Intervention de Jean‑Luc Moudenc

Réunion du mercredi 13 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean‑Luc Moudenc, président de France urbaine :

France Urbaine est une association regroupant les villes de plus de 100 000 habitants et les principales intercommunalités urbaines. Elle compte cent quatre membres, ce qui représente 30 millions de Français. Si nous avons coopéré avec l'État pour mener à bien toutes les opérations de confinement, certaines incohérences ont été observées, d'une ville à l'autre ou entre les orientations données par le Gouvernement et la réalité du terrain.

Entre autres difficultés, l'idée, annoncée par le ministre des solidarités et de la santé, de rendre obligatoire le dépistage dans les EHPAD ne s'est pas concrétisée avant de longues semaines, ce qui a suscité des tensions et des incompréhensions, d'autant que les positions étaient très différentes d'une ARS à l'autre. Le sujet de la garde prioritaire des enfants dans les écoles et les crèches a également posé problème : à l'origine réservée aux soignants, elle a été peu à peu étendue aux personnels de préfecture, de l'aide sociale à l'enfance des départements, aux policiers nationaux. Nous avons demandé que les policiers municipaux puissent en bénéficier, de même que d'autres agents assurant des services vitaux, comme la collecte des ordures ménagères. Nous n'avons pas été entendus, ce qui est d'autant plus regrettable et paradoxal que les moyens et des locaux mis à disposition ont été très largement sous-employés – nous avons tourné à seulement 15 à 20 % de nos capacités.

Sans revenir sur l'évolution de la doctrine relative aux masques, qui était celle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il faut savoir que la population nous a interpellés, alors même que nous sommes restés des semaines dans le brouillard. D'ailleurs, à l'heure où nous parlons, les rôles ne sont toujours pas clairement répartis entre l'État, les collectivités et le marché. Comme beaucoup de collègues, nous avons dû prendre les devants et nous avons eu raison de le faire.

S'agissant de la question de la responsabilité, un compromis sage a été trouvé en CMP : quelques lignes devaient bouger, il valait mieux que cela se fasse de façon consensuelle entre les deux assemblées. Cela est de nature à conforter l'engagement des maires. Les couples État‑maire et État‑préfet sont absolument nécessaires, ainsi que l'a rappelé le Président de la République. Nous sommes d'ailleurs tous aux côtés de l'État pour réussir la très difficile étape du déconfinement.

Sur le port du masque, l'État a eu raison de le rendre obligatoire dans les transports publics. Une telle règle ne pouvant être que nationale, nous avons demandé, sans obtenir de réponse, qu'il soit étendu aux espaces stratégiques où la population se regroupe. Au fur et à mesure de la reprise des transports publics, il faudra également gérer la question de la promiscuité, qui pourrait devenir un frein à la reprise et au déconfinement.

Autre question de plus en plus prégnante, celle des ressources humaines pour la remise en fonctionnement des services publics. Une partie de nos agents présentant des pathologies, des comorbidités, il nous est impossible de déployer la totalité de nos effectifs. Nous avons également un problème concernant les écoles : les enfants des agents municipaux n'étant pas prioritaires, pas plus que ceux des enseignants, des milliers de personnes, qui pourraient être disponibles, ne peuvent participer à la réouverture des écoles à cause d'un problème de garde non résolu. Si l'on pouvait débloquer cette affaire, il serait possible, dans les quinze jours à venir, de donner à la reprise scolaire beaucoup plus de moyens. Nous sommes en train de regarder si nous pouvons recruter du personnel supplémentaire ou faire appel à de la sous-traitance privée, ce qui constituera un nouveau facteur de dépenses.

S'agissant de l'organisation sanitaire, la méthode du Gouvernement pour le dépistage me semble très réfléchie. Pour le moment, nous ne sommes peu sollicités : c'est plutôt le personnel médical qui est à la manœuvre avec les préfets en collaboration avec les ARS ; la réquisition d'hôtels relève par définition de l'autorité préfectorale. Mais s'il devait y avoir le moindre grain de sable, c'est immédiatement vers nous que les gens se tourneraient. Aussi me semble-t-il important de nous mettre d'ores et déjà dans la boucle, sachant qu'au fur et à mesure de la reprise des services le risque ira croissant et, partant, la nécessité de réaliser des tests.

Certaines questions ne sont toujours pas réglées, comme celle de la célébration des mariages civils. Leur interdiction me semble excessive, surtout dans les départements classés en vert. Beaucoup de couples se marient ou se remarient en petit comité. Pour ceux-là, nous pourrions organiser les cérémonies, en respectant, cela va sans dire, les règles de distanciation physique. Nous avons annulé des centaines de mariages prévus durant le confinement ; un assouplissement serait bienvenu.

Le problème de l'ouverture des piscines se posera dans un mois. D'après le corps médical, l'eau n'est pas un vecteur de propagation du virus, la question étant bien celle du regroupement. Il faut vite envoyer un signe positif. Je n'imagine pas qu'après deux mois de confinement, parfois à plusieurs dans des appartements exigus, les familles ne puissent se rafraîchir cet été. Il convient de définir des protocoles de fonctionnement des piscines comme jamais on n'en a connus : cela prendra du temps. L'État aurait intérêt à entamer dès maintenant le dialogue sur ce sujet très concret, très municipal, en collaboration avec l'autorité scientifique et les maires.

Le sujet des bars et des restaurants reste également en suspens. On pourrait imaginer de reconvertir une partie de l'espace public en faisant appel à des solutions de plein air qui permettraient à certains professionnels de reconstituer un potentiel raisonnable d'exploitation et de ne pas mourir. Alors que la récession économique du pays est estimée à 36 %, celle du secteur approche les 95 %, faisant courir le risque d'une destruction massive d'emplois qui recèlent un potentiel d'humanité dont notre société abîmée a d'autant plus besoin après ces deux mois de confinement.

Pour ce qui est de la problématique financière, France urbaine a eu de longs échanges avec M. Jean‑René Cazeneuve. Je souhaite, comme mes collègues, que les dépenses supplémentaires fassent l'objet d'un traitement particulier dans la nomenclature de la comptabilité publique : on pourrait effectivement les considérer comme des dépenses d'investissement et non de fonctionnement, ou bien créer un troisième chapitre spécifique. J'appelle à l'élaboration d'une méthode durable de suivi et d'évaluation partagée entre l'État et les collectivités, afin de bien déterminer quelles sont les dépenses en surplus et les recettes en moins. Le premier choc va se produire cette année, mais il est certain qu'il durera plusieurs années ; personne ne sait combien de temps, ni quelle sera la proportion des surcoûts et des pertes. Évitons une énième querelle entre l'État et les collectivités et mettons-nous dès maintenant d'accord sur une méthode.

Le Gouvernement a annoncé un plan de relance national bienvenu. Veillons là aussi au bon dialogue entre l'État et les territoires, alors que l'avenir incertain de nos budgets met en danger l'investissement public. Là encore, le soin apporté à la méthode règle une bonne part des problèmes de fond ; articulons dès aujourd'hui le dialogue afin que le plan national intègre nos projets, évidemment sélectionnés à l'aune de leur effet levier sur l'emploi et le redémarrage de l'activité, et de leur utilité sociale.

On parle beaucoup de certaines recettes en chute libre : si les DMTO jouissent en la matière d'une forte notoriété, le versement mobilité est le poste qui diminue le plus. Le système de financement des transports est, de loin, la plus affectée de toutes nos politiques publiques, dans la mesure où la perte des recettes commerciales s'ajoute à la baisse du versement mobilité qui représente à lui seul environ 80 % de leurs recettes. Ce sont cinquante ans de développement des transports urbains qui sont mis en péril. Je tiens d'autant plus à vous alerter que, dans le débat entre l'État et les acteurs économiques sur la nécessité d'alléger les charges des entreprises, qui souffrent beaucoup, les acteurs économiques et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) n'ont de cesse de réclamer la baisse du versement transport. Il ne sert à rien de parler de transition écologique et d'un avenir plus durable pour nos villes si l'on ne consolide pas le levier des transports publics.

Du point de vue politique, je félicite moi aussi le Gouvernement d'avoir mis en place les instruments législatifs pour installer les conseils municipaux élus au premier tour. Se posera la question de l'organisation de l'intercommunalité, entre élus en ballottage et nouveaux élus. Une solution équilibrée pourrait consister à intégrer dans l'organe délibératif les nouveaux élus et à ôter leurs responsabilités exécutives à ceux qui ne sont plus élus ou qui ont été battus, sans déclencher pour autant un nouveau scrutin interne à l'intercommunalité. Cela permettrait, durant cette période intermédiaire, de stabiliser les exécutifs, qui seraient légèrement et temporairement amputés, tout en prenant en compte, sur le plan délibératif, les résultats du scrutin du 15 mars.

S'agissant du second tour, l'opinion majoritaire au sein de France urbaine penche en faveur d'une élection au moins de juin, pour autant – réserve absolue et indiscutable – que la situation sanitaire le permette : faute de quoi les électeurs, se sentant en danger, comme le 15 mars dernier, ne manqueraient pas de désavouer le choix des politiques. Si cette condition est remplie, il ne faut donc pas hésiter à organiser le second tour plutôt que d'attendre septembre, octobre ou, hypothèse encore plus folklorique, mars 2021. La légitimité démocratique est indispensable au redémarrage des exécutifs et des projets de relance. Au demeurant, si l'on rouvre progressivement, qui comprendrait que les électeurs ne puissent se rendre dans un bureau de vote sécurisé ? Ce serait faire preuve de cohérence positive, à l'inverse de ce qui s'est passé les 14 et 15 mars, où après avoir fermé en urgence les bars, les restaurants et les boîtes de nuit, on a maintenu le scrutin le lendemain… Seuls 15 % des conseils restent à pourvoir, mais cela représente 39 % du corps électoral français.

Enfin, cette crise a effectivement montré que la décentralisation et la déconcentration que nous réclamons depuis longtemps sont plus que jamais nécessaires. Le moment est venu de mettre en œuvre ce que nous demandons depuis trois ans : une loi de finances spécifique aux collectivités locales.

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