Intervention de Thomas Rudigoz

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Rudigoz :

L'objet de la proposition de loi est d'instaurer, en complément du vote traditionnel à l'urne, un vote anticipé à distance et de réduire ainsi le niveau de l'abstention. Si le groupe LaREM partage le constat d'une démocratie qui se lézarde à mesure que les électeurs désertent les urnes, nous sommes beaucoup plus partagés sur l'efficience et la fiabilité du dispositif qui nous est proposé. Le débat sur la participation électorale est bien plus vaste ; je salue, à cet égard, le rapport d'information publié en décembre dernier que Stéphane Travert et Xavier Breton ont consacré aux ressorts de l'abstention.

À ce jour, nous disposons, en France, d'un système que l'on peut qualifier de robuste. C'est, du reste, ce qui ressort, monsieur le rapporteur, de l'audition des représentants du ministère de l'Intérieur. Les électeurs français ont confiance dans ce système en vigueur depuis plus d'un siècle, qui consiste à se rendre au bureau de vote le dimanche, à s'enfermer dans l'isoloir puis à glisser son bulletin dans l'enveloppe avant d'insérer celle-ci dans l'urne, et ce sous le contrôle du président du bureau de vote et de ses assesseurs, citoyens bénévoles. Telle est la tradition électorale française, qui assure le respect le plus total du secret du vote, donc de sa liberté. Nul, ici, ne peut contester la fiabilité de ce système qui garantit le consentement de l'électeur au vote et permet de s'assurer qu'il a fait un choix libre et éclairé, à l'abri de toute influence.

C'est là l'enjeu fondamental du vote par correspondance : tant que le vote sous influence – familiale, clientéliste, voire communautaire – ne pourra pas être évité, il ne sera pas sécurisé.

Au demeurant, des aménagements existent, qu'il s'agisse du vote par procuration ou du vote par correspondance, qui est déjà autorisé pour l'élection des députés représentant les Français de l'étranger et, depuis l'an dernier – c'était un engagement du Président de la République –, pour le vote des détenus. Ces dispositifs ont évidemment pour but d'améliorer la participation aux élections, et notre groupe souhaite faciliter le plus possible la démarche des électeurs. Du reste, pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a choisi d'encourager le recours au vote par procuration pour les élections municipales puis les départementales et les régionales de 2021, en permettant à un électeur de porter deux procurations.

Par ailleurs, rappelons que le vote par correspondance était possible jusqu'en 1975, date à laquelle il y a été mis un terme en raison de trop nombreux cas de fraudes, qui avaient provoqué l'annulation de diverses élections municipales et législatives. Anecdote éclairante : dans une petite commune, on avait décompté 35 votes par correspondance effectués grâce à des certificats médicaux établis par un médecin décédé deux ans plus tôt… À l'époque, aux quatre coins de la France, on a constaté des bourrages d'urnes, l'oubli de bulletins dans les plis adressés aux électeurs – certains maires n'envoyant que celui de leur liste – et de faux émargements. Ces pratiques, me direz-vous, sont d'un autre temps. Hélas ! on recourt encore aujourd'hui à des manœuvres peu scrupuleuses. Ainsi, le Conseil d'État a récemment décidé de rendre inéligible l'ancien maire du 6e secteur de Marseille en raison de fraudes électorales constituées par l'utilisation de procurations établies dans un EHPAD auprès de résidents parfois séniles, et ce à leur insu.

Dans la société française actuelle, où un nombre de plus en plus élevé de nos concitoyens remet tout en question, où d'aucuns se laissent tenter par toutes sortes de théories complotistes, le contexte n'est pas suffisamment serein et apaisé pour permettre le vote par correspondance à grande échelle.

Enfin, d'un point de vue purement logistique, nous sommes très dubitatifs quant à la possibilité d'acheminer le matériel de vote en temps et en heure jusqu'aux électeurs, au vu des erreurs et retards de distribution de la propagande électorale lors des dernières élections. Si cet acheminement paraît encore possible lorsque quinze jours s'écoulent entre les deux tours, comme pour l'élection présidentielle, tel n'est pas le cas lorsqu'il n'y a qu'une semaine entre le premier et le second tour. Au reste, le vote par correspondance, notamment aux États-Unis, s'applique très souvent à des élections à un tour.

Par ailleurs, nous avons noté l'appréciation mitigée du ministère des Affaires étrangères, qui déplore qu'un bulletin sur quatre soit nul lorsque les Français de l'étranger ont recours au vote par correspondance. En outre, le dispositif aurait un coût très important pour l'État puisqu'il faudrait adresser les bulletins par courrier recommandé aux électeurs qui choisiraient de voter par correspondance.

En tout état de cause, la question doit être abordée dans le débat présidentiel à venir car nous devons envisager l'utilisation de nouveaux outils pour attirer à nouveau les Français, en particulier les jeunes, vers les urnes. Le vote par correspondance pourrait ainsi être expérimenté dans certaines communes volontaires, comme le propose effectivement la mission de MM. Travert et Breton, mais une telle expérimentation doit s'inscrire dans le cadre plus large d'une réforme de nos institutions.

Compte tenu de ces différents éléments, le groupe LaREM votera contre la proposition de loi.

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