Intervention de François Baroin

Réunion du mercredi 13 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

François Baroin, président de l'Association des maires de France :

Lorsque j'ai réuni le bureau de l'AMF au sujet de la tenue du second tour, le Président de la République venait d'évoquer une réouverture des bars, hôtels et restaurants pour la mi-juillet ; il semblait difficilement concevable que le rapport d'experts attendu pour le 23 mai préconise d'organiser le second tour avant cette date ; aussi avais-je avancé de le tenir en septembre. Mais si l'épidémie est suffisamment jugulée pour que la plupart des activités collectives redémarrent en juin, alors les élections municipales pourraient se tenir à la fin de ce mois, ce qui permettrait de conserver la sincérité des résultats du premier tour : c'est une question de parallélisme. Les institutions démocratiques ne sauraient être les seuls éléments constitutifs de la vie collective à rester confinées… Nous appuyons la demande de France Urbaine. M. Jean‑Luc Moudenc et moi-même avons écrit en ce sens au Premier ministre.

L'AMF ne dispose pas de statistiques portant sur la reprise de l'activité des personnels municipaux. N'oublions pas qu'elle se fera en deux phases : remontée des services publics dégradés comme les transports ou l'état-civil, particulièrement les mariages, puis rétablissement de diverses missions de service public. Nous vous transmettrons les premiers éléments dès que possible.

Les relations avec les ARS et plus largement avec l'État déconcentré dépendent, comme toujours, de facteurs humains, de l'énergie et de la capacité de résistance au stress des uns et des autres. Il est donc difficile d'émettre un jugement global. Dans certaines régions, cela s'est très bien passé, mais pour ce qui est de la mienne, le Grand-Est, force est de constater que cela n'a pas été le cas – le Gouvernement en a d'ailleurs tiré les conséquences. Est-ce dû à la personnalité du directeur général de l'ARS, à des défauts de coordination, aux distances ? Tout ce que je peux vous dire, à la lumière de ma double expérience de l'État et des collectivités locales, c'est que la priorité au moment de la création des ARS était la maîtrise des coûts dans le cadre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) et qu'elles ont atteint l'objectif fixé : produire des normes de régulation budgétaire protectrices. Jamais elles n'ont été conçues comme des dispositifs logistiques censés assurer le bon acheminement de masques, de blouses ou d'autres équipements médicaux jusque dans la plus petite de nos communes au nom du principe d'universalité du service public à la française.

Comme le ministère chargé de la santé s'est tenu à une approche en silo reposant essentiellement sur l'hôpital public, loin des centres de décision, les maires ont été conduits à acheter des masques pour répondre aux besoins de la médecine de ville, dans une logique non de concurrence, mais de complémentarité. Quand pareille crise survient dans notre pays, il est de tradition que ce soit le ministère de l'intérieur qui la gère. À cet égard, on peut déplorer que le Conseil national de la sécurité civile ait été supprimé et que les zones de défense n'aient pas été utilisées comme points d'appui. Cela aurait permis de compléter très utilement le dispositif et de combler les lacunes des ARS en matière de logistique. Ce sont surtout avec les préfets de région que les agences ont été en contact. Les relations avec les préfets de département ont varié selon la capacité de leurs directeurs à transmettre des informations à l'échelon régional et l'on peut dire que les multiples retards ont été dommageables les premiers jours.

Consolidation ou nationalisation des dettes ? Notre position est simple : l'État ayant décidé du confinement, il lui appartient d'assumer les conséquences économiques pour toutes les entités publiques, au premier rang desquelles se situent les collectivités locales, compte tenu de leur rôle dans la relance économique. Cela signifie qu'il doit prendre en charge la totalité de leurs pertes. Cela n'empêchera pas, évidemment, les collectivités de prendre leur part de solidarité. Pour le financement à hauteur de 50 % des masques et les dates prises en compte, nous ne comprenons toujours pas pourquoi il n'y a pas eu de discussions entre État et collectivités locales. C'est un exemple parmi d'autres qui montre que nous avons encore du chemin à parcourir pour parvenir à un bon ajustement.

Nous n'avons pas du tout été associés à la première phase du confinement, mais pour le déconfinement, le protocole a été bien travaillé avec M. Jean Castex comme avec le Gouvernement. Nos interrogations ont été prises en compte. Ainsi, la circulaire sur la signature des préfets, qui permet de rassurer les maires sur la réouverture des écoles, est une preuve de pragmatisme et d'adaptation. Avec le recul, nous pouvons savoir que dans certains lieux, habitations ou groupements d'habitations, il faudra peut-être imposer un reconfinement. Le recensement des capacités hôtelières a déjà été effectué dans chaque commune. Se posera la question de la restauration et de sa prise en charge financière. Pour les reconfinements sur le lieu de résidence, dans un cadre protecteur pour tous, les dispositifs de prise en charge de l'accompagnement sont déjà relativement fluides. Dans les parties les plus urbaines de notre territoire, nous sommes capables d'organiser rapidement un reconfinement. Cela sera paradoxalement plus difficile dans les parties les plus rurales, plus éloignées des centres de décision et des circuits logistiques. Je ne peux que vous redire la très grande disponibilité des maires en tant qu'agents de l'État s'il était nécessaire reconfiner.

S'agissant des politiques à revoir, nous pouvons prendre position avec d'autant plus de cohérence que nous y réfléchissons depuis au moins six ans que dure le litige autour de l'article 72 de la Constitution. Un débat vigoureux a en effet été ouvert avec l'État sur l'affectation des moyens financiers nécessaires pour garantir aux collectivités leur autonomie fiscale et financière. La commission des lois de votre assemblée aura un rôle majeur pour déterminer ce que signifie la libre administration des collectivités territoriales : très souvent, le dernier mot revient à Bercy et le respect du principe de la compensation à l'euro près est toujours en jeu. Nous devons travailler à la lumière de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, notamment en matière de lois de finances.

Pour ce qui est de la décentralisation, notre conviction est faite depuis plusieurs années.

Dans le domaine de la santé, nous plaidons depuis de nombreuses années pour un regroupement public-privé renforcé. La crise n'a fait qu'affermir cette position. Il est inconcevable de ne pas encourager la mutualisation, pour les achats comme pour les investissements. Une large majorité s'est dégagée au sein de l'AMF en faveur d'un transfert des compétences d'une partie du bloc « santé ». Cela permettrait aux communes d'investir dans les hôpitaux comme elles l'entendent et de salarier des médecins et des infirmières. Beaucoup de départements, en marge du droit, ont déjà aidé des hôpitaux à investir, par exemple dans l'achat d'un équipement pour le bloc opératoire. Tirons les leçons de la crise : la santé ne doit plus être un tabou de la décentralisation. Il faut ouvrir le jeu.

En matière de logement, la question se pose également. L'aide personnalisée au logement (APL) doit-elle être la même à Toulouse, à Troyes et à Neuilly ? Les communes ayant investi dans des logements collectifs ne devraient-elles pas bénéficier d'accompagnements spécifiques pour attirer de nouvelles populations ?

Le tourisme est aussi un secteur autour de laquelle il faut réorganiser les compétences entre l'État et les collectivités.

Sur le sport, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à de nombreuses reprises. Pourquoi avoir vidé de sa substance le ministère des sports sans avoir eu le courage de transférer des compétences aux collectivités locales ? La création de l'Agence nationale du sport a montré la défiance de l'État qui ne veut pas donner ce qu'il ne peut plus assurer. C'est typiquement le genre de méthode auquel il faut renoncer. Les communes financent déjà les complexes sportifs et les bâtiments scolaires ; les subventions aux associations pourraient, elles aussi, être utilement transférées aux collectivités locales.

Bien sûr, ces transferts de compétences n'empêcheront pas l'État de continuer à fixer dans ce domaine comme dans d'autres un cadre national protecteur.

Pour la culture, l'action des pouvoirs publics s'appuie sur trois piliers : le patrimoine, l'aide à la création et l'égalité d'accès. Les collectivités se montrent souvent bien plus efficaces pour ce qui est du spectacle vivant. Elles investissent de manière générale beaucoup plus que l'État. Cela appelle à transférer davantage d'effectifs et bien sûr de moyens.

Enfin, en matière d'emploi, il n'y a pas d'unité de doctrine. Dès lors que les régions ont parmi leurs compétences le développement économique, la formation professionnelle et l'apprentissage, il n'y a pas de raison de ne pas réfléchir à l'accompagnement territorialisé de l'emploi, et de se demander qui fait quoi au sein de Pôle emploi. Comme la crise aura des impacts économiques et sociaux majeurs, il nous semble intéressant de mettre cette question sur la table, même si nous savons qu'elle n'est pas facile à aborder avec les organisations syndicales.

Autre position forte que l'AMF défend depuis des années : nous souhaitons redonner du pouvoir aux préfets de département. C'est une chance pour l'État de disposer de tels représentants sur tout le territoire ; encore faut-il qu'ils aient une réelle autorité sur toutes les administrations. À partir d'une ligne directrice fixée par le Gouvernement, il faut que le ministère de l'intérieur se réapproprie ces possibilités d'action. Les préfets de département, qui sont nos interlocuteurs de proximité, ne semblent pas avoir d'autorité pour régler les problèmes de proximité. Nous avons l'impression que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) n'ont de compte à rendre qu'au ministre du travail, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qu'au ministre de la transition écologique, les recteurs ou les DASEN qu'au ministre de l'éducation. Renforcer le rôle des préfets de département permettrait de donner du sens dans la durée au couple maire-préfet, les préfets de région restant chargés de la coordination globale, des négociations des plans État-région et des zones de défense.

Parmi les dispositifs à pérenniser, je m'attacherai plus particulièrement à la logistique. Une réorganisation profonde s'impose. La crise a montré que les municipalités et les maires pouvaient être des acteurs de la logistique de l'État.

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