Intervention de Agnès Roblot-Troizier

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Agnès Roblot-Troizier, déontologue de l'Assemblée nationale :

Effectivement, mon rôle est d'abord un rôle d'écoute, ce qui est primordial car c'est le premier pas vers l'accompagnement de la victime. Ce rôle est certainement utile puisque je reçois de nombreux remerciements de la part des personnes que j'ai entendues.

En fonction des éléments qui me sont indiqués, j'essaie d'orienter au mieux mes interlocuteurs. Mais je constate que ma fonction est aussi une fonction d'enregistrement car des personnes viennent me voir afin de consigner une situation pour l'avenir. Ceux qui font appel à moi ont parfois le sentiment d'être prisonniers de leur situation et ils ont alors conscience qu'il est nécessaire qu'ils aillent consulter un médecin ou un juriste. J'oriente enfin d'autres personnes vers les associations ou les syndicats de collaborateurs car il peut être utile d'échanger avec des gens qui ont connu des situations similaires.

Autre question que vous m'avez posée : devrais-je disposer d'un véritable pouvoir d'investigation et d'enquête ? Dans mon rapport, je considère que seule l'autorité judiciaire peut confirmer une qualification de harcèlement sexuel ou moral. En tout état de cause, je ne peux pas mener une enquête qui serait de même nature que celle que conduirait un officier de police judiciaire si la matérialité des faits était contestée. Je ne peux que me contenter des informations que me communique la personne qui vient me voir.

En revanche, lorsqu'un collaborateur de député s'adresse à moi, ce qui est le plus fréquemment le cas, je propose systématiquement de prendre contact avec le député concerné (c'est parfois le souhait de l'intéressé) et je m'assure naturellement de son consentement avant de m'adresser au député employeur.

J'ai également pu constater que mon rôle était parfois quelque peu instrumentalisé. Il arrive que des collaborateurs fassent appel à moi afin qu'une situation soit consignée, et mon intervention est alors utilisée comme moyen de pression dans une relation de travail qui est déjà conflictuelle et proche de sa fin.

Vous m'avez par ailleurs demandé si des dispositions ne manquaient pas au code de déontologie des députés. Cette question fait précisément l'objet de l'une des propositions de mon rapport : l'article 6 du code traite de l'exemplarité tout en renvoyant seulement aux autres obligations du code de déontologie. Il me semble que cette notion implique que le député ne harcèle pas son collaborateur, que ce soit sexuellement ou moralement. Si le champ de l'article 6 du code était élargi, en cas de manquement à ce devoir d'exemplarité, je pourrais recourir à l'article 80-4 du Règlement, c'est-à-dire informer le président de l'Assemblée nationale de la situation.

Quant à la mise en place d'une cellule composée de professionnels, vous semblez vous interroger, à la lecture de mon rapport, sur ma compétence pour exercer cette mission. L'Assemblée nationale a fait le choix d'impliquer le déontologue dans la lutte contre le harcèlement, parce qu'il s'agit d'une autorité indépendante. Certes, le déontologue est nommé par le Bureau, mais à la majorité qualifiée. Le déontologue n'est ni révocable, ni renouvelable, ce qui lui offre de fortes garanties d'indépendance. Ce choix s'explique aussi par le devoir d'exemplarité qui s'impose aux députés, et que je viens de mentionner. Il n'en demeure pas moins que la mission qui m'est confiée en matière de harcèlement est assez éloignée de mes autres fonctions. Souvent d'ailleurs, mes homologues étrangers s'en étonnent et trouvent étrange de confier ce type de mission au déontologue.

Ma formation de juriste me permet, dans un premier temps, d'expliciter la notion de harcèlement moral ou sexuel à ceux qui viennent me voir. Mais qualifier juridiquement le harcèlement et le prendre en charge implique une dimension médicale sur laquelle il m'est difficile de me prononcer et d'agir. Les situations de harcèlement et les situations conflictuelles avec l'employeur pouvant aussi révéler une fragilité psychologique, le regard d'un psychologue qui pourrait prendre la victime en charge me paraît également important.

De nombreuses questions de droit du travail se posent également. Je peux donner quelques conseils et apporter des éléments de réponse à ce sujet mais les questions sont parfois extrêmement techniques, notamment s'agissant de procédure de rupture de contrat de travail et de licenciement, et les réponses d'un spécialiste du droit du travail seraient parfois utiles. C'est pourquoi je propose la création d'une cellule composée de professionnels – psychologues, médecins, spécialistes du droit du travail – afin d'apporter un début de réponse et de proposer un accompagnement plus complet des victimes. Cela n'empêche pas que j'intervienne, en amont ou en aval, auprès des députés.

La question n'est donc pas tant celle de ma compétence que la nécessité de traiter le harcèlement dans sa globalité et de prendre véritablement ce sujet au sérieux. L'Assemblée nationale ne peut se contenter de confier à une ou deux personnes le traitement des cas de harcèlement.

Vous m'avez également interrogée sur la fréquence des consultations pour des cas de harcèlement. Comme indiqué dans mon rapport, je ne souhaite pas communiquer sur le nombre de saisines dont j'ai fait l'objet pour des cas de harcèlement, parce que ce chiffre n'est pas révélateur. Certaines situations m'échappent car des victimes ne viennent pas me voir, tandis que des collaborateurs viennent me voir en raison d'une relation de travail conflictuelle, ou parce qu'ils ont reçu une remarque négative d'un député, sans que l'on puisse véritablement parler de harcèlement. Par ailleurs, les collaborateurs en circonscription m'échappent. Ils peuvent m'appeler, certains le font, mais peu de collaborateurs en circonscription font la démarche de venir me voir.

Je peux néanmoins vous dire que Marianne Brun et moi sommes régulièrement saisies de ces questions, qui concernent très fréquemment des cas de harcèlement moral. Nous avons des rendez-vous physiques ou téléphoniques deux fois par mois en moyenne, une situation de harcèlement pouvant donner lieu à plusieurs rendez-vous au fil du temps : parfois, pour une même situation, je vais ainsi avoir deux, trois ou quatre rendez-vous. Il est donc difficile de donner un chiffre pertinent.

Quant à la crainte regardant la confidentialité, je rappelle systématiquement que c'est une obligation qui pèse sur moi. Ce qui est dit dans mon bureau n'en sort pas.

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