M. Studer m'a interrogé sur le suivi médical des professeurs. Il s'agit d'un sujet essentiel. J'ai abordé ces questions avec les représentants des personnels de santé et les recteurs, de façon à mobiliser les personnels médicaux et de santé sur les enjeux de ce que nous nous apprêtons à réaliser, tant pour les adultes que pour les enfants.
Par ailleurs, j'insiste sur le travail des psychologues scolaires, car nous devons traiter de sujets de santé physique mais aussi psychologique, pour les adultes comme pour les enfants, à l'occasion du déconfinement. Depuis de nombreuses années, la médecine de prévention n'est malheureusement pas un point fort de l'éducation nationale, ni de nombreuses autres administrations, pour des raisons qui relèvent notamment de la démographie médicale de la France – certains postes ne sont pas pourvus.
Néanmoins, nous ne sommes pas en situation d'inaction. S'agissant de l'accueil des professeurs, nous travaillons avec plusieurs mutuelles, notamment la Mutuelle générale de l'éducation nationale – MGEN –, sur les personnels souffrant de problèmes de santé. Nous indiquons aux professeurs dont la santé est vulnérable en raison du Covid-19, ainsi qu'à ceux comptant au moins un parent vulnérable au sein de leur foyer, de ne pas se rendre dans leurs établissements respectifs au cours des prochaines semaines. Certains professeurs et certains élèves seront donc absents pour des raisons de santé. Ils n'en seront pas moins en contact avec l'institution, en tant que de besoin.
S'agissant du cas où quelqu'un présenterait des symptômes de Covid-19 au sein du système scolaire, le protocole prévu au niveau national s'appliquera, en liaison étroite avec les agences régionales de santé – ARS –. La doctrine arrêtée par le ministère des solidarités et de la santé prévoit la réalisation 700 000 tests par semaine à partir du mois de mai. L'idée est de tester non pas tout un chacun de façon indifférenciée, mais quiconque présente des symptômes. Dès lors que quelqu'un – élève ou professeur – est testé positif, chacun de ses contacts sera testé, afin de rompre la chaîne de transmission.
Cette approche amènera sans doute à détecter tout individu porteur du virus, qu'il présente des symptômes ou non. Cette doctrine inclut l'établissement d'une relation très étroite entre les ARS et l'éducation nationale. Les recteurs y travaillent, en liaison avec les préfets. Nous renforçons les moyens de prévention et d'action du ministère, en relation avec les ARS, qui prêteront main-forte en tant que de besoin.
S'agissant des concours internes de recrutement, nous vivons une situation inédite. Nous avons fait en sorte d'organiser aux mois de juin et juillet prochains les concours externes – présentés par des candidats ayant souvent préparé depuis plusieurs années leur entrée dans l'éducation nationale –, parfois dans des formes que nous avons fait évoluer. Il s'agit d'une attente très forte – 200 000 candidats présentent chaque année les concours d'entrée dans l'éducation nationale – et d'un fort enjeu de société. Il aurait été plus facile de décréter une année blanche en matière de concours. Nous ne l'avons pas fait. Nous les avons fait évoluer afin de maintenir un droit, et de disposer à coup sûr des nouveaux titulaires nécessaires au fonctionnement du système éducatif.
Il est exact que les concours internes s'en trouvent remis à plus tard, car ils présentent un caractère moins urgent et peuvent se dérouler tout au long de l'année. Juridiquement, la différence de situation entre les concours n'est pas un motif de rupture d'égalité, laquelle s'analyse, de la part du juge administratif, au sein d'un même concours, et non entre deux concours distincts. Les concours internes auront bel et bien lieu. Telle est la meilleure réponse positive que nous pouvions apporter à ceux qui sont concernés.
S'agissant des colonies de vacances, il s'agit d'un sujet majeur, que j'aborderai en tant que ministre de la jeunesse. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même tenions à ce que l'éducation nationale et la jeunesse soient réunies au sein d'un même ministère, précisément en raison des cohérences à tisser entre les deux. Ce que je m'apprête à dire répondra également aux questions de Mme Tolmont relatives à ce que nous comptons faire pour les élèves défavorisés.
Sur ces sujets, nous devons raisonner en dessinant une cohérence entre les quatre temps de la crise que nous traversons. Le premier temps – le confinement – va du 15 mars au 11 mai ; le deuxième temps – le déconfinement – du 11 mai au 4 juillet, du point de vue scolaire ; le troisième temps est formé par les vacances d'été des enfants, aux mois de juillet et d'août ; le quatrième temps s'ouvre avec le mois de septembre, dont nous savons qu'il sera également un temps particulier.
Nous devons développer une vision fondée sur ce que vit l'élève. C'est pourquoi je ne souscris pas à l'idée selon laquelle certains élèves pourraient être laissés dans une sorte de trou noir de mars à septembre, ni même en juillet et en août. C'est impensable. Plus que jamais, le droit aux vacances est un enjeu majeur de l'été. L'été 2020 n'aura rien à voir avec les étés précédents. Nous devons être très soucieux de ce que vivront les élèves.
La solution de facilité aurait consisté à annuler les colonies de vacances pour des raisons sanitaires. Ce faisant, nous aurions ajouté un problème à un problème, car les colonies de vacances sont en déclin depuis plusieurs années. Elles accueillent chaque année moins d'enfants que la précédente. Nous travaillions déjà à les relancer. Il faut créer une nouvelle dynamique. Nous nous efforçons de les sauver en travaillant avec les fédérations d'éducation populaire, qui sont opérateurs des colonies de vacances, aux côtés des collectivités locales. Toutes devront respecter les consignes sanitaires.
Par ailleurs, nous lancerons une opération intitulée « Vacances apprenantes », qui est un label permettant, pendant les vacances, de regrouper diverses modalités de loisir pour les enfants, notamment ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés, mais aussi, je l'espère, de milieux mixtes socialement. Simultanément, nous renforcerons le dispositif bien connu « École ouverte » – devenu un peu léger au fil des ans –, en milieu urbain comme en milieu rural, où des actions spécifiques doivent être menées. Enfin, nous introduirons de nouvelles modalités de colonies de vacances, notamment pour des raisons écologiques, prévoyant que l'enfant parte en vacances dans sa région, en milieu champêtre, selon des modalités valorisant les espaces ruraux.
Notre objectif – il n'est pas facile à atteindre et je ne suis pas certain d'y parvenir – est de faire en sorte qu'on compte davantage d'enfants partant en vacances en dépit des obstacles. Nous ferons d'un obstacle un levier, afin que davantage d'enfants partent en vacances, en étant attentifs à ce qu'ils ont vécu de dur pendant la période de confinement, et même pendant la période de déconfinement. Ainsi, les vacances seront un tremplin pour l'année scolaire qui suit.
Mme Corneloup a évoqué l'enjeu de la responsabilité juridique, débat qui a lieu en ce moment même en commission des lois. Le droit en vigueur est protecteur pour les maires et les enseignants. Nous expliciterons ce caractère protecteur dans des documents spécifiques. Peut-être – mon rôle n'est pas de m'engager sur ce point – que des évolutions juridiques auront-elles lieu en faveur d'une protection accrue. J'ignore si elles sont nécessaires. Ce que je sais, c'est que les maires, en l'état actuel du droit, ne doivent pas être inquiets à ce sujet.
Les virus existent depuis longtemps. Ils ne sont pas une nouveauté dans l'histoire de l'humanité, et les maladies pas davantage. À ma connaissance, aucun maire n'a été condamné en raison d'épidémies antérieures. Il est arrivé, malheureusement, que la santé des enfants souffre de conséquences graves avant l'épidémie de Covid-19. La responsabilité des maires et des enseignants est engagée uniquement s'ils ont pris des risques inconsidérés ou commis des négligences. Tel ne saurait être le cas dans le cadre du protocole sanitaire que nous avons établi.
Quoi qu'il en soit, tout sera fait pour rassurer les maires. Les questions qui se posent – et que vous avez posées, madame Corneloup – sont totalement normales. Les réponses sont là ; peut-être faut-il davantage les mettre en avant tout au long des prochains jours.
Madame de Sarnez, vos remerciements à la communauté éducative sont bienvenus. Il importe de les réitérer. En effet, la période qui s'achève a renforcé le lien entre la société et l'école, tant le lien parents-professeurs que le lien élèves-professeurs. Paradoxalement, l'enseignement à distance l'a renforcé dans bien des cas. Même la relation parents-enfants s'est parfois densifiée pendant le confinement. Il s'est passé de bonnes choses à ce titre.
Le triangle parents-enfants-professeurs est une clé de la réussite, pour l'individu comme pour le système scolaire dans son ensemble. Les professeurs ont démontré à la société française qu'ils en sont la pierre angulaire. Il faut utiliser cet effet de levier pour manifester la confiance que nous portons aux acteurs de terrain. A court terme, il faut surtout fixer des objectifs pédagogiques, éducatifs et sociaux pour les enfants, ce qui suppose de cultiver un état d'esprit amenant à travailler ensemble et à se soutenir mutuellement.
Ce que je viens de dire sur les maires et l'éducation nationale l'illustre : nous sommes partenaires et rien d'autre. Il en va de même entre les enseignants et les autres acteurs. Notre institution a parfois la réputation d'être verticale, ce qui au demeurant ne présente pas que des défauts en garantissant notamment l'unité nationale ; elle doit également être horizontale, comme elle en fera la preuve d'ici à l'été.
La question comporte également une dimension de long terme : il faut préparer la rentrée 2020. Elle est prête dans son format classique ; nous devons l'adapter dans un format inédit qui demeure à préciser. Nous agirons de façon très concertée, en tenant compte des attentes du terrain. Il y a là l'occasion d'adopter une forme de contrat social renouvelé entre le pays et ses professeurs.
Madame Tolmont, vous avez ouvert votre intervention par un zeste de soupçon. Nous affirmons que le déconfinement a une visée sociale, vous estimez qu'il n'en a point. Tel n'est pas le cas, pour bien des raisons.
Au demeurant, certains arguments que l'on m'oppose m'étonnent. « Vous maintenez les restaurants fermés mais vous ouvrez les écoles, c'est bizarre ! », nous dit-on ; on nous accuse de procéder à la rentrée des classes pour des raisons moins sociales qu'économiques. Or les restaurants sont essentiels sur le plan économique et nous n'autorisons pas leur réouverture pour des raisons sanitaires. Notre préoccupation est profondément sociale. Par ailleurs, les enjeux économiques sont des enjeux sociaux. Si notre pays s'effondre économiquement, chacun comprend bien qu'il en résultera des conséquences sociales dramatiques. Il me semble donc inopportun d'opposer les deux.
Cette observation étant formulée, je répète que notre objectif est social. C'est aussi pour cette raison que nous commençons par rouvrir l'école primaire, qui était une priorité hors crise et qui l'est demeurée en crise. Il n'y a pas plus grave, en matière de décrochage scolaire, que celui d'un enfant de l'école primaire, car les choses sont très souvent irrattrapables par la suite.
Nous savons que le décrochage existe à l'école primaire, même s'il est moindre que dans le secondaire ; et il est difficilement rattrapable. D'autres problèmes ont aussi des répercussions plus graves en fin d'école primaire ou en début de collège : violences intrafamiliales, mauvaise alimentation, problèmes psychologiques…
Dans la mesure où le déconfinement ne pouvait être que progressif, nous ne perdons pas de vue nos objectifs en accordant la priorité à l'école primaire. L'objectif de consolidation des savoirs fondamentaux à l'école primaire est social, au service des enfants les plus défavorisés. J'en ai reçu mille témoignages. Je songe à ces parents qui m'ont dit que, parce qu'eux-mêmes ne parlent pas bien le français, l'école de la République était salvatrice pour leurs enfants. Si l'école n'ouvre pas au mois de mai, c'est une perte de chances, et ils le savent bien.
Bien sûr, le décrochage est également un enjeu majeur au collège et au lycée : je souhaite ardemment que nous puissions ouvrir bientôt ces établissements. Mais, je le redis, notre motivation est profondément sociale.
Madame Tolmont, vous nous reprochez de responsabiliser les parents. Je ne comprends vraiment pas ce raisonnement. Si l'on considère que la présence physique à l'école doit être obligatoire, alors il faut dire comment on peut s'en assurer : concrètement, faudra-t-il envoyer la force publique chercher les enfants dans leur famille ? Par ailleurs, nous avons dit qu'il n'était pas obligatoire d'envoyer les enfants à l'école, mais cela n'a aucun lien avec le fait que les parents travaillent ou pas.
Chaque parent, et a fortiori ceux qui rencontrent des difficultés sociales, doit pouvoir trouver l'école de ses enfants ouverte. Je vous rejoins sur le fait que les enfants les plus en difficulté doivent être les premiers concernés par le retour à l'école : c'est un travail que nous avons déjà mené durant la période de confinement mais qui n'est pas complètement abouti. C'est toute l'éducation nationale qui est mobilisée pour aller chercher les enfants décrocheurs : ainsi, je parlais il y a peu avec les assistantes sociales, à qui je viens d'ailleurs d'envoyer un message qu'elles recevront demain. Cela se fait en liaison avec les maires, avec les services sociaux… Je suis certain que vous vous en préoccupez vous-mêmes dans vos circonscriptions. Les familles les plus en difficulté, qui peuvent parfois être les moins enclines à renvoyer leurs enfants à l'école, doivent être sollicitées de façon volontariste. Et si l'enfant ne vient pas, nous devons nous assurer qu'il reçoit bien un enseignement à distance.
L'accompagnement des élèves doit être renforcé. Le soutien scolaire gratuit sera développé, notamment pendant la dernière semaine du mois d'août, afin de bien préparer la rentrée.
En ce qui concerne le nettoyage des locaux, l'État et les différentes collectivités locales apporteront leur contribution, mais le protocole sanitaire me paraît tout à fait applicable par les communes.