Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mercredi 29 avril 2020 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus Covid-19

La séance est ouverte dix-sept heures quinze.

Présidence de M. Gilles Le Gendre, vice-président de la mission d'information

Table ronde réunissant, par visioconférence, Mme Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE), M. Bruno Lina, virologue et professeur au CHU de Lyon, chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI), Mme Florence Ader , infectiologue au CHU de Lyon et au CIRI, et M. Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur.

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Nous accueillons quatre grands chercheurs que je remercie d'être avec nous en visioconférence.

Madame Françoise Barré-Sinoussi, vous êtes professeur de médecine, chercheuse en virologie, récipiendaire en 2018 du prix Nobel de physiologie pour vos travaux sur le VIH et présidente du CARE, le comité analyse, recherche et expertise, créé par le Président de la République le 24 mars 2020 pour conseiller le Gouvernement dans la stratégie de lutte contre le Covid-19 aux côtés du conseil scientifique Covid-19. Vous détaillerez peut-être les missions et les apports du CARE.

Monsieur Bruno Lina, vous êtes virologue et professeur au CHU de Lyon, chef de l'équipe « VirPath-grippe, de l'émergence au contrôle » au centre international de recherche en infectiologie (CIRI), et membre du conseil scientifique Covid-19, créé au début du mois de mars 2020 à la demande du Président de la République et dont nous avons récemment reçu le président, le professeur Jean-François Delfraissy.

Madame Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au CIRI, vous pilotez, depuis l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, l'essai clinique Discovery, conduit dans huit pays dans le cadre du consortium REACTing afin de trouver un traitement antiviral efficace pour lutter contre le Covid-19.

Monsieur Christophe d'Enfert, vous êtes le directeur scientifique de l'institut Pasteur, où vous êtes également professeur et directeur de l'unité de biologie et pathogénicité fongiques.

Je partirai du constat, exposé lors de l'audition de Mme Frédérique Vidal en début d'après-midi, de l'extraordinaire rapidité des recherches, des travaux et, dans une certaine mesure, des découvertes sur le Covid-19. Cette rapidité est à la hauteur des attentes de nos concitoyens et des habitants du monde entier sur la découverte d'un remède ou d'un vaccin, qui permettrait de changer radicalement les perspectives. Cependant, une vaste terra incognita subsiste sur des sujets scientifiques, comme la distinction des contaminations chez les hommes, les femmes et les enfants, l'immunité acquise ou non par les malades guéris, ou encore la question, ô combien sensible, de l'immunité collective.

L'espérance, encore lointaine, de la mise au point d'un vaccin, les questionnements sur les bénéfices de tel ou tel traitement et sur les tests, et les annonces quotidiennes de nouvelles publications sur la maladie, qui ne sont pas forcément faciles à comprendre pour les novices que nous sommes, suscitent de l'espoir mais également une inquiétude que nous, responsables politiques, devons appréhender et gérer. Il est rare que des recherches, habituellement partagées par la communauté scientifique, présentent des enjeux aussi cruciaux et perceptibles, à un horizon aussi immédiat, pour l'ensemble de nos concitoyens.

Pour y répondre, les scientifiques du monde entier sont mobilisés, avec une intensité et une réactivité inédites qu'il faut saluer et dont vous êtes tous les quatre l'illustration. La recherche française, depuis longtemps en pointe en virologie et en infectiologie, prend toute sa part à cette mobilisation : une trentaine d'essais thérapeutiques ont été lancés en France, des projets sont conduits en matière de recherche vaccinale mais aussi dans d'autres domaines comme l'épidémiologie, la recherche fondamentale et les sciences humaines et sociales, également retenues dans le cadre du réseau REACTing, coordonné par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Nous souhaitons faire avec vous le premier bilan de l'état des savoirs et bénéficier de votre éclairage scientifique sur les enjeux de vos recherches et sur ce que nous pouvons en attendre.

Notre mission d'information est, dans sa phase actuelle, une mission de contrôle de l'action du Gouvernement dans tous les aspects de cette crise sanitaire, y compris ses dimensions économiques et sociales qui vous concernent moins directement. Toutes vos réponses enrichiront nos connaissances médicales et sanitaires, mais nous comptons également sur vous pour nous donner des éléments qui nous permettront d'exercer cette mission de contrôle politique, d'éclairer notre jugement et d'identifier les points sensibles et les éventuelles vulnérabilités, à l'aune des connaissances scientifiques mais aussi dans l'optique du décideur politique que nous représentons, d'un côté, et que nous contrôlons, de l'autre.

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

Le rôle du comité analyse, recherche et expertise, que je préside, est d'éclairer les pouvoirs publics sur les grandes priorités scientifiques, technologiques et thérapeutiques sur lesquelles il faut se concentrer de façon urgente.

Nos activités sont de trois ordres. Tout d'abord, nous donnons des avis au ministre des solidarités et de la santé sur des propositions soumises directement au ministère, sans passer par la procédure d'appel d'offres. Dans ces avis, nous tentons d'identifier les solutions innovantes pouvant apporter des réponses rapides à l'épidémie de Covid-19. À titre d'exemple, nous sommes en train d'analyser plus de 300 fiches afin de donner un avis sur chacune d'elles. Ces fiches nous permettent d'orienter des projets vers le consortium REACTing ou de coordonner des projets similaires pour les renforcer. Il s'agit d'une sorte de veille scientifique. Nous pouvons également orienter des études vers des appels à projets ou recommander un financement immédiat pour le lancement d'un projet.

Notre deuxième activité est d'informer et d'alerter les ministres, sous la forme de notes flash, sur des sujets pertinents pour trouver une réponse rapide à l'épidémie.

Enfin, nous émettons des propositions et des recommandations sur des recherches innovantes. Nous centrons toutes nos activités sur les tests, les traitements, le développement d'un vaccin, le numérique et l'intelligence artificielle.

Nous avons produit une dizaine de fiches que nous avons transmises aux ministres. Nous poursuivons nos réflexions, souvent pour répondre à une saisine de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, ou pour étudier des sujets qui nous paraissent importants pour la stratégie de sortie du confinement.

Le CARE est composé de douze membres. La nomination d'une bonne partie d'entre eux a été suggérée par leur organisme de recherche ; d'autres sont des experts qui complètent les compétences présentes dans le comité. Nous comptons des cliniciens-chercheurs et des experts dans les domaines du diagnostic, de l'intelligence artificielle, de la virologie et des sciences humaines et sociales. Nous essayons d'être le plus complémentaires possible du conseil scientifique Covid-19, dont le rôle consiste plutôt à accompagner les autorités dans la stratégie de santé publique. Notre comité a d'ailleurs la chance d'avoir deux membres qui siègent également dans le conseil scientifique, ce qui facilite la coordination de l'action des deux instances. Je suis en contact presque quotidien avec le président Jean-François Delfraissy, et nous avons commencé à tenir des réunions communes.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

L'institut Pasteur s'est mobilisé dès le mois de janvier, par le biais de son centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires et de la cellule d'intervention biologique d'urgence, en mettant au point un test diagnostic, RT-PCR (transcription inverse-réaction de polymérisation en chaîne), qui a servi à diagnostiquer les premiers patients hospitalisés et soupçonnés d'avoir développé un Covid-19. Le CNR a rapidement isolé le virus à partir de prélèvements effectués sur des patients et il a séquencé le génome du virus.

Une task force sur le coronavirus s'est également déployée, dans l'objectif de mettre autour de la même table les chercheurs spécialistes en virologie et vaccinologie ainsi que l'ensemble des services support de l'institut Pasteur, de façon à coordonner au mieux le développement de projets de recherche et à mettre à la disposition des chercheurs les ressources nécessaires au développement de ces projets. Cela nous a permis de lancer rapidement un grand nombre de projets, visant à développer des outils de diagnostic et de sérologie utiles aux travaux de recherche épidémiologique et de modélisation, comme celui de l'équipe de Simon Cauchemez, qui évalue le niveau d'attaque du virus dans la population française. Le travail de l'équipe d'Arnaud Fontanet et du professeur Bruno Hoen sur la séroprévalence dans le cluster de l'Oise fournit des éléments sur la circulation du virus dans l'un des premiers foyers épidémiques.

Certaines de nos équipes sont impliquées dans l'étude de la pathogenèse du virus et tentent d'identifier ses failles, afin d'élaborer des stratégies thérapeutiques par l'identification de petites molécules qui pourraient cibler le virus ou par le développement d'anticorps monoclonaux qui pourraient empêcher l'entrée du virus dans les cellules qu'il cible.

Nous étudions également les candidats vaccins, avec des développements utilisant comme plateforme vaccinale soit le vaccin contre la rougeole, soit des lentivirus. Ces projets avancent bien. Les préparations vaccinales de recherche ont été développées. Elles donnent des résultats a priori satisfaisants dans des modèles animaux. Il est envisageable de démarrer des études cliniques dans les semaines ou les mois à venir.

Ces recherches ont été permises par des financements nationaux et le soutien de REACTing, de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), par des financements européens et internationaux, comme ceux de la CEPI ( Coalition for Epidemic Preparedness Innovations ), mais aussi grâce à la générosité publique. Tout cela concourt à la flexibilité de l'institut Pasteur. Enfin, le réseau international des instituts Pasteur offre la possibilité de développer des recherches internationales sur cette épidémie.

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Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Infectiologue de terrain et clinicienne, je représente en quelque sorte le maillon entre les patients et la recherche scientifique.

La mobilisation médicale et institutionnelle sans précédent qui s'est déployée autour du Covid-19 marque un tournant. Nous le sentons très nettement sur le terrain. Nous avons été frappés par une pandémie qui touche absolument tout le monde et non pas une certaine catégorie de la population. Ce fait change totalement la façon dont nos structures gèrent collectivement le problème. Il a fallu se mobiliser presque en temps réel, à tous les niveaux et dans toutes les structures. Des réseaux se sont efficacement tissés entre les structures. Il faudra dresser un premier bilan qui mettra en valeur toutes les merveilleuses possibilités qui existent en France pour articuler un réseau de soins, un maillage hospitalier et des structures de recherche extrêmement performantes. Sur cette base, nous pourrons faire face à d'autres vagues du même virus ou à d'autres périls infectieux émergents. C'est ce que nous ressentons sur le terrain. Nous avons bâti quelque chose et avons passé un crash test : nous avons été très performants sur certains points, et il sera important de capitaliser sur cette expérience.

La recherche médicale est une force de la France, de même que son maillage territorial médical et ses ressources hospitalières, qui sont assez vaillantes. J'y ajoute les ressources institutionnelles de recherche ; ceux qui y travaillent sont bien plus qualifiés que moi pour en parler, car je n'en suis qu'un soldat.

Le message que je souhaite transmettre – et sur lequel je souhaite débattre – est le suivant : le crash test est réussi, mais nous pouvons mieux faire. Comment faire mieux en valorisant les forces de notre système, dont les productions de niveau international révèlent la qualité ?

S'agissant du détail du programme Discovery, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

J'ai l'honneur d'être membre du conseil scientifique Covid-19, qui se réunit chaque jour pendant deux ou trois heures pour aborder divers sujets et produire des avis destinés à éclairer le pouvoir exécutif.

En outre, je suis en relation suivie avec plusieurs membres du CARE au sujet notamment des outils de diagnostic et de surveillance virologique. Je dialogue assez fréquemment avec certains membres du groupe de M. Jean Castex, notamment MM. Didier Roussin et Benoît Vallet, au sujet de la mise en place des outils de diagnostic et des plateformes PCR, qui sont en cours de déploiement en France.

Il s'agit d'un enjeu essentiel de logistique et de diagnostic, car leur installation n'est pas simple. Nous devons relever le défi de parvenir à être rapidement opérationnel, afin de rendre le service attendu. De nombreux acteurs travaillent simultanément au développement de ces outils et à leur mise en place. Obtenir le maillage territorial que nous souhaitons pour tous les citoyens présente un degré de complexité assez élevé.

Je suis également coresponsable du centre national de référence des virus des infections respiratoires. Nous avons participé au développement et surtout à l'évaluation des divers outils de diagnostic. Les membres de mon équipe travaillent d'arrache-pied pour procéder à l'évaluation des tests PCR et des tests sérologiques, conjointement avec l'institut Pasteur.

La quantité de travail est astronomique. Nul n'imagine le nombre de kits qu'il faut tester et évaluer, la difficulté que cela représente et la pression qui s'exerce sur nous. Nous savons que ces outils sont particulièrement importants et très attendus et il ne faut pas se tromper : certains ne sont pas bons du tout, d'autres sont de qualité acceptable, voire bonne.

Par ailleurs, en raison de mes activités hospitalières, j'ai de très nombreux contacts avec les autres laboratoires de diagnostic hospitaliers, pour les accompagner dans le développement des outils. Pendant toute une période, la disponibilité des tests de diagnostic était soumise à une pression très forte, en raison d'une demande européenne et internationale gigantesque dans un contexte où la ressource avait été pour ainsi dire consommée par les pays asiatiques, de sorte que, même lorsque nous voulions monter en puissance, nous n'y parvenions pas faute de pouvoir sécuriser l'approvisionnement des laboratoires. Au mois de mars et au début du mois d'avril, de très nombreux laboratoires en France avaient une visibilité de deux à trois jours en matière de réactifs. Cette situation est résorbée, après avoir été très tendue, avec très peu de volant de souplesse.

En complément, nous développons et coordonnons des activités de recherche au sein du centre international de recherche en infectiologie, dont certaines des vingt-trois équipes se mobilisent au sujet du Covid-19, souvent en lien avec les hospices civils de Lyon, car nous sommes dans un temps de recherche très orienté vers la clinique, beaucoup plus que vers la recherche fondamentale. Des partenariats très forts s'établissent entre des équipes de virologie, d'immunologie humaine et de bactériologie pour tenter de comprendre les mécanismes du virus.

Nous avons obtenu quelques résultats décisifs, notamment sur le défaut de régulation du système immunitaire lorsque l'on développe une infection, ainsi que sur les phénomènes de cascade de cytokine et d'absence de contrôle de l'inflammation que l'on observe chez certains patients développant des formes graves de la maladie. Un article a été récemment publié à ce sujet.

Ainsi, notre activité de recherche couvre un champ très large, allant des sciences humaines et sociales à des dispositifs assez innovants, permettant d'avoir des diagnostics rapides – quinze secondes – sur de l'air expiré. Il y a là une véritable richesse. Je souscris à ce que disait tout à l'heure Florence Ader : la ressource humaine que constituent les chercheurs français, ainsi que leur inventivité, doit véritablement être exploitée. Notre créativité scientifique est très forte. Nous aimons à dire que, même si nous n'avons pas toujours autant d'argent que d'autres pays, notamment ceux qui se trouvent de l'autre côté de l'Atlantique, la recherche que nous menons est au même niveau de qualité de production que la leur car nous sommes bien plus inventifs qu'eux – je me permets ce bref cocorico !

Je serai ravi de répondre aux questions portant sur le virus et la virologie, ainsi que sur tout sujet dont vous voudriez débattre, notamment certains aspects de nos recherches et les travaux du conseil scientifique.

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Cette crise subite, soudaine, brutale, a immédiatement invité le monde scientifique et médical au centre du débat démocratique, s'insérant dans le couple – dont il va de soi que nous ne revendiquons pas l'exclusivité – du politique et du citoyen. À présent, il s'agit d'un dialogue à trois, qui se déroule de façon extraordinairement structurée lorsqu'il est formalisé, et de façon plus spectaculaire lorsqu'il passe par le truchement des médias.

Il en résulte, d'un côté, une relation entre, d'une part, le politique et, d'autre part, les chercheurs, le monde médical et scientifique – Mme Barré-Sinoussi et M. Lina en ont décrit quelques aspects en présentant le CARE et le conseil scientifique, et, de l'autre côté, une relation entre ce même monde médical et scientifique et les citoyens, notamment les médias, avec une présence spectaculaire du monde médical sur les plateaux de télévision, où les médecins ont quasiment remplacé les politiques – ce qui n'est pas du tout un reproche, je m'empresse de le dire !

Quels sont votre sentiment et votre jugement, après presque deux mois de relation intense, sur sa qualité, s'agissant notamment de votre relation avec le politique ? Mme Barré-Senoussi et M. Lina ont décrit les missions du CARE et du conseil scientifique. Avez-vous l'impression que la relation qui s'y tisse est utile et féconde ? À quelles conditions pourrait-elle l'être encore davantage ?

Comment avez-vous vécu certains épisodes qui, vus par le grand public ou par la fenêtre médiatique, ont donné l'impression d'un frottement ? Je pense notamment à la polémique sur le maintien du premier tour des élections municipales ou à celle sur la réouverture des établissements scolaires dans le cadre du déconfinement. J'aimerais que vous nous donniez, vue de l'intérieur, votre appréciation.

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Françoise Barré-Senoussi

Pour moi qui viens du milieu de la recherche sur le sida, cette relation n'a rien d'inédit. La relation entre les scientifiques, le politique et la société est un domaine que nous connaissons bien. En l'espèce, elle semble particulièrement forte, car tout le monde est touché par l'infection.

Cependant, la relation que nous avons avec la société civile ne me semble pas suffisamment développée. Pour ma part, j'ai demandé aux autorités de faire en sorte qu'un représentant de la société civile siège au sein du CARE. Il y a là un manque dont ne souffre pas le conseil scientifique, avec lequel nous avons suggéré de créer un comité de liaison.

S'agissant des relations avec le politique, celles du CARE – si l'on exclut le ministère de la recherche – sont relativement faibles. Elles sont sans doute beaucoup plus développées au sein du conseil scientifique, ce qui ne m'empêche pas, en tant que présidente du CARE, d'être en contact avec le cabinet du Premier ministre ou avec le Premier ministre lui-même. Toutefois, ces interactions ne sont pas aussi fortes que celles que j'ai vécues dans le domaine du VIH-sida – ce rôle échoit plutôt au conseil scientifique.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Il est exact que le conseil scientifique est directement en relation avec le politique, dont il éclaire les décisions. Notre relation avec le politique est essentiellement menée par notre président par un contact quotidien et un accès aux cabinets des ministères concernés par nos réflexions. En revanche, lorsque nous nous réunissons en séance plénière – il s'agit d'un choix de notre part – en vue d'un compte rendu ou d'un débat sur un avis ou une note considérés comme importants, et que le Président de la République souhaite dialoguer avec nous, nous sommes tous présents, soit physiquement, soit par visioconférence ou conférence téléphonique, même si tous les membres ne sont pas appelés à prendre la parole.

Il en résulte une discussion ouverte, simple et franche. De nombreuses questions sont posées, souvent en vue d'une clarification car il arrive que notre sémantique soit un peu particulière. Bref, les contacts avec le politique sont réguliers, quotidiens pour M. Jean-François Delfraissy, à l'occasion d'un compte rendu pour les autres membres du conseil.

S'agissant de notre relation avec les médias, plusieurs d'entre nous sont sollicités. Nous nous efforçons d'organiser nos apparitions de façon à ne pas trop interférer avec le message politique. Nous ne sommes pas là pour porter des jugements sur les décisions qui sont prises. Parfois, notre point de vue est divergent ; parfois, nous exprimons une adhésion globale.

Sur la question de la réouverture des écoles, nous pensions qu'il fallait maintenir la fermeture. Une décision a été prise ; nous assumons parfaitement qu'elle soit distincte de celle proposée par le conseil scientifique, pour des raisons de gestion politique du pays. Cela ne nous pose aucun problème. Nous avons développé des arguments, qui n'étaient pas suffisamment forts pour empêcher la réouverture des écoles. Dans ces conditions, nous adaptons notre message afin d'accompagner la décision politique.

Les médias l'ont bien compris. S'ils cherchent parfois à enfoncer un coin entre nous, notre dialogue avec eux est toujours constructif et plutôt bienveillant. Ils ne cherchent pas à l'excès pour trouver de prétendues zones cachées ou des dissonances à l'intérieur du groupe. Je ne dis pas que cette relation est simple, car il n'est jamais simple de parler aux médias ; mais elle est sereine. Nous n'avons aucun retour négatif parmi ceux qui ont eu affaire à eux.

S'agissant de notre relation avec la société, nous avons fortement insisté pour qu'un comité de liaison citoyen voie le jour. Il semble que tel sera le cas, ce qui est une très bonne chose. Notre groupe compte des membres issus de la société civile, auxquels nous posons des questions et qui donnent leur point de vue. Cela nous a amenés à corriger certaines positions que nous allions prendre et qui n'étaient pas adaptées. Il y a là une grande richesse. Il est vrai que, hormis nos échanges avec eux, nous avons peu d'interactions avec la société civile, sauf lorsque nous croisons des gens dans la rue qui formulent des commentaires sur telle ou telle décision, pour nous critiquer ou pour nous approuver.

Le levier dont nous disposons vis-à-vis de la société civile mériterait peut-être d'être renforcé. Nous devons disposer d'une plateforme permettant d'interagir avec elle. Notre grande crainte est de prendre des décisions hors-sol, pilotées uniquement par la science et manquant de bon sens. Nous nous posons très régulièrement la question. Compter parmi nous deux ou trois personnes qui nous remettent les pieds sur terre de temps en temps est une très bonne chose.

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Mesdames et messieurs les professeurs, vous faites partie, sans aucun doute, des meilleurs spécialistes que compte notre pays. Votre rationalité scientifique est primordiale pour ramener l'humilité et la sérénité dont le débat public a parfois besoin. Mais votre expertise est également précieuse pour les responsables politiques que nous sommes, et pour la profane que je suis, comme une très grande majorité de nos concitoyens.

Le CARE est chargé de la mise en place des politiques de dépistage. Pouvez-vous faire le point sur les tests sérologiques actuels – tests ELISA, tests de recherche d'anticorps neutralisants – et sur leur fiabilité ? Dans quelle mesure les tests sérologiques pourront-ils être utilisés dans le cadre d'une stratégie de déconfinement ? Quel est l'état des recherches sur le temps nécessaire à l'apparition des anticorps et sur l'immunité des personnes ayant contracté le virus ?

Les premiers résultats de l'essai clinique Discovery étaient attendus fin avril. De quels éléments disposez-vous sur l'efficacité des traitements mis en œuvre dans ce cadre et sur l'impact des différentes approches, qu'elles s'appuient sur l'usage d'antiviraux ou qu'elles agissent sur le système immunitaire ? Quel est le calendrier prévisionnel de cet essai ? Enfin, de quelle façon l'industrie pharmaceutique est-elle associée aux travaux de recherche actuels ?

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

Je répondrai rapidement sur les tests de dépistage, avant de laisser la parole à M. Lina et à M. d'Enfert, puisque le CNR procède à l'évaluation des tests tant sérologiques que virologiques.

La première note demandée à CARE portait sur les tests sérologiques : on nous demandait quels tests l'État pouvait acheter immédiatement. Nous avons répondu qu'il n'était pas question d'acheter des tests sérologiques, tant qu'aucun d'eux n'avait encore été validé. Depuis lors, la situation a évolué. Même si des progrès restent à faire, des tests apparaissent et commencent à être validés.

Attention toutefois à leur signification. Quand on recherche un virus, on le fait par la technique la plus sûre : la technique RT-PCR. C'est à celle-ci que se référait le Premier ministre quand il a parlé hier d'effectuer 700 000 tests par semaine, car elle possède toute la sensibilité souhaitée.

Les tests sérologiques ne répondent pas exactement à la même question. Ils indiquent si la personne a été exposée au virus et si elle possède des anticorps, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle est protégée car tous les anticorps ne sont pas protecteurs. Ce type de réponse, nous ne l'avons pas aujourd'hui.

Certains essais thérapeutiques sont actuellement menés en collaboration avec le secteur privé et les compagnies pharmaceutiques.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Il est très important de bien positionner ces tests, car on relève beaucoup d'incompréhension dans ce domaine. Le RT-PCR permet d'effectuer un diagnostic, tandis que les tests sérologiques permettent le suivi de l'infection. Parmi ces derniers, il existe deux types de tests : les tests unitaires ou les TROD, tests rapides d'orientation diagnostique.

Ces tout petits dispositifs, qui peuvent être utilisés au lit du patient, posent des problèmes de sensibilité et de spécificité. Le système de détection est très rapide – pas plus de quinze minutes – et met en œuvre une réaction colorée. Il faut avoir une certaine habitude pour la lire, car il existe un risque de confusion : il n'est pas très facile d'observer une petite barre qui se colore au milieu d'une bandelette.

Quand on utilise ces tests dans des conditions où le virus peut circuler et où l'immunité de la population est faible, le nombre de faux positifs peut être élevé. Il peut y avoir plus de faux positifs que de vrais. Il faut donc recourir avec précaution à ces tests, car la valeur prédictive positive de leur résultat est extrêmement faible.

Heureusement, en parallèle, des techniques de référence ont été utilisées à l'institut Pasteur. Elles combinent plusieurs tests qui ont permis de définir un gold standard, et surtout un panel de sérums de référence, ce qui permet d'évaluer l'ensemble des kits.

Il existe aussi des tests de laboratoire, qui ne peuvent pas être pratiqués au lit du patient car ils utilisent des machines. C'est ce qu'on nomme les tests ELISA, mais il existe aussi d'autres techniques chimiques de détection des anticorps. Ces kits sont actuellement évalués par le CNR, comme l'ont été et le sont encore les tests rapides. On obtient de meilleurs résultats avec les tests machine qu'avec les tests unitaires. Les premiers permettront de faire des suivis sérologiques et surtout des enquêtes séroépidémiologiques de terrain, indispensables pour surveiller la montée de l'immunité collective.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

Deux types de tests de sérologie ont été développés par l'institut Pasteur : les tests ELISA ou des versions légèrement différentes, qui permettent de mesurer la présence dans le sang d'anticorps dirigés contre le virus, et des tests plus sophistiqués, permettant de mesurer les anticorps neutralisants, qui bloquent l'interaction du virus avec les cellules qu'il pourrait infecter.

Aujourd'hui, grâce à l'utilisation de ces tests sur des collections de sérums pré-épidémiques ou per-épidémiques, on commence à disposer d'informations sur la robustesse des premiers types de tests, au regard de la présence d'anticorps neutralisants et de l'éventuelle protection apportée par celle-ci dans le cadre d'une réinfection. Mais, comme l'a indiqué Mme Barré-Sinoussi, nous n'avons aucune certitude sur le caractère protecteur de ces anticorps contre une réinfection. L'utilisation des tests sérologiques en population de façon large n'est donc pas à recommander.

Ceux-ci présentent cependant un intérêt pour les études de séroprévalence et pour la compréhension de l'épidémie. Dans les semaines ou les mois qui viennent, nous serons capables d'établir, en utilisant soit des études cliniques, soit des modèles animaux, des corrélats de protection, qui indiqueront la corrélation entre réponse anticorps et protection contre une réinfection.

Ce jour-là, les tests de sérologie deviendront utiles dans la population, si du moins on n'est pas confronté à ces spécificités relativement faibles qui entraînent la présence de nombreux faux positifs. Les tests développés à l'institut Pasteur sont importants pour évaluer les tests développés par les sociétés de biotechnologie et les industriels. Les résultats commencent à nous parvenir. Ceux de sept à huit tests seront publiés prochainement. Nous constaterons probablement des avancées au cours des prochaines semaines.

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Permettez-moi de vous exprimer notre reconnaissance. Les Français sont légitimement fiers de votre action. Beaucoup d'entre eux vous font confiance et placent leurs espoirs dans vos travaux.

Les médias ont lancé hier une alerte, amplifiée aujourd'hui, sur une pathologie assimilée à la maladie de Kawasaki qui entraînerait chez des enfants une inflammation des vaisseaux cardiaques. Dix-neuf cas sont apparus à Londres. On en compterait vingt-cinq dans les services hospitaliers parisiens, dont douze à l'hôpital Necker. Certains de ces enfants ont été testés positifs au Covid-19. Existe-t-il un lien de causalité entre les deux pathologies ? Ce serait très inquiétant dans la perspective de l'ouverture des écoles, prévue le 11 mai. Quand le Comité scientifique s'est dit défavorable à cette mesure, avait-il déjà connaissance de ces cas ? Ceux-ci vont-ils renforcer sa position et la rendre plus contraignante pour l'exécutif ?

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J'exprime à mon tour ma profonde reconnaissance, mon soutien, ma solidarité aux chercheurs, avec une mention particulière pour le réseau international des instituts Pasteur qui fait la fierté de la France. Nous savons tous que nous sortirons de cette crise quand un vaccin ou un traitement sera trouvé. Mais, ce jour-là, il faudra assurer un accès équitable à ce vaccin ou à ce traitement, dans tous les pays du monde, y compris les plus vulnérables. Quelles sont vos recommandations en la matière ? Que peuvent faire les politiques pour assurer un accès équitable au vaccin ou au traitement quand ceux-ci seront enfin disponibles ?

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Une nouvelle fois, merci aux chercheurs. Si la présence d'anticorps n'implique pas l'immunité, quel intérêt y aurait-il à tester systématiquement tous les patients qui auraient été atteints ? Il semble que ce soit plus pour comprendre l'épidémie que pour casser la chaîne de propagation du virus.

Si ces tests étaient nécessaires, qui vous semble le plus à même de les fournir ? Des officines de pharmacie ont demandé à le faire. Est-ce une bonne idée ?

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J'ajoute mes remerciements à ceux de mes collègues. L'institut Pasteur a développé ses propres tests tout en étant chargé d'évaluer et de valider les tests d'autres laboratoires. Comment s'articulent ces deux activités ? Comment s'assurer qu'il n'existe en la matière aucun conflit d'intérêts ?

Par ailleurs, j'ai bien compris l'articulation entre les tests utilisant la PCR et les tests de sérologie. Même si l'on a l'ambition d'effectuer 700 000 tests par semaine, la capacité des premiers reste très réduite. En outre, beaucoup de cas sont asymptomatiques.

En Alsace, il y a quinze jours, nous avons utilisé des tests sérologiques qui étaient disponibles en grand nombre, en l'occurrence ceux de la firme alsacienne Biosynex. Ils nous ont permis de détecter des cas asymptomatiques, présentant des immunités en M et non en P. On a procédé ensuite à un test PCR révélant une contamination. C'est ce qui a permis de faire sortir certaines personnes des EHPAD – établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – avant qu'elles ne contaminent des résidents ou des membres du personnel.

L'agence régionale de santé nous a demandé d'arrêter ces tests, qui n'avaient pas été validés par le CNR. Quel est votre sentiment sur le lien entre les tests sérologiques et ceux utilisant la PCR ?

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Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Vous nous interrogez sur l'essai Discovery. À ce jour, le nombre de patients inclus s'élevait à 735. On observe un franc ralentissement des inclusions, signe de la victoire du confinement, puisque le nombre des inclusions dépend directement de celui des cas, lequel diminue aujourd'hui drastiquement. On peut donc se réjouir de cette baisse des inclusions dans l'essai.

Dans des essais de cette importance, ce ne sont pas les médecins responsables qui gèrent ce que l'on appelle les data. Le nombre des données et des informations recueillies pour chaque patient s'élevant à 100, voire 150, il ne nous est pas possible de les gérer directement. Cette tâche est donc assurée par des organismes de biostatistique. Une fois nettoyées, les bases de données sont traitées par un comité indépendant. Celui-ci examine les données, en général une fois par semaine, et nous donne ensuite des instructions. Je suis donc les résultats un peu en aveugle, si je puis dire, sauf si le comité constate qu'il y a un signal.

Le premier comité d'évaluation de l'essai Discovery s'est réuni il y a une dizaine de jours ; il nous a dit qu'il fallait continuer. Le deuxième a eu lieu lundi dernier ; la conclusion a été la même. En termes d'efficacité et de sécurité, puisque ce sont les deux grandes questions posées par l'essai, le comité recommande pour l'instant de poursuivre pour fiabiliser tout résultat qui serait issu de l'essai. Il n'y a donc pas de grande nouvelle à ce jour : chaque semaine, nous versons les données et le comité d'évaluation nous informe de ce qui en ressort.

Je comprends votre préoccupation quant à la maladie de Kawasaki. Je ne suis pas pédiatre, mais la maladie de Kawasaki peut parfois être reliée, notamment chez les enfants, à des étiologies virales. Nous sommes actuellement en train de décrire un certain nombre d'entités liées au coronavirus, comme nous avons décrit par le passé un certain nombre d'entités liées à d'autres virus. Même si nous pouvons en avoir l'impression, il ne s'agit pas nécessairement de nouveautés : c'est simplement la confirmation que le virus a une interaction avec un certain nombre de cellules de l'organisme. Nous « rangeons » ces entités dans un cadre sémiologique de maladie. C'est ce que nous sommes en train de faire avec le coronavirus : on observe une interaction avec de nombreux organes, et l'on rattache un certain nombre d'entités ou de manifestations médicales à des entités que l'on connaît déjà et que l'on a déjà rapportées à d'autres virus. Que quelques cas décrits de la maladie de Kawasaki soient potentiellement liés à une infection virale telle que le coronavirus n'a donc rien d'étonnant en soi ; c'est aussi le cas pour d'autres virus respiratoires. C'est souvent ainsi que l'on procède lorsqu'on découvre une nouvelle maladie : on décrit un certain nombre de symptômes et on les rapporte à des maladies potentiellement déjà identifiées dans le cadre d'une interaction entre un hôte, c'est-à-dire un organisme, et un virus.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

Le développement de vaccins et de traitements est généralement associé au dépôt de brevets, seul moyen de les valoriser et de mettre l'institut Pasteur en position de donner des licences pour des besoins de santé publique, à titre gracieux ou quasi gracieux pendant la période de pandémie et à titre gracieux et permanent pour les pays à faibles niveaux de revenus. Protéger nos découvertes le plus tôt possible, c'est nous placer dans la meilleure position pour assurer un accès équitable à ces vaccins, en particulier dans les pays qui en auront le plus besoin et qui n'auront pas les ressources nécessaires pour y accéder, les pays développés pouvant pour leur part y accéder par des approches développées par les industriels.

Dans la mesure où l'institut Pasteur développe des tests sérologiques et des tests de diagnostic, la question de leur transfert à l'industrie peut en effet se poser, de même que celle de leur évaluation par le système qui a été mis en place et qui implique le CNR. Sachez cependant que, si un test issu d'un brevet déposé par l'institut Pasteur est proposé par un industriel, c'est le laboratoire associé de Lyon, dirigé par M. Bruno Lina, qui sera chargé de son évaluation – ceci afin d'éviter tout conflit d'intérêts.

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

En ce qui concerne la garantie d'un accès équitable aux traitements et aux vaccins, une initiative baptisée ACT-Accelerator a été lancée le 27 avril par l'Organisation mondiale de la santé. La France et le Président Emmanuel Macron ont joué un rôle important pour que puissent être réunis autour de la table, lors d'une première visioconférence à laquelle j'ai participé, les principaux acteurs internationaux impliqués dans la recherche vaccinale, comme Gavi – Alliance du vaccin –, CEPI ou la fondation Bill Gates. L'initiative a pour objet de lever des fonds et de rechercher des partenaires industriels, de façon à préparer dès maintenant l'accès universel aux vaccins et aux traitements, y compris dans les pays les plus démunis. Ses mécanismes de gouvernance sont en cours d'élaboration. L'initiative sera chapeautée par l'OMS, en partenariat avec de nombreuses organisations internationales. Le Président Emmanuel Macron s'est engagé à contacter les gouvernements du monde entier pour procéder aux levées de fonds nécessaires, y compris auprès des industriels.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Je compléterai la réponse de Mme Florence Ader sur le syndrome de Kawasaki. Comme elle vous l'a expliqué, il y a un lien potentiel avec d'autres infections virales – la question se pose régulièrement. On ne comprend pas très bien la mécanique, mais on sait que le coronavirus est capable de déclencher des lésions au niveau des vaisseaux sanguins, lésions dont une part pourrait être impliquée dans le syndrome de Kawasaki.

Nous restons néanmoins prudents. Une réunion téléphonique des pédiatres européens s'est tenue hier soir ; j'ai pu consulter son compte rendu. Certains pays – le Royaume-Uni, la France – ont identifié des cas. D'autres, comme l'Allemagne, n'en recensent aucun ou n'ont pas de signaux d'alerte. Globalement, ceux-ci restent donc faibles. En outre, l'impact est difficile à estimer : dans l'un des groupes investigués, seuls 30 % des patients présentant cette pathologie ont été testés positifs au coronavirus ; certaines présentations sont un peu hétérogènes. En outre, le signal est très récent – il a émergé il y a deux jours et demi. Son évolution va évidemment être surveillée de très près.

Cet élément doit-il entraîner des conséquences sur la réouverture annoncée des écoles ? Nous nous appuyons désormais sur des données de terrain, recueillies à partir d'enquêtes conduites dans l'Oise ou à l'étranger. Nous savons aujourd'hui que les enfants âgés de un an à un peu moins de dix ans transmettent très faiblement le virus. L'incidence des formes cliniques chez ces patients est très faible : aucun enfant de un à cinq ans n'a été hospitalisé dans un établissement des Hospices civils de Lyon. Autrement dit, cette tranche d'âge est peu touchée ou diffuse peu le virus. On sait aussi que, lorsqu'un enfant est infecté, il est assez rare qu'il transmette le virus à ses frères et sœurs. L'une des raisons pour laquelle cette transmission est faible pourrait être le fait que l'un des récepteurs utilisés par le virus, l'ACE2, est présent sur peu de cellules des enfants – cela vient ultérieurement avec la maturation pulmonaire. En l'absence de récepteurs, il ne peut y avoir d'infection.

Ce signal faible sur le syndrome de Kawasaki n'est pas suffisant pour remettre en cause la décision de réouverture des écoles qui a été prise.

J'en viens à l'immunité. Ce que l'on sait aujourd'hui, c'est que les personnes qui ont été infectées développent des anticorps. C'est la qualité et la durée de ces anticorps que nous ne savons pas estimer. Quand vous guérissez d'une infection, c'est bien parce que votre système immunitaire a été capable de prendre le dessus. Pour faire simple, le système immunitaire a deux composantes : l'immunité cellulaire – les lymphocytes T cytotoxiques – et l'immunité humorale – les anticorps. Puisque la plupart des gens guérissent, c'est qu'il y a une immunité qui finit par éliminer le virus. Certaines infections durent longtemps. On peut détecter la présence du virus jusqu'à cinq semaines chez certaines personnes, notamment dans les formes graves. Par conséquent, il y a peut-être un lien entre la qualité des anticorps produits et la rapidité de l'élimination du virus. On peut donc imaginer que les réponses immunitaires qui arrivent à protéger l'organisme, à éliminer un virus, ne sont pas suffisamment fortes pour empêcher une réinfection, notamment si la quantité d'anticorps dans le sang baisse au fil du temps.

Le virus ayant émergé il y a cinq mois, nous ne pouvons pas juger de la durée de la protection au-delà de cinq mois. Compte tenu de ces incertitudes, nous restons prudents, d'autant que nous savons que, pour d'autres virus respiratoires, l'immunité ne va pas au-delà d'un an – c'est notamment le cas du virus respiratoire syncytial, responsable de la bronchiolite du nourrisson. Nous devons donc apprendre à mieux connaître la réponse immunitaire pour disposer de données brutes et solides concernant la protection après une infection.

J'en viens aux tests sérologiques pratiqués en combinaison avec les tests diagnostiques. C'est probablement ce qu'il faut faire. La difficulté vient de ce que le test Biosynex n'avait pas été évalué ; nous ne connaissions pas ses valeurs. Nous préférons être prudents pour ne pas risquer d'interpréter faussement des valeurs. Cela n'enlève rien à la qualité de ce test. Il fait maintenant partie de ceux qui ont été évalués, et nous pourrons sans doute vous donner les résultats assez rapidement. Avec les tests les plus sensibles, la détection des anticorps n'est possible qu'à compter du sixième, septième, voire huitième jour après le début de l'infection. Si vous intervenez pour un diagnostic et que vous ne faites que des tests sérologiques, vous allez rater beaucoup de personnes qui viennent d'être infectées…

Comme dans le cas des EHPAD ou des établissements médicosociaux où le virus a déjà circulé, il peut en revanche y avoir un certain nombre de personnes qui ont développé des formes asymptomatiques et sont protégées par des anticorps. Lors d'une deuxième intervention liée à une deuxième épidémie, on pourrait donc parfaitement imaginer de combiner des tests de détection du virus par PCR et un bilan sérologique sur certaines personnes qui disent avoir eu des symptômes, pour savoir s'ils ont ou non une immunité – mais cela pose de nouveau la question de la qualité des anticorps détectés.

Vous nous interrogez sur l'opportunité de réaliser des tests en pharmacie. Comme je l'ai déjà dit, la lecture de ces tests rapides n'est pas aisée. On pourrait certes apprendre aux pharmaciens à les lire, mais il ne faudrait pas que la détermination d'une immunité à l'aide de ces tests conduise certains à penser qu'ils n'ont plus rien à craindre. Ils risquent en effet d'adopter des comportements inadaptés en termes d'immunité collective. Or, même si une personne ne risque plus d'être infectée, elle peut infecter les autres, ne serait-ce que parce qu'elle porte le virus sur ses mains ou se réinfecte et le transfère par les voies aériennes, même en l'absence de symptômes.

Les tests sérologiques ne peuvent être un signal permettant de dire à certains : « Vous ne risquez plus rien. Vous ne participez plus à la défense collective qu'il est nécessaire de mettre en place. » Bref, un usage trop large et sans contrôle risque d'avoir un effet délétère sur la gestion actuelle de l'épidémie. Quand l'immunité collective sera beaucoup plus importante et que le danger de circulation et de nouvelle circulation du virus aura diminué, la question pourra se poser ; mais il y a un vrai problème de temporalité par rapport à l'utilisation de ces tests.

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Vous parlez de perspectives où l'immunité collective serait plus importante, monsieur le professeur. Nous avons auditionné il y a quelque temps M. Jérôme Salomon : il nous a dit que l'objectif n'était pas que l'immunité collective devienne importante, mais de maintenir au plus bas le nombre de malades dans le pays. Y a-t-il une contradiction entre vos deux points de vue, ou aurais-je mal compris l'un ou l'autre ?

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Vous avez parfaitement compris l'un et l'autre, monsieur le président : les deux sont complémentaires. Aujourd'hui, l'objectif est d'éviter une reprise épidémique à très court terme. Les hôpitaux ne pourraient faire face à une vague épidémique comparable à celle que nous venons de vivre. Malgré tout, si l'on veut un jour pouvoir contrôler ce virus en termes de diffusion épidémique, il va bien falloir installer une immunité collective. C'est la seule chose qui permettra de transformer ce virus en un virus saisonnier ou en un virus qui disparaîtra.

Tout est question de temporalité. Dans les semaines et les mois qui viennent, il importe d'empêcher une nouvelle circulation du virus – on ne s'intéresse pas à l'immunité collective. Mais, à une échéance de deux ans, c'est l'immunité collective qui nous intéresse : c'est elle qui permettra que le coronavirus ne s'inscrive pas dans la durée.

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Merci, mesdames et messieurs, vous êtes la fierté du pays. En voyant le combat que vous menez contre le Covid-19, j'ai une pensée pour Luc Montagnier. Je suppose que Françoise Barré-Sinoussi, qui a beaucoup travaillé sur le sida, y pense également.

Pouvez-vous aller un peu plus loin concernant l'essai Discovery ? Vous avez dit tout à l'heure qu'il vous a été demandé de continuer. Il n'y a pas de médicament miracle, il y a ces quatre protocoles et le fameux protocole du professeur Raoult, à qui le Président de la République a récemment rendu visite. Quand pourrons-nous savoir, avec un bilan à mi-parcours, si cet essai a permis d'avoir de premiers résultats probants ? Y a-t-il des molécules ou des protocoles à écarter ? Quand pourrons-nous avancer, en attendant d'avoir les fameux antiviraux de deuxième génération dont parlait l'une de vos collègues avec le Premier ministre le 19 avril ? Nous attendons aussi des médicaments anti-inflammatoires, car le coronavirus s'accompagne d'une très forte inflammation au niveau pulmonaire, qui entraîne souvent un processus létal pour le patient.

S'agissant de la sérologie et des tests, j'ai entendu les propos du professeur Bruno Lina. La direction générale de la santé nous l'a dit : depuis plus d'un mois et demi, l'ANR teste en parallèle plusieurs kits réactifs ; il y a aussi ceux de l'institut Pasteur. On sait depuis quelques jours qu'il y aurait de la sensibilité et de la spécificité. Quand disposerons-nous de tests ? Les Français s'interrogent.

Permettez-moi de réagir aux propos du professeur Bruno Lina : pourquoi ne menez-vous pas une étude aussi large que possible sur les 25 000 patients guéris ? Cela permettrait de connaître leur niveau d'anticorps IgG – immunoglobulines de type G – et de voir s'il y a encore des traces d'IgM – immunoglobulines de type M – résiduelles. À plus de six semaines du début de la maladie, cela pourrait être très intéressant.

Je pose à mon tour cette question sur le vaccin avec un peu d'insistance : serons-nous capables, dans un an, de vacciner le plus largement possible les Françaises et les Français ? Des études comparatives ont-elles été menées, notamment avec le coronavirus qui touche les animaux ? Des publications très intéressantes ont été faites à ce sujet depuis une trentaine d'années ; elles pourraient nous aider dans le combat que nous menons ensemble.

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Hier, dans son discours, Édouard Philippe a expliqué que l'une des raisons des modifications de l'approche du Gouvernement concernant les doctrines en matière de tests, de masques ou de protections, venait de l'évolution même de celle des chercheurs. Il a ainsi expliqué que, entre la phase un et la phase trois, les chercheurs avaient évolué au sujet de la nécessité de procéder à des tests massifs. Partagez-vous cette analyse ? Les choses ont-elles évolué pour vous de manière assez significative pour expliquer le changement de position du Gouvernement ?

À partir du 12 mars, jour de l'allocution du chef de l'État, on voit tout à coup que les choses deviennent plus graves. C'est un tournant, en tout cas en matière de communication politique. Est-ce aussi un tournant pour vous ? La gravité et la contagiosité de ce virus se sont-elles véritablement révélées à partir de cette date ? Ou cela faisait-il longtemps que vous le pensiez dangereux de ce point de vue ? Aviez-vous tranché cette question et averti le Gouvernement ?

Il nous est expliqué que 100 000 tests par jour seront nécessaires à partir du 11 mai afin d'éviter qu'il y ait plus de 3 000 nouveaux cas par jour. Êtes-vous d'accord avec ces chiffres ? Je voudrais citer Vittoria Colizza, spécialiste en modélisation des maladies infectieuses, qui soutient que, au vu de toutes ces problématiques, il vaudrait mieux déconfiner début juin, à tout le moins en Île-de-France. Telle était l'approche initiale des modélisateurs. Que pensez-vous de ces dates et de ces données ? Comment pensez-vous que la France doublera le nombre de tests d'ici à deux semaines ? Nous en sommes à moins de 50 000 par jour.

S'agissant des enfants et des tests menés à l'hôpital Necker, vous parlez du degré de contagiosité. Sur quelle étude scientifique se base-t-on ? Ne croyez-vous pas qu'au nom du principe de précaution, on devrait suivre l'avis du conseil scientifique qui avait recommandé une reprise scolaire en septembre ?

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Ces dernières années, de nombreuses alertes avaient été lancées au sujet du risque pandémique. Sans doute les chercheurs ont-ils du mal, parfois, à être entendus quant à la nécessité de leur donner les moyens de leur recherche. Aujourd'hui, on vous demande d'accélérer, peut-être d'aller plus vite que la musique. Merci, en tout cas, pour votre engagement.

Les questions portant sur l'éventuelle immunité conférée par le virus à ceux qui ont été contaminés n'éloignent-elles pas la perspective d'un vaccin ? Quel est votre avis à ce sujet ? Et sans mésestimer l'importance de la recherche d'un vaccin, cela ne renforce-t-il pas l'urgence de trouver un traitement ? À ce sujet, des impatiences se sont exprimées depuis le début de la crise. À quel horizon imaginez-vous que l'on pourra fournir des résultats probants ?

Plus largement, s'agissant du niveau de culture scientifique et sanitaire dans notre pays, la situation où nous sommes constitue peut-être à la fois un appel à élever ce niveau et une démonstration de la nécessité d'aller plus loin en la matière, pour être capables de réagir ensemble et d'être pleinement acteurs de notre santé. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur les effets neurologiques de ce virus. Il en a été question dans la presse à plusieurs reprises et j'ai moi-même croisé des professionnels qui s'en inquiétaient.

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Je voudrais revenir sur la question de la contagiosité. Des propos du professeur Bruno Lina, j'ai compris que les enfants ne semblaient pas transmettre le virus ; je voudrais en avoir confirmation et savoir quel est l'état de la recherche sur les conditions de contagiosité des personnes malades identifiées, des porteurs sains, mais aussi des personnes qui semblent guéries. En effet, après le 11 mai, il sera essentiel de respecter les gestes barrières et de maintenir une discipline collective. Mais certains de nos concitoyens, qui ont été porteurs du virus ou en contact rapproché avec lui, s'interrogent : pourront-ils retourner au travail et envoyer leurs enfants à l'école sans risquer de transmettre le virus ?

Pour éviter une seconde vague de contagion, la question de l'isolement des malades est essentielle – le Premier ministre l'a évoquée hier. La cheffe des urgences de l'hôpital d'Argenteuil m'a interpellée la semaine dernière : il est nécessaire que les pouvoirs publics organisent l'isolement des malades qui ne pourraient pas s'isoler à domicile, notamment pour des raisons de suroccupation du logement. Ils pourraient être isolés dans des hôtels, comme l'a annoncé hier le Premier ministre. Tel est le principe du dispositif Covisan, qui est expérimenté à Paris et en Seine-Saint-Denis. Avez-vous des enseignements à tirer de cette expérimentation ?

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

Concernant le développement des vaccins, il y a probablement plus d'une centaine de projets dans le monde, dont soixante-dix à quatre-vingts sont crédibles. Cinq à sept en sont déjà au stade des études cliniques de phase un ou de phase deux. D'autres sont des études précliniques, avec un nombre important de plateformes vaccinales différentes qui sont évaluées, et de stratégies vaccinales développées.

On peut donc espérer, en particulier grâce aux procédures accélérées qui sont instaurées en France et dans d'autres pays, avoir des résultats positifs d'ici à un an pour au moins l'un de ces vaccins en cours de développement. Je prends l'exemple du vaccin rougeole qui est en cours de développement à l'institut Pasteur : les études cliniques devraient démarrer au mois de juillet et nous espérons avoir, dans le courant du premier semestre, des phases cliniques deux et trois qui permettraient de lancer des productions de masse et de généraliser la vaccination. C'est un processus très rapide et l'on peut espérer, étant donné le niveau d'investissement des équipes de recherche dans ce domaine, avoir un vaccin généralisé d'ici à un an.

Les questions de la production de ce vaccin et de l'efficacité à long terme de la protection qu'il pourrait conférer se poseront bien évidemment. Une autre question a été posée : le peu d'informations sur l'immunité indique-t-elle que la stratégie vaccinale n'est pas la bonne ? Je ne le crois pas. Nous avançons très rapidement dans la compréhension de ce nouveau coronavirus et nous aurons probablement dans un an environ quelques vaccins disponibles, avec des stratégies différentes. À partir de là, nous pourrons savoir quelle est la durée de la protection induite par ces vaccins, et donc dans quelle mesure la vaccination contribue à l'élévation de l'immunité collective, ce qui est important pour résoudre cette épidémie à long terme.

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Le scénario selon lequel il n'y aura jamais de vaccin est-il exclu ?

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

En recherche, rien n'est exclu. Vous connaissez l'exemple du virus de l'immunodéficience humaine – VIH. Trente ans après sa découverte, il n'y a toujours pas de vaccin. On ne peut donc rien garantir.

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

La recherche vaccinale est en cours avec les candidats vaccins, mais il ne faut pas répéter l'erreur qui a été faite avec le VIH-sida au début des recherches sur le vaccin. Il faut absolument mener parallèlement des études sur la réponse immunitaire des personnes exposées et infectées. Quelqu'un demandait pourquoi les patients guéris ne sont pas étudiés : en réalité, des études commencent, portant sur des cohortes de patients guéris et des cohortes de personnes exposées. Elles nous donneront des informations sur la réponse immunitaire, notamment celle des anticorps, mais ceux-ci ne sont pas les seuls éléments à prendre en considération. Bruno Lina parlait tout à l'heure de la réponse cellulaire. Il y a aussi la réponse dite inflammatoire, dont on sait l'importance dans cette infection, c'est-à-dire la réponse naturelle, que certains appellent également réponse innée. Parallèlement aux recherches vaccinales, les études qui commencent vont nous donner ce type d'informations très utiles. Tous les individus ne réagissent pas de la même manière, l'incidence de la génétique individuelle peut être très importante. La recherche est un tout, et c'est à partir de l'ensemble des données que nous pourrons avancer plus vite.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Il y a un besoin de tests et d'une montée en puissance diagnostique très importante. Aujourd'hui, nous sommes capables d'effectuer 35 000 à 40 000 tests PCR par jour. Nous devons atteindre l'objectif de 100 000 tests par jour : je reviendrai sur la manière dont cet objectif a été calculé.

L'État a fait l'effort d'acheter vingt et une plateformes de PCR à haut débit, qui ont, pour la plupart, été installées dans des centres hospitaliers, deux d'entre elles l'étant dans des laboratoires privés. Chacune de ces plateformes a une capacité diagnostique de 2 000 à 2 500 tests par jour. Une fois opérationnelles, elles augmenteront la capacité actuelle de 50 000 tests par jour, ce qui nous permettra d'atteindre l'objectif de 100 000 tests par jour. Quinze sont d'ores déjà installées. Parallèlement, ont été sécurisés les approvisionnements d'écouvillons nécessaires à l'analyse des prélèvements, l'ensemble des réactifs qui servent à la fois à la préparation du matériel et à l'amplification génique, et un circuit de résultats qui permettra de répondre pratiquement en temps réel. Dans la mesure du possible, ces plateformes devront fournir un résultat dans les douze heures suivant le prélèvement.

Cette montée en puissance est en cours. Elle s'ajoutera à ce que les laboratoires publics et privés sont déjà capables de faire. Parallèlement, des approvisionnements en réactifs ont été sécurisés. La situation que je décrivais au début du mois de mars 2020 n'est plus d'actualité. Nous avons maintenant des capacités de diagnostic de très haut niveau.

Pourquoi un objectif de 100 000 tests par jour ? Les modèles sur lesquels nous travaillons au sein du conseil scientifique, élaborés par Simon Cauchemez, sont très fiables et ils se confirment au fil du temps. Si rien ne change dans le comportement des Français d'ici à la levée du confinement, nous aurons entre 1 000 et 3 000 cas d'infection par jour. Cela correspond à une circulation de virus qui se fait dans un bruit de fond où d'autres virus respiratoires circulent. Nous savons qu'une personne qui, en début de maladie, présente des signes évocateurs d'une infection à coronavirus est une fois sur dix infectée par le coronavirus. Les neuf autres fois correspondent à des virus en circulation qui provoquent les mêmes symptômes, mais on ne le sait qu'une fois le test effectué, en début de maladie en tout cas.

Nous savons donc qu'il est probablement nécessaire de multiplier par dix et, par sécurité, peut-être même par vingt, le nombre de tests à réaliser pour pouvoir tester absolument toutes les personnes qui présentent des signes d'infection respiratoire. Ces personnes sont entre vingt et trente fois plus nombreuses que celles réellement infectées par ce coronavirus, mais nous avons besoin de faire tous ces tests pour être exhaustifs. Lorsque l'on calcule l'incidence et le nombre de tests à réaliser pour détecter les 3 000 personnes qui risquent d'être porteuses du virus, on conclut à la nécessité de procéder à un petit peu moins de 100 000 tests par jour.

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Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Je comprends l'impatience. Néanmoins, l'engagement que nous avons pris pour les patients en démarrant cet essai Discovery, dont le promoteur est l'INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale –, est de fiabiliser les résultats et de ne pas confondre vitesse et précipitation. Nous ne devons pas céder à la pression de niveler des résultats d'une telle importance. Si un comité scientifique nous dit ne pas encore avoir la capacité de différencier un certain nombre de résultats en comparant des traitements entre eux ou avec un bras de référence – c'est ce qu'on appelle le «  standard of care  », le traitement de référence – et nous dit qu'il est nécessaire d'analyser plus de patients, nous le ferons, quel que soit le temps que cela prendra.

Une des molécules comprises dans l'essai Discovery fait l'objet d'une étude de très grande ampleur aux États-Unis, laquelle nous envoie un signal encourageant. Nous avons donc des raisons d'espérer que ces études finiront par converger et nous indiquer, parmi les molécules et les traitements que nous testons, ceux qui démontrent une efficacité et seront très vite mis à la disposition du plus grand nombre. Dans cette dynamique, nous travaillons pour tout le monde.

S'agissant des anti-inflammatoires, j'adhère totalement aux propos de Mme Barré-Sinoussi, vis-à-vis de qui la communauté scientifique a un respect absolu et qui a entièrement raison. La population, pour sa culture sanitaire et scientifique, doit aussi comprendre qu'en cas de maladie infectieuse – issue d'un virus, d'une bactérie, d'un parasite ou d'un champignon – le partenaire indispensable à sa gestion est le système immunitaire. Sans comprendre comment les choses fonctionnent, il est impossible de proposer des approches intégrées en prescrivant un médicament contre le virus, un médicament qui contrôle le système immunitaire ou, au contraire, un médicament qui le stimule. La vaccinologie procède de cette démarche, mais il en existe d'autres. Comme vous le savez, parmi les traitements actuellement testés figurent des traitements anti-inflammatoires, c'est-à-dire dont le but est de limiter la réaction immunitaire des patients qui en présentent une trop importante.

Je souscris également au propos de Mme Barré-Sinoussi en ce qui concerne la recherche translationnelle, qui vise à comprendre comment le système immunitaire gère ce virus dans toute sa mécanistique, ainsi que le déterminisme génétique associé à ces maladies. Cette recherche est très importante, car c'est en imbriquant cet ensemble de données que nous parviendrons à proposer aux patients les meilleurs traitements, lesquels pourraient comprendre un médicament contre le virus et, en même temps, un médicament qui, à un moment déterminé, freine quelque peu le système immunitaire ou le stimule. Nous saurons établir ces traitements en menant de front toutes ces études, avec le travail des virologues sur la structure et le fonctionnement du virus, le nôtre qui consiste à inclure des patients dans les essais, celui des immunologistes, ou encore celui de l'institut Pasteur sur des vaccins. Tous ces acteurs doivent aboutir à une synthèse de manière que les approches de prise en charge des patients soient les plus pertinentes possible. Il est très important de comprendre cette imbrication qui, pour le public, est assez complexe, mais qui est fondamentale pour que nous avancions. Ne confondons pas vitesse et précipitation, il est important de le dire et de le redire !

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

Sur le sujet de l'évolution de la doctrine depuis le début de l'épidémie, je dirais que tout chercheur doit précisément évoluer en fonction des connaissances. Il est tout à fait normal qu'une opinion qui s'appuie sur les données que l'on peut avoir à un certain moment se modifie lorsque ces données elles-mêmes évoluent. C'est le principe même de la recherche scientifique, qui ne progresse qu'en adaptant ses concepts et ses hypothèses aux découvertes qu'elle fait. L'humilité est une grande qualité pour un chercheur, qui ne sait pas tout et apprend le mouvement en marchant.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

En ce qui concerne la contagiosité, nous savons que la transmission s'effectue, pour reprendre le jargon hospitalier, par manuportage, c'est-à-dire par de grosses gouttelettes émises quand on tousse, parle ou éternue, et qui véhiculent le virus, lequel est ensuite respiré par la personne qui se trouve à côté de vous, ou à qui vous l'avez transmis par la main.

Une question demeure non résolue s'agissant de la possibilité d'une transmission strictement aérienne, qui se ferait par aérosol, et qui pourrait être plus lointaine que la transmission par gouttelettes. Cette dernière, normalement, ne dépasse pas un mètre cinquante. C'est pour cette raison que nous recommandons l'instauration de distances entre les personnes, car, si jamais quelqu'un qui ne porte pas de masque éternue ou tousse, celles qui seront au-delà d'un mètre cinquante ou de deux mètres ne risquent pas d'être contaminées.

S'agissant de la contagiosité en fonction du statut, il est clair que c'est juste avant le début des symptômes et juste après leur apparition qu'on est le plus contagieux ; cela a été modélisé et étudié. C'est probablement pour cette raison que des chaînes de transmission s'installent de manière relativement silencieuse : des personnes infectées mais pas encore symptomatiques peuvent être contaminantes pour d'autres.

Il existe, par ailleurs, des personnes asymptomatiques et leur niveau de contagiosité constitue une question importante. Un certain nombre d'études montrent en effet que la même quantité de virus se situe dans les voies respiratoires supérieures des personnes asymptomatiques que des personnes symptomatiques. Or, si la transmission s'effectue essentiellement quand on tousse ou quand on éternue, les asymptomatiques, eux, ne toussent pas et n'éternuent pas. Cependant, ils parlent et sont capables d'émettre des postillons : une contamination est donc certainement possible par les asymptomatiques.

Concernant le portage sain, et cela répondra en partie à la question relative aux modèles animaux, on se sert de ceux-ci pour comprendre la biologie de ce virus, car il semble – c'est encore une hypothèse – pouvoir être porté un peu plus longtemps que les virus respiratoires classiques. Nous sommes en effet capables de détecter le virus jusqu'à trois, quatre, voire cinq semaines chez des personnes traitées et souvent guéries. En procédant à un prélèvement respiratoire, nous pouvons trouver de petites quantités – j'insiste sur le mot « petites » – dans l'arbre respiratoire des personnes. Ces quantités sont probablement insuffisantes pour être transmissibles, car la dose infectante générée est trop faible, mais cela signifie qu'il y a peut-être, comme chez les animaux qui ont des infections à coronavirus, la possibilité d'une forme de portage silencieux. D'autres virus, comme l'adénovirus respiratoire chez l'enfant, peuvent être portés silencieusement : c'est un problème pour le porteur, mais pas pour son entourage, car le virus n'est pas transmissible.

Par conséquent, il est difficile de définir très clairement un seuil au-delà duquel on considère qu'une personne est guérie, car nous ne connaissons pas la dose qu'il faut administrer à quelqu'un pour l'infecter. Nous la connaissons pour d'autres virus, mais pas pour celui-ci. Nous installons donc ce que nous appelons des indicateurs de proximité, qui nous incitent à dire qu'à cette concentration de virus détecté dans l'arbre respiratoire d'un individu il est très probable – vous retiendrez la sémantique – qu'il ne soit pas contagieux et qu'il soit ainsi guéri et non infectant. Notons que nous ne pouvons faire des tests PCR à tout le monde chaque semaine jusqu'à ce qu'ils soient négatifs ; nous sommes contraints de retenir cette hypothèse de non-contagiosité. C'est pour cette raison que les hôpitaux considèrent que la contagiosité est de quinze jours et qu'ils font ensuite revenir les patients avec un masque chirurgical : il n'y a plus de transmission possible.

Quant à la question de l'isolement des malades dans des hôtels, cette possibilité est proposée sur un mode volontaire et peut être très utile. Elle avait déjà été imaginée dans le plan pandémique Influenza.

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Mesdames et messieurs, nous sommes admiratifs de vos travaux et passionnés par cette audition. J'aurai des questions basiques, que tous les Français se posent.

Vous avez répondu à celle relative à la durée de l'immunité, que nous ne connaissons pas. S'agissant de la virulence du virus, est-elle stable ou peut-elle diminuer, au moment de l'été par exemple ? Enfin, la disparition du virus est-elle possible ou réapparaîtra-t-il un jour ou l'autre ?

Je souhaiterais également poser une question à M. Lina, dont j'ai eu l'occasion de visiter le laboratoire il y a quelques années lors de la préparation d'un rapport parlementaire sur les épidémies. Le rôle du Règlement sanitaire international a été rempli, puisque le génome de ce virus a été connu très rapidement et a été transmis dans le monde entier, nul ne devant s'approprier l'identité virale. Des rumeurs ont néanmoins circulé à propos du laboratoire P4 de Wuhan, où je me suis également rendu. Le Président de la République a évoqué ses doutes à propos de ce laboratoire et de la Chine. Avez-vous un avis qui pourrait nous rassurer et dissiper ces rumeurs, à moins qu'il ne soit possible de les confirmer ?

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J'ai deux questions. Tout d'abord, il a été évoqué tout à l'heure un nombre attendu de contaminations quotidiennes compris entre 1 000 et 3 000 aux alentours de la date du 11 mai. Le Premier ministre évoquait, hier, 3 000 contaminations et, devant le Sénat le 15 avril, le professeur Delfraissy parlait, lui, plutôt de 10 000 à 15 000 contaminations par jour. J'aimerais comprendre de quelle manière sont faites ces différentes évaluations qui, à dix jours d'intervalle, laissent un peu circonspect : l'écart est très déterminant pour ce qui est de la politique de massification des tests.

Deuxièmement, il y a eu des modélisations pour calculer le nombre de décès évités par le confinement et nous avons maintenant des modélisations portant sur les conséquences sanitaires du déconfinement, avec un certain nombre d'hypothèses selon que les gestes barrières sont ou non respectés, et selon la disponibilité des masques. Certains scénarios peuvent inquiéter les Français. Je voudrais savoir le crédit qu'on peut leur accorder et connaître votre avis quant aux risques liés au déconfinement. Chacun convient qu'il faut à un moment en décider, mais il y a des prérequis pour éviter une seconde vague et des situations à nouveau très compliquées pour nos hôpitaux.

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J'associe à mes questions mon collègue Philippe Berta.

La première s'adresse au professeur Barré-Sinoussi et concerne le CARE, qui est constitué d'experts scientifiques et qui a pour mission de centraliser les propositions émanant de scientifiques ou d'industriels en matière de diagnostic, de thérapeutique mais aussi de numérique, allant jusqu'à l'intelligence artificielle. Si tel est le cas, et si vous confirmez que l'intelligence artificielle est bien concernée, comment et dans quels délais garantissez-vous, dans un premier temps, une réponse de bonne réception, puis, éventuellement, de prise en considération ?

Les auteurs de diverses propositions se plaignent de ne pas avoir toujours eu la garantie que leur message vous soit bien parvenu. Le portail Innovation, lancé ce week-end par le Gouvernement, est-il une voie d'entrée complémentaire ou un outil pour vous permettre de sélectionner les projets ?

Enfin, en ce qui concerne la décision scientifique, vous fondez-vous sur votre seule appréciation ou fondez-vous votre expertise sur un conseil scientifique ou sur les reviewers de l'Agence nationale de la recherche, du Haut Conseil à l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, ou de toute autre structure d'évaluation appartenant aux différents organismes de recherche ?

Ma deuxième question s'adresse au professeur d'Enfert et porte sur l'institut Pasteur. L'un des points forts de votre institut réside dans ses centres avancés situés aux quatre coins du monde, en particulier dans les pays en voie de développement. On note ainsi l'existence d'un institut Pasteur au Laos, à quelques centaines de kilomètres de la frontière chinoise. Il s'agit donc d'un centre avancé pour l'étude des coronavirus, mais la faiblesse de ses moyens et l'absence de virologue sur le terrain jusqu'en novembre 2019 ont été dénoncées. Quels commentaires pouvez-vous apporter à cela ?

Par ailleurs, des essais de sérothérapie basés sur les transferts d'anticorps issus de patients asymptomatiques ou en voie de guérison ont été mis en route. Disposez-vous de premiers résultats ?

Enfin, votre institut doit décerner des avis décisifs pour les diagnostics sérologiques qui, en complément des diagnostics viraux, seront si utiles dans la phase de déconfinement. Où en sommes-nous et l'industrialisation à grande échelle sera-t-elle possible rapidement – même si je crois que, sur ce dernier point, vous avez déjà apporté des éléments de réponse ?

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Cette crise est une leçon d'humilité qui conduit aussi à une reconnaissance, voire à une réhabilitation de la recherche, dont nous mesurons tous désormais l'importance. Quand il y a une urgence, on trouve toujours les moyens nécessaires, parfois gigantesques – cette crise a déjà coûté 50 milliards d'euros à l'État. Pourtant, l'expérience montre que l'anticipation des crises coûte toujours moins cher que la réparation de leurs dégâts. À cet égard, il en va du coronavirus comme il en sera de la crise environnementale qui nous attend ou comme il en a été de la crise économique et financière de 2008, liée à la dérégulation.

On a souvent rogné sur les budgets, y compris ceux des organismes d'expertise. Dans votre secteur d'activité, avez-vous le sentiment d'avoir disposé de moyens suffisants pour financer et organiser vos recherches, aux niveaux national et européen, sur les maladies de ce type ou d'autres maladies émergentes ? Disposez-vous maintenant de ces moyens ? J'espère que tel est le cas. Surtout, quels conseils nous donnez-vous pour éviter d'autres crises de ce type à l'avenir ?

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Comme vous l'avez dit, monsieur Door, la virulence du virus est surveillée de façon très étroite. Des séquençages sont réalisés sur toute la planète. Chaque jour, 100 à 200 séquences complètes de génome sont partagées par la communauté internationale.

À ce stade, il existe trois groupes génétiques du virus, mais celui-ci ne présente aucune variabilité antigénique ; autrement dit, il n'y a qu'un seul sérotype. En revanche, il présente de petites subtilités nucléotidiques. Par ailleurs, rien ne signale que sa virulence augmente ou diminue. Il est stable. Le seul changement notable est que nous savons désormais mieux prendre en charge les patients qu'auparavant. J'ignore si cela signifie qu'il n'y aura pas d'évolution du virus à terme. Par hypothèse, lorsqu'un virus se diffuse de façon abondante, sa virulence a tendance à se réduire. Toutefois, pour l'instant, nous n'avons rien observé de tel.

S'agissant de l'éventuelle disparition du virus, il est difficile, là encore, d'avoir des certitudes. Mon hypothèse personnelle est qu'il ne disparaîtra pas et qu'à terme, il deviendra saisonnier. Il faudra donc apprendre à vivre avec lui, d'où l'importance de disposer d'armes adéquates : un vaccin et l'immunité collective.

Quant aux allégations relatives au laboratoire P4 de Wuhan, elles relèvent de la rumeur. Aucune étude sérieuse ne permet d'affirmer que ce laboratoire soit impliqué dans l'origine ou le développement de l'épidémie. Une étude phylogénétique du virus – un tel travail consiste à faire son arbre généalogique et à essayer d'identifier ses points d'évolution – montre qu'il aurait évolué en trois temps. Il aurait émergé dans un premier temps non pas à Wuhan, mais dans une province du sud de la Chine, où l'on avait relevé la présence de pangolins infectés, et il ne serait apparu sur le marché de Wuhan que dans un deuxième temps.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

Je n'ai pas connaissance des modélisations que vous avez mentionnées, monsieur Vallaud. Nous commençons à disposer de modèles très précis et fiables, fondés notamment sur les données d'hospitalisation, qui donnent une vision de l'impact du confinement sur l'épidémie. On peut effectivement commencer à imaginer des modèles testant les stratégies de déconfinement et leurs conséquences éventuelles quant à un redémarrage de l'épidémie.

Les modèles existants sont très utiles. Ils ont probablement éclairé en partie la décision d'engager le déconfinement le 11 mai. Ils ont en effet permis de prédire une réduction suffisante du nombre d'hospitalisations à cette date. Selon moi, ils nous permettront à l'avenir de suivre l'épidémie et d'anticiper son évolution.

J'en viens à l'action du réseau international des instituts Pasteur. L'institut Pasteur du Laos, créé il y a une dizaine d'années, accomplit un travail remarquable, en particulier pour la compréhension écologique et épidémiologique des épidémies dues aux coronavirus. Il connaît effectivement un problème d'effectifs lié aux évolutions budgétaires. Nous travaillons sur ce point avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et espérons trouver des solutions.

Parmi les projets que j'ai mentionnés dans mon propos introductif, l'institut Pasteur finance, en lien avec les instituts Pasteur du Laos et de Shanghai, l'Agence française de développement (AFD) et la fondation Mérieux, un dispositif de surveillance des virus. Un projet, en particulier, a pour objectif de comprendre la dynamique des coronavirus au Laos, au Vietnam et en Chine, afin que nous soyons mieux à même de détecter précocement des poussées épidémiques.

Quant à l'évaluation des tests sérologiques, elle est en cours. Le CNR de l'institut Pasteur et son laboratoire associé, situé à Lyon, ont préparé des rapports sur huit d'entre eux, qui devraient être publiés dans les plus brefs délais sur le site de la Société française de microbiologie, mais aussi par l'intermédiaire de la cellule qui rassemble le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI), la direction générale de la santé (DGS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

Un des membres du CARE est expert en intelligence artificielle et un autre connaît assez bien ce domaine. Pour toute question ayant trait à l'intelligence artificielle, nous nous reposons beaucoup sur eux, mais nous consultons, en complément, des experts extérieurs.

Il m'est un peu difficile de répondre à votre question relative au délai de réponse, Monsieur Barrot. Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, le CARE reçoit des fiches de proposition et s'efforce de transmettre son avis au ministère de la recherche le plus rapidement possible, au plus tard dans la semaine. Ensuite, j'ignore dans quel délai les porteurs de projet obtiennent une réponse du ministère. Pour dire les choses clairement, nous n'avons pas de contact direct avec les porteurs de projet. C'était le cas dans les premiers temps qui ont suivi la création du CARE, mais ce fonctionnement artisanal créait un désordre terrible, source de retards. Désormais, tout est centralisé par le ministère : celui-ci nous envoie les propositions et nous lui retournons un avis qu'il communique aux porteurs de projet. Cette procédure fonctionne bien.

Vous avez parlé de « décision scientifique », monsieur Barrot. Je précise que, pas plus que le conseil scientifique, nous ne prenons de décision ; nous donnons seulement un avis, la décision revenant au ministère. Et, pour émettre cet avis, nous ne faisons pas appel à des évaluateurs, car nous examinons non pas des projets mais des propositions formulées généralement de manière très succincte – elles tiennent parfois en quatre lignes, se bornant, en somme, à estimer si l'idée est intéressante à explorer ou s'il est préférable de l'oublier. Nous ne disposons pas de suffisamment d'éléments pour réaliser une véritable évaluation scientifique. Dans un deuxième temps, les porteurs de projet doivent élaborer un véritable projet et le soumettre aux instances compétentes. Nous pouvons néanmoins leur recommander de s'adresser à telle ou telle agence de financement, par exemple à l'ANR, au programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) ou à la Fondation pour la recherche médicale, qui réalisent ces évaluations.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Monsieur Vallaud, le conseil scientifique a beaucoup étudié la dynamique du nombre de cas. Nous nous sommes appuyés principalement sur le nombre de séjours en réanimation car nous pensons qu'il s'agit d'un marqueur relativement fiable et stable – même si nous savons que, la maladie étant mieux connue, les patients sont mieux pris en charge qu'au début de l'épidémie, ce qui fait baisser ce nombre, tout comme la mortalité en réanimation.

En nous fondant, premièrement, sur le nombre de cas observés en réanimation et, deuxièmement, sur le nombre de cas hospitalisés, qui permet de consolider la première donnée, nous avons estimé chaque jour le nombre total de cas. Cela nous a permis de suivre la dynamique de l'épidémie et de calculer le taux de reproductibilité du virus, généralement désigné par « R0 », qui correspond au nombre de cas secondaires contaminés à partir d'un cas index.

Selon les estimations de M. Simon Cauchemez, ce taux avoisine actuellement 0,6 % – il est peut-être même légèrement inférieur. À partir de là, nous avons pu modéliser la décroissance du nombre de cas. Nous avons ainsi estimé qu'à la mi-mai, le nombre d'infections par jour en France s'établirait entre 1 000 et 3 000, et qu'au même moment, il resterait seulement, si j'ose dire, 2 000 patients atteints du Covid-19 en réanimation. En d'autres termes, à la mi-mai, 40 % des lits de réanimation seraient consacrés au traitement de l'épidémie, ce qui permettrait aux hôpitaux de reprendre leurs autres activités médicales.

C'est probablement sur le fondement de ces chiffres que la décision de mettre fin au confinement a été prise. Le conseil scientifique avait émis un avis indiquant que le déconfinement serait envisageable lorsque ces chiffres seraient atteints. Mais, je le répète, la décision relève du politique.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

De l'avis général des chercheurs, les financements dédiés à la recherche, en particulier à la recherche fondamentale et clinique, sont insuffisants au regard de ce que l'on observe dans d'autres pays, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Corée du Sud.

Néanmoins, une mobilisation financière importante a clairement eu lieu dans le contexte de l'épidémie. On peut se réjouir, par exemple, que le taux de succès consécutif à l'appel à projets lancé par l'ANR ait atteint 30 à 35 %, résultat que l'on a davantage l'habitude de voir pour des appels à projets financés par les agences suisses ou allemandes.

Les moyens nécessaires sont donc là pour faire face à l'épidémie ; reste à savoir dans quelle mesure la mobilisation se poursuivra. J'espère que l'annonce du Président de la République d'une augmentation du budget de la recherche de 5 milliards d'euros sur dix ans se concrétisera. Il importe aussi de savoir quelle forme elle prendra. Il convient d'apporter un véritable soutien à la recherche fondamentale, dont on mesure désormais l'importance considérable pour la prise en charge des épidémies et pour notre réactivité à tous les niveaux.

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Le 8 avril 2020, le conseil scientifique a rendu un avis relatif aux outre-mer face à l'épidémie de coronavirus, indiquant en substance que le virus avait été traité très tôt dans ces territoires. En effet, un confinement et une quatorzaine stricte ont été instaurés immédiatement après le franchissement du seuil épidémique dans certains de ces territoires, avant même qu'il ne soit atteint dans d'autres, permettant de contenir la propagation de l'épidémie.

Le conseil scientifique a par ailleurs préconisé des mesures particulières, tenant compte de l'éloignement et de l'insularité de la plupart des territoires ultramarins, lors de la mise en œuvre du confinement. Sa principale recommandation repose sur une stratégie : tester, tester, tester.

Le Premier ministre a annoncé hier une approche territorialisée du déconfinement et le Président de la République a ajouté que les outre-mer pourraient être des territoires pilotes en la matière, répondant ainsi à la demande formulée par la délégation aux outre-mer. Le processus de déconfinement, d'ores et déjà entamé en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, a été amorcé à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cela étant, M. Édouard Philippe a indiqué qu'il fallait prendre au sérieux le risque d'une seconde vague épidémique. Notre inquiétude est d'autant plus grande que les parents d'élèves, les enseignants et les personnels des collectivités territoriales craignent une résurgence de la maladie dans les écoles si la rentrée scolaire était précipitée, notamment ici, en Guadeloupe.

Quelles mesures particulières préconiseriez-vous s'agissant de la stratégie de déconfinement dans les territoires d'outre-mer, au regard des données relatives à la propagation du virus et des premières expériences menées localement ?

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Certains infectiologues tiennent pour impossible l'élaboration d'un vaccin contre le virus Covid-19. Les anticorps font l'objet d'interrogations : sont-ils protecteurs ? toutes les personnes infectées en sont-elles porteuses, y compris celles qui ont développé très peu de symptômes ? D'autres infectiologues considèrent à l'inverse qu'un vaccin est possible mais soulignent que les anticorps qu'il induirait pourraient ne pas être neutralisants, mais, au contraire, facilitants. Actuellement, 116 candidats vaccin sont recensés, notamment ceux de Sanofi et de l'institut Pasteur. Pensez-vous qu'ils déboucheront sur un vaccin ? Les travaux sont-ils plus avancés dans un pays particulier ?

Par ailleurs, si j'ai pris note de vos réserves concernant la fiabilité des tests sérologiques, j'ai cru lire ailleurs que ce problème concernait aussi les tests virologiques, notamment le fameux test PCR, dont le taux de faux négatif serait d'environ 30 %, ce résultat s'expliquant par le moment où le prélèvement nasopharyngé est effectué et par la technique assez particulière qu'il nécessite. Qu'en pensez-vous ?

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Qu'en est-il de l'immunité collective sur laquelle repose en partie notre stratégie de déconfinement ? D'après les estimations que vous avez données lors d'interviews, 5,7 % des Français auront été infectés, le 11 mai, par le virus du Covid-19. Or nous ne savons pas dans quelle mesure cette infection les a immunisés et pour combien de temps. L'arrivée d'une seconde vague dans certains pays invite à douter que l'immunité soit durable. Il semble donc que seul le vaccin serait véritablement efficace pour protéger la population.

Doit-on faire reposer en partie notre stratégie de déconfinement sur l'immunité collective alors que subsiste ce doute ? Tout le monde souhaiterait qu'entre 60 et 70 % de la population soit immunisée pour permettre une immunité collective optimale, mais ce taux sera-t-il un jour atteint ? En attendant, doit-on se reposer uniquement sur les gestes barrières et le port du masque ? Vers quoi doit-on se tourner ? Nos concitoyens veulent savoir quelles conditions devront être satisfaites pour qu'un déconfinement total réussisse.

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Santé publique France indique que le nombre de tests stagne depuis quelques semaines, à 90 000 par semaine, alors que le Gouvernement en annonçait 150 000.

En tant que scientifiques, vous connaissez les problèmes d'approvisionnement. Les deux fournisseurs phares, Thermo Fisher Scientific et Qiagen, appartiennent désormais au même groupe. Des pénuries apparaissent un peu partout. Beaucoup de laboratoires, comme celui de l'institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, ont dû trouver des solutions alternatives, avec des laboratoires vétérinaires, par exemple, parce qu'ils n'arrivaient plus à se fournir. Des problèmes d'approvisionnement et de prix sont apparus.

Vous avez parlé de faux négatifs. Pour ma part, je m'inquiète plutôt du fait que les cas compliqués nécessiteront plusieurs tests PCR. Ainsi, pour les patients atteints d'une infection ORL, il faudra procéder à de nouvelles cultures, dont les résultats risquent d'être faussés par des restes d'ARN viral, sans virus actif. Je pense donc qu'on sous-estime le nombre de tests PCR nécessaires.

Par ailleurs, cela a été dit, l'élaboration d'un test sérologique ne sera pas simple, compte tenu des médiations cellulaires et humorales. D'après la littérature, l'augmentation du taux d'immunoglobuline, plus tardive qu'attendu, pourrait n'intervenir qu'au bout de trois à quatre semaines. L'immunité ne pourra être donc vérifiée que tardivement, et de manière incomplète, voire pas du tout. Il se pourrait même qu'elle soit inefficace. Cela fait beaucoup d'incertitudes ! Pouvez-vous confirmer ces différents constats et revenir sur la lutte stratégique à mener pour obtenir le volume de tests nécessaires ?

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Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité analyse, recherche et expertise (CARE)

Concernant le vaccin, pour ne pas vous mentir, nous ne savons pas encore ce qu'il en est des anticorps facilitants. Des données invitent effectivement à soulever la question. C'est pourquoi l'une des priorités de la recherche actuelle est d'analyser très précisément le rôle protecteur ou facilitant, et les réponses cellulaires, en particulier à partir de cohortes de patients mais aussi d'études en laboratoire, nomment sur l'animal. Il est primordial de parvenir à une vision exacte de toutes les composantes de la réponse immunitaire à l'infection ; cela doit être l'une des priorités de la recherche, en vue aussi bien d'élaborer un vaccin que d'améliorer les traitements.

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Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

De nombreux protocoles sont en cours, certains de très grande ampleur, notamment concernant les traitements. Ils sont adaptatifs : on abandonne les molécules les moins intéressantes en cours de route et on en teste d'autres. D'essai en essai, j'espère que nous aboutirons au meilleur traitement pour les patients et pour toute la population le plus rapidement possible.

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Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

Madame Peyron, à ce stade, il ne faut pas trop compter sur l'immunité collective pour réussir le déconfinement. La clé en la matière est de changer notre façon de vivre en société, en respectant du mieux possible les gestes barrières, en utilisant les masques, en suivant l'épidémie au plus près, en confinant les malades et éventuellement les cas contacts. Si l'épidémie repart, il faudra revenir à un confinement plus rigoureux.

Outre-mer aussi, où l'épidémie n'a pas été majeure, un suivi rigoureux des gestes barrières, mais aussi de l'évolution de l'épidémie et des potentielles reprises épidémiques, sera nécessaire.

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Bruno Lina, professeur au CHU de Lyon et chef d'équipe au centre international de recherche en infectiologie (CIRI)

Les dernières questions posées ne sont pas les plus simples.

Nous avons rédigé un avis spécifique à propos des outre-mer parce que leur cas était particulier. La situation insulaire de la plupart de ces territoires facilite le contrôle des entrées des personnes infectées, si bien que la stratégie de quarantaine ou de quatorzaine a été remarquablement efficace pour freiner l'introduction du virus, lequel, dans la plupart des cas, vient de métropole. Cela a créé une situation assez confortable, notamment en Nouvelle-Calédonie et maintenant à Saint-Pierre-et-Miquelon, où la levée de confinement va de pair avec le maintien de conditions extrêmement strictes à l'entrée de personnes extérieures. Puisque l'on sait que le virus ne circule pas à l'intérieur de ces territoires, le seul risque vient des voyageurs, qui sont donc maintenus en quatorzaine et font l'objet de dépistages.

Concernant les vaccins et médicaments, je fais partie des optimistes qui considèrent que ces solutions thérapeutiques seront trouvées. Ceux qui prétendent que l'on n'a pas les moyens de développer un vaccin contre le coronavirus sont des défaitistes ; les essais en cours sont nombreux et certains des premiers résultats s'avèrent extrêmement encourageants. Ce n'est pas parce que nous ne connaissons pas encore la réponse immunitaire protectrice que nous ne la connaîtrons pas dans trois mois. Nous apprenons constamment et il est presque certain que nous trouverons des solutions.

Les questions concernant le déconfinement sont finalement les mêmes dans les outre-mer qu'en métropole : est-il légitime de rouvrir les écoles ? Là encore, pour trancher, il faut s'appuyer sur un état des lieux. En Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon, on l'a fait parce que le virus n'y circulait plus. Dans l'ensemble de ces territoires, nous avons augmenté les capacités en matière de tests, démarche compliquée par le fait que les équipements n'arrivent pas malheureusement avec la même rapidité qu'en métropole. Cela étant, des actions très fortes ont été menées et la capacité de diagnostic a été dimensionnée pour égaler celle de la métropole, en proportion de la population. Bref, si les mêmes questions qu'en métropole se posent dans les outre-mer, ces territoires ont mieux maîtrisé la situation grâce à l'atout considérable que constitue leur situation insulaire, et ils disposent de bon nombre d'outils. Reste à maintenir la vigilance à son maximum.

Les faux négatifs dans les tests PCR procèdent en réalité de prélèvements réalisés selon un mauvais timing. Je suis en train de préparer une note pour expliquer à quel moment faire quel type de test pour diagnostiquer une infection au coronavirus. Selon que vous intervenez cinq, sept, dix jours après les premiers symptômes, vous ne pouvez pas effectuer le diagnostic de la même manière ; il y a des règles à suivre et des outils à utiliser.

Les tests sérologiques pourront être utilisés une fois qu'ils auront été qualifiés, c'est-à-dire qu'on aura établi leur qualité et leur bonne valeur prédictive. Ils viendront alors compléter le diagnostic par test PCR. Mais le principe de base reste de pouvoir poser le diagnostic le plus tôt possible pour casser les chaînes de transmission, et seul le test PCR permet de le faire.

Il faut bien comprendre ce que signifie une masse de 100 000 tests par semaine, bien mesurer l'effort considérable que cela représente : c'est l'équivalent de l'ensemble des tests pratiqués chaque année par mon laboratoire de virologie, à Lyon, pour diagnostiquer le VIH, les hépatites, les papillomavirus, les virus respiratoires, le cytomégalovirus, le virus d'Epstein-Barr (EBV) et toutes les autres maladies virales surveillées ; il s'agit du seul laboratoire pour les hôpitaux de Lyon, et il effectue 100 000 tests PCR par an. Nous avons basculé vers un rythme astronomique de production de tests PCR : en seulement deux mois, nous avons multiplié par dix à vingt les capacités diagnostiques. Certes, ce n'est pas suffisant, d'autres pays ont fait mieux. Mais nous serons réellement capables d'effectuer ces 100 000 tests parce que nous avons sécurisé l'approvisionnement des consommables – aussi bien du plastique des pipettes que des dispositifs d'extraction et des kits d'analyse. Le nombre de tests PCR réalisés diminue parce que moins de cas apparaissent depuis que la vague épidémique reflue, mais la capacité diagnostique demeure. Au pic de l'épidémie, 35 000 à 40 000 tests étaient pratiqués chaque jour en France. En additionnant les capacités diagnostiques, on atteint maintenant les 100 000 tests pour lesquels la disponibilité de l'ensemble des consommables est sécurisée.

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Je pense me faire le porte-parole de tous les participants pour remercier les quatre scientifiques d'avoir rendu cette table ronde si riche et intéressante. L'heure n'est plus à choisir entre optimisme ou pessimisme, mais à faire preuve de raison, notamment en intégrant la notion de temps, revenue dans tous vos propos. Il faudra compter avec cette variable, ce qui constitue un sacré défi pour les responsables politiques car le temps implique l'attente, parfois l'impatience de nos concitoyens. Cette dernière exige de notre part de faire preuve de sincérité et d'honnêteté dans nos discours mais aussi d'être rassurants. Vous nous y avez bien aidés.

Pour conclure, je reprendrai à mon compte l'interrogation de Pierre Dharréville sur la nécessité de renforcer de la culture scientifique et médicale de notre pays. J'ai l'impression que, par la force des choses, cette culture progresse vite ces jours-ci.

La séance est levée à vingt heures.