Tandis que nous devons émettre un avis sur une nomination au Conseil constitutionnel, j'aimerais rappeler la mémoire de l'un de mes amis, François Luchaire, professeur de droit émérite. Grand homme, grand juriste, grand Normand, il a marqué, par ses écrits sur le Conseil constitutionnel, une évolution de sa jurisprudence.
Madame Malbec, permettez-moi de citer le président Fabius : « On doit défendre les libertés sans faire preuve de naïveté politique ». Personne ne reprochera au président Fabius d'être naïf. Qu'en est-il de vous-même ? Estimez-vous avoir fait preuve de naïveté dans certaines décisions ?
Le président Fabius, dans cet entretien important publié par Le Figaro, indique que l'activité du Conseil constitutionnel a été multipliée par quatre. Le Conseil constitutionnel peut-il encore fonctionner dès lors qu'il a été fait pour rendre un avis par mois et qu'à présent il en rend dix ? Cette structure essentielle de la Constitution ne risque-t-elle pas d'être bloquée ?
Le président Fabius indique également que le Conseil constitutionnel est devenu une véritable cour constitutionnelle. Est-ce votre avis ? Avez-vous le sentiment que cette juridiction change de sens ? Chacun comprend bien que le changement d'appellation est aussi un changement de philosophie, induisant une évolution majeure.
Ces observations m'amènent à réfléchir à la judiciarisation de notre société. Nous avons le Conseil d'État, la Cour des comptes, la Cour de Cassation et le Conseil constitutionnel. Il s'agit d'un bloc de pouvoir important, qui se cache souvent sous ce que l'on appelle la « République des juges ». Cela entraîne une rupture entre le citoyen, le justiciable et le magistrat. La justice doit rester une autorité. Elle ne doit être rien d'autre. Elle n'est pas un pouvoir, Conseil constitutionnel compris.
J'en viens à la notion de justice restaurative. Le président Sauvé, que nous avons auditionné, a remis un rapport important sur lequel la commission des Lois a créé un groupe de travail, dont M. Morel-À-L'Huissier et moi-même avons été les coordinateurs. Nous avons rendu nos conclusions la semaine dernière. Le rapport repose essentiellement sur la notion de justice restaurative. Un monument est en cours d'édification. La justice changera profondément de sens à partir du moment où l'on retiendra et déclinera la justice restaurative.
On me dira que tout cela est la marque d'une emprise anglo-saxonne. Peut-être ; il n'en reste pas moins que, comme le démontre le rapport Sauvé, la prise en compte de la victime doit être renforcée. Celle-ci ne doit pas simplement être indemnisée : elle doit participer à la rédemption de son agresseur. La difficulté est de passer de ce que nous connaissons bien à quelque chose qui soulève encore de fortes interrogations. J'aimerais avoir votre avis sur la justice restaurative qui arrivera plus rapidement qu'on ne le croit devant le Conseil constitutionnel.