Il est vrai que la participation aux élections soulève un problème conjoncturel, voire structurel, mais il faut se garder de réagir avec précipitation.
Voter est un acte qui n'est ni anodin ni simple : chaque électeur doit prendre le temps de réfléchir à son choix, lequel ne doit pas être déterminé par des intérêts territoriaux, économiques ou communautaires, mais doit concourir à l'élaboration d'un projet collectif. Quelle société voulons-nous construire ensemble ? Tel est l'enjeu du vote, pour chaque électeur. Ce qui éloigne l'électeur du vote, c'est davantage la difficulté qu'il éprouve à répondre à cette question, dans une société de plus en plus morcelée, que l'obligation de se rendre dans un bureau de vote pour y glisser un bulletin dans l'urne et signer la liste d'émargement. De fait, ceux qui expliquent que la participation est moins élevée lorsqu'il fait beau le jour du vote sont systématiquement démentis la semaine suivante, lorsqu'on s'aperçoit que la participation n'est pas plus élevée un jour de pluie.
Il faut donc rester très prudent quant aux modalités du vote : ce n'est pas parce qu'elles seront simplifiées que la décision sera plus facile à prendre.
Au fond, l'élection est le seul moment où l'électeur se trouve dans la même situation que son représentant pendant l'exercice de son mandat. En effet, que faisons-nous chaque jour, sinon réfléchir au point d'équilibre qui permet de construire une société ? Or, on le voit, il nous est difficile d'expliquer notre travail, qui est parfois complexe et ne se limite pas aux effets de manche et aux propos de tribune mais se construit sur la durée et dans la complexité de l'action. Si nous facilitons trop la procédure de vote, si elle se réduit à un simple clic sur internet, nous distendrons davantage encore le lien entre les électeurs et leurs futurs représentants.
Je ne crois pas, monsieur le rapporteur, que les États-Unis d'Amérique soient un exemple en matière de modalités de vote. Certes, la dernière élection présidentielle a suscité une mobilisation que l'on n'avait pas connue depuis longtemps. Mais jusque-là, le modèle américain, qui inclut le vote par correspondance, se caractérisait plutôt par une faible participation et une piètre confiance dans l'issue du scrutin. Le modèle français, quant à lui, celui de l'isoloir et de l'urne, est peut-être à l'origine d'une diminution de la participation – si tant est que celle-ci s'explique par les modalités du vote –, mais il assure en tout état de cause une grande confiance dans l'issue du scrutin, laquelle est peu contestée.
Un certain nombre d'éléments ont conduit à la suppression du vote par correspondance en France. Je ne crois pas que les problèmes liés au communautarisme auxquels nous faisons face actuellement nous incitent à le rétablir, dès lors que ses modalités ne permettent pas de garantir le secret et la sincérité d'un vote susceptible d'être effectué dans la cuisine familiale ou un espace partagé, dans des quartiers parfois gangrenés par les violences communautaires.
Enfin, à quelques semaines d'une élection présidentielle, le moment est mal choisi pour discuter, à la faveur d'une niche parlementaire, d'un texte qui, même s'il ne s'appliquerait qu'aux élections municipales de 2026, tend à modifier les modalités du scrutin. Votons dans les semaines qui viennent comme nous l'avons toujours fait !