Les obstacles les plus fréquents rencontrés par les personnes en situation de handicap sont le déni, l'incompréhension, les préjugés, l'indifférence et la crainte.
Le milieu ordinaire a peur des personnes handicapées, imprégné qu'il est par des idées reçues et des préjugés, selon lesquels une personne handicapée serait incapable et inapte, ou serait une personne avec laquelle il est compliqué d'entrer en communication et de nouer un dialogue fructueux.
N'oublions pas que les entreprises ne recrutent pas des handicapés ; elles recrutent des compétences. Elles ont vécu l'obligation légale de recruter des personnes handicapées comme une contrainte. La loi a tout de même permis d'avancer. Des personnes handicapées ont pu entrer dans l'entreprise, certaines qui y étaient déjà, ont pu faire valoir leur handicap et obtenir la qualification de travailleur handicapé – qualification qui bénéficie à l'entreprise, car elle peut ainsi diminuer sa contribution à la politique du handicap. Néanmoins, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les personnes handicapées soient reconnues pour leurs compétences et leurs aptitudes, et qu'elles ne soient plus considérées comme un poids, ou sous l'angle de la « bonne action » consentie par leur employeur.
La question du recrutement de personnes handicapées doit dépasser celle de la responsabilité sociétale des entreprises, car ces embauches présentent un véritable intérêt économique. La mission sur la situation des personnes handicapées dans l'emploi, qui m'a été confiée par Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, et Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, est édifiante sur ce point.
J'ai cité l'indifférence parmi les obstacles rencontrés, car nous constatons que, même lorsqu'elles sont recrutées, les personnes handicapées sont ensuite oubliées : elles ne bénéficient ni d'un déroulement de carrière normal, ni d'affectations à des postes à responsabilités, ni d'offres de formation. Pourtant, elles sont tout à fait aptes à occuper des postes à responsabilités.
Parfois, elles font aussi preuve d'un manque d'estime d'elles-mêmes et d'une autocensure. Elles se disent : « C'est déjà bien que je sois là, je ne vais pas réclamer autre chose. » Heureusement, de plus en plus de personnes handicapées font valoir leurs droits. Les politiques publiques, la loi de 2005, la convention internationale des droits des personnes handicapées exaltent la reconnaissance des droits des personnes handicapées, citoyens à part entière. Ce ne sont pas des mineurs. Des réflexions doivent être menées par la garde des Sceaux sur la situation des majeurs sous tutelle. Que signifie le fait d'être privé de droits et de voir quelqu'un parler à sa place ? Bien sûr, ce sujet dépasse la question qui était la vôtre, mais la politique de recrutement participe d'un tout et d'un esprit global. Les approches et les méthodes doivent être changées globalement.
En se demandant quels accompagnements spécifiques sont nécessaires pour qu'elles puissent assumer leurs fonctions, il faut préserver les droits fondamentaux des personnes : droit à la vie de famille, droit au logement, droit à des revenus décents, droit à la citoyenneté et à l'engagement citoyen – trop d'entre elles sont aujourd'hui privées du droit de vote…
Vous vous êtes interrogée sur la plus grande difficulté qu'éprouveraient parfois des administrations publiques à proposer des emplois aux personnes handicapées. Il y a des idées reçues sur les postes réservés, la protection de l'emploi… Vous venez sans doute de constater, en recevant le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), que la démarche volontaire était à revoir, et que l'administration avait besoin d'être « stimulée ». Je pense en particulier à la question de l'« obligation d'aménagement raisonnable », qui a fait l'objet d'une analyse complète par le Défenseur des droits.
Cette « obligation d'aménagement raisonnable » constitue l'un des points forts de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006. Ce texte en vigueur dans notre pays est même supérieur au droit national, puisque la France l'a ratifié le 18 février 2010.
Cette obligation impose à l'employeur d'aménager de manière raisonnable le poste de travail, pour permettre à tout salarié d'exercer sa liberté de travail et, s'il ne le fait pas, il doit pouvoir justifier des freins et des obstacles qui l'en empêchent. La personne handicapée peut former un recours en cas d'absence d'aménagement raisonnable, aussi bien dans le cadre de l'emploi que dans celui d'une formation.
En 2016, les discriminations à l'emploi étaient la deuxième cause de saisine du Défenseur des droits. En 2017, elles sont devenues la première. Cela ne veut pas dire qu'il y a de plus en plus d'infractions, mais que les personnes ont de plus en plus conscience de leurs droits.
Les fonctions publiques, qui s'exonèrent totalement de cette obligation d'aménagement raisonnable, seront bien obligées d'y venir. Il y a des voies d'accès normal à l'emploi de fonctionnaire pour les personnes handicapées, avec des concours spécifiques, mais on constate qu'une fois que la personne a passé le concours, les aménagements ne sont pas réalisés avant au moins un ou deux ans, ce qui met la personne en difficulté, et il arrive ainsi, parfois, que l'année de stage ne débouche pas sur une titularisation.
Vous me demandez quels métiers pourraient être concernés à l'Assemblée nationale. Vous avez cité le handicap moteur et le handicap mental, mais il y en a bien d'autres. Depuis la loi de 2005 – grande victoire des associations de personnes à mobilité réduite –, on a surtout considéré le handicap du point de vue du fauteuil roulant. Or cela représente 2 à 3 % des personnes handicapées. En attendant dans l'antichambre, j'ai vu deux personnes handicapées : une en fauteuil roulant, visiblement polyhandicapée, et une autre qui nettoyait et devait être une personne avec un handicap cognitif, voire intellectuel. Mais il y a aussi les handicaps psychiques : les gens victimes de burn-out, de schizophrénie… Bien prises en charge par la médecine, ces personnes sont tout à fait aptes à travailler, mais elles ont tendance à nier leur handicap car elles savent que c'est un handicap qui fait peur et elles veulent éviter une mise à l'écart. Cela entraîne une aggravation de leur situation, ce que l'on appelle le surhandicap, car à force de contrôle il vient un moment où cela explose. Il y a quelques années, on disait encore que la personne était invivable, lunatique, coléreuse, tandis qu'aujourd'hui on peut mettre un nom sur ces situations.
Il est important que toute entreprise ait bien conscience de cela et s'attache les compétences nécessaires pour comprendre ce qui se passe au sein de ses équipes et pour pouvoir accueillir des personnes avec ce type de handicaps, dont les compétences seront utiles. Les handicapés mentaux sont tout à fait capables d'exercer des missions répétitives. Après l'avoir longtemps été, l'autisme n'est plus considéré aujourd'hui comme un handicap mental mais comme un trouble du développement cognitif et social. Ces personnes sont douées de très grandes aptitudes. Le gouvernement israélien recrute très ouvertement des autistes de haut niveau pour le renseignement, la détection, l'observation des images. Une université est en train de se créer en Israël, à l'image de ce qui existe aux États-Unis, pour permettre aux autistes de haut niveau de suivre des études universitaires. Il existe bien des exemples de cette reconnaissance des intelligences hors norme, utiles au développement économique.
Ma recommandation est donc de ne pas se focaliser uniquement sur le fauteuil roulant, mais d'envisager toutes les autres formes de handicap. Pour cela, il faut s'associer des compétences extérieures. Je préconise de désigner des référents handicap, comme le Gouvernement vient de le faire dans le respect des deux CIH de 2016 et 2017, qui ont décidé d'élever le niveau de compétence de la responsabilité des fonctionnaires en charge du handicap dans chaque ministère ; des hauts fonctionnaires ont été nommés. Je sais que l'Assemblée nationale a désigné une députée référente handicap au sein de la commission des affaires sociales. Je pense qu'il faudrait un référent dans chaque commission, ainsi que dans les services, et que ces référents bénéficient d'une formation. Cela permettra d'élever le niveau global de connaissances et compétences sur le handicap.
Enfin, s'agissant de votre dernière question, j'arrive au terme de ma mission sur la situation des personnes handicapées dans l'emploi. Nous avons analysé, avec les trois inspecteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui ont travaillé avec moi, les nombreux rapports qui ont été produits ces dernières années sur ces questions de manière très cloisonnée : les Cap Emploi, le financement des fonds, la médecine du travail… L'objectif que je m'étais fixé était de voir comment tout cela fonctionne. La réponse est que cela ne fonctionne pas bien. Les personnes handicapées se plaignent d'un mauvais accompagnement, d'une mauvaise prise en charge. Il existe une tendance, même parmi les organismes publics spécialisés, à orienter les personnes vers tel ou tel type de formation. Dans les ESAT, par exemple, on compte quatre filières, mais on n'envisage pas que ces personnes puissent aller vers des métiers nouveaux.
Il y a deux types de responsabilité : celle des offices publics, formatés selon une logique un peu ancestrale, qui ne s'améliorent qu'à la marge, d'une part, et celle des entreprises, qui n'ont pas encore une analyse suffisante des besoins d'un poste de travail, d'autre part. Il faut vraiment que les offices publics de placement – rien que le mot est terrible, on devrait plutôt parler de « réorientation » – aillent au-devant des entreprises pour repérer les postes, charges, tâches qui peuvent être assumées par des personnes sur l'orientation desquelles ils travaillent. Certains métiers, dans certains secteurs, ne trouvent pas de candidats et pourraient très bien être occupés par des personnes handicapées, pour autant qu'elles soient bien préparées et accompagnées.
Le jargon pour l'accompagnement, c'est le job coaching. Il y a deux types d'accompagnant : un accompagnant médico-social ou associatif et un accompagnant professionnel, qui assure la médiation entre l'encadrement professionnel et le collectif de travail, pour que l'arrivée d'une personne handicapée ne soit pas vécue comme un boulet, un poids supplémentaire, en permettant aux autres salariés de comprendre que, si ce salarié a des aménagements particuliers de son temps de travail, c'est parce qu'il a des besoins particuliers. Il faut parier sur l'élévation du niveau de connaissance et de compétence, ainsi que sur la bienveillance. Quand c'est fait, on s'aperçoit que cela se passe très bien. L'arrivée d'une personne handicapée dans un collectif professionnel peut modifier les comportements et améliorer les conditions de travail.
C'est ce que j'essaie de rendre perceptible dans mon rapport, avec cette conclusion qu'il faut, à présent, absolument associer des compétences extérieures, les experts usagers et les personnes handicapées qui ont réussi une insertion. L'Université de Lyon, par exemple, associe des personnes à déficience intellectuelle à l'enseignement d'une licence de médiation handicap. Charles Gardou développe un master de référent handicap à Lyon. Ce sont des avancées qu'il faut mettre en évidence et partager le plus possible.