Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 13h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • collaborateur
  • collaboratrice
  • déontologue
  • harcèlement
  • sexisme
  • témoignage

La réunion

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GROUPE DE TRAVAIL N°2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE STATUT DES COLLABORATEURS PARLEMENTAIRES

Mercredi 20 mars 2019

Présidence de M. Michel Larive, président du groupe de travail

– Audition de Mmes Brune Seban et Andréa Khoshkhou, membres du collectif Chair collaboratrice.

La réunion commence à treize heures trente-cinq.

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Pour cette nouvelle audition qu'organise notre groupe de travail relatif aux risques psychosociaux (RPS) et au harcèlement, nous recevons aujourd'hui des représentantes du collectif Chair collaboratrice. Même si notre réunion sera sans doute principalement consacrée aux problèmes de harcèlement, j'appelle tout de suite l'attention de nos intervenantes sur le fait que si vous avez des remarques ou propositions à faire en matière de RPS, vous pourrez naturellement le faire.

Je rappellerai tout d'abord que votre collectif a été créé au mois d'octobre 2016, à la suite de l'affaire dite « Baupin ». Vous avez alors décidé non seulement de créer ce collectif mais également de lancer un site internet afin de recenser les témoignages de faits de harcèlement sexiste ou de violences sexuelles à l'encontre de collaboratrices parlementaires. Vous avez mené plusieurs actions, notamment médiatiques, afin de faire connaître votre action mais aussi, plus fondamentalement, l'existence même de votre mouvement. Récemment encore, le 8 février pour être précis, vous avez publié une tribune dans le journal Libération dont le titre ne peut que nous interroger collectivement : « Le sexisme sévit toujours dans les couloirs de l'Assemblée ». Je souhaiterais donc vous poser immédiatement quelques questions avant que nous puissions dialoguer.

Je partirai, si vous le voulez bien, d'un extrait tiré de votre éditorial : « Depuis 2016, rien n'a changé. Le sexisme sévit toujours dans les couloirs de l'Assemblée. Une situation à laquelle les collaboratrices sont particulièrement exposées ». Quand vous dites que « rien n'a changé », cela veut certes dire que certaines attitudes sexistes demeurent, mais cela signifie-t-il pour autant que les comportements n'ont pas évolué, que ces remarques ou agissements qu'il faut blâmer sont toujours aussi nombreux et que le regard porté sur les femmes à l'Assemblée nationale, notamment sur les assistantes parlementaires, n'a pas été modifié ?

Vous insistez sur la « libération de la parole » des victimes de harcèlement à l'Assemblée, c'est d'ailleurs ce qui a motivé la création de votre site : le fait qu'une référente harcèlement existe à l'Assemblée, que la déontologue soit accessible librement, n'a-t-il pas facilité les choses de ce point de vue ? Vous écrivez toujours dans votre éditorial : « Nous attendons de l'Assemblée nationale qu'elle mette en place une instance indépendante, placée sous l'autorité de la déontologue, qui puisse réellement accueillir la parole des femmes, les accompagner dans leurs démarches et leur assurer un réel soutien dans les procédures judiciaires. » Est-ce à dire que le système actuel est incomplet, voire inefficace ? Qu'est-ce qui, selon vous devrait être modifié afin que les réponses apportées soient plus pertinentes ?

Le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, vous avez envoyé un questionnaire à l'ensemble des assistants parlementaires sur le sexisme à l'Assemblée nationale, les résultats devant ensuite être rendus publics. Pouvez-vous nous préciser si la situation des collaborateurs parlementaires – hommes et femmes, puisqu'on nous a déjà précisé que le harcèlement sexuel pouvait également concerner les hommes – est différente selon qu'ils travaillent à l'Assemblée ou en circonscription ? On pourrait par exemple supposer que le fait de travailler dans les locaux même de l'Assemblée, où le travail peut se faire de nuit, dans des locaux parfois exigus, « facilite » en quelque sorte les situations propices au harcèlement : qu'en est-il effectivement ?

Enfin, pouvez-vous nous dire, bien que votre collectif s'adresse avant tout aux assistants parlementaires, si vous avez été contactés par d'autres types de publics travaillant à l'Assemblée nationale ? Je pense, bien entendu, aux membres du personnel, fonctionnaires et contractuels ?

Je vous propose maintenant de vous laisser la parole, pour une quinzaine de minutes.

Mme Maquet, rapporteure de notre groupe de travail, vous posera quelques questions à son tour et nous pourrons ensuite échanger librement ; je vous rappelle enfin que cette réunion, comme toutes les autres que nous avons tenues à ce jour, est diffusée en direct sur le canal interne de l'Assemblée, sera disponible sur le site et donnera lieu à un compte rendu écrit.

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

Je ne vais pas revenir sur l'historique de notre collectif. Mais, depuis 2016, notre méthode de travail a un peu changé. Nous continuons de recevoir des témoignages et d'être alertées sur certains cas de harcèlement, mais nous avons choisi de fonctionner un peu différemment : nous essayons de structurer notre démarche en usant d'autres outils. Le 8 février dernier, nous avons ainsi diffusé un sondage portant sur la thématique du sexisme, du harcèlement et des agressions subies par les collaboratrices à l'Assemblée.

Je vous propose de vous exposer d'abord nos observations, en deux temps. Le premier axe portera sur le sondage en tant que tel et sur les résultats que nous avons obtenus. Dans un deuxième temps, nous vous exposerons nos propositions, ce qui répondra certainement à vos questions.

Le sondage a été diffusé sur l'ensemble des boîtes à mails des députés, le 8 février dernier – car, malheureusement, nous ne disposons pas de toutes celles des collaborateurs et collaboratrices.

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

Au total, nous avons obtenu 137 réponses : 67 % de femmes et 33 % d'hommes. Les participants ont répondu de façon anonyme.

Ce que nous montrent les résultats du sondage, c'est qu'une femme sur deux a été victime de blagues sexistes ou sexuelles, de propos déplacés sur son apparence ou sa vie personnelle ; une femme sur trois a été victime d'injures sexistes, de comportement insistant et gênant ; une femme sur cinq a été victime d'une agression sexuelle. J'énumère un peu rapidement ces différents résultats, mais il est clair que les cas de figure que je viens de décrire sont loin d'être banals. Il est même inquiétant d'observer que ce type de situation puisse se produire dans l'enceinte de l'Assemblée.

Pourtant, en dépit de l'ampleur de ces faits, la moitié des collaboratrices n'en ont parlé à personne. Alors pourquoi ? Probablement parce que les auteurs de ces actes sont majoritairement, selon les témoignages qu'on a pu recueillir, des députés, à raison de 60 % des cas, ou des collègues de travail. Comme on le sait, il y a une vraie difficulté à parler de ces faits-là, dans un contexte où les femmes peuvent craindre pour leur emploi.

J'aimerais aussi évoquer les limites du sondage, pour anticiper déjà certaines critiques qui pourraient peut-être être formulées, mais surtout pour rappeler quelle est notre ambition. Notre mission est de mettre en lumière et de dépeindre une réalité qui ne peut être contestée, non de nous substituer à l'Institut national d'études démographiques (INED), par exemple, qui bénéficie des moyens adéquats pour mener à bien ce genre d'enquête.

Ce sondage a du moins le mérite de nous avoir permis de noter les remarques de certaines collaboratrices. Elles ont répondu au sondage en exprimant également leurs attentes et leurs inquiétudes. Je vais vous citer un des témoignages que nous avons reçus : « Dans les formes, nous sommes protégées, mais, dans le fond, nous ne sommes soit pas prises au sérieux, soit dans une situation où, si on parlait, cela reviendrait à se griller auprès de potentiels futurs employeurs. Donc nous nous taisons. »

Ce sondage nous a également permis de donner la parole aux collaboratrices de circonscription, qui sont souvent isolées, mais tout autant confrontées à d'éventuels cas de harcèlement. Pour elles, il serait bon de prendre en compte le fait que les contacts avec les militants sont nombreux et peuvent donner lieu à des propos et des violences sexistes et sexuelles. Même s'il n'y a pas de lien hiérarchique direct, c'est difficile de remettre à sa place un militant indispensable sur le terrain ou important pour le mouvement.

Dernier témoignage plus inquiétant : « J'ai déposé plainte pour agression sexuelle il y a quelques mois contre une personne X, qui n'était pas un élu. Le député pour lequel je travaillais à ce moment-là a alors menacé de me licencier si ma plainte était classée sans suite. Choquée, j'ai préféré changer d'employeur… » Les violences sexistes, c'est aussi ça.

Ainsi, la problématique du sexisme, du harcèlement et les cas d'agressions constituent des faits bien réels. Cela a des répercussions et des conséquences sur la vie professionnelle et personnelle des collaboratrices. Mais cela a aussi un impact sur les conditions de travail de toutes et tous, puisque notre sondage a montré qu'il y avait certes des victimes, mais aussi des témoins de ces situations de harcèlement et de sexisme. Ce n'est donc pas, à notre sens, un cadre de travail acceptable.

C'est pourquoi notre collectif cherche à recueillir la parole des collaboratrices, pour alerter, mais aussi – et surtout – pour proposer des solutions. Tel est l'objet de notre deuxième partie.

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

Sur la base de ces constats et des témoignages que nous venons de vous exposer, il nous semble indispensable, pour le moins, de mettre en place des mesures visant à améliorer la capacité de l'institution à prévenir et à réagir à ce genre de situation.

Notre première préconisation est la mise en place d'une structure indépendante et référente en la matière. Le choix a été fait, en 2013, de confier au chef de la division du Secrétariat général, travaillant avec le déontologue, le rôle de référent harcèlement. C'est donc la personne que sont censées contacter les victimes de comportements inappropriés. Or elle ne peut s'occuper que de harcèlement ou d'agression émanant de collaborateurs ou de fonctionnaires. Elle ne s'estime pas compétente, de ses propres dires, dès lors que la personne incriminée est un député. Si ce cas se présente, elle orientera la victime vers la déontologue.

Mais la déontologue, Mme Agnès Roblot-Troizier, n'est elle-même pas convaincue par ce choix. En effet, comme elle l'explique dans son rapport annuel de janvier 2019, lorsque les fonctions du déontologue de l'Assemblée nationale française sont présentées à ses homologues étrangers, la mission qui lui est dévolue en matière de harcèlement est perçue au mieux comme une bizarrerie, au pire comme une anomalie. Je cite le rapport : « La thématique du harcèlement moral et sexuel ne relève pas, en effet, à proprement parler, de la déontologie. Ces situations, régies par le code du travail et le code pénal, appellent en premier lieu des réponses médico-psychologiques et juridiques. »

Ajoutons le fait qu'il n'est pas prévu, pour la déontologue, de formation spécifique à l'écoute et à l'accompagnement des victimes. Enfin, elle souligne la position ambiguë dans laquelle elle se trouve, considérant que faire appel à elle peut être perçu comme un moyen d'exercer une pression médiatique, notamment contre un député.

Toutes ces raisons font insister sur la nécessité de mettre en place une structure appropriée, qui ne s'occupe que de cette question et qui soit indépendante. Par ailleurs, on peut s'inspirer de ce qu'ont mis en place d'autres institutions, telles que le Parlement européen, qui dispose d'un comité consultatif composé de parlementaires, de questeurs et de représentants des assistants et des fonctionnaires, comité qui peut compter sur le soutien de deux conseillers experts des services médicaux et juridiques.

Quant à lui, le Sénat a mis en place un plan de prévention et de lutte contre le harcèlement qui comporte notamment la création d'une cellule d'accueil et d'écoute. Depuis 2017, par ailleurs, le Sénat a mis en place une évaluation. Cette évaluation prévue, ainsi qu'un audit externe, visent à analyser, au terme de la première année, la mise en œuvre du plan et un bilan de l'efficacité de ses mesures.

Autant de choses dont s'inspirent nos premières propositions, telles que la mise en place d'une cellule indépendante, certes en lien avec le service de la déontologue, mais qui soit composée de représentants des collaborateurs et collaboratrices, ainsi que de psychologues spécialisés dans les violences sexistes et de juristes.

Notre deuxième série de propositions vise à agir sur la précarité du statut des collaborateurs et des collaboratrices. Car il constitue, de fait, un frein à la possibilité même de dénoncer une situation dont on a été victime. En ce sens, nous en venons à la question de la libération de la parole. Vous posiez la question de savoir ce qui a changé. Notre constat, après avoir entendu toutes les personnes que nous avons pu interroger, est que nous évoluons dans un environnement de travail où sont présents tous les facteurs à risques du harcèlement.

Vous l'avez dit et c'est de notoriété publique, mais soulignons-le. L'embauche directe par le ou la députée ; la clause de loyauté qui permet à tout député de mettre fin au contrat des collaborateurs ; le travail de nuit ; les bureaux qui font aussi office de chambre ; la proximité constante avec son employeur, y compris lors de déplacements : tous ces éléments doivent être pris en compte. Notre emploi est donc particulièrement à risque sur ces questions‑là.

Deuxièmement, la crainte de perdre son emploi ou celle d'être dénigrée par la suite, sur le plan professionnel, sont autant d'obstacles qui font que certaines collaboratrices décident de se taire. C'est un argument qui revient très régulièrement dans les témoignages que nous recevons. Rappelons aussi le cas de collaboratrices licenciées, juste après avoir dénoncé une agression, ou en avoir parlé, ou encore les collaboratrices devant affronter des plaintes pour diffamation.

C'est pourquoi nous proposons le gel de la clause de loyauté en cas de signalement de harcèlement. Cette modification des statuts et des contrats des collaborateurs et collaboratrices peut s'inspirer de ce qui se fait au Parlement européen, où les collaborateurs sont embauchés par le Parlement lui-même.

De façon générale, nous appelons à la définition de contrats plus sécurisants. Sur ce point, on sait tout ce qui a déjà fait par votre groupe de travail. Les syndicats ont notamment formulé de nombreuses propositions allant dans ce sens, qui sont autant de mesures qui seraient sécurisantes dans ce cas particulier.

Une troisième proposition concerne le volet juridique. Si la mise en place d'une cellule indépendante se concrétise, il nous semble que cela devrait s'accompagner, si la victime le souhaite, de la possibilité pour cette cellule de saisir le procureur. Beaucoup de collaboratrices indiquent non seulement qu'elles ont parfois honte ou peur de parler, mais aussi qu'elles savent pertinemment que leur témoignage n'aura aucun poids et qu'aucune suite n'y sera donnée.

Enfin, nous nous félicitons que l'Assemblée ait envoyé de premiers signes de d'attention sur cette question : affiches placardées ; rappels des peines encourues ; sensibilisation et formation sous forme d'animation théâtrale. Mais il nous semble que, s'agissant de la prévention même, beaucoup reste à faire.

D'abord, pour citer encore le rapport de la déontologue, « nombre de députés nouvellement élus sont ainsi devenus employeurs pour la première fois, de sorte que leur connaissance des règles du droit du travail est parfois lacunaire ». Peut-être est-ce quelque chose que vous avez déjà dû affronter ? Il nous semble qu'en matière de prévention et de réaction aux violences sexuelles et sexistes, cette observation revêt une pertinence particulière.

Compte tenu de cette réalité, il nous paraît essentiel que l'Assemblée elle-même exige des présidents de chaque groupe politique qu'ils s'engagent à sensibiliser tous les députés à la question du harcèlement, du sexisme et de toute discrimination. Il convient de leur répéter quelles sont leurs obligations légales en la matière. Mais il faut aussi que des formations soient proposées à tous les collaborateurs et à toutes les collaboratrices – et ce régulièrement, si l'on tient compte du renouvellement rapide des effectifs.

Pour conclure, comme vous l'avez entendu, nous avons tenu à faire des propositions concrètes : une cellule d'écoute indépendante, un statut moins précaire, notamment via le gel de la clause de loyauté en cas de signalement de harcèlement ; une sensibilisation de tous les groupes politiques, notamment pour prévenir les risques liés aux conditions de travail particulières. Mais, si on écoute les témoignages qui répètent la peur de « se griller », la peur d'être décrédibilisée, c'est bien un changement de mentalité plus général que l'on doit initier. Sans oublier que le rapport entre une collaboratrice et son député est très largement inéquitable, en termes de poids symbolique, de poids politique et de protection de l'institution.

Toujours dans son rapport annuel de janvier 2019, la déontologue pointe qu'en pratique, il est souvent mis fin à la relation de travail peu après que la déontologue a reçu un collaborateur s'estimant victime de harcèlement. Si nous voulons plus que ce ne soient plus les femmes qui partent et qui soient licenciées in fine, si nous ne voulons plus qu'elles soient découragées de prendre part à la vie démocratique du pays, il est essentiel d'inverser la hiérarchie des valeurs. Il faut que soient considérées comme inacceptables des choses qui, trop longtemps, ont été considérées comme normales et, souvent, le sont encore.

Comme l'ont dit les voix qui se sont élevées grâce au récent mouvement #MeToo, il faut que la honte change de camp, une fois pour toutes et définitivement. Cela passera nécessairement par les mesures correctrices, que sont la prévention et la protection des femmes et leur accompagnement. Mais nous savons qu'il faudra aussi des sanctions, qu'elles soient symboliques, politiques ou institutionnelles, des agresseurs.

Tout cela nous paraît être réalisable, nécessaire et urgent. Il est essentiel que l'Assemblée nationale soit un lieu exemplaire en la matière.

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Vous avez évoqué des mesures concrètes, comme la possibilité pour les collaborateurs de disposer à l'Assemblée d'un bureau séparé de celui de leur employeur. Car, dans les bureaux, il y a une forte promiscuité, dans certains bâtiments. Pensez-vous, puisque vous avez évoqué le bureau-chambre, que l'installation des bureaux dans une configuration comparable aux bureaux du 101 rue de l'Université permettrait d'éviter une promiscuité qui n'est pas toujours facile à vivre en termes de cohabitation ? Telle est ma première question.

Deuxièmement, nous avons évoqué, dans une précédente audition, les risques psychosociaux. Comme vous l'avez-vous-même souligné, de nombreux députés concernés étaient de jeunes députés. Ce n'est pas facile, quand on arrive : on ne s'improvise pas manager… Vous avez beaucoup évoqué le harcèlement et le sexisme, mais peu le harcèlement moral, qui existe aussi. L'une de nos propositions pourrait être de former les députés-employeurs au management, mais aussi à certaines règles à respecter quand on a du personnel sous sa responsabilité. Qu'en pensez-vous ? Telle est ma deuxième question.

Troisièmement, puisque vous avez évoqué l'organisation du Sénat, est-ce que vous avez rencontré le service dont dépend la psychologue ? Si oui, dites-moi ce que vous en pensez. Je demanderai peut-être à M. le président de notre groupe de travail d'auditionner les services du Sénat sur cette question.

Enfin, lorsque nous avions entendu vos collègues membres du collectif, en novembre 2017, elles avaient mentionné le dispositif Thémis mis en place depuis 2014 au sein du ministère de la défense, tout en regrettant que la structure soit « interne à l'armée », et non totalement indépendante. Pouvez-vous nous en dire plus sur son mode de fonctionnement et sur ses résultats aujourd'hui ?

Avez-vous connaissance d'autres dispositifs prometteurs mis en place dans des collectivités locales ou dans les ministères, dont l'Assemblée nationale pourrait s'inspirer.

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

La promiscuité dans les bureaux renforce le risque de harcèlement, qui plus est aux heures de travail qui sont les nôtres ; c'est une dimension que la déontologue, dans son rapport de 2016, décrit parfaitement. Il serait bon d'envisager une autre configuration des bureaux, mais cette solution est compliquée à mettre en œuvre sur le plan logistique et d'autres mesures peuvent être prises de façon plus urgente.

Notre association, de par son objet, s'est focalisée sur la question du sexisme, et si des hommes ont pu faire état de harcèlement moral dans notre sondage, nous avons choisi d'isoler les réponses des femmes. Les syndicats de collaborateurs, que vous avez auditionnés, sont plus à même de vous informer sur cette question.

Enfin, nous n'avons pas encore rencontré la cellule du Sénat, mais c'est une excellente idée.

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

Nous avons rencontré la cellule Thémis, mise en place par le ministère des armées et qui a déjà pris en charge plusieurs cas, ainsi que le collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur (CLASCHES), qui agit dans un milieu où les rapports hiérarchiques et le poids symbolique peuvent jouer de la même manière qu'à l'Assemblée nationale, l'université. À cet égard, la cellule de veille et d'information sur le harcèlement sexuel de l'université Lille III pourrait utilement être auditionnée. Enfin, nous avons rencontré l'Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

Il ressort de ces rencontres que la libération de la parole des femmes se fait lorsque les instances adéquates sont mises en place. L'existence d'un protocole clair et la possibilité d'écouter les signaux faibles agissent durablement sur la réduction des cas de sexisme et d'agression. Qu'une cellule puisse être constituée au su et au vu de tous, agir selon des modalités connues de tous, et être contactée avant que des faits plus graves ne se produisent est, à cet égard, essentiel. Par ailleurs, toutes les associations qui travaillent dans ce domaine font le même constat : les estimations dont nous disposons sont fort probablement très en deçà de la réalité.

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

Nous souhaiterions travailler davantage en relation avec les autres personnels de l'Assemblée nationale, dont nous imaginons qu'ils ne sont pas épargnés par ce risque, mais il nous est difficile d'obtenir de l'administration des données, comme une liste d'adresses mail par exemple.

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Pourquoi estimez-vous préférable que le psychologue qui serait éventuellement recruté par l'Assemblée nationale pour prendre en charge ces troubles soit rattaché aux services de la déontologue ?

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

La cellule que nous appelons de nos vœux doit bénéficier d'une expertise psychologique et juridique et être en lien avec les services de la déontologue, car cela garantirait son indépendance.

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Avez-vous d'autres pistes pour renforcer la prévention de ce risque ? La formation des députés me semble essentielle. À ma connaissance, le groupe La France insoumise, qui va débuter une session de formation, est le seul à agir dans ce domaine.

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

Nous proposons que l'Assemblée nationale sensibilise tous les groupes politiques à la nécessité de mener un travail de prévention. Cela doit devenir la norme.

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

Les faits ne semblent hélas pas moins fréquents chez les députés plus aguerris. Toutefois, le député nouvellement élu doit pouvoir bénéficier d'une formation et d'un rappel de ses obligations légales. Un cabinet de parlementaire est une petite entreprise et le député doit respecter des règles, en matière d'affichage et de prévention. Ce n'est globalement pas le cas aujourd'hui. La prévention doit se jouer à trois niveaux : formation du député, sensibilisation du groupe, actions de l'Assemblée nationale.

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Vous avez dit que les groupes politiques devraient avoir la responsabilité de mettre en œuvre ces formations. L'association des députés-employeurs a-t-elle selon vous un rôle à jouer dans ce domaine ?

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

Ce pourrait être le cas, mais il faut aussi que la volonté politique de décliner ces mesures de prévention et de sensibilisation existe au sein de chaque groupe politique.

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Il se trouve que je préside l'association des députés-employeurs, qui va commencer ses travaux sur la grille salariale, puis sur le temps de travail. Lorsque j'ai voulu inclure la problématique du harcèlement moral et sexuel dans le premier rapport du groupe de travail – ce volet figurait parmi les 19 propositions initiales –, on m'a opposé le risque de stigmatiser l'institution. Il faut dire que, dans cette discussion à six, où j'étais le seul homme, j'ai eu le sentiment d'être le plus féministe… Loin de vouloir stigmatiser l'Assemblée nationale, il s'agit pour moi de la responsabiliser. Je détiens un mandat pour deux ans et je compte bien que nous débattions de cette question, car cela va mieux en le disant.

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Brune Seban, membre du collectif Chair collaboratrice

Oui, il faut faire en sorte que les choses ne se passent pas, mais lorsqu'une femme dénonce de tels faits, comment est-elle accueillie, que se passe-t-il ensuite ? Il me semble que l'association des députés-employeurs pourrait réfléchir à la question des sanctions et des répercussions.

Il ne faut pas se laisser intimider par l'idée qu'agir de façon ferme et volontaire dans ce domaine serait affaiblir l'institution ou jeter l'opprobre. L'Assemblée nationale doit se montrer exemplaire et affirmer qu'elle n'acceptera pas que ces choses-là se passent en son sein.

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Ni l'association des députés-employeurs ni le président de l'Assemblée nationale ne sauraient se substituer au juge. Nous incarnons ici le pouvoir législatif, pas le judiciaire, encore moins l'exécutif. Lorsque les faits sont avérés, il faut aider les victimes à saisir la justice. Il appartient ensuite au juge de prononcer les sanctions. L'arsenal législatif existe. Notre travail est d'établir un rapport et de faire des préconisations ; l'association des députés-employeurs doit pour sa part faire en sorte, comme vous l'avez très bien dit, que les choses n'arrivent pas. Chacun doit comprendre que l'impunité n'existe pas. La formation a pour objet de rappeler, à ceux qui ont tendance à l'oublier, que certains actes et comportements sont interdits. Je rappelle à cet égard que le harcèlement peut exister – on nous a relaté des cas – entre collaborateurs, et entre députés.

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Andréa Khoshkhou, membre du collectif Chair collaboratrice

Bien sûr, nous faisons la distinction entre pouvoir législatif et pouvoir judiciaire ; c'est pourquoi nous proposons la mise en place d'une cellule indépendante qui aurait la possibilité de saisir le procureur. Nous vous remercions de nous avoir donné la parole. Nous vous ferons parvenir une contribution écrite.

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Cet échange nous a beaucoup apporté. Pour votre information, nous rencontrerons prochainement les responsables du mouvement #MeToo, à l'occasion d'un déplacement à Washington.

L'audition s'achève à quatorze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Groupe de travail sur les conditions de travail à l'Assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 13 h 30

Présents. - M. Michel Larive, M. Gilles Lurton, Mme Jacqueline Maquet

Excusés. – Mme Jeanine Dubié, M. Régis Juanico, M. Jean-Paul Mattei