Intervention de Bruno Lina

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 17h15
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI) :

Je compléterai la réponse de Mme Florence Ader sur le syndrome de Kawasaki. Comme elle vous l'a expliqué, il y a un lien potentiel avec d'autres infections virales – la question se pose régulièrement. On ne comprend pas très bien la mécanique, mais on sait que le coronavirus est capable de déclencher des lésions au niveau des vaisseaux sanguins, lésions dont une part pourrait être impliquée dans le syndrome de Kawasaki.

Nous restons néanmoins prudents. Une réunion téléphonique des pédiatres européens s'est tenue hier soir ; j'ai pu consulter son compte rendu. Certains pays – le Royaume-Uni, la France – ont identifié des cas. D'autres, comme l'Allemagne, n'en recensent aucun ou n'ont pas de signaux d'alerte. Globalement, ceux-ci restent donc faibles. En outre, l'impact est difficile à estimer : dans l'un des groupes investigués, seuls 30 % des patients présentant cette pathologie ont été testés positifs au coronavirus ; certaines présentations sont un peu hétérogènes. En outre, le signal est très récent – il a émergé il y a deux jours et demi. Son évolution va évidemment être surveillée de très près.

Cet élément doit-il entraîner des conséquences sur la réouverture annoncée des écoles ? Nous nous appuyons désormais sur des données de terrain, recueillies à partir d'enquêtes conduites dans l'Oise ou à l'étranger. Nous savons aujourd'hui que les enfants âgés de un an à un peu moins de dix ans transmettent très faiblement le virus. L'incidence des formes cliniques chez ces patients est très faible : aucun enfant de un à cinq ans n'a été hospitalisé dans un établissement des Hospices civils de Lyon. Autrement dit, cette tranche d'âge est peu touchée ou diffuse peu le virus. On sait aussi que, lorsqu'un enfant est infecté, il est assez rare qu'il transmette le virus à ses frères et sœurs. L'une des raisons pour laquelle cette transmission est faible pourrait être le fait que l'un des récepteurs utilisés par le virus, l'ACE2, est présent sur peu de cellules des enfants – cela vient ultérieurement avec la maturation pulmonaire. En l'absence de récepteurs, il ne peut y avoir d'infection.

Ce signal faible sur le syndrome de Kawasaki n'est pas suffisant pour remettre en cause la décision de réouverture des écoles qui a été prise.

J'en viens à l'immunité. Ce que l'on sait aujourd'hui, c'est que les personnes qui ont été infectées développent des anticorps. C'est la qualité et la durée de ces anticorps que nous ne savons pas estimer. Quand vous guérissez d'une infection, c'est bien parce que votre système immunitaire a été capable de prendre le dessus. Pour faire simple, le système immunitaire a deux composantes : l'immunité cellulaire – les lymphocytes T cytotoxiques – et l'immunité humorale – les anticorps. Puisque la plupart des gens guérissent, c'est qu'il y a une immunité qui finit par éliminer le virus. Certaines infections durent longtemps. On peut détecter la présence du virus jusqu'à cinq semaines chez certaines personnes, notamment dans les formes graves. Par conséquent, il y a peut-être un lien entre la qualité des anticorps produits et la rapidité de l'élimination du virus. On peut donc imaginer que les réponses immunitaires qui arrivent à protéger l'organisme, à éliminer un virus, ne sont pas suffisamment fortes pour empêcher une réinfection, notamment si la quantité d'anticorps dans le sang baisse au fil du temps.

Le virus ayant émergé il y a cinq mois, nous ne pouvons pas juger de la durée de la protection au-delà de cinq mois. Compte tenu de ces incertitudes, nous restons prudents, d'autant que nous savons que, pour d'autres virus respiratoires, l'immunité ne va pas au-delà d'un an – c'est notamment le cas du virus respiratoire syncytial, responsable de la bronchiolite du nourrisson. Nous devons donc apprendre à mieux connaître la réponse immunitaire pour disposer de données brutes et solides concernant la protection après une infection.

J'en viens aux tests sérologiques pratiqués en combinaison avec les tests diagnostiques. C'est probablement ce qu'il faut faire. La difficulté vient de ce que le test Biosynex n'avait pas été évalué ; nous ne connaissions pas ses valeurs. Nous préférons être prudents pour ne pas risquer d'interpréter faussement des valeurs. Cela n'enlève rien à la qualité de ce test. Il fait maintenant partie de ceux qui ont été évalués, et nous pourrons sans doute vous donner les résultats assez rapidement. Avec les tests les plus sensibles, la détection des anticorps n'est possible qu'à compter du sixième, septième, voire huitième jour après le début de l'infection. Si vous intervenez pour un diagnostic et que vous ne faites que des tests sérologiques, vous allez rater beaucoup de personnes qui viennent d'être infectées…

Comme dans le cas des EHPAD ou des établissements médicosociaux où le virus a déjà circulé, il peut en revanche y avoir un certain nombre de personnes qui ont développé des formes asymptomatiques et sont protégées par des anticorps. Lors d'une deuxième intervention liée à une deuxième épidémie, on pourrait donc parfaitement imaginer de combiner des tests de détection du virus par PCR et un bilan sérologique sur certaines personnes qui disent avoir eu des symptômes, pour savoir s'ils ont ou non une immunité – mais cela pose de nouveau la question de la qualité des anticorps détectés.

Vous nous interrogez sur l'opportunité de réaliser des tests en pharmacie. Comme je l'ai déjà dit, la lecture de ces tests rapides n'est pas aisée. On pourrait certes apprendre aux pharmaciens à les lire, mais il ne faudrait pas que la détermination d'une immunité à l'aide de ces tests conduise certains à penser qu'ils n'ont plus rien à craindre. Ils risquent en effet d'adopter des comportements inadaptés en termes d'immunité collective. Or, même si une personne ne risque plus d'être infectée, elle peut infecter les autres, ne serait-ce que parce qu'elle porte le virus sur ses mains ou se réinfecte et le transfère par les voies aériennes, même en l'absence de symptômes.

Les tests sérologiques ne peuvent être un signal permettant de dire à certains : « Vous ne risquez plus rien. Vous ne participez plus à la défense collective qu'il est nécessaire de mettre en place. » Bref, un usage trop large et sans contrôle risque d'avoir un effet délétère sur la gestion actuelle de l'épidémie. Quand l'immunité collective sera beaucoup plus importante et que le danger de circulation et de nouvelle circulation du virus aura diminué, la question pourra se poser ; mais il y a un vrai problème de temporalité par rapport à l'utilisation de ces tests.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.