Intervention de Jean Castex

Réunion du mardi 12 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean Castex :

En France comme dans tous les pays, le Conseil scientifique considère les tests de dépistage comme une condition essentielle de la réussite du déconfinement. Il est vrai que la doctrine relative aux tests sérologiques a évolué, mais il n'a échappé à personne que l'un des « charmes » de cette crise est que tout bouge tout le temps – approches scientifiques comprises, en France et ailleurs. Tout individu rationnel espère que la science nous donne des réponses sûres et stables, mais je constate comme vous qu'en l'espèce ce n'est pas le cas. Les hypothèses des scientifiques varient en fonction de la progression de l'épidémie telle qu'ils l'observent. Ils tirent en permanence les enseignements pratiques des cas qu'ils ont sous les yeux et qui ne répondent pas nécessairement à leurs présupposés théoriques. L'Organisation mondiale de la santé elle-même a évolué sur certains sujets, dont les masques. Oui, il y a eu des changements de doctrine, et cela participe de la difficulté de l'exercice.

Les tests sérologiques permettent de savoir si l'on a été contaminé – parfois sans le savoir puisque certains sont porteurs asymptomatiques – et immunisé. La parfaite fiabilité des tests n'est effectivement pas assurée ; surtout, un test sérologique peut montrer que l'on a été infecté, mais on ne sait pas exactement combien de temps dure l'immunité acquise, si bien qu'il est difficile de dire à quelqu'un : « Vous êtes immunisé, vous pouvez faire ce que vous voulez ». C'est la première limite de la sérologie. La seconde, c'est que les premiers résultats dont nous disposons montrent qu'en France comme ailleurs – c'est sans doute un des effets positifs du confinement – peu d'habitants sont immunisés. Parce que l'on ne saurait pas vraiment comment utiliser les résultats individuels de ces tests, on tend pour l'instant, comme je l'indique dans mon rapport, à réaliser les tests sérologiques en vue de sondages, pour mesurer à partir de ces échantillons le taux d'immunité collective de la population et sa progression.

Aussi fera-t-on des tests virologiques dès les premiers symptômes infectieux. Puisque le déconfinement va rétablir la libre circulation, il faut à tout prix pouvoir isoler de la collectivité ceux qui sont contaminés et ceux qui les ont approchés, pour voir s'ils sont en phase d'incubation. Ma première crainte n'est pas de savoir si l'on peut réaliser 150 000 ou 700 000 tests ; elle est que les gens potentiellement contaminés ne se signalent pas et n'aillent pas se faire tester. Le Gouvernement va lancer des campagnes de communication très fortes à ce sujet. C'est capital. Nos concitoyens doivent respecter les gestes barrières mais, s'ils ressentent le premier symptôme de ce qui pourrait être une contamination, ils doivent aussi, absolument, se faire prescrire un test.

Comment en est-on arrivé au chiffre de 700 000 tests hebdomadaires ? Santé publique France a projeté que de 34 000 à 40 000 personnes ressentiraient des symptômes d'infection par le coronavirus le 11 mai et devraient se soumettre à un test virologique. Le dispositif de prélèvement va être opérationnel, et on estime à environ 10 % de l'ensemble le nombre de tests qui seront positifs. Les personnes pour lesquelles le diagnostic aura ainsi été posé devront immédiatement rentrer chez elles ou être isolées, et un dispositif spécifique permettra de rechercher les « cas contact » – une vingtaine par personne en moyenne. On parvient ainsi au nombre de 700 000 personnes à tester chaque semaine, car il faut ajouter des personnes résidant dans des établissements accueillant des publics sensibles. Le nombre n'a pas été tiré d'un chapeau : il est issu d'une modélisation sérieuse. J'insiste : il est indispensable que les gens appellent leur médecin pour se faire prescrire un test. Notre préoccupation n'est pas que l'on manque de tests mais que le dispositif soit enclenché.

Je n'entrerai pas dans le débat éthique compréhensible que le recours, même volontaire, aux instruments tels que StopCovid peut susciter, car l'application n'est techniquement pas prête, et l'on ne peut se permettre pour un sujet aussi grave, de démarrer avec un outil qui n'est pas parfaitement au point. Des pays étrangers ont eu recours à des applications de ce type ; il n'y a pas de raison qu'ils ne viennent pas à l'appui de la stratégie de dépistage en France et rien ne justifierait que l'on s'en prive, mais cela doit se faire dans des conditions optimales. Dès qu'elles seront réunies, et le secrétaire d'État Cédric O y travaille activement, nous verrons, sous le contrôle de la représentation nationale, les modalités de déploiement de cet instrument.

Il a été question de « déconfinement plus plus ». J'en rêverais, car bars, cafés et restaurants sont des lieux de convivialité. Mais il faut en revenir à la philosophie de cette première phase, que nous avons voulue, monsieur Abad, claire et cohérente. On ne peut prendre des risques sanitaires trop importants mais il est indispensable que le pays reparte ; la machine doit donc être relancée avec précaution, progressivement. Il faut privilégier le redémarrage de l'activité, extrêmement mise à mal ces dernières semaines, ce qui a des conséquences potentielles considérables mais, jusqu'au 2 juin, nous devons être raisonnables et faire preuve d'esprit de responsabilité. Les réouvertures doivent être ciblées, le bon sens conduisant à considérer que plus un espace est vaste et ouvert, plus il sera accessible, plus il est confiné et restreint et plus il devra rester fermé.

Au croisement de la préoccupation sanitaire et du redémarrage de la vie sociale, il y a les transports en commun, notamment dans les zones urbaines. Ils sont indispensables pour faire repartir l'activité, mais leur fréquentation est élevée, et certaines personnes peuvent présenter un risque qu'il faut absolument prévenir. Nous y travaillons.

Le réalisme et la sagesse imposent de se préparer à des rechutes ; c'est le principe de la réversibilité, qu'il serait irresponsable d'ignorer. Mais vous avez raison, il faut donner une perspective pour motiver nos concitoyens, et c'est pourquoi j'en appelle leur sens des responsabilités: si, collectivement, nous respectons les règles élémentaires de lutte contre le virus, nous pourrons, madame Rabault, aller plus loin. Si les choses se passent mal, on ne le pourra pas. Il ne faudrait pas que l'on soit contraint d'en venir à un « déconfinement moins ».

Certains départements ont été classés « verts », d'autres « rouges » ; c'est le constat que le confinement a empêché une forte propagation du virus hors de l'Est du pays, de l'Île-de-France et du Nord-Pas-de-Calais. Le Gouvernement, et c'est sage, n'a pas voulu un trop grand écart entre ce que l'on peut faire dans les départements « rouges » et dans les départements « verts ». Les départements « verts » ont pu être ainsi classés grâce au confinement. Il faut donc voir ce qui s'y passera après le déconfinement, même si, par précaution, on a instauré un verrou : l'interdiction des déplacements à plus de 100 kilomètres.

Je suis tout à fait partisan du déconfinement territorialisé, mais il obéit au même principe que le déconfinement général : il faut concilier volonté et prudence. L'Île-de-France est la région où les indicateurs ne sont pas les plus favorables car une nombreuse population s'y brasse et le Coronavirus aime cela. Nous portons donc une attention particulière à ce territoire, comme à certaines populations vulnérables au virus.

Au cours des 36 premières heures du déconfinement, les choses se passent comme nous l'avions prévu – le secteur le plus difficile étant celui des transports dans les zones densément urbanisées. Puisque l'on n'arrive à satisfaire les besoins de 20 % des usagers seulement, il faut assumer que, dans un premier temps, pour faire repartir l'activité, les transports en commun soient réservés aux enfants qui vont à l'école et aux personnes qui doivent être présentes physiquement au travail – c'est clair et cohérent. L'offre de transport va augmenter progressivement, mais il faut répéter qu'il serait déraisonnable de ne pas respecter les gestes barrières et qu'il faut porter un masque dans le métro, le RER, les trains. Tout cela demandera de la patience – ce n'est pas la vie normale qui a repris hier.

Pour ce qui est de l'école, je ne saurais me substituer au ministre de l'Éducation nationale pour vous donner des éléments très précis sur la rentrée qui débute aujourd'hui. La pré-rentrée, hier, s'est faite, me semble-t-il, de manière à peu près correcte. C'est une très bonne chose qu'elle ait lieu sur une base volontaire. On fait confiance aux acteurs locaux – directeurs d'école, maires – pour l'organiser, et tous ne retiennent pas forcément les mêmes solutions. On a admis que des maires puisse ne pas rouvrir une école, notamment s'ils estiment que les conditions sanitaires ne sont pas suffisamment satisfaisantes.

Le tout, j'y insiste, c'est que la machine redémarre. Cela se fera progressivement, avec des contraintes importantes parce que nous ne devons pas baisser la garde en matière de vigilance sanitaire, mais il faut tracer un cap pour espérer passer à un « déconfinement plus plus ». Des commerces rouvrent, mais pas tous ; le Premier ministre a exposé en détail les cas particuliers. Le déconfinement progressif est, d'une certaine manière, plus compliqué que le confinement, parce qu'il est progressif et qu'il y a des exceptions. Un travail pédagogique considérable doit être mené auprès de nos concitoyens, mais nous suivons une ligne cohérente : concilier les deux objectifs dont j'ai fait état.

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