Je suis heureux de pouvoir rendre compte devant vous à la fois de la gestion de la crise et du plan de réouverture progressive que nous préparons.
Concernant la gestion de la crise, la première chose fondamentale que nous avions à faire était la mise en sécurité des personnels et des élèves dans le contexte de l'arrivée de l'épidémie. À chaque étape de la progression de cette maladie contagieuse, devenue épidémie, a correspondu un stade de réaction.
Le 3 février, c'est-à-dire six jours avant le début des infections en France, nous avons communiqué les gestes barrières à l'ensemble du système. Tout au long du mois de février, des informations ont circulé au sein du ministère sur l'évolution de l'épidémie, en liaison avec le ministère de la santé. C'est au début du mois de mars que commence la politique consistant à fermer les établissements au sein des « clusters » – « foyers » en français –, d'abord dans l'Oise, puis dans le Morbihan le 6 mars et dans le Haut-Rhin le 12 mars. À cette date, ces trois foyers représentaient déjà 400 000 élèves.
Chaque jour a constitué une alerte supplémentaire pour l'éducation nationale et nous avons augmenté le niveau d'organisation. À partir de ce moment-là se tenaient tous les deux jours des visioconférences avec les recteurs, afin de préparer l'ensemble du territoire ; nous savions en effet que d'autres zones devraient fermer. Cette préparation nous laissait envisager des fermetures département par département, comme c'était le cas dans l'Oise ou le Haut-Rhin, éventuellement des fermetures de régions entières. Nous ne pensions pas, à ce moment-là, que le pays entier serait concerné. C'est pourtant ce qui s'est passé lorsque, le 12 mars, le Conseil scientifique a considéré que c'était nécessaire et que le Président de la République l'a annoncé.
Le 16 mars, nous passions donc à ce que l'on appelait à ce moment-là le stade trois, qui signifiait la fermeture de toutes les académies. C'est ce qui m'a permis de dire à ce moment-là : « nous sommes prêts » – cette phrase a été commentée. Nous l'étions en effet au titre de l'enseignement à distance, autant que l'on peut l'être, bien entendu. Cela ne voulait pas dire que nous étions prêts à tout faire parfaitement, cela n'existe jamais. Nous étions prêts, au sens où nous avions travaillé à l'organisation du système et aux différentes conséquences, académie par académie, rectorat par rectorat.
Immédiatement après le 16 mars, deux missions devaient s'accomplir, plus encore que dans les foyers où elles avaient été expérimentées précédemment : d'une part, l'enseignement à distance et, d'autre part, l'accueil des enfants des personnels soignants. Ces missions devenaient alors les deux grandes missions de l'éducation nationale pendant cette période de crise.
S'agissant de l'enseignement à distance, nous avions préparé un dispositif depuis que l'ouragan Irma avait dévasté une partie des Antilles, notamment Saint-Martin. Nous avions alors prévu un système pour les élèves se retrouvant sans école, de façon à assurer une continuité pédagogique. Un travail a été effectué par le Centre national d'enseignement à distance – CNED – qui est une richesse française, dont on ne trouve que peu d'équivalents dans le monde. Ce travail nous a permis de préparer le système appelé « Ma classe à la maison », qui était prêt à la fin de l'année 2019, au moment où l'épidémie commençait à se déclarer en Chine et qu'il fallait agir, déjà, pour les élèves français de Chine. « Ma classe à la maison » a donc commencé dès le début de l'année 2020 pour ces derniers ; nous l'observions alors comme une expérimentation intéressante de l'enseignement à distance.
Progressivement, « Ma classe à la maison » a servi dans l'Oise, le Morbihan et le Haut-Rhin, puis d'un seul coup dans toute la France, à partir du 16 mars. C'est à ce titre que j'ai pu dire que nous étions prêts, puisque « Ma classe à la maison » pouvait fonctionner pour tous les enfants français. Aucun pays au monde ne pouvait dire la même chose en débutant son confinement. Nous pouvons être fiers d'avoir une institution comme le CNED, capable de faire cela.
Bien sûr, tout n'a pas été parfait tout de suite. Ainsi, des professeurs s'étaient formés à l'enseignement à distance depuis plusieurs années, mais ce n'était pas le cas de tous et certains se sont parfois retrouvés dans une situation inédite. Mais les outils permettant de communiquer avec les élèves étaient disponibles, entre d'une part, « Ma classe à la maison » et, d'autre part, les environnements numériques de travail – ENT – qui se sont développés dans les écoles et les établissements depuis de nombreuses années. Quelques difficultés sont survenues les premiers jours, notamment une sorte d'embouteillage informatique, mais elles ont rapidement été résolues ; il faut aussi rendre hommage à tous les acteurs qui l'ont permis.
Il faut souligner le volontarisme des professeurs, qui méritent la gratitude du pays, car ils se sont mis à l'enseignement à distance, qu'ils aient été expérimentés en matière numérique ou non, et les familles l'ont vu. Ils ont d'ailleurs été tellement volontaristes que, dans un certain nombre de cas, au bout d'une semaine, les élèves étaient surchargés de travail et les parents parfois désemparés face à cette surcharge. Le système s'est progressivement équilibré grâce aux contacts entre parents et professeurs, et grâce à des équilibres réalisés à l'échelle de chaque académie.
Le bilan est le suivant : 2,6 millions d'inscrits à « Ma classe à la maison » et une grande majorité d'élèves qui ont été en contact avec leurs professeurs. En effet, dès le début de la crise, parce que nous sommes un service public national de l'éducation, nous avons eu la possibilité, plus fortement que la plupart des autres systèmes éducatifs, de mailler le territoire. Il a été demandé aux équipes, par le biais des chefs d'établissement, des directeurs d'école, des conseillers principaux d'éducation et des professeurs, notamment principaux, de téléphoner aux familles, en particulier à celles les plus en difficulté.
Au début du confinement, les enquêtes menées sur le décrochage dans le cadre de l'enseignement à distance montraient que 8 à 10 % d'élèves se trouvaient en dehors de nos radars. Un remarquable travail de terrain a été fait par les équipes, en particulier par les professeurs. Des directeurs et des directrices d'école ont ainsi repris contact avec des familles à leur domicile ou par le biais de leurs voisins. Semaine après semaine, nous avons réduit ce taux, qui s'établit aujourd'hui autour de 4 % en moyenne. On m'objecte souvent qu'il est beaucoup élevé dans certains endroits : c'est une moyenne. Il est vrai que, s'agissant des lycées professionnels, il est plus élevé, tout comme dans certains territoires ; dans d'autres, il est pratiquement de 0 %, parfois 0,5 %. Avec cette moyenne, qui reste à consolider – et nous mènerons des enquêtes complémentaires, d'autant que le problème perdure aux mois de mai et de juin – nous ferons des comparaisons européennes et internationales. Je sais déjà que la France n'a pas à rougir, y compris vis-à-vis de l'Allemagne.
Nous avons développé des mécanismes pour être en contact avec les familles, parce que la crise accentue – plus qu'elle ne révèle – des inégalités, que ce soit des inégalités sociales, des contextes familiaux différents rendant la situation de chaque élève très spécifique, avec un très fort risque d'aggravation de ces inégalités, ou la fracture numérique qui les accompagne, tous les élèves ne disposant pas d'un équipement informatique. Là aussi, un énorme travail a été réalisé. Je veux rendre hommage aux collectivités locales qui ont donné des tablettes ou prêté des ordinateurs aux familles. Cela a permis de réduire la fracture numérique, mais pas de l'abolir. Nous avons poursuivi ce travail : récemment, avec Julien Denormandie, nous avons débloqué 15 millions d'euros, qui font suite à de précédentes initiatives. Nous en prendrons d'autres, parce que l'équipement informatique doit être généralisé en prévision des mois à venir.
Nous avons lancé d'autres initiatives, notamment avec La Poste, qui nous a aidés à mettre sur pied en peu de semaines un système permettant à un professeur d'envoyer un document depuis son ordinateur ; ce document est ensuite imprimé par La Poste et acheminé sur support papier jusqu'au domicile de l'élève, avec une enveloppe T pour un retour gratuit. Nous touchons ainsi, depuis le début de ce dispositif, 10 000 élèves par jour. C'est une innovation française très intéressante et opérationnelle dès maintenant.
Nous avons également lancé l'opération « Nation apprenante », dont l'objectif consistait à atteindre les élèves qui n'ont pas internet chez eux par le biais de la télévision, de la radio et des journaux. Nous avons proposé à tous les médias, en commençant par l'audiovisuel public, de participer à cette opération. « Nation apprenante » est désormais un label de l'éducation nationale donné à des contenus éducatifs.