Intervention de François Baroin

Réunion du mercredi 13 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

François Baroin, président de l'Association des maires de France :

Je vous remercie de nous donner la possibilité de répondre à vos questions et de faire un point d'étape pour nourrir le travail du Parlement sur les mesures qui devront être prises.

Je commencerai par évoquer l'organisation du déconfinement. Le travail du Parlement a débouché sur un accord en commission mixte paritaire (CMP) sur la responsabilité des maires. Le résultat correspond aux objectifs qui sont liés au fait que l'éducation est certes nationale, et non municipale, mais que, dans l'organisation du déconfinement, les maires sont tout de même amenés à intervenir sur un terrain qui n'était pas le leur. Nous avions donc adressé une demande en ce sens au Gouvernement, par le biais de Mme la présidente de la commission des lois qui nous avait auditionnés. S'il ne nous appartient pas de porter un jugement sur le résultat de la navette parlementaire, il n'en demeure pas moins que le texte adopté favorise l'application d'un protocole exigeant et complexe : si les communes, dont les moyens et la taille sont variables, ne sont pas toutes en mesure d'y faire face, les maires n'en essaient pas moins d'offrir une réponse à la décision de l'État de rouvrir les écoles et de satisfaire la demande des parents d'élèves.

À cela s'ajoute une décision qui va dans la bonne direction : la circulaire adressée par le ministre de l'intérieur à tous les préfets de département à la suite d'une demande que j'avais faite au Premier ministre, autorisant le préfet à apposer sa signature sur le protocole élaboré par les maires sous l'autorité des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN). Cette triple signature apporte des garanties supplémentaires sur le plan juridique.

S'agissant toujours de la réouverture des écoles, la demande des parents, dans cette première phase, est très variable selon les territoires : elle est de 15 % à 18 % dans certaines villes, de 30 % à 35 % ailleurs, parfois de 40 % à 45 %. La deuxième phase commencera le 25 mai. Les incertitudes sont encore plus grandes en ce qui concerne l'après 2 juin : l'ouverture plus large nécessitera certainement des adaptations, notamment concernant la fin du temps scolaire et la libération des locaux pour le temps périscolaire. Il faudra gérer le brassage des élèves et leur accompagnement le temps que les parents les récupèrent.

Pour le reste de l'organisation, les maires sont évidemment, en la matière, des agents de l'État, au service d'un protocole qui, en effet, réduit très significativement leurs pouvoirs de police : dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les maires n'ont pas le même pouvoir de gestion que d'habitude. Je dois à la vérité de dire que, dans certains cas, ils le regrettent : dans de nombreuses villes, le port du masque n'est pas assez répandu dans l'espace public et, dans le cadre de la reprise progressive d'un certain nombre d'activités, les maires voudraient pouvoir faire davantage appel au civisme et à l'esprit de responsabilité, d'autant que les masques sont désormais accessibles à tous. Cela dit, les maires s'aligneront sur la jurisprudence du Conseil d'État à propos de la décision du maire de Sceaux – par ailleurs secrétaire général de l'AMF –, qui a fixé un cadre limitant significativement le pouvoir de police des maires dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Le déconfinement se met en place de manière progressive, avec la souplesse que nous avions souhaitée : la situation varie selon les territoires et des échanges ont lieu avec les préfets. Les premiers retours montrent une réelle volonté d'écoute et une capacité d'adaptation en fonction de la situation locale – c'était d'ailleurs la seule chose à faire ; c'est ainsi que nous sommes le plus utiles à nos administrés et que nous encourageons le redémarrage de l'activité économique.

Un autre sujet doit commencer à faire l'objet d'un débat : la dimension financière. Les dépenses se sont relativement accrues, dans des proportions certes variables selon la taille de la ville et les besoins de la population. Les collectivités territoriales ont très largement complété, dans le premier temps du confinement, le dispositif mis en place et à l'évidence insuffisant, notamment pour l'achat et la fourniture de masques aux médecins de ville, aides-soignants, sages-femmes et infirmiers. Dans le même temps, nous avons enregistré une diminution des recettes. Pour la partie communale, la fiscalité de stock – avec la taxe d'habitation, même si celle-ci est en cours de réforme, et la taxe foncière – ne devrait pas connaître d'évolutions trop importantes ; en revanche, les recettes liées au droit de terrasse, aux loyers des baux commerciaux et aux transports en commun vont connaître une chute significative. La partie intercommunale, quant à elle, est fondée sur une fiscalité de flux liée aux impôts de production. Je rappelle, à cet égard, que l'AMF et les intercommunalités se sont engagées collectivement à ne pas toucher à ces impôts. Nous ne souhaitons donc pas que leur augmentation soit envisagée dans les plans de relance ou dans les prochaines lois de finances rectificatives. C'est une idée que nous contestons et que nous combattrons ; la suppression de la taxe d'habitation ayant déjà constitué une blessure très profonde.

Les départements ont eux aussi perdu une partie de leur autonomie fiscale et vont subir une diminution très forte des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) : la perte est de l'ordre de 4 milliards d'euros, du fait du blocage du marché immobilier. L'impact sur les régions sera également important, d'abord en raison du blocage de la consommation, qui entraîne une perte de recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : une partie sera probablement rattrapée dans les prochaines semaines, mais certainement pas dans des proportions compensant les deux mois de confinement. En ce qui concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), il y aura un effet retard d'une année. Les intercommunalités pâtiront elles aussi de la perte de recettes liées aux impôts de production.

Au total, selon les chiffres dont nous disposons, le manque à gagner pour les collectivités locales est à ce stade de l'ordre de 6 milliards d'euros ; Bercy estime qu'il s'élèvera, à la fin du cycle, à 10 ou 15 milliards d'euros. Il faut donc que nous nous entendions sur une méthode, un calendrier et des objectifs.

La méthode consiste d'abord à procéder à une évaluation précise des pertes de recettes pour chaque commune, sur la base d'éléments objectifs. L'AMF a commencé à s'y employer et je ne doute pas que le Parlement aura lui aussi les moyens de le faire – nous avons d'ailleurs commencé à discuter avec M. Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour opérer une convergence. Les pertes de recettes fiscales seront liées à l'activité, et il faudra certainement arrêter les compteurs non pas uniquement à la fin de l'année, mais à n + 1 par rapport à la date du début du confinement. Nous estimons à un peu moins d'un point de produit intérieur brut (PIB) la perte de recettes pour les collectivités locales liée au confinement.

S'agissant toujours de la méthode, nous souhaitons une nationalisation par l'État de l'ensemble des pertes de recettes liées à sa décision de mettre en place le confinement. Il ne s'agit pas de mettre en cause cette décision : nous parlons ici de ses conséquences pour les finances publiques locales. Nous pensons que la nationalisation est la solution la plus saine et la plus évidente, sachant que, par ailleurs, l'augmentation de la dette nationale sera de l'ordre de 10 % ou 15 %, voire 18 % : y intégrer les pertes de recettes des administrations publiques locales, qui représentent moins d'un point de PIB, ne devrait pas poser de difficultés particulières dans les négociations avec la zone euro et dans l'élaboration du cadre général qui permettra de prendre en charge cette dette dans la durée.

Des discussions se sont engagées concernant la création d'un nouvel article « covid-19 » en matière de fiscalité locale et de comptabilité publique. Nous n'y sommes pas hostiles, mais nous souhaitons, par exemple, que les dépenses de fonctionnement actuelles, liées notamment à l'achat de masques, soient considérées comme des investissements et donnent lieu à récupération de la TVA, en reprenant naturellement le dispositif de remboursement anticipé du FCTVA, qui avait bien fonctionné dans la période 2008-2012.

La question de la décentralisation n'a pas encore été abordée. Pour notre part, nous maintenons la proposition, que nous défendons depuis de nombreuses années, consistant à créer une loi de finances des collectivités locales, comme il en existe pour l'État et pour la sécurité sociale. Le plan de relance, à la rentrée, pourrait être l'occasion de se doter de cet outil qui permettrait d'atteindre deux objectifs : d'abord, bien s'entendre sur le cadre général des dépenses et des dotations, sur le fléchage et l'engagement de l'État de compenser à l'euro près les transferts aux collectivités locales ; ensuite, donner des garanties supplémentaires concernant la libre administration des collectivités territoriales, très strictement encadrée pendant l'état d'urgence sanitaire – tout autant que la liberté des particuliers.

En ce qui concerne la tenue du second tour, afin de clore le cycle électoral municipal de 2020, nous saluons l'initiative prise par le Gouvernement de saisir le comité d'experts dès le 23 mai, autrement dit plus tôt que prévu, tout comme la décision de procéder à l'installation des conseils municipaux élus dans les meilleurs délais : il y va de la relance de l'activité économique, puisque cela permettra de mettre en place des commissions d'appels d'offres, donc de relancer la commande publique, dont les entreprises de bâtiment et travaux publics (BTP) notamment auront bien besoin.

S'agissant de la tenue du second tour, nous avons adressé ce matin, avec le président Jean-Luc Moudenc, en complément de l'initiative prise par l'association France urbain, un courrier au Premier ministre pour que, dans le cadre des prescriptions sanitaires qui seront certainement formulées le 23 mai par le comité d'experts, le scrutin se tienne dans les meilleurs délais, de manière à conserver les résultats du premier tour, et à respecter ainsi le vote démocratique et la mobilisation des électeurs, en dépit du caractère singulier de cet épisode électoral au plein cœur de l'épidémie de covid-19. Le scrutin permettra d'installer les conseils municipaux des 5 000 communes dans lesquelles le premier tour n'avait pas livré de résultat définitif ; cela concerne 5 millions d'électeurs. L'opération permettra ensuite d'installer les intercommunalités, qui, je le rappelle, constituent le levier le plus important en termes d'investissement public : les collectivités locales sont responsables de 70 % de l'investissement total, lequel s'élève à 90 milliards d'euros – le bloc communal et intercommunal comptant pour plus de 60 %. Il faut donc que les communes et les intercommunalités soient en ordre de marche le plus rapidement possible, afin que nous soyons au rendez-vous de la relance de l'activité économique à la sortie de l'été.

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