Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 9h00
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports :

Après le quasi-arrêt des vols domestiques, l'évolution du transport aérien dépendra de la capacité de sécuriser le protocole sanitaire, lequel ne sera, selon moi, suffisamment robuste que lorsqu'on aura découvert un traitement ou un vaccin. À cet égard, la communication autour des onze vaccins dons les essais cliniques sur l'homme sont en cours est regardée prudemment mais positivement par le secteur des transports. Le premier trimestre de 2021 sera également un moment de vérité pour les transports en commun – j'y reviendrai.

S'agissant des trains de nuit, nous projetons de rouvrir la « Palombe bleue » afin d'assurer la liaison Paris-Tarbes via Toulouse et de desservir Pau et Hendaye en saison. Nous avons observé attentivement ce qui se fait en Europe, notamment en Autriche, où le modèle économique, qui repose parfois sur trois classes, vise à la fois des clientèles à haute contribution désireuses de voyager différemment et des petits budgets, notamment les jeunes. Nous attendons un rapport à ce sujet. Dans le même temps, nous agissons pour la rénovation des rames et engageons des discussions avec nos partenaires européens et avec notre homologue russe, afin de mutualiser des acquisitions ou opérations de trains, ressources rares en Europe.

Nous appréhendons la situation au jour le jour : même les périodes de confinement ne se ressemblent pas puisque certaines activités, arrêtées lors du confinement strict, sont actuellement maintenues. Cependant, nous observons qu'environ 30 % des habitués des transports en commun ont cessé de les emprunter parce qu'ils télétravaillent, parce qu'ils utilisent d'autres modes de déplacement – la marche et le vélo dans les grandes aires urbaines – ou parce qu'ils préfèrent se « réfugier » dans leur voiture, considérée comme un havre de paix.

Quand un traitement ou un vaccin sera disponible, nous pourrons mesurer l'effet réel et durable du télétravail et celui d'une éventuelle « démétropolisation » puisque, pour la première fois depuis de nombreuses décennies, on observe une augmentation du prix de l'immobilier dans la grande couronne. Les modèles étant remis en question, je peine à me faire une doctrine sur le sujet, mais je ne crois pas que la recomposition actuelle remette en cause les travaux du Grand Paris. Ceux de la ligne 15 et de la ligne 16 notamment, qui contribuent à la revitalisation de certains territoires et à la réduction des inégalités territoriales, conservent toute leur pertinence. Mais le modèle économique des transports en commun connaîtra un moment de vérité. Afin de nous éclairer sur ce point, je vais confier une mission à Philippe Duron, afin qu'il appréhende plus finement le sujet et nous fasse éventuellement des propositions sur le financement à long terme des transports en commun, dont nous aurons à débattre ultérieurement. Dans l'immédiat, les investissements ne sont pas remis en cause – nous en accélérons même certains dans le cadre du plan de relance –, mais il faut être intellectuellement prêt à appréhender, le cas échéant, la mutation des modèles et à nous y adapter.

La question des bornes électriques est un peu celle de la poule et de l'œuf : faut-il d'abord développer les véhicules ou commencer par assurer l'équipement de notre pays en bornes ? Il faut faire les deux, comme nous avons essayé de le faire, en nous appuyant sur la crise. Le plan de rebond du secteur de l'automobile a en effet été un succès, marqué par une importante augmentation de l'achat de véhicules plus propres, en particulier électriques. Et nous avons le projet de porter le nombre de bornes de 36 000 à 100 000 en 2021. Le ministère des transports fait porter l'effort sur les grands réseaux routiers concédés et non concédés. La réflexion se poursuit en ce qui concerne l'habitat collectif, le domicile et le lieu de travail. Des dispositifs transversaux tels que la prise en charge à hauteur de 75 % du coût de raccordement donnent une dynamique et une visibilité aux acteurs de la filière, notamment les énergéticiens. Nous menons par ailleurs une action résolue sur la rénovation des bornes existantes afin d'augmenter les puissances disponibles.

En matière de transport fluvial et de transport maritime, je souscris, madame Michel, à ce qui a été dit concernant l'association des élus. Nous vous transmettrons toutes les informations dont nous disposons et celles que nous avons demandées à VNF. L'effort porte sur les canaux et les ports fluviaux. Quant aux ports maritimes, au-delà de ce qui a été dit sur le CFAL Sud – pour lequel a été créé un comité de pilotage placé sous l'égide du préfet et qui renvoie à des investissements de la décennie précédente ainsi qu'à la priorisation des travaux pour la desserte Lyon-Turin –, ils comportent des enjeux de souveraineté, puisqu'ils sont soumis à la concurrence internationale et que les terminaux sont parfois exploités par des opérateurs extra-européens. Par ailleurs, un grand nombre de projets industriels relatifs à l'hydrogène se fixent dans des emprises portuaires, et c'est très bien ainsi : c'est une opportunité pour renforcer l'attractivité des territoires. Par ailleurs, le lien avec le ferroviaire est insuffisamment exploité ; l'enjeu de l'engagement massif du plan de relance en faveur de ce secteur réside dans la mise en œuvre d'interactions, mouvement auquel participent les autoroutes ferroviaires citées précédemment.

Madame Kamowski, la liaison Lyon-Turin bénéficie de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Le chantier avance bien. Sur le plan géopolitique, le projet est stabilisé – je le dis eu égard aux paroles qui ont pu être prononcées par nos amis italiens lorsque la précédente coalition était au pouvoir. Les accès sont la principale question de la future décennie ; elle est pilotée localement par le préfet. Quant à la desserte Lyon-Grenoble, vous avez raison de dire que la voie est saturée. La désaturation du nœud ferroviaire lyonnais est à l'étude et des investissements ont été programmés en priorité pour la ligne Saint-Fons-Grenay – nous pourrons vous fournir toutes les informations.

Monsieur le président, je vous remercie de l'action que vous avez menée dans le cadre des PLFR3 et PLRF4. Nous nous sommes en effet inspirés de vos travaux pour concevoir la partie relative aux compensations et celle consacrée aux avances remboursables, en nous efforçant, au fil du temps, de corriger certaines imperfections. S'agissant du modèle économique des transports en commun, j'ai évoqué la mission confiée à Philippe Duron.

Le secteur aéronautique est largement piloté par notre ministère, puisque nous gérons les crédits du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) consacrés à l'avion du futur. Nous avons ainsi mobilisé 1,5 milliard d'euros pour dynamiser la recherche en matière d'avion hybride et, demain, d'avion à hydrogène. J'ai présidé hier la réunion des ministres des transports rassemblant les quatre pays européens représentés au capital d'Airbus : la Grande-Bretagne, l'Espagne, la France et l'Allemagne. D'évidence, leur alignement politique et le très fort investissement croisé entre ces pays et l'Europe assurent un « ruissellement » vers la filière de sous-traitance de niveaux 2 et 3 et la préservation des compétences rares de ce secteur, souvent imbriquées avec celles requises dans le domaine de la défense. Le contexte politique, la grande motivation et la mobilisation des acteurs politiques et industriels me permettent d'espérer que, passé le moment le plus dur de la crise, nous serons en mesure de rebondir fortement.

Concernant le tronçon de la RN 124 Toulouse-Auch, nous avons bouclé, dans le cadre du plan de relance, le financement de la déviation de Gimont. Sous l'égide du préfet, nous aurons des discussions sur la liaison Gimont-L'Isle-Jourdain en vue du démarrage des travaux dès le début de 2023. Mais votre question renvoie plus largement, vous l'avez dit, à une réflexion sur l'avancée par petits pas et sur la manière dont on pourrait mieux solliciter structurellement la filière.

Après avoir échangé récemment avec des acteurs des travaux publics, je vais vous livrer ma conviction, qui n'est pas encore un projet politique – nous pourrons y travailler ensemble si vous le souhaitez. Depuis le début du quinquennat, nous avons réussi à traiter des thématiques telles que le sous-investissement ou la transition industrielle et écologique, mais nous n'avons pas assez fait pour les travaux publics, question éminemment territoriale. Je proposerai donc aux acteurs de ce secteur de réfléchir à quatre grands sujets.

Les deux premiers sont, d'une part, la formation et l'attractivité et, d'autre part, la technologie applicable aux travaux routiers. Alors que nous développons des procédés prometteurs à même de maintenir une forme d'excellence, nous sommes un peu en recul par rapport à 2012 : nous étions alors les premiers dans ce domaine. Il faut donc relancer une dynamique politique concernant la technologique, facteur d'influence et de rayonnement.

Troisième sujet clé : la conciliation de la performance environnementale et de la réduction des délais. Aujourd'hui, pour n'importe quel projet de grande infrastructure, les délais de décision et de mise en œuvre sont de sept à dix ans, ce qui est beaucoup trop long. Le projet finit par être déconnecté du moment politique de la décision. Ainsi, il arrive que des projets, parfois financés et qui faisaient consensus, ne soient plus adaptés aux besoins et créent des dissensus politiques locaux.

Le dernier sujet, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion de la loi « 3D », est celui de l'exploitation des réseaux, qui sont tous plus ou moins duaux. Je pense, par exemple, dans le domaine ferroviaire, au couple ligne à grande vitesse et réseau secondaire. En l'espèce, le problème est en partie résolu par le contrat conclu avec les régions sur les petites lignes ferroviaires. Mais se posera à moyen terme la question de la dualité du réseau routier. Des contrats de concession arrivent en effet à échéance entre 2032 et 2036 et, s'agissant du réseau routier non concédé, nous devons mener une réflexion sur la réconciliation des grands réseaux – en envisageant éventuellement des concessions multimodales entre le routier et le ferroviaire – et sur les processus d'exploitation, de délégation, en lien avec les régions et les départements.

Ce secteur, qui n'a pas été traité depuis le début de ce quinquennat, doit fait l'objet, me semble-t-il, d'un travail politique plus précis, en lien avec les acteurs de la fédération nationale des travaux publics. C'est ce que je leur proposerai au printemps prochain, en vue, le cas échéant, d'engager les réformes politiques nécessaires.

Enfin, monsieur le président, je réponds à votre dernière question sur l'action des collectivités. J'ai évoqué la vocation différenciée des aéroports. La crise mettra en lumière la nécessité, pour ajuster les modèles, d'agir en complémentarité, à la limite des frontières interrégionales ou, au contraire, de différencier la vocation des aéroports pour en spécialiser certains dans le fret, d'autres dans l'activité touristique, d'autres encore dans les activités de hub. Une telle action préserverait l'unité des territoires au sens large et renforcerait le modèle économique de chacun des aéroports régionaux. Par ailleurs, se pose la question de la compétence mobilité, pour laquelle une dynamique reste à trouver afin d'exploiter pleinement la LOM.

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