Intervention de Dominique Gillot

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 9h00
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) :

Monsieur le président, permettez-moi de revenir sur votre excellente description du CNCPH pour rectifier un oubli concernant sa composition. Un certain nombre de nouveaux membres qualifiés nous en effet rejoints : il s'agit de personnes reconnues dans la société civile, dont le témoignage et la parole peuvent être utiles s'agissant de la définition d'une politique publique en direction des personnes handicapées, de l'insertion ou de la citoyenneté des personnes handicapées.

Le Conseil, dont l'activité est intense, a retrouvé une nouvelle vie avec le rôle que lui a donné, en matière de concertation, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ces missions étaient auparavant assez fluctuantes. Le Conseil était présidé soit par un haut fonctionnaire, soit par un député, mais il n'avait pas l'activité régulière qui est la sienne actuellement.

Depuis un peu plus de deux ans que j'en suis la présidente, nous avons développé une dynamique forte. L'affluence des membres du Conseil est exceptionnelle, aussi bien lors de l'assemblée plénière mensuelle, que lors des commissions qui travaillent au moins au même rythme. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a d'ailleurs du mal à nous trouver des salles de réunion pouvant accueillir les experts délégués par les associations et les personnes en situation de handicap, pour lesquelles il faut parfois résoudre des questions logistiques.

Le CNCPH est très investi dans la co-construction des politiques publiques mises en œuvre dans le sillage de la parole forte du Président de la République, qui a annoncé que le handicap serait la priorité de son quinquennat.

Il faut avouer que nous nous sommes un petit peu fait « griller la politesse » par la lutte contre les violences faites aux femmes. La communication sur ce sujet a été meilleure, ainsi que l'appropriation par l'ensemble de la population. Nous avons parfois le sentiment que le handicap passe un peu « en deuxième rideau ».

La semaine dernière a néanmoins constitué un moment fort. La présentation de la stratégie nationale pour l'autisme a permis de s'inscrire dans la continuité des trois précédents plans – j'ai été très sensible à ce qu'a dit le Premier ministre à ce sujet –, tout en développant une stratégie tous azimuts, qui doit concerner l'ensemble des politiques publiques. Cela correspond parfaitement à nos objectifs et à nos missions.

Nous pouvons, d'une part, être saisis pour avis avant la publication de textes qui concernent la vie des personnes handicapées. À l'origine, nous devions veiller à la sortie des décrets relatifs à l'application de la loi de 2005. Aujourd'hui, ces textes ont presque tous été publiés – à l'exception de ce qui concerne la mise en accessibilité des entreprises –, et nous intervenons bien au-delà. En effet, toutes les lois devraient prendre en compte les personnes handicapées. Que ce soit lors de la précédente législature ou aujourd'hui, les conférences nationales du handicap et les conseils interministériels du handicap réaffirment, les uns après les autres, la nécessité que chaque texte législatif soit précédé d'une étude de son impact sur la vie des personnes handicapées. Bien évidemment, aujourd'hui, ce travail n'est pas fait.

Nous nous auto-saisissons, d'autre part, de sujets qui ne nous sont pas présentés. Nous exerçons ainsi une sorte de veille, car nous sommes fermement décidés à ce que tous les textes, qu'ils soient législatifs ou réglementaires, n'oublient pas la condition des personnes en situation de handicap.

Dans la liste indicative de questions que vous m'avez transmise préalablement à cette audition, vous me demandez quels sont nos interlocuteurs privilégiés.

Quarante associations fondatrices de la politique du handicap siègent au CNCPH, ainsi que les partenaires sociaux, qui sont extrêmement assidus, et des organismes publics ou privés qui œuvrent en faveur des personnes handicapées, – comme la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), la conférence des présidents d'universités (CPU), les centres de formation des jeunes handicapés, des fédérations de gestion d'établissements telles que la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP), mais aussi Nexem, la Croix-Rouge…

S'y ajoutent les personnalités qualifiées que j'évoquais en début d'audition. Au sein de nos commissions, vous trouvez aussi des personnes expertes, qui sont associées aux travaux sans disposer du droit de vote en séance plénière. Il s'agit souvent de professionnels issus des grandes associations ou des organismes que j'évoquais tout à l'heure, mais il peut aussi s'agir d'experts d'usage, qui souhaitent apporter volontairement et bénévolement leur contribution. Cela répond parfaitement à la volonté actuelle des organismes publics de recueillir la parole des personnes handicapées et de travailler à leur citoyenneté.

Changer de regard, c'est aussi changer d'approche, afin de ne plus considérer les personnes handicapées sous l'angle de leurs déficits, mais en prenant en compte leurs aptitudes et les compétences développées à partir du handicap. Sachant que plus de 80 % des handicaps sont acquis, la survenue du handicap au cours de la vie modifie les personnalités de gens, conduits à chercher au fond d'eux-mêmes des ressources qui seraient restées en jachère. Elles leur permettent de présenter des aptitudes, des compétences, voire des qualifications quelquefois hors normes, qui sont très utiles au développement économique, social et durable de notre société.

Ces éléments ne sont aujourd'hui pas suffisamment considérés. L'approche du handicap se fait toujours du point de vue de la déficience plutôt que de celui des compétences. Nous travaillons beaucoup sur le sujet avec les partenaires sociaux, les groupes et les clubs d'entreprises. Les entreprises sont particulièrement investies. Le futur projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que présentera Mme Muriel Pénicaud, comporte d'ailleurs une mention relative aux entreprises particulièrement inclusives. Cette dimension est extrêmement importante.

Au-delà du respect de l'obligation d'emploi des personnes handicapées, on constate progressivement que les entreprises trouvent un intérêt économique et social au recrutement de personnes handicapées. Elles élargissent ainsi le vivier de leurs candidats, mais aussi leurs capacités de création. Dans une équipe, des personnes handicapées, des personnes neuro-différentes, des personnes avec des compétences et des intelligences atypiques garantissent que les produits fabriqués n'auront pas de biais d'exclusion des personnes à besoins spécifiques et qu'ils les satisferont. Autrement dit, elles assurent une meilleure attractivité et une meilleure efficacité économique des produits.

Par exemple, avec l'IPhone, conçu dès l'origine pour être accessible de manière universelle, les personnes handicapées n'ont pas de problème d'adaptation : elles peuvent accéder à toutes les fonctions de l'appareil grâce aux applications ordinaires. Malheureusement, tous les produits ne sont pas ainsi « natifs accessibles ». Pourtant, on a constaté que les « usagers extrêmes » faisaient progresser l'efficacité des services : la télécommande de la télévision a été créée par une personne avec un handicap moteur, coincée dans son fauteuil, qui ne pouvait pas se déplacer pour appuyer sur le bouton. Les inventions et les bidouillages destinés à dépasser le handicap sont nombreux à être entrés dans la vie quotidienne de tous – qui se passerait de télécommande aujourd'hui ? On pourrait faire la liste de tous ces produits.

Un certain nombre d'entreprises sont particulièrement investies. Le directeur général d'Andros, groupe du secteur de l'agroalimentaire, père d'un jeune adulte autiste non oralisé, a développé, dans l'un des sites de l'entreprise, une chaîne de production totalement adaptée aux personnes autistes. Aujourd'hui, onze personnes autistes non verbales bénéficient d'un contrat à durée indéterminée et participent à la production. Cette chaîne de production a été aménagée de manière très soigneuse par des professionnels de l'autisme, avec le soutien du secteur médico-social. Cela a créé beaucoup de curiosité et d'intérêt de la part des autres salariés qui ont demandé les mêmes aménagements. À Auneau, chez Andros, la qualité de vie au travail est devenue exceptionnelle. Le groupe tente d'essaimer cette pratique sur le territoire mais, d'un département à l'autre, la mobilisation des services publics et des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) n'est pas identique, ni leur façon d'envisager les choses. Cela complique les financements.

D'autres entreprises ont une démarche similaire, comme Auticonsult ou ASPertise, qui recrutent essentiellement des personnes autistes pour de l'expertise financière et informatique dans les entreprises. Les entreprises ont aussi compris l'intérêt d'embaucher des personnes avec des déficiences intellectuelles et des handicaps cognitifs, qui sont amenées à se mobiliser de manière peut-être un peu obsessionnelle sur des tâches répétitives à faible qualification – celles boudées par les personnes dites « sans handicap », et qui font l'objet d'un fort turnover.

Des relations importantes se nouent dans les partenariats avec des organismes et des associations qui encadrent ces personnes dans leur emploi à basse qualification – il s'agit bien de cela même si ces termes sont un peu péjoratifs. Ces emplois répondent à des besoins des entreprises, mais aussi à des besoins de socialisation. Les personnes concernées se portent beaucoup mieux quand elles sont au travail que lorsqu'elles sont confinées dans des établissements médico-sociaux ou des établissements ou services d'aide par le travail (ESAT) qui ne prennent pas la peine de leur proposer des activités productrices, et se contentent de mettre en place des activités occupationnelles qui ne stimulent pas le développement intellectuel.

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