignent les résultats de deux enquêtes d'opinion publiés en novembre 2020, qui montrent que 57 % à 72 % des électeurs approuvent son rétablissement, étant entendu que rien ne les obligerait à y recourir.

Le vote par correspondance suscite néanmoins trois types de critiques légitimes.

Premièrement, il est rejeté au nom des principes – le recours à l'urne et à l'isoloir – qui permettent de soustraire l'acte de vote aux influences dont il peut être l'objet. Or le vote par procuration compromet bien davantage le caractère personnel et secret du vote puisque l'électeur qui établit une procuration est obligé de divulguer son choix à une personne tierce sans être certain que celle-ci respectera son vote. Pourtant, les assouplissements progressifs du vote par procuration, que nous saluons, n'ont soulevé aucune objection majeure, contrairement aux critiques habituellement adressées au vote par correspondance. On ne peut donc, en toute bonne foi, être à la fois favorable à l'élargissement du vote par procuration et opposé au vote par correspondance au prétexte que celui-ci pourrait faire l'objet de pressions.

Deuxièmement, le vote par correspondance suscite une méfiance liée aux irrégularités, voire aux risques de fraude, qu'il serait susceptible d'entrainer. En France, ces craintes s'expliquent par le souvenir des fraudes qui ont pu survenir à l'occasion de certains scrutins, notamment en Corse, au cours des années 1960 et 1970. Ces difficultés, dont il ne faut pas nier l'existence, s'expliquent en réalité – les auditions l'ont montré – par les défaillances de la procédure prévue dans le code électoral, laquelle n'imposait pas une véritable vérification de l'identité des électeurs votant par correspondance et accordait un rôle central aux mairies, ce qui ne correspond pas aux standards internationaux actuels. Cinquante ans plus tard, aucune étude n'a démontré, à l'étranger, que cette technique de vote induirait davantage d'irrégularités ou de fraudes que le vote à l'urne, comme l'ont récemment rappelé les autorités suisses et allemandes. Si le vote par correspondance se déroule sans irrégularité dans les autres grandes démocraties occidentales, pourquoi en serait-il autrement dans notre pays ?

Troisièmement, le vote par correspondance suscite un certain nombre d'interrogations d'ordre logistique et opérationnel. Toutefois, les auditions nous ont rassurés sur ce point. Là encore, il est difficile d'imaginer en toute bonne foi qu'une grande démocratie comme la France ne serait pas capable de relever le défi logistique.

Outre les consultations auxquelles nous avons procédé, nous nous sommes appuyés sur les travaux de notre assemblée sur le sujet. Je pense en particulier au rapport de la mission d'information créée par la conférence des présidents en juillet dernier, mission dont le président était Xavier Breton et le rapporteur Stéphane Travert. Fruit d'un remarquable travail collégial et approfondi, cet excellent rapport, approuvé par les membres de la mission d'information, indique : « La mission considère que le vote par correspondance doit pouvoir faire l'objet d'une réflexion renouvelée s'incarnant dans des expérimentations locales en s'appuyant sur les expériences nationales et étrangères afin de ne pas s'arrêter aux difficultés posées par cette modalité de vote, mais plutôt de chercher de manière lucide et volontariste à les résoudre. » Ainsi, dans leur proposition n° 8, nos collègues recommandent d'expérimenter le vote par correspondance et le vote par internet lors des prochaines élections locales ou lors de référendums d'initiative locale dans les communes volontaires.

Cette solution nous paraissant équilibrée, nous vous proposerons, par un amendement à l'article 1er de la proposition de loi, de la concrétiser et de recourir à une simple expérimentation du vote par correspondance postale lors des élections municipales de 2026, expérimentation qui serait menée sur la base du volontariat et dont les modalités seraient fixées par décret. Je précise que cet amendement concerne le seul vote par correspondance postale et non le vote électronique, initialement inclus dans la rédaction de la proposition de loi.

Le vote par correspondance n'est pas l'unique rempart à l'effondrement de la participation électorale dans notre pays mais, alors que la méfiance de nos concitoyens à l'égard de leurs représentants grandit de jour en jour – et de la méfiance à la violence, on l'a vu récemment, il n'y a qu'un pas –, nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'écarter d'un revers de la main toute modernisation de nos modalités de vote. S'agissant d'un sujet aussi important, prenons le temps d'expérimenter, comme nous l'a suggéré la mission d'information de la conférence des présidents, faisons-nous une idée sur le fondement des résultats de cette expérimentation, et nous pourrons ensuite trancher en notre âme et conscience.

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