GROUPE DE TRAVAIL N° 2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE STATUT DES COLLABORATEURS PARLEMENTAIRES
Mercredi 3 avril 2019
Présidence de M. Michel Larive, président du groupe de travail
– Audition de Mme Agnès Roblot-Troizier, déontologue de l'Assemblée nationale, et de Mme Marianne Brun, cheffe de la division de la déontologie et du statut du député, référente harcèlement.
La réunion commence à treize heures trente-cinq.
Madame la rapporteure, mes chers collègues, j'appelle tout d'abord l'attention des membres de notre groupe de travail sur le fait que, pour des raisons de contraintes d'emploi du temps et de jours fériés, les 1er et 8 mai étant cette année des mercredis, la prochaine réunion n'aura lieu que le 15 mai. Une convocation vous sera envoyée comme d'habitude, bien entendu.
Pour cette nouvelle audition de notre groupe de travail consacré aux risques psychosociaux et au harcèlement, nous accueillons aujourd'hui Mme Agnès Roblot-Troizier, déontologue de l'Assemblée nationale, et Mme Marianne Brun, cheffe de la division de la déontologie et du statut du député, qui vient aujourd'hui en qualité de « référente harcèlement ».
Le sujet du harcèlement a déjà été évoqué plusieurs fois par notre groupe de travail, notamment lors des auditions des syndicats et des associations de collaborateurs parlementaires, ainsi qu'à l'occasion de la venue du collectif « Chair collaboratrice ». Je rappelle que l'instauration d'un dispositif de lutte contre le harcèlement date d'une décision du Bureau de l'Assemblée nationale du 20 novembre 2013, à l'initiative du président Bartolone : il a alors été décidé de mettre en place un référent harcèlement au sein de l'administration de l'Assemblée, lequel peut ensuite orienter les personnes qui le contactent vers le déontologue. Après plus de cinq ans d'existence, et aux dires des personnes que nous avons reçues ici, il semblerait que le dispositif adopté ne tienne pas tout à fait toutes ses promesses.
D'une part, le rôle de la référente, et son existence même, restent, apparemment, relativement peu connus des collaborateurs parlementaires même si une affiche relative aux dispositions pénales applicables et à la possibilité de saisir la référente a été largement diffusée dans les locaux de l'Assemblée. Ensuite, la latitude d'action tant de la référente que de la déontologue demeure, semble-t-il, trop réduite, leur rôle se limitant à une simple écoute.
Nous attendons donc beaucoup de cette audition, dont je rappelle qu'elle est diffusée en direct sur le site intranet de l'Assemblée nationale et qu'elle sera ensuite disponible tant en vidéo que sous la forme d'un compte rendu publié sur la page consacrée à notre groupe de travail.
Je commencerai donc par vous poser quelques questions avant de vous laisser une quinzaine de minutes pour y répondre ; après cela, je donnerai la parole à Mme Maquet, notre rapporteure, et un dialogue pourra ensuite s'instaurer avec les députés présents.
Tout d'abord, la méconnaissance de l'existence d'une « référente harcèlement » a été plusieurs fois soulignée ici : quelles pistes pouvez-vous nous donner afin que vous puissiez bénéficier d'une plus grande visibilité ?
Vous écrivez dans votre rapport annuel du 5 décembre dernier, madame la déontologue, que le dispositif actuel comprend deux volets : « la nomination d'un référent au sein de l'administration parlementaire et la possibilité pour ce référent d'orienter les personnes s'estimant victimes de harcèlement vers le déontologue de l'Assemblée nationale ». Pouvez-vous nous éclairer, l'une et l'autre, sur l'articulation de vos missions : estimez-vous utile de conserver cette dualité ? Ne pensez-vous pas que la déontologue serait suffisante, sans qu'on ait besoin aussi d'une « référente » ?
Plusieurs représentants de collaborateurs nous ont également indiqué – je vous renvoie aux comptes rendus des précédentes réunions – que le profil de la déontologue n'était peut-être pas le plus adéquat, certains estimant qu'un psychologue, éventuellement extérieur à l'Assemblée nationale, serait plus adapté. Vous écrivez vous-même dans votre rapport annuel qu'« il est souhaitable et urgent de professionnaliser le dispositif de prévention et de lutte contre le harcèlement et de l'adosser à une équipe pluridisciplinaire de professionnels formés aux questions de souffrance au travail ». J'avoue que ce propos est étrange, comme si vous estimiez ne pas être compétente en la matière : est-ce le cas ? Pensez-vous que quelqu'un comme vous, qui êtes juriste de formation à l'image des précédents déontologues, ou vous-même, madame la référente, ait le profil requis pour répondre aux questions de harcèlement auxquelles vous avez à faire face ?
Enfin, pouvez-vous nous indiquer ce que représente le nombre de consultations que vous avez reçues en matière de harcèlement depuis que vous avez été nommée ? Là encore, en me fondant sur ce que nous avons entendu ici, il semblerait que vous n'ayez pas toujours été consultée parce qu'il existerait des craintes, fondées ou non, quant à la confidentialité des propos tenus devant vous. Comment peut-on, à votre avis, réorganiser votre manière de fonctionner afin que ceux qui souhaitent vous saisir n'aient pas peur de la faire ?
Je vous remercie d'être parmi nous, et vous cède la parole.
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. En mon nom et en celui de Mme Brun, qui est à mes côtés, je voudrais tout d'abord dire que nous sommes très honorées d'être entendues par votre groupe de travail, et très heureuses de participer à vos travaux. Cette audition est pour nous l'occasion d'expliciter la manière dont nous travaillons, les difficultés que nous rencontrons, et de présenter des propositions d'évolution du dispositif de prise en charge du harcèlement à l'Assemblée nationale.
À titre liminaire, il me semble utile de rappeler que ma mission en la matière, comme celle de Mme Brun, s'ajoute à une multitude de missions et de compétences considérablement élargies depuis 2017, en particulier le contrôle des frais de mandat des députés et la prévention et la lutte contre les conflits d'intérêts.
Les questions de harcèlement étant particulièrement sensibles, et devant souvent être traitées en urgence, nous prenons toujours le temps de recevoir en priorité les personnes qui s'estiment victimes de harcèlement qui souhaitent échanger avec nous sur leurs difficultés ou leur souffrance au travail. Nous trouvons toujours un moyen pour placer ces rendez-vous dans nos agendas ; il n'en reste pas moins que nous faisons avec les moyens et le temps dont nous disposons.
Je crois utile également de préciser que notre rôle a trait au harcèlement en général, c'est-à-dire à la fois au harcèlement sexuel et au harcèlement moral. Si les cas de harcèlement sexuel font souvent plus de bruit et sont souvent dénoncés publiquement, nous sommes en réalité très majoritairement saisies de situations relevant plutôt du harcèlement moral.
Vous avez posé, monsieur le président, la question de la visibilité de notre fonction en matière de harcèlement. Je rappellerai au préalable les mesures de publicité qui ont déjà été prises par l'Assemblée et que vous avez-vous-même évoquées. En premier lieu, la mention de l'existence et du rôle de la référente comme de la déontologue figure sur le site intranet de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, en juillet 2017, le Bureau de l'Assemblée a pris plusieurs décisions qui ont amélioré la visibilité de notre rôle : une campagne d'affichage que vous avez mentionnée, monsieur le président, mais aussi l'information relative au référent en cas de situation de harcèlement, sous la forme d'une fiche remise aux collaborateurs au moment de la signature de leur contrat de travail. Sur ce document figure le numéro de téléphone de la référente, Mme Brun ; il rappelle également les dispositions du code pénal applicables et indique le caractère absolument confidentiel d'une prise de contact avec Mme Brun ou moi-même. Enfin, le Bureau a décidé que des affiches seraient apposées, sous la responsabilité des députés, dans leur bureau et dans leur permanence parlementaire.
Par ailleurs, des actions de sensibilisation ont été menées ; deux types de formation ont été proposés aux députés au début de la législature, qui avaient pour thème le statut du député et du député employeur dans lesquelles la question du harcèlement a été abordée. En outre, deux représentations théâtrales ont été organisées en 2017, auxquelles ont assisté soixante-trois personnes, dont seulement quinze collaborateurs,
Enfin, Marianne Brun et moi-même avons été sollicitées par le service de la Gestion financière et sociale pour animer une formation auprès des collaborateurs ; là aussi je ne peux que regretter une assez faible participation des intéressés.
S'agissant des propositions figurant dans mon rapport d'activité présenté au mois de janvier 2019, je préconise tout d'abord que l'Assemblée nationale se dote de guides de comportement comme il en existe au Parlement européen ou au Sénat. Ces documents s'adresseraient aux députés et aux collaborateurs en présentant les lignes de conduite à tenir devant des situations de harcèlement et rappelleraient les comportements non admissibles dans une relation de travail. Par ailleurs, il me semble important de poursuivre les actions de sensibilisation et de formation. Des actions pourraient ainsi être conduites auprès des collaborateurs en prévoyant la prise en charge des frais de déplacement des collaborateurs en circonscription afin qu'ils puissent venir y assister ou en mettant en place un système de formation à distance. Des actions de sensibilisation pourraient également être proposées à l'attention des personnels de l'Assemblée nationale.
La question du caractère obligatoire d'une formation à l'attention des députés sur le sujet du harcèlement, ou plus généralement de toute personne exerçant des fonctions d'encadrement au sein de l'Assemblée nationale, est aussi posée. J'observe qu'aux États‑Unis ce type de formation est obligatoire pour les membres du Congrès : la question se pose donc et constitue une intéressante piste de réflexion.
Vous nous avez par ailleurs interrogées sur l'articulation de nos missions ainsi que sur l'utilité de cette dualité. Je vais laisser Marianne Brun répondre sur le premier point et je complèterai par la suite.
Marianne Brun, cheffe de la division de la déontologie et du statut du député, référente harcèlement. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, lorsque le dispositif de lutte contre le harcèlement a été mis en place en 2013, il ne s'adressait qu'aux seuls collaborateurs et l'idée était de confier le rôle de référent au fonctionnaire du service du secrétariat général travaillant pour le déontologue ; cette façon de procéder avait alors été bien accueillie.
Si le comportement en cause est le fait d'un fonctionnaire ou d'un membre du personnel des services, le fonctionnaire référent étant proche du secrétaire général, il peut immédiatement lui en parler, et des suites rapides sont susceptibles d'être données au problème, notamment sur le plan disciplinaire. S'il est le fait d'un député, le référent fonctionnaire, dans la mesure où il travaille pour le déontologue, peut en référer à cette autorité indépendante, susceptible de prendre les contacts nécessaires avec les députés concernés.
C'est donc ainsi que le dispositif a été mis en place. Aujourd'hui en pratique, plusieurs cas de figure peuvent se présenter : si je suis directement saisie et qu'il s'agit d'un collaborateur, je lui propose de rencontrer la déontologue. Parfois l'intéressé ne le souhaite pas, et les choses s'arrêtent à mon niveau. Parfois il le souhaite : un contact est alors pris avec la déontologue et une rencontre est organisée. Il peut également arriver que les collaborateurs ou d'autres personnes saisissent directement la déontologue.
Vous nous avez également interrogées sur l'utilité de cette dualité, sur le fait que deux personnes sont susceptibles d'intervenir : elle présente à mes yeux plusieurs intérêts.
En premier lieu, elle offre plusieurs accès à ceux qui s'estiment victimes de harcèlement ; on observe ainsi que certaines personnes hésitent à saisir directement le déontologue et peuvent trouver plus facile de s'adresser d'abord à un fonctionnaire, mais c'est très variable.
En deuxième lieu, cette dualité garantit à mon sens une permanence de l'accès, car je ne suis présente à l'Assemblée nationale que trois jours par semaine pendant lesquels il peut m'arriver d'être en réunion. Pour sa part, la référente est présente toute la semaine. De fait, si l'une des deux n'est pas disponible, l'autre pourra toujours l'être pour accueillir une personne s'estimant victime et répondre ainsi aux situations d'urgence.
Enfin, la dualité permet de répartir la charge car il s'agit là d'une mission par nature très chronophage. Notre rôle est d'écoute et de conseil, ce qui nécessite du temps pour établir une relation de confiance.
On a beaucoup insisté sur votre rôle d'écoute des personnes harcelées qui ont, à l'évidence, un véritable besoin d'extérioriser leur souffrance. Dans votre rapport, madame la déontologue, vous écrivez que vous n'êtes pas favorable à ce que l'on vous confie des « pouvoirs d'enquête » car ces pouvoirs doivent, selon vous, appartenir à la seule institution judiciaire, avis que je partage. Mais, à défaut de véritables pouvoirs d'investigation, ne pouvez-vous entendre, bien entendu avec l'accord des collaborateurs qui viennent vous voir, les députés dont les agissements sont dénoncés afin de recevoir également leur réaction ?
Comme vous le soulignez vous-même, le code de déontologie des députés ne contient aucune disposition spécifique relative au harcèlement ou, plus généralement, à l'exercice de leur fonction d'employeur. Estimez-vous qu'il s'agisse d'un manque qu'il conviendrait de corriger ?
Une telle inscription dans le code vous permettrait aussi, en cas de manquement, de mettre en œuvre l'article 80-4 du Règlement de l'Assemblée nationale, qui vous donne la possibilité d'informer le Président de l'Assemblée d'un manquement au code de déontologie ; celui-ci peut ensuite saisir le Bureau, qui a la possibilité de prononcer des sanctions.
Effectivement, mon rôle est d'abord un rôle d'écoute, ce qui est primordial car c'est le premier pas vers l'accompagnement de la victime. Ce rôle est certainement utile puisque je reçois de nombreux remerciements de la part des personnes que j'ai entendues.
En fonction des éléments qui me sont indiqués, j'essaie d'orienter au mieux mes interlocuteurs. Mais je constate que ma fonction est aussi une fonction d'enregistrement car des personnes viennent me voir afin de consigner une situation pour l'avenir. Ceux qui font appel à moi ont parfois le sentiment d'être prisonniers de leur situation et ils ont alors conscience qu'il est nécessaire qu'ils aillent consulter un médecin ou un juriste. J'oriente enfin d'autres personnes vers les associations ou les syndicats de collaborateurs car il peut être utile d'échanger avec des gens qui ont connu des situations similaires.
Autre question que vous m'avez posée : devrais-je disposer d'un véritable pouvoir d'investigation et d'enquête ? Dans mon rapport, je considère que seule l'autorité judiciaire peut confirmer une qualification de harcèlement sexuel ou moral. En tout état de cause, je ne peux pas mener une enquête qui serait de même nature que celle que conduirait un officier de police judiciaire si la matérialité des faits était contestée. Je ne peux que me contenter des informations que me communique la personne qui vient me voir.
En revanche, lorsqu'un collaborateur de député s'adresse à moi, ce qui est le plus fréquemment le cas, je propose systématiquement de prendre contact avec le député concerné (c'est parfois le souhait de l'intéressé) et je m'assure naturellement de son consentement avant de m'adresser au député employeur.
J'ai également pu constater que mon rôle était parfois quelque peu instrumentalisé. Il arrive que des collaborateurs fassent appel à moi afin qu'une situation soit consignée, et mon intervention est alors utilisée comme moyen de pression dans une relation de travail qui est déjà conflictuelle et proche de sa fin.
Vous m'avez par ailleurs demandé si des dispositions ne manquaient pas au code de déontologie des députés. Cette question fait précisément l'objet de l'une des propositions de mon rapport : l'article 6 du code traite de l'exemplarité tout en renvoyant seulement aux autres obligations du code de déontologie. Il me semble que cette notion implique que le député ne harcèle pas son collaborateur, que ce soit sexuellement ou moralement. Si le champ de l'article 6 du code était élargi, en cas de manquement à ce devoir d'exemplarité, je pourrais recourir à l'article 80-4 du Règlement, c'est-à-dire informer le président de l'Assemblée nationale de la situation.
Quant à la mise en place d'une cellule composée de professionnels, vous semblez vous interroger, à la lecture de mon rapport, sur ma compétence pour exercer cette mission. L'Assemblée nationale a fait le choix d'impliquer le déontologue dans la lutte contre le harcèlement, parce qu'il s'agit d'une autorité indépendante. Certes, le déontologue est nommé par le Bureau, mais à la majorité qualifiée. Le déontologue n'est ni révocable, ni renouvelable, ce qui lui offre de fortes garanties d'indépendance. Ce choix s'explique aussi par le devoir d'exemplarité qui s'impose aux députés, et que je viens de mentionner. Il n'en demeure pas moins que la mission qui m'est confiée en matière de harcèlement est assez éloignée de mes autres fonctions. Souvent d'ailleurs, mes homologues étrangers s'en étonnent et trouvent étrange de confier ce type de mission au déontologue.
Ma formation de juriste me permet, dans un premier temps, d'expliciter la notion de harcèlement moral ou sexuel à ceux qui viennent me voir. Mais qualifier juridiquement le harcèlement et le prendre en charge implique une dimension médicale sur laquelle il m'est difficile de me prononcer et d'agir. Les situations de harcèlement et les situations conflictuelles avec l'employeur pouvant aussi révéler une fragilité psychologique, le regard d'un psychologue qui pourrait prendre la victime en charge me paraît également important.
De nombreuses questions de droit du travail se posent également. Je peux donner quelques conseils et apporter des éléments de réponse à ce sujet mais les questions sont parfois extrêmement techniques, notamment s'agissant de procédure de rupture de contrat de travail et de licenciement, et les réponses d'un spécialiste du droit du travail seraient parfois utiles. C'est pourquoi je propose la création d'une cellule composée de professionnels – psychologues, médecins, spécialistes du droit du travail – afin d'apporter un début de réponse et de proposer un accompagnement plus complet des victimes. Cela n'empêche pas que j'intervienne, en amont ou en aval, auprès des députés.
La question n'est donc pas tant celle de ma compétence que la nécessité de traiter le harcèlement dans sa globalité et de prendre véritablement ce sujet au sérieux. L'Assemblée nationale ne peut se contenter de confier à une ou deux personnes le traitement des cas de harcèlement.
Vous m'avez également interrogée sur la fréquence des consultations pour des cas de harcèlement. Comme indiqué dans mon rapport, je ne souhaite pas communiquer sur le nombre de saisines dont j'ai fait l'objet pour des cas de harcèlement, parce que ce chiffre n'est pas révélateur. Certaines situations m'échappent car des victimes ne viennent pas me voir, tandis que des collaborateurs viennent me voir en raison d'une relation de travail conflictuelle, ou parce qu'ils ont reçu une remarque négative d'un député, sans que l'on puisse véritablement parler de harcèlement. Par ailleurs, les collaborateurs en circonscription m'échappent. Ils peuvent m'appeler, certains le font, mais peu de collaborateurs en circonscription font la démarche de venir me voir.
Je peux néanmoins vous dire que Marianne Brun et moi sommes régulièrement saisies de ces questions, qui concernent très fréquemment des cas de harcèlement moral. Nous avons des rendez-vous physiques ou téléphoniques deux fois par mois en moyenne, une situation de harcèlement pouvant donner lieu à plusieurs rendez-vous au fil du temps : parfois, pour une même situation, je vais ainsi avoir deux, trois ou quatre rendez-vous. Il est donc difficile de donner un chiffre pertinent.
Quant à la crainte regardant la confidentialité, je rappelle systématiquement que c'est une obligation qui pèse sur moi. Ce qui est dit dans mon bureau n'en sort pas.
Mes questions ont été inspirées par les auditions précédentes et par les personnes que nous sommes amenées à rencontrer. Je me fais le porte‑parole d'autres qui ne sont pas ici aujourd'hui. Je vous remercie en tout cas de nous répondre aussi franchement que possible.
Ma première question portait sur le sujet que vous venez d'évoquer, madame la déontologue. Vous ne souhaitez pas évoquer un nombre de cas précis, tout en indiquant que vous avez à connaître de plus de cas de harcèlement moral que de harcèlement sexuel et que vous avez des rendez-vous à peu près deux fois par mois, parfois plus. Je comprends que vous ne souhaitez pas communiquer de chiffres précis pour ne pas courir le risque de manquer d'exhaustivité.
Vous avez beaucoup insisté sur votre rôle d'écoute en amont et vous venez de suggérer la mise en place d'une cellule plus spécialisée dans nos murs de l'Assemblée nationale. Comment orientez-vous les personnes vers des structures spécialisées dans la prévention des risques psychosociaux, vers la médecine du travail ou vers des psychologues ? À quel type de structures vous adressez-vous spécifiquement ?
Je souhaite revenir sur la diffusion la semaine dernière, par le collectif « Chair collaboratrice », d'une étude recensant les comportements sexistes et les cas de harcèlement. Ce collectif a formulé trois propositions principales : geler la clause de loyauté d'un collaborateur qui a dénoncé une situation de harcèlement, mettre en place une cellule d'écoute pluridisciplinaire et rendre possible la saisine du procureur de la République par cette cellule.
Je retire de vos propos que la deuxième proposition est en bonne voie. Sachez que plusieurs députés ont écrit au président de l'Assemblée pour lui dire que nous soutenions cette proposition. Que pensez-vous des deux autres propositions, à propos desquelles il ne me semble pas que vous ayez répondu ?
Le collectif « Chair collaboratrice » juge que l'environnement serait propice aux situations de harcèlement, notamment en raison de l'embauche directe par les députés, du travail de nuit, du fait que des bureaux font office de chambre.
La formation et la sensibilisation doivent être étendues à toutes les personnes présentes dans l'Assemblée, et particulièrement aux députés, afin de prendre également en charge les auteurs de ces comportements qui n'ont pas toujours conscience de ce qu'ils font. Il ne s'agit en rien d'excuser ces comportements, mais de lutter contre la récidive. Qu'envisagez-vous sur ces points ?
S'agissant de l'orientation des victimes, elle consiste, à ce stade, à conseiller à la personne qui vient me voir d'aller consulter un médecin si elle ne l'a pas déjà fait, de s'adresser à l'inspection du travail ou au service de la Gestion financière et sociale lorsque les problèmes relèvent de sa compétence. Je n'ai pas de liste de professionnels à communiquer aux victimes mais, s'il existait une cellule, je pourrais les orienter vers ces médecins. Il m'est arrivé de recommander le médecin de l'Assemblée, mais je constate que beaucoup de collaborateurs préfèrent consulter un médecin à l'extérieur.
Quant aux risques psychosociaux de manière plus générale, ma compétence se limite aux cas de harcèlement. Évidemment, la frontière entre le harcèlement et les risques psychosociaux n'est pas facile à établir mais il ne me revient pas de faire des propositions sur la prise en charge de l'ensemble des risques psychosociaux.
Nous avons à connaître de nombreux cas de harcèlement moral, qui posent notamment des problèmes au regard droit du travail. Nous pouvons chercher les éléments de réponse aux questions juridiques qui nous posées, et ces situations se concluent en général par des ruptures conventionnelles. Les personnes qui viennent nous voir ne cherchent pas forcément à lancer une procédure pour harcèlement ; tout dépend des situations.
Bien souvent, les personnes qui viennent nous voir ont déjà réalisé des démarches : elles sont déjà prises en charge par un médecin, et ont pris contact avec l'inspection du travail ou avec un avocat. Elles viennent alors pour s'assurer que les conseils qui leur ont été donnés sont bons, et pour être orientées.
Les cas de harcèlement moral sont en tout cas nettement plus fréquents que ceux de harcèlement sexuel, alors que le sondage dont vous avez fait état ne mentionne que le harcèlement sexuel.
Concernant la clause de loyauté, il me semble que si une personne est victime de harcèlement dans son travail, cette clause prend immédiatement fin.
Quant à la proposition d'octroyer un pouvoir de saisine du procureur de la République à la cellule qui serait mise en place, mon expérience démontre que la majorité des personnes qui viennent me voir ne souhaitent pas que j'en parle au député. Lorsque je propose de le faire, la réponse est souvent négative, et il en va de même si nous envisageons des suites judiciaires. Il me semble extrêmement délicat de saisir le procureur de la République ou une autre autorité si la victime ne le souhaite pas.
S'agissant de l'environnement de travail, je ne peux qu'aller dans votre sens : les conditions de travail, les bureaux-chambres, le travail de nuit, et la nature intuitu personae du contrat de travail entre le député et son collaborateur favorisent les situations de harcèlement. Il appartient effectivement à l'Assemblée nationale de chercher les solutions pour y répondre, mais le sujet est beaucoup plus vaste : c'est l'ensemble du travail des députés qui est concerné.
En matière de lutte contre la récidive, les formations, l'attention portée au sujet et les actions de sensibilisation peuvent aider un député à prendre conscience qu'un comportement qu'il pensait anodin peut être ressenti comme du harcèlement. C'est aussi la raison pour laquelle nous proposons d'élaborer des guides comportementaux, donnant des exemples de situations à éviter dans les relations entre le député et son collaborateur.
À différentes reprises lors des auditions, le renfort d'un profil médical à la cellule constituée du référent et du déontologue a été envisagé. Une forme de consensus se dégage sur le sujet. L'opportunité du renfort d'un juriste expert en droit du travail est encore à étudier. Que pensez-vous de la suggestion d'y adjoindre un représentant des collaborateurs ?
Quel est votre avis sur l'externalisation du dispositif ? On nous a dit que certains collaborateurs ne souhaitent pas rencontrer la référente ou la déontologue car ce sont des personnes internes à l'Assemblée et qu'ils craignent, qu'à ce titre, elles soutiennent systématiquement le député face à l'assistant. Je ne fais que rapporter des propos ou des craintes, je ne les fais naturellement pas miennes. Pensez-vous que la lutte contre le harcèlement à l'Assemblée serait plus efficace si elle était confiée à une autorité certes indépendante, mais surtout extérieure, ne serait-ce que géographiquement parlant, à l'Assemblée ?
Enfin, nous avons beaucoup évoqué les collaborateurs, mais pouvez-vous nous dire si vous avez également été saisis de faits de harcèlement par d'autres catégories de personnes : fonctionnaires, personnels contractuels, voire députés car les gestes et attitudes sexistes n'ont malheureusement pas disparu dans les couloirs de l'Assemblée ?
Aux collaborateurs qui pensent – à tort – que je prendrai systématiquement le parti des députés, je veux rappeler que je suis une autorité dont l'indépendance est garantie. Je n'ai pas de raison de prendre particulièrement la défense des députés, avec lesquels j'entretiens des relations à d'autres sujets mais dont je contrôle aussi l'utilisation des frais de mandat. Les personnes qui sont venues me voir, vu mon comportement et les réponses que j'ai pu apporter, ne peuvent pas dire que j'ai pris systématiquement le parti des députés.
S'agissant de mettre en place une autorité extérieure à l'Assemblée, rappelons que nos bureaux ne sont ni au 101, ni au 126 rue de l'Université, mais un peu excentrés, précisément pour permettre aux personnes qui souhaitent me rencontrer de venir le faire en toute discrétion. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'une autre autorité indépendante, disposant de plus de moyens que moi, soit spécifiquement chargée des questions de harcèlement et plus globalement des questions de souffrance au travail et des risques psychosociaux.
La présence de représentants des collaborateurs est prévue dans la cellule mise en place au Sénat, mais celle-ci ne s'occupe que des cas de harcèlement dont sont victimes les collaborateurs. À ce jour, ma mission concerne tous les cas de harcèlement à l'Assemblée nationale, donc également les fonctionnaires dans leur relation avec la hiérarchie, ou les situations dans lesquelles les fonctionnaires sont eux-mêmes les harceleurs. Le harcèlement peut également exister entre députés ; je n'ai pas encore eu à connaître de telle situation mais je sais que c'est déjà arrivé. Il faudrait donc que la cellule incorpore des représentants de toutes les catégories de personnel. Et pour répondre directement à votre question, j'ai effectivement été saisie directement par des fonctionnaires.
Sans envisager une autre institution, si vos services étaient plus étoffés, est-ce qu'une implantation un peu plus éloignée de l'Assemblée pourrait favoriser les contacts ?
Rien n'empêche de nous installer hors des locaux de l'Assemblée, il faut simplement que nous soyons facilement accessibles. Des collaborateurs viennent parfois me voir entre deux rendez-vous ou lorsque le député participe à la séance des questions au Gouvernement. Il faut vraiment que nous restions en tout état de cause à proximité de l'Assemblée.
Pour vous rapporter mon expérience personnelle, je siège à l'Assemblée depuis douze ans, et c'est seulement l'année dernière que j'ai noté que vous étiez rue Saint Dominique, en me rendant aux réunions de la commission des affaires étrangères.
La réunion s'achève à quatorze heures vingt.
Membres présents ou excusés
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'Assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires
Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 13 h 30
Présents. – M. Régis Juanico, M. Michel Larive, Mme Jacqueline Maquet, Mme Claire Pitollat
Excusée. – Mme Jeanine Dubié