Une contextualisation est nécessaire pour comprendre la gestion de la crise dans les Hauts‑de‑France. L'ancienne région Nord‑Pas‑de‑Calais compte 4 millions d'habitants et l'ancienne Picardie près de 2 millions. La crise a commencé au sud, dans une fraction de l'Oise, dont elle s'est finalement peu éloignée. Les chiffres sont éloquents : 133 cas pour 100 000 habitants dans le Nord ; 349 dans l'Aisne ; 378 dans l'Oise. Si la crise avait commencé par toucher le Nord, la situation sanitaire aurait été radicalement différente. Heureusement, la zone la plus peuplée de la région a pu s'y préparer. Le temps du confinement arrivé, les esprits avaient intégré la gravité de la crise et la nécessité de respecter les mesures de prévention. Les premières suspicions datent de la première quinzaine de février ; le premier mort du coronavirus du 25 février ; la fermeture effective des écoles dans l'Oise du 9 mars, soit bien avant sa généralisation dans la région et en France.
L'action de l'État s'est déroulée autour de deux axes : il est l'architecte du dialogue en région et dans le département ; mais aussi une personne morale de droit public qui assume pleinement ses responsabilités pour préserver l'ordre public et social. Dès les premiers jours de mars, nous avons mis en place les conditions d'une union sacrée, d'une coalition des puissances publiques dans les territoires, pour être à même d'organiser un dialogue fondé sur le partage des constats de chacun et de leur apporter les meilleures réponses. Nous avons organisé très vite des visioconférences stratégiques, le lundi et le jeudi, qui réunissaient, autour du préfet de région et du président du conseil régional, les préfets de département, les cinq présidents des conseils départementaux, les associations de maires et les rectrices, afin de partager nos constatations. Nous avons suivi les difficultés rencontrées par l'Oise, que ce soit sur le confinement, les masques ou le gel hydro‑alcoolique, ce qui a permis aux autres départements de mieux mûrir les réponses à apporter.
Parallèlement, des conférences économiques se sont tenues avec les filières industrielles, le monde patronal, le président des régions, les grands élus et les organisations syndicales, pour mieux comprendre la crise et la résilience de notre appareil économique, mais aussi pour préparer la reprise et anticiper les besoins. La question des travailleurs frontaliers, par exemple, est très importante, 20 000 salariés traversant chaque jour la frontière. Il a également fallu communiquer avec le grand public. Dès le 26 février, nous avons créé une cellule d'information du public, laquelle a recueilli plus de 33 000 appels. Je n'oublie pas non plus la lettre que j'ai adressée à tous les maires du Nord à compter du 2 mars.
Ce dialogue n'épuise pas l'autre mission fondamentale de l'État : l'ordre public et social. En effet, dans cette crise inédite, les préfets ont dû prendre en charge les angles morts des politiques publiques. Les 180 arrêtés que j'ai pris l'ont été, pour la majorité des cas, dans le cadre d'un dialogue très fructueux avec les maires. Je ne me souviens pas d'avoir pris une seule mesure allant à l'encontre de la position d'un maire. Ils ont fait preuve d'une grande créativité concernant les marchés que j'ouvrais par dérogation, en installant des protections sanitaires incontestables. Ce dialogue de qualité se poursuit au sujet des plages que j'espère pouvoir rouvrir à la fin de la semaine. Le contrôle de l'ordre public a aussi consisté à contrôler les déplacements de la population. Sur les 2 millions de contrôles réalisés dans la région, moins de 5 % ont donné lieu à un procès‑verbal, ce qui en dit long sur la résilience de la population et sa compréhension de l'enjeu du confinement.
Quant au volet social, sur lequel nous nous sommes beaucoup engagés, nous avons fait en sorte que les populations migrantes puissent être mises à l'abri et faire l'objet d'un suivi sanitaire et social. Je me réjouis qu'à ce stade aucun cluster n'ait éclos parmi eux. Grâce à la réquisition de huit hôtels dans le Nord, nous avons mis à l'abri plus de quatre cents personnes, dans des conditions sécurisées, avec un accompagnement sanitaire et social et un programme de réinsertion économique. Chose précieuse, un partenariat s'est renoué avec des organismes importants, mais pas toujours visibles dans notre paysage administratif, comme les centres communaux d'action sociale (CCAS) qui ont été très mobilisés, d'autant que les associations spécialisées dans la distribution alimentaire ont connu des difficultés en raison de l'indisponibilité de leurs bénévoles.