Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean-Michel Blanquer, ministre :

Monsieur Abad, il est important que votre voix se joigne à d'autres pour soutenir la réouverture des écoles. Je m'en réjouis.

Au travers de la manière dont nous nous exprimons, nous participons tous, dans un sens ou dans un autre, au climat qui règne dans notre pays – vous avez parlé de climat d'anxiété. Nous sommes un grand pays et nous allons nous retrousser les manches, dans une atmosphère d'unité, face à un problème inédit sur lequel nombreux sont ceux qui possèdent plus de lumières que moi, si j'en crois ce que je viens d'entendre. D'autres pays connaissent des incertitudes et des difficultés similaires. Nous avons besoin d'unité. Bien des questions sont légitimes, et les vôtres le sont, mais nous devons tous, de manière responsable, créer un climat positif autour de l'école. Certains de nos voisins y parviennent : cela doit être possible chez nous, et je m'y emploie en permanence. On ne peut pas à la fois user des polémiques et d'une subjectivité exacerbée au moindre problème tout en regrettant l'absence de climat de confiance. L'école est un sujet qui mérite un certain respect. Il n'est pas question de nier les problèmes, mais de les soulever d'une manière susceptible de favoriser un climat de confiance.

J'assume le motif de la reprise économique. La dimension économique est aussi importante, d'autant qu'elle rétroagit sur la situation sociale. Je n'ai pas varié d'un pouce sur cette affirmation qui me paraît de pur bon sens. Nous devons remettre le pays debout, et cela passe aussi par l'école, directement et indirectement.

Vous nous reprochez une réouverture à la carte, au bon vouloir des familles, des maires et des enseignants. Mais si nous avions fait preuve de la moindre rigidité à l'égard de l'une de ces catégories, j'entendrais aussi des plaintes. Lorsque nous ne donnons pas assez de souplesse aux maires, j'entends depuis vos bancs des accusations de rigidité ; si nous manquons de souplesse à l'égard des enseignants, des accusations similaires viennent de tous les bancs ; idem pour les familles. Or le jour où la souplesse et la confiance sont accordées, ce qui est en train de se passer, l'accusation inverse est portée.

Le mot clé, c'est la progressivité. J'assume que tous les élèves ne viennent pas tout de suite : il ne serait pas réaliste de faire croire le contraire. Il n'est pas possible d'imposer la même règle à tous, comme vous le réclamez : nous devons nécessairement faire appel au volontariat. Après le traumatisme du confinement, la progressivité doit être pleinement assumée.

S'agissant des tests, il n'y a pas de pénurie au mois de mai – 700 000 tests par semaine, c'est beaucoup. Il s'agit non pas de les économiser, mais de bien les utiliser et de ne pas les gaspiller. Si nous testions tout le monde à la sortie du confinement, de nombreux tests seraient négatifs ; il faudrait en outre refaire un test tous les jours, puisqu'une personne peut tomber malade ensuite. Nous devons faire un usage pertinent des tests pour rompre la chaîne de contamination – ce n'est pas moi qui le dis, je ne fais que reprendre, avec mes pauvres mots, la doctrine des autorités de santé, qui peut certainement être discutée, mais qui a été inspirée par des pratiques internationales, et l'appliquer à l'éducation nationale.

Quant aux moyens matériels, nous y travaillons. Le soutien financier aux communes a fait l'objet d'une attention particulière dans les discussions menées par Jacqueline Gourault. Plus précisément, le sujet du gel et des lingettes a été évoqué avec les communes dès avant le confinement. Dès le mois de février, j'étais intervenu dans le débat public sur les gestes barrières. Les esprits et les stocks ont donc pu se préparer, même si la question reste d'actualité.

Monsieur Barrot, nous avons introduit de la souplesse dans les modalités de pré-rentrée – je l'assume. La pré-rentrée est importante, car les circonstances sont exceptionnelles. Outre d'éventuelles particularités locales, la notion de circonstances locales fait essentiellement référence à la taille des établissements. La situation n'est évidemment pas la même dans une école rurale avec deux classes multi-niveaux de quatorze élèves, pour laquelle la pré-rentrée peut se limiter à une journée et dans une grande école urbaine soumise à une forte pression démographique, pour laquelle un important travail de préparation est nécessaire. C'est la raison pour laquelle nous avons donné de la souplesse : les inspecteurs de l'éducation nationale apprécient la situation locale et en discutent avec les maires concernés. Il importe de coordonner la communication en direction des familles entre les inspecteurs, les directeurs d'école et les maires. Ce travail a été mené dans un temps contraint, mais nous n'y pouvons rien.

Monsieur Habib, je vous assure qu'il n'y a pas eu d'ordres et de de contrordres. Je sais qu'une certaine presse ou certaines personnes, telles que vous, aiment répandre cette affirmation ; ils la répètent tellement qu'ils finissent par en être persuadés.

Le seul changement de pied que je reconnais concerne la fermeture des écoles sur l'ensemble du territoire alors que nous avions envisagé une fermeture par régions. Cela n'a pas eu de conséquences sur notre capacité à l'appliquer, puisque nous nous étions préparés dans chaque région. Ce changement est lié au fait que le Conseil scientifique a préconisé en urgence, le 12 mars, cette solution. Le Président de la République a pris la décision et nous nous sommes mis en ordre de marche.

À l'exception de ce cas, sur tous les autres sujets, la méthode consiste à tenir compte des incertitudes, à émettre des hypothèses, à recueillir des réactions puis à avancer pas à pas. S'agissant du baccalauréat comme de la préparation du déconfinement, j'ai émis des hypothèses, le compte rendu en fait foi, dans les propos que j'ai tenus devant la représentation nationale – ne me faites pas regretter de l'avoir fait, sinon je serai moins disert devant les députés à l'avenir !

Ces hypothèses ont été reprises dans les propos du Premier ministre quelques jours plus tard et ont constitué une base de travail. Si je n'avais pas agi de la sorte, nous ne pourrions pas préparer la rentrée comme nous le faisons, car la machine éducation nationale représente 1 million de personnels et 12 millions d'élèves. Nous avions grand besoin de ce degré d'anticipation et c'est ce que j'ai fait avec une méthode dans laquelle on avance par étapes successives. Alors que nous sommes en période de confinement, il me semble que c'est le signe d'une démocratie mûre que d'être capable d'appliquer cette méthode dialectique. Je sais que l'on répète à l'envi la petite formule « ordre et contrordre » à l'encontre du Gouvernement. Il y a beaucoup de facilité, et parfois de démagogie, dans cette façon de faire.

Vous me dites également que ce n'est pas moi qui ai lutté contre le décrochage, mais les professeurs. Il est évident que nous avons lutté collectivement. Le partenariat avec La Poste, le système d'aide individualisée pendant les vacances de printemps constituent des systèmes uniques. Il en va de même du mécanisme d'appels téléphoniques aux familles. Tous ces dispositifs reposent sur des acteurs que plusieurs députés ont à juste titre félicités mais il ne sert à rien d'opposer l'institution à ses acteurs. C'est l'institution qui compte, et peu importe ma personne que vous avez envie de critiquer. N'oubliez d'ailleurs jamais qu'ainsi c'est finalement l'institution qui peut être touchée, au moment même où elle a besoin de fierté pour traverser le confinement.

Oui, monsieur Habib, nous ferons le bilan. J'estime que nous pourrons en être fiers, malgré toutes ses imperfections. Il sera possible de les assumer car je ne connais pas de pays qui n'en connaisse aucune.

L'élément sur lequel je serai d'accord avec vous, c'est la nécessité de donner des moyens aux familles modestes dans ces circonstances.

S'agissant des masques, un travail logistique considérable a été accompli par l'éducation nationale depuis plusieurs semaines. Nous avons acquis des masques, qui seront disponibles dans les écoles la semaine prochaine et dans les collèges concernés la semaine suivante, afin d'équiper nos personnels et les collégiens, pour qui leur port sera obligatoire. Nous en aurons également à disposition à l'école primaire : cela n'a pas fait l'objet d'une recommandation, mais ils seront là pour le cas où des élèves en auraient besoin. Nous avons accompli un travail très méthodique. Je l'affirme en présence de la secrétaire générale du ministère, qui se trouve à mes côtés, qui a travaillé avec de nombreuses équipes dans ce domaine et a réussi un travail magnifique ; je suis fier de la féliciter devant vous. Que votre critique n'atteigne pas l'administration, car un tel procédé me paraîtrait trop facile.

J'en viens maintenant aux questions de M. le président Lagarde. En ce qui concerne l'évaluation du nombre d'enseignants qui seront présents, nous conduisons des enquêtes par téléphone et regardons ce qui se passe sur le terrain. Je pense être en mesure de vous donner le chiffre demain ou après-demain ; nous aurons de premières consolidations ce soir. Un pourcentage assez important de professeurs et d'élèves seront, dans un premier temps, absents – à commencer, cela va de soi, par ceux des établissements fermés. Cela va dans le sens de la progressivité.

Sur le fait de ne pas faire revenir les lycéens en même temps que les autres : nous assumons que tous les élèves ne rentrent pas en même temps. Un choix inverse aurait pu être fait, en commençant par les lycéens ; on m'aurait sans doute demandé pourquoi nous n'avions pas fait le contraire. Je vous ai donné mes arguments relatifs aux écoliers, mais je partage évidemment votre préoccupation sur les lycéens – et je pense en particulier aux lycéens professionnels. Vous avez entièrement raison de souligner les difficultés spécifiques à la Seine-Saint-Denis et aux autres départements éprouvant des difficultés sociales prononcées. Le pourcentage de 4 % de lycéens en situation de décrochage scolaire est une moyenne nationale. S'agissant des lycéens de Seine-Saint-Denis, ce chiffre est beaucoup plus important, et c'est également le cas des lycéens professionnels à l'échelle du pays. Nous allons faire l'effort d'aller chercher les jeunes. Vous-mêmes, représentants de la nation sur les territoires, vous contribuez déjà à cela. Il faut en appeler au lien avec l'école et même là où les lycées n'ont pas ouvert, il est impératif de maintenir le contact, avec l'enseignement à distance et tout ce qui s'ensuit. Je suis certain que des initiatives peuvent être prises et je suis évidemment le premier à désirer ardemment la réouverture des lycées en juin, même si je ne peux en être certain, puisque cela dépendra de l'appréciation des circonstances sanitaires.

En ce qui concerne l'apprentissage, nous allons très prochainement pouvoir annoncer, avec Muriel Pénicaud, Frédérique Vidal et Didier Guillaume, quand les structures, qu'il s'agisse des CFA – centres de formation des apprentis – ou des UFA – unités de formation par apprentissage – pourront rouvrir en France. Il s'agit effectivement d'un sujet urgent : la réouverture de ces structures doit être prioritaire dans le cadre du déconfinement.

Je rappellerai enfin que 107 créations d'emploi sont prévues en Seine-Saint-Denis pour la rentrée prochaine, ce qui représente la moitié de la dotation de l'académie de Créteil. Le taux d'encadrement s'améliore année après année – je m'y étais engagé – et il s'élèvera à 6,17 à la rentrée prochaine, pour une moyenne nationale de 5,64. Je rappelle également que pour répondre au type de sollicitations que vous venez de faire, nous avons, il y a quelques semaines, en plein confinement, décidé d'augmenter encore les emplois en Seine-Saint-Denis. Cela ne s'est jamais produit dans l'histoire de l'éducation nationale. Nous devons améliorer le taux d'encadrement et développer des dispositifs particuliers, sachant que notre engagement vaut également commune par commune. Vous pourrez donc le vérifier dans la vôtre : si vous trouvez une exception, elle sera corrigée.

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