Monsieur Gouffier-Cha, merci pour les mots que vous avez eus à mon endroit. Concernant l'exercice de mes fonctions au Conseil constitutionnel, je respecterai bien évidemment le serment que je prêterai. François Pillet, membre du Conseil constitutionnel, avait déclaré, lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, que le Conseil constitutionnel ne devait pas être un cénacle de juristes asséchés. Le magistrat que je suis, tout comme les membres du Conseil constitutionnel, ont acquis leurs compétences tout au long de leur carrière professionnelle, au cours des différentes fonctions qu'ils ont exercées. La règle de droit n'est pas désincarnée mais replacée dans son contexte. Je n'aurai pas d' a priori et je resterai ce que je suis : une femme libre et indépendante mais qui sait aussi écouter les positions des autres. Si les arguments qui me sont opposés sont crédibles, je n'hésiterai pas à changer d'avis.
La Charte de l'environnement a été adossée à la Constitution par la révision constitutionnelle de 2005. Elle est rédigée en termes beaucoup plus généraux mais aussi beaucoup plus généreux. Le Conseil constitutionnel a pu apprécier différemment les articles qui, à mon sens, n'ont pas la même densité juridique. Il a ainsi déduit une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement, développé une jurisprudence plus prudente à partir du principe de précaution inscrit à l'article 5 et élargi la notion d'information au public en ouvrant une sorte de droit à l'information pour toute personne qui souhaiterait obtenir des informations relatives à l'environnement. C'est vous dire si le Conseil constitutionnel est impliqué dans les questions environnementales. Il a consacré, en 2020, un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains. Cette décision est d'autant plus importante que les objectifs à valeur constitutionnelle ne sont pas nombreux, de l'ordre d'une quinzaine. Madame la rapporteure, l'environnement n'est pas une question nouvelle mais elle occupe une place essentielle et le Conseil devra s'en préoccuper.
Quant à la question prioritaire de constitutionnalité, les colloques se sont multipliés en 2020 à l'occasion du dixième anniversaire de cette procédure. Elle a fait la preuve de son utilité. Le président Nicolas Sarkozy a ainsi permis au droit constitutionnel de pénétrer le quotidien des gens qui connaissent une procédure judiciaire. La plupart des citoyens et des conseils ont réussi à s'en emparer. La procédure fonctionne bien, dans le cadre qui lui est assigné du moins, qu'il s'agisse des conditions de recevabilité ou du filtrage exercé par la Cour de cassation ou le Conseil d'État. Il me semble difficile d'aller plus loin en permettant au citoyen de saisir directement le Conseil constitutionnel car certaines QPC sont extravagantes. Si vous supprimez l'étape du filtre, neuf membres ne suffiront pas au Conseil constitutionnel et il faudra même créer différentes chambres, au risque de faire naître des jurisprudences divergentes. Pour mieux faire connaître la QPC, qu'il surnomme la « question citoyenne », le président Fabius a demandé au ministère de la Justice de préparer, en lien avec la Cour de cassation et le Conseil d'État, un logiciel sur la QPC, afin de faire connaître les QPC qui parviennent au Conseil constitutionnel mais aussi celles qui n'auraient pas franchi le barrage du filtre, pour donner un tableau complet de toutes les QPC.
Monsieur Larrivé, si le Conseil constitutionnel se prononçait, au détour du contrôle du décret de convocation, sur le fond de la question posée, il dépasserait le rôle que la Constitution lui confère clairement. Si le Constituant souhaite aller plus loin, il doit l'écrire.
La lecture de l'arrêt de la cour de Karlsruhe nous a laissés perplexes en ce qu'il affecte la décision sur les mécanismes financiers européens. Comment, dès lors, éviter que d'autres pays ne contestent l'ordre juridique européen ? Depuis 2007, le juge constitutionnel français a consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne mais distinct de l'ordre juridique international. Le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence, veille à la protection de l'identité constitutionnelle française. Nous devons respecter la hiérarchie des normes.
Monsieur Balanant, j'en viens à la publication des opinions dissidentes, qui poserait des difficultés. Ce serait mettre fin au secret des délibérés et la responsabilité des auteurs pourrait être recherchée alors que le plus important est d'aboutir à une décision, selon les règles en vigueur. La majorité est requise ainsi que la présence d'au moins sept membres. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante. Le système fonctionne bien, me semble-t-il. J'ai cité l'exemple de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Je ne pense pas qu'il faille aller au-delà.
Le Conseil constitutionnel est-il une véritable juridiction ? La QPC a modifié son fonctionnement puisque nous sommes passés d'une trentaine de saisines dans le cadre du contrôle a priori du Conseil constitutionnel, à un niveau beaucoup plus élevé puisqu'il est arrivé que le nombre de QPC dépasse la centaine certaines années. Surtout, le Conseil constitutionnel s'est soumis à de nouvelles règles dans le cadre de la QPC, notamment au principe du contradictoire. Des auditions sont menées, des informations sont publiées sur le site du Conseil constitutionnel, notamment la part prise par les saisissants du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori. Pour ce qui concerne les QPC, le Conseil constitutionnel s'est doté d'un règlement de procédure et il devrait en faire de même, en juillet prochain, pour les saisines a priori. Il manifeste ainsi sa volonté d'évoluer vers une véritable juridiction et de mieux faire connaître ses règles de fonctionnement.
Votre question relative à l'assouplissement éventuel des contraintes qui pèsent sur le législateur est délicate. Le plus important est de maintenir l'équilibre. Le Parlement vote la loi, le mieux possible, en tâchant de la rendre lisible, dans le respect de la Constitution. Nous y travaillons régulièrement avec vous. Le rôle du Conseil constitutionnel n'est pas d'écrire la loi mais de juger si le texte est conforme ou non à la Constitution. La situation était quelque peu différente lors de la création du Conseil constitutionnel en 1958 puisqu'il était supposé surveiller le Parlement. Ce n'est plus le cas aujourd'hui même si, par essence, l'équilibre est toujours difficile à faire respecter. Tout le monde y est attentif, cependant.