Intervention de Andréa Khoshkhou

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice :

Sur la base de ces constats et des témoignages que nous venons de vous exposer, il nous semble indispensable, pour le moins, de mettre en place des mesures visant à améliorer la capacité de l'institution à prévenir et à réagir à ce genre de situation.

Notre première préconisation est la mise en place d'une structure indépendante et référente en la matière. Le choix a été fait, en 2013, de confier au chef de la division du Secrétariat général, travaillant avec le déontologue, le rôle de référent harcèlement. C'est donc la personne que sont censées contacter les victimes de comportements inappropriés. Or elle ne peut s'occuper que de harcèlement ou d'agression émanant de collaborateurs ou de fonctionnaires. Elle ne s'estime pas compétente, de ses propres dires, dès lors que la personne incriminée est un député. Si ce cas se présente, elle orientera la victime vers la déontologue.

Mais la déontologue, Mme Agnès Roblot-Troizier, n'est elle-même pas convaincue par ce choix. En effet, comme elle l'explique dans son rapport annuel de janvier 2019, lorsque les fonctions du déontologue de l'Assemblée nationale française sont présentées à ses homologues étrangers, la mission qui lui est dévolue en matière de harcèlement est perçue au mieux comme une bizarrerie, au pire comme une anomalie. Je cite le rapport : « La thématique du harcèlement moral et sexuel ne relève pas, en effet, à proprement parler, de la déontologie. Ces situations, régies par le code du travail et le code pénal, appellent en premier lieu des réponses médico-psychologiques et juridiques. »

Ajoutons le fait qu'il n'est pas prévu, pour la déontologue, de formation spécifique à l'écoute et à l'accompagnement des victimes. Enfin, elle souligne la position ambiguë dans laquelle elle se trouve, considérant que faire appel à elle peut être perçu comme un moyen d'exercer une pression médiatique, notamment contre un député.

Toutes ces raisons font insister sur la nécessité de mettre en place une structure appropriée, qui ne s'occupe que de cette question et qui soit indépendante. Par ailleurs, on peut s'inspirer de ce qu'ont mis en place d'autres institutions, telles que le Parlement européen, qui dispose d'un comité consultatif composé de parlementaires, de questeurs et de représentants des assistants et des fonctionnaires, comité qui peut compter sur le soutien de deux conseillers experts des services médicaux et juridiques.

Quant à lui, le Sénat a mis en place un plan de prévention et de lutte contre le harcèlement qui comporte notamment la création d'une cellule d'accueil et d'écoute. Depuis 2017, par ailleurs, le Sénat a mis en place une évaluation. Cette évaluation prévue, ainsi qu'un audit externe, visent à analyser, au terme de la première année, la mise en œuvre du plan et un bilan de l'efficacité de ses mesures.

Autant de choses dont s'inspirent nos premières propositions, telles que la mise en place d'une cellule indépendante, certes en lien avec le service de la déontologue, mais qui soit composée de représentants des collaborateurs et collaboratrices, ainsi que de psychologues spécialisés dans les violences sexistes et de juristes.

Notre deuxième série de propositions vise à agir sur la précarité du statut des collaborateurs et des collaboratrices. Car il constitue, de fait, un frein à la possibilité même de dénoncer une situation dont on a été victime. En ce sens, nous en venons à la question de la libération de la parole. Vous posiez la question de savoir ce qui a changé. Notre constat, après avoir entendu toutes les personnes que nous avons pu interroger, est que nous évoluons dans un environnement de travail où sont présents tous les facteurs à risques du harcèlement.

Vous l'avez dit et c'est de notoriété publique, mais soulignons-le. L'embauche directe par le ou la députée ; la clause de loyauté qui permet à tout député de mettre fin au contrat des collaborateurs ; le travail de nuit ; les bureaux qui font aussi office de chambre ; la proximité constante avec son employeur, y compris lors de déplacements : tous ces éléments doivent être pris en compte. Notre emploi est donc particulièrement à risque sur ces questions‑là.

Deuxièmement, la crainte de perdre son emploi ou celle d'être dénigrée par la suite, sur le plan professionnel, sont autant d'obstacles qui font que certaines collaboratrices décident de se taire. C'est un argument qui revient très régulièrement dans les témoignages que nous recevons. Rappelons aussi le cas de collaboratrices licenciées, juste après avoir dénoncé une agression, ou en avoir parlé, ou encore les collaboratrices devant affronter des plaintes pour diffamation.

C'est pourquoi nous proposons le gel de la clause de loyauté en cas de signalement de harcèlement. Cette modification des statuts et des contrats des collaborateurs et collaboratrices peut s'inspirer de ce qui se fait au Parlement européen, où les collaborateurs sont embauchés par le Parlement lui-même.

De façon générale, nous appelons à la définition de contrats plus sécurisants. Sur ce point, on sait tout ce qui a déjà fait par votre groupe de travail. Les syndicats ont notamment formulé de nombreuses propositions allant dans ce sens, qui sont autant de mesures qui seraient sécurisantes dans ce cas particulier.

Une troisième proposition concerne le volet juridique. Si la mise en place d'une cellule indépendante se concrétise, il nous semble que cela devrait s'accompagner, si la victime le souhaite, de la possibilité pour cette cellule de saisir le procureur. Beaucoup de collaboratrices indiquent non seulement qu'elles ont parfois honte ou peur de parler, mais aussi qu'elles savent pertinemment que leur témoignage n'aura aucun poids et qu'aucune suite n'y sera donnée.

Enfin, nous nous félicitons que l'Assemblée ait envoyé de premiers signes de d'attention sur cette question : affiches placardées ; rappels des peines encourues ; sensibilisation et formation sous forme d'animation théâtrale. Mais il nous semble que, s'agissant de la prévention même, beaucoup reste à faire.

D'abord, pour citer encore le rapport de la déontologue, « nombre de députés nouvellement élus sont ainsi devenus employeurs pour la première fois, de sorte que leur connaissance des règles du droit du travail est parfois lacunaire ». Peut-être est-ce quelque chose que vous avez déjà dû affronter ? Il nous semble qu'en matière de prévention et de réaction aux violences sexuelles et sexistes, cette observation revêt une pertinence particulière.

Compte tenu de cette réalité, il nous paraît essentiel que l'Assemblée elle-même exige des présidents de chaque groupe politique qu'ils s'engagent à sensibiliser tous les députés à la question du harcèlement, du sexisme et de toute discrimination. Il convient de leur répéter quelles sont leurs obligations légales en la matière. Mais il faut aussi que des formations soient proposées à tous les collaborateurs et à toutes les collaboratrices – et ce régulièrement, si l'on tient compte du renouvellement rapide des effectifs.

Pour conclure, comme vous l'avez entendu, nous avons tenu à faire des propositions concrètes : une cellule d'écoute indépendante, un statut moins précaire, notamment via le gel de la clause de loyauté en cas de signalement de harcèlement ; une sensibilisation de tous les groupes politiques, notamment pour prévenir les risques liés aux conditions de travail particulières. Mais, si on écoute les témoignages qui répètent la peur de « se griller », la peur d'être décrédibilisée, c'est bien un changement de mentalité plus général que l'on doit initier. Sans oublier que le rapport entre une collaboratrice et son député est très largement inéquitable, en termes de poids symbolique, de poids politique et de protection de l'institution.

Toujours dans son rapport annuel de janvier 2019, la déontologue pointe qu'en pratique, il est souvent mis fin à la relation de travail peu après que la déontologue a reçu un collaborateur s'estimant victime de harcèlement. Si nous voulons plus que ce ne soient plus les femmes qui partent et qui soient licenciées in fine, si nous ne voulons plus qu'elles soient découragées de prendre part à la vie démocratique du pays, il est essentiel d'inverser la hiérarchie des valeurs. Il faut que soient considérées comme inacceptables des choses qui, trop longtemps, ont été considérées comme normales et, souvent, le sont encore.

Comme l'ont dit les voix qui se sont élevées grâce au récent mouvement #MeToo, il faut que la honte change de camp, une fois pour toutes et définitivement. Cela passera nécessairement par les mesures correctrices, que sont la prévention et la protection des femmes et leur accompagnement. Mais nous savons qu'il faudra aussi des sanctions, qu'elles soient symboliques, politiques ou institutionnelles, des agresseurs.

Tout cela nous paraît être réalisable, nécessaire et urgent. Il est essentiel que l'Assemblée nationale soit un lieu exemplaire en la matière.

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