La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

14 mai 2020

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Boris Vallaud, vice-président.

La mission d'information procède à l'audition, en visioconférence, de M. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord, de M. Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin, et de M. Bertrand Gaume, préfet de Vaucluse.

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Mesdames, messieurs, les préfets sont plus que jamais mobilisés aujourd'hui car ils sont avec les maires les deux piliers grâce auxquels l'action publique se déploie localement. Or, la gestion de la crise ne s'est pas faite sans difficultés et les insuffisances et incohérences se sont parfois cruellement traduites dans les territoires. L'achat de masques ou encore la régulation de l'espace urbain ont pu paraître désordonnés. L'ouverture des établissements scolaires, variable selon les territoires, l'accès à l'école sur la base du volontariat des élèves, le respect des protocoles sanitaires, qui nécessitent des moyens supplémentaires, suscitent plus l'inquiétude que la confiance. Néanmoins, nous reconnaissons tous la mobilisation considérable des services de l'État dans une situation exceptionnelle. Si les maires contribuent à l'application des mesures décidées par l'État, ils ne peuvent en prendre d'autres, sauf pour des raisons impérieuses et sans remettre en cause la cohérence et l'efficacité des premières. La question de la coordination entre les élus, les préfets et les agences régionales de santé (ARS) se pose plus que jamais.

Notre mission d'information assure un contrôle des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en application de l'article L. 3131-17 du code de la santé publique et disponibles sur la plateforme créée par le ministère de l'intérieur. C'est ainsi qu'un suivi hebdomadaire des arrêtés préfectoraux est réalisé chaque semaine. Exception faite des arrêtés relatifs aux marchés alimentaires, on recense un total de 958 mesures préfectorales, dont 532 d'ordre public et 426 de réquisition, de personnel soignant essentiellement. Dans presque tous les départements, les mesures d'ordre public ont porté sur la régulation des déplacements et de l'activité des établissements recevant du public. Les préfets ont renforcé les dispositions de l'état d'urgence sanitaire, en interdisant l'accès aux jardins publics ou aux sites naturels, en limitant les horaires pour exercer une activité physique et en imposant un couvre‑feu des personnes ou des commerces. Se sont parfois ajoutées des interdictions de locations touristiques, la fermeture administrative de certains établissements ne respectant pas les règles, ainsi que des réquisitions de lieux d'hébergement, soit pour les personnels mobilisés, soit pour mettre les personnes infectées à l'abri. Des opérateurs participant aux services extérieurs des pompes funèbres ont également été réquisitionnés, notamment pour la morgue installée à Rungis. Ces réquisitions sont montées en puissance, au fur et à mesure de l'aggravation de la crise. Aujourd'hui, elles portent sur des laboratoires, afin d'accélérer le déploiement des dispositifs de test. Dix préfets ont réquisitionné au moins un laboratoire et des arrêtés ont été pris dans dix‑neuf départements pour en autoriser d'autres à réaliser une phase de l'examen de détection du virus par PCR.

Ces mesures ont‑elles été suffisantes ? Dans les départements où la situation était la plus critique, quelles ont été les limites du dispositif ? Quels sont les enseignements à tirer ? Le déconfinement suppose une régulation encore plus fine au niveau local, mais surtout une organisation et des moyens clairs pour restaurer la confiance. Notre réunion nous permettra de faire le point sur la gestion de la crise et d'entendre les enseignements que vous en avez tirés ainsi que vos attentes pour réussir le déconfinement.

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Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord

Une contextualisation est nécessaire pour comprendre la gestion de la crise dans les Hauts‑de‑France. L'ancienne région Nord‑Pas‑de‑Calais compte 4 millions d'habitants et l'ancienne Picardie près de 2 millions. La crise a commencé au sud, dans une fraction de l'Oise, dont elle s'est finalement peu éloignée. Les chiffres sont éloquents : 133 cas pour 100 000 habitants dans le Nord ; 349 dans l'Aisne ; 378 dans l'Oise. Si la crise avait commencé par toucher le Nord, la situation sanitaire aurait été radicalement différente. Heureusement, la zone la plus peuplée de la région a pu s'y préparer. Le temps du confinement arrivé, les esprits avaient intégré la gravité de la crise et la nécessité de respecter les mesures de prévention. Les premières suspicions datent de la première quinzaine de février ; le premier mort du coronavirus du 25 février ; la fermeture effective des écoles dans l'Oise du 9 mars, soit bien avant sa généralisation dans la région et en France.

L'action de l'État s'est déroulée autour de deux axes : il est l'architecte du dialogue en région et dans le département ; mais aussi une personne morale de droit public qui assume pleinement ses responsabilités pour préserver l'ordre public et social. Dès les premiers jours de mars, nous avons mis en place les conditions d'une union sacrée, d'une coalition des puissances publiques dans les territoires, pour être à même d'organiser un dialogue fondé sur le partage des constats de chacun et de leur apporter les meilleures réponses. Nous avons organisé très vite des visioconférences stratégiques, le lundi et le jeudi, qui réunissaient, autour du préfet de région et du président du conseil régional, les préfets de département, les cinq présidents des conseils départementaux, les associations de maires et les rectrices, afin de partager nos constatations. Nous avons suivi les difficultés rencontrées par l'Oise, que ce soit sur le confinement, les masques ou le gel hydro‑alcoolique, ce qui a permis aux autres départements de mieux mûrir les réponses à apporter.

Parallèlement, des conférences économiques se sont tenues avec les filières industrielles, le monde patronal, le président des régions, les grands élus et les organisations syndicales, pour mieux comprendre la crise et la résilience de notre appareil économique, mais aussi pour préparer la reprise et anticiper les besoins. La question des travailleurs frontaliers, par exemple, est très importante, 20 000 salariés traversant chaque jour la frontière. Il a également fallu communiquer avec le grand public. Dès le 26 février, nous avons créé une cellule d'information du public, laquelle a recueilli plus de 33 000 appels. Je n'oublie pas non plus la lettre que j'ai adressée à tous les maires du Nord à compter du 2 mars.

Ce dialogue n'épuise pas l'autre mission fondamentale de l'État : l'ordre public et social. En effet, dans cette crise inédite, les préfets ont dû prendre en charge les angles morts des politiques publiques. Les 180 arrêtés que j'ai pris l'ont été, pour la majorité des cas, dans le cadre d'un dialogue très fructueux avec les maires. Je ne me souviens pas d'avoir pris une seule mesure allant à l'encontre de la position d'un maire. Ils ont fait preuve d'une grande créativité concernant les marchés que j'ouvrais par dérogation, en installant des protections sanitaires incontestables. Ce dialogue de qualité se poursuit au sujet des plages que j'espère pouvoir rouvrir à la fin de la semaine. Le contrôle de l'ordre public a aussi consisté à contrôler les déplacements de la population. Sur les 2 millions de contrôles réalisés dans la région, moins de 5 % ont donné lieu à un procès‑verbal, ce qui en dit long sur la résilience de la population et sa compréhension de l'enjeu du confinement.

Quant au volet social, sur lequel nous nous sommes beaucoup engagés, nous avons fait en sorte que les populations migrantes puissent être mises à l'abri et faire l'objet d'un suivi sanitaire et social. Je me réjouis qu'à ce stade aucun cluster n'ait éclos parmi eux. Grâce à la réquisition de huit hôtels dans le Nord, nous avons mis à l'abri plus de quatre cents personnes, dans des conditions sécurisées, avec un accompagnement sanitaire et social et un programme de réinsertion économique. Chose précieuse, un partenariat s'est renoué avec des organismes importants, mais pas toujours visibles dans notre paysage administratif, comme les centres communaux d'action sociale (CCAS) qui ont été très mobilisés, d'autant que les associations spécialisées dans la distribution alimentaire ont connu des difficultés en raison de l'indisponibilité de leurs bénévoles.

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Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin

Si je me retrouve dans une bonne partie de l'exposé de mon collègue, je voudrais vous faire part de l'éclairage particulier qu'apporte le département du Haut‑Rhin sur la crise. Son déclenchement a été très soudain. Le dimanche 1er mars, j'ai appris l'existence du premier cas, celui d'une famille hospitalisée à Strasbourg. Le mardi 3 mars au réveil, j'ai su qu'un lien avait été établi entre plusieurs malades, cette famille et une autre : leur participation à un rassemblement évangélique à Mulhouse, la semaine du 17 au 21 février. Ce jour‑là, j'ai eu le sentiment qu'une énorme vague apparaissait à l'horizon et gonflait d'heure en heure. Il y avait peu de cas avérés, mais un nombre de cas potentiels considérable, dans la mesure où les cas avérés avaient côtoyé de près plus de 2 000 personnes. J'ai essayé de les localiser, ce qui était particulièrement difficile, puisqu'elles ne s'étaient inscrites nulle part et que la seule liste disponible était celle des enfants confiés en garde. J'ai ainsi pu remonter jusqu'aux familles, tandis que le nuage de points ne cessait de grandir jusqu'à couvrir l'ensemble du département – nous avons appris plus tard que les foyers de Guyane et de Corse avaient également pour origine le rassemblement de Mulhouse. Le soir même, je décidai de fermer trois écoles et interdis les réunions dans les trois communes de domicile et de travail des personnes concernées.

Pendant tout le mois de mars, le Haut‑Rhin a été aux avant‑postes de la crise. Le matin du vendredi 6 mars, j'interdisais tout rassemblement de plus de cinquante personnes, alors que la règle nationale concernait des rassemblements de plus de 5 000 personnes. J'ai également interdit aux mineurs de rendre visite à quiconque en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou à l'hôpital. J'ai interdit les manifestations sportives et fait fermer toutes les écoles où des cas, avérés ou probables, avaient été détectés. Le soir, le Premier ministre annonçait la fermeture de toutes les écoles du Haut‑Rhin et de l'Oise.

Nous avons également été aux avant‑postes à l'hôpital. Je voudrais souligner l'extraordinaire réaction des personnels des hôpitaux de Colmar et de Mulhouse qui, dès cette semaine‑là, voyant l'afflux aux urgences, ont complètement réorganisé leur hôpital, en fermant tous les services, à l'exception de la maternité, de la chirurgie cardiaque et de la cancérologie, pour en faire des services Covid. À l'hôpital de Mulhouse, plus de cinq cents lits ont été organisés ainsi, tout comme à l'hôpital de Colmar et à la clinique du Diaconat, qui possède un établissement dans les deux villes. L'adaptation a dû être très soudaine. Aux avant‑postes encore, avec l'installation d'un hôpital militaire, les 19, 20 et 21 mars, décidée le 16 mars par le Président de la République, qui est venu sur place le 25. Aux avant‑postes également, pour les évacuations sanitaires, la première ayant eu lieu par avion militaire le 18 mars. À partir du 22 mars, des évacuations ont commencé vers les hôpitaux allemands principalement, mais aussi belges et suisses : elles ont sauvé les hôpitaux du Haut‑Rhin. Plus de deux cents évacuations ont été faites dans le Grand Est, alors que la capacité en réanimation était de soixante‑dix lits avant la crise et qu'elle est montée à cent cinquante.

Un dépositoire a également été créé, grâce à une excellente coopération avec la ville de Mulhouse, qui a mis ses équipes à disposition pour gérer un espace devenu une annexe du centre funéraire municipal. Ouvert le 2 avril, il a contenu jusqu'à une centaine de cercueils. Aux avant‑postes aussi, avec une attention très soutenue des médias pendant tout le mois de mars. Mais au début du mois d'avril, lorsque l'épidémie a atteint massivement l'Île‑de‑France, ce problème régional est devenu national et nous avons disparu du spectre médiatique, alors que la situation n'était pas résolue. La baisse du nombre de personnes hospitalisées est encore très lente. Notre pic était de 1 100 malades le 2 avril ; nous en avons encore 700.

La gestion du confinement a été voisine de celle des autres départements. Elle a été facilitée par la discipline alsacienne, par la peur généralisée et le sens des responsabilités vis‑à‑vis des personnels soignants. Le bilan est très lourd dans notre département, avec 1 400 morts à l'hôpital ou en EHPAD. Alors que le taux moyen français est de 403 décès par million d'habitants, dans le Haut‑Rhin, nous en sommes à 1 823, soit 4,5 fois la moyenne nationale. Dans la commune de Mulhouse, la mortalité a triplé par rapport aux chiffres moyens sur la même période. Il y avait, à l'hôpital, jusqu'à cinquante décès par jour. Chaque famille, chaque village, chaque communauté professionnelle a été touchée ; chacun connaît quelqu'un qui a été malade. L'Assemblée nationale n'est d'ailleurs pas épargnée, puisque le député Jean‑Luc Reitzer a été hospitalisé dès le 4 mars et qu'il n'est sorti de réanimation qu'à la mi‑avril. Des élus sont décédés, comme le maire de Saint‑Louis, la troisième commune du département. Le nombre de pages de faire‑part de décès dans la presse quotidienne régionale était éloquent. L'économie était quasiment à l'arrêt ; le trafic sur autoroute quasi nul ; les villes mortes, silencieuses.

L'organisation de la préfecture a été complètement transformée. Je participais à trois réunions quotidiennes : l'une était consacrée à la sécurité ; l'autre à la synthèse départementale avec les acteurs de la crise ; enfin, la préfète de région a tenu une visioconférence à partir du 18 mars, ce qui m'a été particulièrement utile pour partager mes alertes, le Haut‑Rhin ayant été tristement en avance.

Pour terminer, je voudrais insister sur la nécessité que j'ai ressentie d'associer d'autres partenaires. Le préfet ne peut pas décider seul, sans être le plus largement informé, ni sans associer à sa réflexion l'ensemble des partenaires. Ses piliers traditionnels sont la police, la gendarmerie, les sapeurs‑pompiers et l'armée.

Le partenariat avec l'ARS a été parfois compliqué, notamment en raison de la difficulté d'obtenir des statistiques fiables et de bien connaître la situation. Cela m'a conduit, dans le respect des responsabilités de chacun, à être assez insistant pour identifier les risques de pénurie susceptibles de poser de grandes difficultés.

Les relations avec le rectorat ont été excellentes – cela tient beaucoup aux personnes. Nous avons organisé le dispositif de garde des enfants de soignants dès le 7 mars, et la réouverture des écoles, que nous avons planifiée avec les autorités académiques, se déroule bien.

J'ai organisé avec le monde social des conférences hebdomadaires. Je suis en contact au moins une fois par semaine avec les parlementaires, la présidente du conseil départemental, le président de l'association des maires et les maires des trois communes principales. Enfin, j'échange hebdomadairement avec le bureau de l'association des maires, ce qui me donne l'occasion de répondre à leurs interrogations sur l'application des mesures réglementaires décidées par le Gouvernement. Enfin, j'ai des contacts bilatéraux, notamment avec la maire de Mulhouse : qu'ils aient porté sur la mise en place du couvre-feu ou sur le dépositoire, ils se sont révélés particulièrement fructueux.

Il faut procéder en fait à un ajustement permanent entre l'application des règles nationales et l'adaptation à la situation locale. Il est parfois difficile de faire comprendre qu'un département confronté à une situation inédite doit prendre des mesures particulières qui s'écartent du cadre national. Il fallait veiller à ce que ces mesures soient prises en cohérence avec la situation du Bas-Rhin, département voisin touché avec une semaine de décalage dans des proportions analogues.

Les parlementaires connaissent bien les enjeux, liés notamment à la position frontalière ; lors des conférences hebdomadaires, ils ont souvent souligné les particularismes locaux mais ont aussi cherché à ce que soient reproduites dans le département des initiatives observées ailleurs en France. C'est la ligne sévère qui a prévalu dans l'ajustement permanent des mesures. Nous effectuons une levée très prudente et progressive du confinement. Quand bien même l'attention médiatique s'est portée ailleurs, la situation sanitaire reste grave dans le Haut-Rhin.

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Bertrand Gaume, préfet de Vaucluse

Le Vaucluse a été touché dans des proportions bien moins graves et beaucoup plus tardivement, avec l'hospitalisation le 3 mars à Vaison-La-Romaine d'une femme originaire de la Drôme provençale, après qu'un foyer s'est développé autour de Nyons. La progression du nombre de cas drômois hospitalisés dans le Nord Vaucluse a été lente ; ce n'est que dans la semaine précédant le premier tour des élections municipales que nous avons observé une petite montée dans le département, avec deux cas suspects dans une école aux abords d'Avignon, dont l'un s'est révélé positif. Cela m'a conduit à prendre un arrêté de fermeture de l'école, juste avant la fermeture nationale de l'ensemble des établissements scolaires.

Nous déplorons 39 décès à ce jour, 33 à l'hôpital et 6 en EHPAD. Une seule personne se trouve toujours en réanimation.

De l'avis de l'ARS, le département est faiblement doté puisqu'il dispose en temps normal de 16 lits de réanimation pour 570 000 habitants. Tout l'enjeu a donc consisté à réaménager les services pour atteindre, au plus fort de la crise, le nombre de 50 lits de réanimation à Avignon, dont 7 lits de soins continus dans une clinique privée. La décrue est maintenant enclenchée.

Les relations avec la délégation départementale de l'ARS sont excellentes et particulièrement intégrées, avec des conversations téléphoniques quotidiennes et un point audio sur la situation chaque soir. J'ai souhaité que la préfecture agisse en appui logistique de la délégation départementale pour la distribution de masques aux EHPAD et aux établissements de santé, paramédicaux ou médico sociaux ne figurant pas dans la chaîne de livraison par l'hôpital d'Avignon ou les grossistes répartiteurs.

Même si quelques tensions sur les consommables ont pu être notées, nous n'avons pas eu à connaître de ruptures. Le territoire s'est largement mobilisé : une mesure réglementaire a permis aux installations classées pour la protection de l'environnement qui n'œuvraient pas dans le champ sanitaire de basculer dans la fabrication de gels hydroalcooliques ; grâce aux réseaux des Fab Labs, à l'Union des industries et métiers de la métallurgie, à la chambre de commerce et d'industrie et à l'agence départementale d'attractivité, des initiatives que nous avons accompagnées y compris financièrement ont permis de fabriquer des visières.

Le Vaucluse ne dispose pas d'une industrie textile très développée qui permettrait la confection des masques alternatifs, mais deux ou trois initiatives intéressantes portent sur la fabrication de masques en silicone, en cours d'homologation par la direction générale de l'armement dans le cadre de l'appel à propositions de la direction générale des entreprises.

Le corps social s'est largement mobilisé, faisant preuve d'une grande compréhension des enjeux. Le taux de verbalisation est de 7 %, légèrement plus élevé que dans les Hauts‑de‑France, mais le Vaucluse est plus méridional… Les choses se sont bien passées, à quelques dérives près. J'ai dû prendre plusieurs arrêtés de police administrative concernant l'organisation des grandes surfaces, les horaires de vente des établissements de restauration rapide – pour éviter les attroupements nocturnes de jeunes –, l'interdiction jusqu'au 11 mai des locations saisonnières, l'interdiction de l'accès aux massifs et de l'emploi des feux, notamment dans le cadre de l'écobuage – pour permettre aux sapeurs-pompiers de se concentrer sur d'autres opérations. J'ai pris de nombreux arrêtés de dérogation concernant les marchés, en faisant toujours primer l'aspect sanitaire. Enfin, j'ai procédé à la fermeture administrative de deux épiceries qui ne respectaient pas les mesures de confinement et à quelques réquisitions de personnels hospitaliers appelés à prêter main forte en région parisienne. Nous avons analysé toutes les modalités de mobilisation du réseau des laboratoires ; le laboratoire départemental d'analyses n'a pas été réquisitionné car il n'est pas équipé des machines permettant de réaliser des tests PCR.

Dès le 14 mars, nous avons organisé, en lien avec les intercommunalités, les communes et l'éducation nationale, l'accueil des enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise. La reprise des cours, depuis le 11 mai, se déroule dans de bonnes conditions.

Le Vaucluse est le sixième département le plus pauvre de France, avec un nombre important de bénéficiaires des allocations individuelles de solidarité. Les CCAS, les administrations sociales de grande proximité, les associations se sont fortement mobilisés. La direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) a accompli un travail important d'animation du réseau, dans un domaine où la décentralisation a opéré ces dernières années des transferts de compétences. Comme ailleurs, les violences conjugales ont augmenté durant le confinement, tandis que certaines structures baissaient pavillon par crainte de l'épidémie. Nous avons pallié la fermeture des accueils de jours en créant des points d'accueil éphémères, en lien avec les associations. Nous animerons prochainement une commission locale d'aide aux victimes pour examiner les conditions du déconfinement.

Les conséquences économiques de la crise sont particulièrement fortes dans les secteurs de la culture et du tourisme. Le coût de l'annulation du festival d'Avignon, In et Off, suite au conflit avec les intermittents du spectacle en 2003 avait été estimé à 100 millions d'euros. On s'attend à des répercussions majeures pour l'hôtellerie, la restauration et le secteur de l'événementiel. L'enjeu consistera à rouvrir les biens touristiques emblématiques, dans le strict respect des préconisations sanitaires et des gestes barrières. Les secteurs de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaires sont aussi très fortement touchés. Les saisonniers étrangers manquant à l'appel, une cellule spéciale de Pôle emploi a été mobilisée, mais son activité ne peut compenser à elle seule la perte de main-d'œuvre.

J'échange chaque semaine avec chacun des parlementaires, cinq députés et trois sénateurs ; des visioconférences sont organisés avec les représentants des établissements publics de coopération intercommunale, des maires et le président du conseil départemental. D'autres réunions se tiennent avec les représentants du monde économique et social, auxquelles sont associés les syndicats et les organisations patronales. Cela paraît fondamental pour maintenir le lien de confiance durant le déconfinement.

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Votre engagement, ainsi que celui des administrations que vous dirigez, est la clé de voûte de la gestion de crise. Vous avez dû gérer, dans l'urgence parfois, des situations très complexes et avez fait preuve d'une grande réactivité.

Comment vous organisez-vous pour disposer des bons indicateurs, des dispositifs nécessaires et organiser la coordination avec les élus locaux dans la perspective d'un nouveau confinement, que M. Jean Castex estime probable pour certaines parties du territoire ?

Face aux multiples arrêtés communaux, comment avez-vous concilié l'homogénéité des décisions et la nécessaire adaptation aux situations locales ?

Vos services ont été très mobilisés sur la crise sanitaire, mais les menaces, notamment le terrorisme, existent toujours. Les structures comme les groupes d'évaluation départementaux (GED) continuent-elles de fonctionner ? Comment s'organise la surveillance des sortants de prison ?

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Je veux vous remercier, ainsi que l'ensemble de vos services, pour votre mobilisation durant cette crise. Nous avons vu que nous pouvions compter sur les préfets pour répondre aux nombreux angles morts.

M. Touvet, mon collègue M. Éric Strauman souhaite vous interroger sur la chronologie de l'épidémie dans le Haut-Rhin. Le 1er mars, l'église évangélique a été alertée par un fidèle testé positif. Vous avez expliqué avoir été informé le 3 mars, soit deux jours plus tard Quand l'enquête sanitaire a-t-elle commencé, et quelles ont été les mesures proposées par l'ARS ? Pensez-vous que les choses auraient pu être faites avec plus de diligence ?

Le dispositif très centralisé des ARS a malheureusement montré ses limites dans tous les départements, la logistique étant mal adaptée aux besoins des territoires. Avez-vous des idées pour améliorer cette organisation ? Ne devrait-elle pas s'appuyer davantage sur les collectivités locales, pour une meilleure coordination des besoins en matière sanitaire ?

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Je veux dire notre reconnaissance pour votre action, votre travail et votre engagement. Nous demeurons à vos côtés dans cette crise si douloureuse. Grands serviteurs de l'État, vous êtes aussi les grands observateurs de son fonctionnement. Que faut-il garder, consolider ? À l'inverse, quels sont les faiblesses auxquelles remédier demain, pour mieux anticiper les prochaines crises ? Quelles mesures convient-il de prendre, quelles sont les stratégies nouvelles à développer, en France comme en Europe ?

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Je remercie l'ensemble du corps préfectoral pour sa réactivité dans la crise et sa recherche de la meilleure coopération possible avec les élus locaux.

Nous l'avons constaté, la France n'était pas préparée, les manques en masques ou en respirateurs l'ont prouvé. J'ai présidé en 2010 la commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1). Ses recommandations ont entraîné la création d'un conseil zonal de préparation aux crises sanitaires, intégré à chacune des sept zones de défense et de sécurité, auxquelles vous avez tous été rattachés dans vos fonctions actuelles ou passées. Pouvez-vous nous dire à quelle fréquence se réunit ce conseil zonal et si le risque pandémique y est anticipé ? Suite à la décision du gouvernement précédent de faire disparaître les stocks nationaux de masques, une loi charge les hôpitaux, les collectivités locales et les employeurs privés de constituer leurs propres stocks. Mais il semble que personne n'ait jamais vérifié que cette loi était respectée.

Cette mission d'information ayant vocation à devenir une commission d'enquête, je souhaite, avec l'autorisation du président, vous demander de nous transmettre les comptes rendus des conseils zonaux de préparation aux crises sanitaires, afin de savoir comment l'État a anticipé, ou non, une telle crise.

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La défiance de nos concitoyens vis-à-vis du politique, de l'État et des médias s'est encore renforcée avec la crise ; les organisations locales et territoriales sont les seules à avoir conservé du crédit. Nous sommes l'un des pays d'Europe où l'on fait le moins confiance dans l'État pour la gestion de la crise. Nous ne pourrons reconstruire le pays sans recréer de la confiance. J'ai été maire, président de conseil départemental et j'ai toujours entretenu de bonnes relations avec le préfet, mais les choses se gâtent toujours lorsqu'il est question de sujets nationaux. Notre pays ne peut continuer de fonctionner ainsi.

L'État a manqué une nouvelle fois d'anticipation, pêchant par manque de transparence et usant de méthodes de gestion bureaucratiques. L'enjeu est de mobiliser tout le monde pour affronter cette crise et anticiper les prochaines, la plus terrible étant la crise environnementale. Comment allez-vous agir sur les territoires pour associer la société civile ? Quelles méthodes envisagez-vous pour que les décisions soient construites avec la participation de tous ? Car sans l'adhésion de nos concitoyens, c'est la démocratie tout entière qui est fragilisée.

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Quels enseignements tirez-vous de la crise en ce qui concerne les relations avec les ARS ? Que peut-on envisager pour améliorer une situation qui a été dénoncée en de nombreux endroits, en particulier dans le Grand Est ? Un certain nombre de leçons ont déjà été tirées, avec des changements au niveau des directions ; mais au-delà de la question des personnes, des questions de structures se posent.

S'agissant de la relation maires-préfets, la durée d'exercice des préfets me paraît une question importante. Pour établir de bonnes relations, il faut du temps ; or la rotation des préfets, qui passent en moyenne deux ans sur un poste, interroge. En 2014, la Cour des comptes préconisait une durée minimale de trois ans d'exercice pour un préfet de département, et de quatre ans pour un préfet de région. Ne faut-il pas ainsi garantir la stabilité nécessaire pour mettre en place tous les outils de gestion de la crise – dont il faut tout de même préciser que personne ne l'avait vu venir ? Malgré toutes les qualités que l'on connaît au corps préfectoral, la connaissance du territoire – garantie d'une bonne réactivité – nécessite du temps ; avez-vous l'impression d'en disposer dans l'exercice de vos missions ?

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Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord

Étant en poste depuis un peu plus de quatre ans dans cette merveilleuse région des Hauts-de-France et son sublime département du Nord, je participe d'une certaine longévité du corps préfectoral ; je concrétise ainsi le souhait exprimé par la Cour des comptes en 2014.

Dans une situation de crise aussi grave, nous ne devons pas cesser de prendre en compte les autres risques. Il faut se garder de surinvestir dans certaines politiques publiques si cela conduit à sous-investir dans d'autres. Dans les territoires dont je m'occupe, le terrorisme est toujours une préoccupation majeure ; nous avons continué à nous engager dans ce domaine, et nous avons pu le faire d'autant plus que les services investis dans la gestion de crise sanitaire ne sont – heureusement – pas les mêmes que ceux chargés de la crise terroriste – qui se perpétue, certes à bas bruit. La direction générale de la sécurité intérieure et le renseignement territorial ne sont pas impliqués dans la crise sanitaire ; par ailleurs, le GED, que je préside, est maintenu ; il se tient de manière régulière.

Nous sommes préparés à un reconfinement ; le cas échéant, nous serons prêts, tant sur le plan technique qu'administratif et politique, surtout si celui-ci intervient de manière parfaitement circonscrite. Cette question renvoie à notre capacité à suivre l'évolution de la maladie sur un plan territorial très fin ; nous progressons beaucoup à ce sujet, avec la mise en place de la campagne de traçage permettant d'observer avec finesse les clusters susceptibles de se développer. Nous pourrions ainsi mettre en œuvre des reconfinements à une échelle beaucoup plus fine que ce que nous avons connu jusqu'à présent.

Les arrêtés d'interdiction sont le plus souvent cousus main ; c'est exactement l'antithèse de la technocratie que l'on se plaît à dénoncer dans les journaux, en particulier parisiens, à propos du corps préfectoral. Je déteste les approches territoriales préfabriquées ; étant sancerrois, j'aime le travail des vignerons, le vin que l'on distille en prenant son temps, et j'aime prendre mon temps en matière de droit administratif. Après tout, nous nous adressons à des populations ; lorsque nous interdisons, ou lorsque nous organisons les libertés publiques, nous devons le faire – c'est la moindre des choses – en écoutant la population et ses représentants, sans jamais oublier que le droit est un équilibre – certes précaire et fragile – entre les libertés et le règlement.

S'agissant des ARS, je me garderai bien de donner des leçons. Elles ont été créées en 2010, à l'issue d'un débat parlementaire auquel nombre d'entre vous ont participé ; je vous renvoie donc à vos propres travaux et à vos propres engagements. Cette organisation a en quelque sorte sacralisé le domaine sanitaire, en le sortant de l'organisation territoriale de droit commun de l'État. Cependant, ce sont des établissements publics locaux, et leur conseil de surveillance est présidé par le préfet de région ; les ARS sont donc territorialisées, selon un équilibre voulu à l'époque par le législateur. Cet équilibre est critiqué mais, contrairement à ce que vous disiez, ces agences ne sont pas centralisées ; elles sont régionalisées, et il est impropre de parler de centralisation à propos d'organismes dont le ressort territorial et le siège social se trouvent en région.

Ce qui donne ce sentiment de centralisation, c'est d'abord sans doute le rapport au territoire, à la proximité : il conviendra de s'interroger sur la territorialisation fine des ARS. C'est un peu le débat que nous avons eu en préfecture à propos des sous-préfectures, auxquelles certains bons esprits ont toujours voulu mettre un terme. Heureusement que nous en disposons pour gérer la crise ! Les maires ruraux, convaincus de leur utilité, vous le diront, à rebours de nombreux rapports effectués par des organismes savants expliquant qu'elles coûtent trop cher par rapport à leur valeur ajoutée. Réinvestir la proximité et le dernier kilomètre : voilà le grand enjeu de cette crise pour l'État, pour tous les ministères, mais aussi pour les collectivités locales elles-mêmes et, assurément, pour les ARS.

Le sentiment de centralisation procède ensuite du rapport à l'État central, au pouvoir : quel contenu les services territoriaux de l'État et les ARS accordent-ils au concept de déconcentration – auquel peu de gens accordent de la considération ? Je vous laisserai le soin de répondre à cette question.

À la question de savoir quelles sont les forces et les faiblesses de l'État français dans le cadre de cette crise, je vous ferai une réponse très centriste. La force de la France, c'est son unité mais aussi sa diversité ; son unité, c'est la capacité de l'État à se rassembler derrière ses représentants ; sa diversité, ce sont d'abord des collectivités locales très nombreuses – on a dit parfois qu'elles l'étaient trop, mais je ne suis pas de cet avis, car ce sont elles qui garantissent la proximité –, et ensuite, aux échelons supérieurs, les départements et les régions, qui ont montré leur extraordinaire agilité dans la gestion de cette crise. L'unité de l'organisation territoriale française, réalisée autour de ce chef d'état-major qu'est le préfet, constitue un atout très important ; il en est de même pour la diversité des collectivités territoriales, dont vous connaissez les responsabilités étendues.

Ce qui nous a manqué, c'est dans une certaine mesure la planification. Dans cette crise, nous avons été acculés et nous avons pu donner le sentiment d'être débordés – ceux d'entre nous qui ont connu des raz-de-marée savent que lorsqu'on se trouve trop proche de lui, on se fait absorber. Cependant, nous avons résisté, nous nous sommes relevés et nous avons fait face ; finalement, la comparaison avec le reste du monde ne nous est pas nécessairement défavorable – cela, l'histoire le dira. Quoi qu'il en soit, nous devons réfléchir à la fonction planificatrice au long cours qui incombe à l'État ; celui-ci doit se doter d'une culture du long terme, car les questions de sécurité sont tout sauf des questions conjoncturelles. Les réflexions stratégiques doivent être privilégiées ; si c'est ce que l'on pouvait retenir de cette crise, ce serait un formidable apport.

Je ne reviens pas sur les relations entre les maires et les préfets ; ils sont les deux faces de cette même monnaie qu'est la France. Quand leur relation ne fonctionne pas, il vaut mieux changer les préfets que les maires, qui sont élus au suffrage universel ; à chaque fois que le suffrage universel a été supprimé dans notre pays, les choses se sont très mal finies.

Le conseil zonal de préparation sanitaire ne se trouvait pas dans mes radars. Vous pouvez interroger tous les préfets de zone – nous ne sommes que sept – à ce sujet, mais il m'étonnerait que de nombreuses réunions de ce type aient eu lieu. Nous ne sommes pas pour autant étrangers à ces questions sanitaires ; nous nous en sommes saisis à travers la mise en place d'outils qui nous ont permis de suivre l'évolution de la situation sanitaire dans notre zone de défense et de sécurité, qui constitue la bonne référence territoriale pour appréhender les crises, que ce soit d'ailleurs dans le domaine sanitaire ou dans celui du terrorisme. Depuis que je suis en poste dans le Nord, soit en 2016, j'ai mis en place une conférence zonale de sécurité qui réunit tous les grands acteurs ayant à connaître des questions de sécurité : l'autorité judiciaire – les deux procureurs généraux et les deux présidents de cour d'appel y siègent –, les présidents de juridiction administrative et l'ensemble des services de sécurité – police, gendarmerie et renseignement –, mais aussi les responsables administratifs qui participent dans une certaine mesure à la sécurité de ce territoire. Un dispositif zonal existe donc, même s'il ne s'appelle peut-être pas comme vous le souhaiteriez ; à travers lui, nous avons la capacité de balayer tous les risques de crise auxquels notre territoire est exposé. Peut-être l'avons-nous quelque peu transformée, mais nous n'avons pas oublié l'intention du législateur.

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Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin

Un éventuel reconfinement a été évoqué. Je suis en train de mettre en place des indicateurs d'alerte, car je ne veux pas retrouver la situation des 1er, 2 et 3 mars et être à nouveau pris par surprise, même si, à ce moment, tout le monde l'a été. J'ai demandé à recevoir quotidiennement un certain nombre de données concernant l'épidémie en cours : le nombre d'appels et le nombre d'arrivées aux urgences, mais aussi le nombre d'appels au SAMU, au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et à SOS Médecins, ainsi que le nombre de tests réalisés par les laboratoires et le nombre de cas contacts, afin de vérifier que nous restons toujours en-dessous de notre capacité de test ; si l'on s'en approchait, il faudrait faire appel à des solidarités régionales. Nous suivons de près les indicateurs d'ordre médical pour essayer de détecter le plus en amont possible une résurgence de la diffusion du virus. Ces signaux d'alerte ne pourront pas nous en prémunir totalement, mais ils seront utiles pour activer dans la journée les contacts entre autorités administratives et sanitaires, et pouvoir éventuellement prendre les décisions qui s'imposent.

Vous nous avez interrogés sur l'homogénéité des arrêtés d'interdiction. Compte tenu de la diffusion du virus dans tout le département, j'ai privilégié les discussions avec le bureau de l'association des maires du Haut-Rhin pour essayer de définir une réglementation applicable sur l'ensemble du département. Si l'on cible les communes où la maladie est la plus répandue, on aboutira assez vite à une peau de léopard, d'autant plus que la densité de population sur le territoire – 220 habitants au km2 – représente près du double de la moyenne française. Toute la partie des Vosges étant quasiment inhabitée, la population est assez dense sur la plaine d'Alsace, où l'on trouve une nouvelle commune tous les kilomètres ou tous les deux kilomètres. On ne peut donc pas faire des différences trop importantes entre les communes car celles-ci seraient très difficiles à expliquer, mais il y a tout de même quelques cas particuliers, notamment la ville de Mulhouse. S'agissant des marchés, pour lesquels la décision s'est faite au cas par cas – souvent selon un critère démographique – j'ai eu le souci de les rouvrir dans les communes rurales, pour permettre notamment aux agriculteurs de montagne d'écouler directement leurs produits.

S'agissant de la journée du 3 mars, j'ai pu bénéficier dès ce moment de conseils de l'ARS pour proposer et préparer des mesures. J'avais alors émis l'idée de fermer les écoles du département et d'y interdire toutes les réunions ; cependant, au cours de discussions avec mes collègues, il était apparu que cette mesure était sans doute disproportionnée par rapport aux informations dont nous disposions à l'époque – seulement dix cas avérés – ; c'est la raison pour laquelle nous ne sommes intervenus que deux jours plus tard, après avoir affiné notre connaissance de la diffusion de la maladie. Lorsque j'ai annoncé l'interdiction des réunions à plus de cinquante personnes et la fermeture d'une grande partie des écoles, le vendredi 6 mars au matin, les chaînes d'information continue – qui ne constituent certes pas la meilleure référence – avaient interrompu la diffusion d'une visite du Président de la République dans un EHPAD au profit de ma modeste conférence de presse, car les mesures prises apparaissaient alors comme inédites et assez audacieuses. Cependant, tout est allé très vite, et le Premier ministre annonçait le soir même des mesures de plus grande ampleur.

En ce qui concerne l'exercice de la fonction préfectorale, j'ai la chance d'être en poste depuis trois ans et demi. Cette longévité m'a certainement aidé pour bien connaître les acteurs et le territoire. Mais d'après mon expérience – même si elle est moins longue que celle de mes deux collègues ici présents –, l'incertitude quant à notre longévité administrative nous pousse à nous investir très vite ; aidés par nos équipes, notre sens du contact et par le désir des élus – maires et parlementaires – de nous exposer les problèmes auxquels ils font face, nous nous trouvons en quelques semaines au fait des grands enjeux du département et des bonnes personnes à solliciter dans telle ou telle situation. C'est encore plus intuitif pour ceux qui sont en poste depuis plus longtemps, mais je crois que les préfets dans leur ensemble, quels qu'ils soient, savent assez vite s'adapter à la situation de leur département.

Les relations avec l'ARS ont posé des difficultés. J'ai eu l'impression que la délégation départementale du Haut-Rhin avait été un peu abandonnée par sa direction régionale ; les grands enjeux de réflexion des ARS semblent se développer de manière privilégiée à l'échelon régional, en lien avec des équipes scientifiques, et l'unité départementale a tendance à se retrouver un peu seule, sa connaissance des mesures à prendre s'en trouvant altérée. Elle dispose d'une bonne connaissance du terrain, mais son lien avec les échelons supérieurs devra certainement être renforcé. L'ARS m'a par ailleurs souvent paru très accaparée, notamment sous l'influence de Santé publique France, par la collecte de données statistiques à visée scientifique mais sans usage opérationnel. C'est peut-être une question de culture – il est difficile de généraliser à partir du cas particulier de mon département. Ayant pour ma part maintenu le contact avec ma délégation territoriale, j'ai aussi dû composer avec les faiblesses de cette équipe, car il aurait été contre-productif d'appuyer trop fort sur des personnes qu'il n'était pas toujours possible de mobiliser sept jours sur sept sur la longue durée – ce que nous avons essayé de faire pendant deux mois et demi –, mais dont l'absence aurait causé un dommage encore plus important.

Enfin, je rejoins entièrement M. Michel Lalande sur le maintien des objectifs de lutte anti-terroriste ; il se trouve facilité par le fait que les services de renseignements spécialisés n'ont pas été directement investis dans la gestion de la crise sanitaire.

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Bertrand Gaume, préfet de Vaucluse

M. Michel Lalande a évoqué la mise en œuvre d'une culture de la planification et du long terme. Le grand enjeu révélé par cette crise, mais aussi par d'autres crises antérieures – je pense au terrorisme, contre lequel le département du Vaucluse a continué à se mobiliser avec la réunion hebdomadaire des instances spécialisées comme le GED –, c'est la nécessité d'irriguer au sein de la population française une culture de la sécurité, telle que l'avait évoquée le ministre de l'intérieur de l'époque à l'issue des attentats de 2015. C'est de mon point de vue un enjeu absolument essentiel. En matière de vigilance météorologique par exemple – les fameuses alertes jaune, orange et rouge –, on ne compte plus les fois où l'on a été accusé de réagir avec excès, selon ce que j'appelle le syndrome « Pierre et le loup » qui veut qu'à force de crier au loup, on finisse par ne plus y croire. N'y aurait-il pas une problématique de ce type en matière sanitaire ? Nous devrons nous poser la question, car l'élaboration de plans d'urgence sanitaire avait été anticipée depuis longtemps ; les fameux stades épidémiques sont d'ailleurs directement issus de travaux interministériels effectués il y a quelques années autour des problématiques de pandémie grippale.

Il est important que nous parvenions à diffuser cette culture de la sécurité dans l'ensemble de la société ; il n'y a qu'à se souvenir des terrasses de café bondées, juste avant que ne soit prise la mesure de confinement, pour s'en rendre compte. Comment y arriver ? Je n'ai pas la réponse mais je pense que pour y arriver, il faut de la territorialisation ; la force de l'État territorial, c'est son réseau. Odilon Barrot disait au début de la IIIe République : « c'est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». Avec leurs styles différents et leur adaptation variable aux territoires, tous les services territoriaux de l'État – préfets, sous-préfets – ont la même capacité à travailler avec les élus et acteurs locaux. La force de l'État pendant cette crise a ainsi été le binôme maire-préfet. La commune a joué un rôle absolument essentiel dans la gestion du dernier kilomètre, pour reprendre le terme employé par mon collègue Michel Lalande ; dans l'accompagnement des personnes isolées, le rôle à venir des CCAS sera déterminant.

Au sujet de Santé publique France, il pourrait être intéressant de disposer de retours territorialisés sur l'évolution des modèles épidémiologiques développés au niveau national. Si les ARS faisaient remonter les données, de tels retours d'information pourraient permettre de piloter la crise au plus près et d'anticiper les coûts.

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Messieurs les préfets, pouvez-vous nous indiquer quelle est la capacité réelle des territoires à mettre en œuvre les tests et à organiser les brigades chargées de remonter les chaînes de contamination et de cas contacts ? L'organisation territoriale correspondante est-elle déjà en place ? En effet, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir au moment du déconfinement un train de retard comme cela a été le cas en début de crise.

Alors que la saison touristique devrait commencer, les restaurants et les hôtels sont encore fermés, sans qu'il soit possible de réserver. Pouvez-vous nous préciser sur quels critères les communes sont autorisées à procéder à la réouverture des plages et des lacs, qui pourrait constituer un signal positif ?

Je remercie M. le préfet Touvet pour son constat sur les ARS, qui ouvre des perspectives de réforme pour les rendre plus efficaces.

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Si la fonction préfectorale n'est pas genrée, je veux avoir une pensée pour les préfètes de départements, tout aussi efficaces que leurs homologues masculins. En Indre-et-Loire, notre préfète a fait preuve de son engagement et de sa capacité à travailler en lien avec tous les acteurs de terrain. Je rends également hommage aux sous-préfets, qui font beaucoup de « cousu main », pour reprendre une expression employée précédemment.

Comment les services de l'État ont-ils pu faire face à l'augmentation de l'ordre de 3 % des violences intrafamiliales et conjugales durant le confinement, et quelles améliorations pourrait-on envisager pour l'avenir ? Y a-t-il des dispositifs créés pendant la crise et qui pourraient être rendus pérennes ?

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Les maires sont parfois considérés comme de simples agents de l'État, ce qui fait un peu penser au Second Empire, une période durant laquelle ils étaient nommés par les préfets – alors qu'ils sont élus, ce qui leur confère une légitimité particulière.

Quelle est votre position au sujet de la réouverture des plages, des lacs, mais aussi des chemins de randonnée ? Comment réagissez-vous quand un maire refuse de rouvrir une école ?

Si j'ai bien compris, il n'est pas possible d'effectuer des tests dans le Vaucluse, mais qu'en est-il dans le Grand-Est et dans les Hauts-de-France ? Pour ce qui est des ARS, je ne suis pas étonné d'apprendre qu'il y a eu des difficultés de communication entre celle du Grand-Est et ses délégations départementales : quand on crée une région qui n'est acceptée ni par la population, ni par les élus, il est logique que les acteurs locaux n'aient guère envie de s'investir dans une collectivité qui leur est imposée d'en haut et qui n'a pas l'assentiment des populations.

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Je salue l'engagement des services préfectoraux et leur excellente collaboration avec les parlementaires et les maires, comme cela a été le cas en Saône-et-Loire, ainsi que la grande implication des sous-préfets sur le terrain.

Les marchés sont extrêmement importants, en particulier dans les territoires ruraux, en ce qu'ils permettent aux producteurs locaux d'écouler leur production – d'autant plus que ces derniers ont été privés durant deux mois de l'accès à une partie de leurs circuits de distribution. Avez-vous autorisé la réouverture des marchés alimentaires et non alimentaires de vos régions et départements, que ce soit en zone verte ou en zone rouge ? Dans la négative, sur quels critères l'interdiction s'est-elle fondée ? Des marchands ou des producteurs d'autres départements sont-ils autorisés à être présents dans les marchés se trouvant à plus de 100 kilomètres de leur domicile, au motif d'un déplacement professionnel ? Doivent-ils préalablement recueillir une autorisation en mairie ou en préfecture ?

Mon collègue Jacques Cattin m'a chargé de poser une question à M. le préfet Touvet. Dans le secteur de la pisciculture, certaines entreprises respectueuses du plan de confinement depuis le 16 mars dernier n'ont commercialisé aucun poisson, et souhaitent pouvoir reprendre la vente d'une partie de leur production afin de ne pas avoir à la détruire : qu'en pensez-vous ? Pourriez-vous rassurer les adeptes de la pêche solitaire au sujet d'une réouverture prochaine de la pêche dite de loisir dans les lacs et plans d'eau, à l'instar de celle pratiquée en rivière ?

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Je salue le travail qui a été réalisé dans le Haut-Rhin par les services de l'État, ainsi que l'incroyable réactivité des services hospitaliers, qui ont réussi à transformer les hôpitaux et les cliniques en un temps record, en dépit de quelques difficultés avec les ARS. Si l'on pouvait changer quelque chose dans l'organisation sanitaire de l'État, quelles seraient vos propositions pour que celle-ci présente une réactivité plus forte et une meilleure efficacité ? Cela passerait-il par une réduction du nombre de strates administratives ?

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Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord

En réponse à Mme Bonnivard, je veux dire que nous sommes prêts à répondre aux sollicitations que l'épidémie ne manquera pas de nous adresser encore.

Pour le déconfinement, l'assurance maladie a mis en place dans les cinq départements des Hauts-de-France l'organisation qui lui incombe, de même que l'ARS. Quant aux cinq préfectures correspondantes, elles ont mis en place leurs cellules territoriales d'appui qui, compte tenu de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, auront à revoir leur mode de fonctionnement – du moins est-ce le cas pour le département du Nord. Chacun de ces trois grands acteurs, auxquels je joins les médecins de famille, est donc à sa place. J'insiste sur le fait que chacun doit s'en tenir à ses prérogatives, de manière qu'il n'y ait pas d'interférence de nature à porter atteinte à quelque secret que ce soit.

Vous nous avez interrogés au sujet du pouvoir de police administrative, notamment en ce qui concerne les plages et les marchés. Sur ce dernier point, je rappelle que nous avons quitté le régime de l'autorisation préalable du préfet pour revenir au droit commun, en vertu duquel les marchés relèvent de la police administrative des maires. En tant que préfet, j'ai la responsabilité de vérifier que l'organisation des marchés, telle que chaque maire l'a prévue, respecte strictement les règles sanitaires et, en tout état de cause, ne crée pas un trouble en matière sanitaire. Dès lors qu'un maire respecte l'ordre public sanitaire, il n'y a aucune raison que j'intervienne pour interdire ce qu'il aura autorisé.

À l'inverse, l'accès aux plages est soumis à l'autorisation du préfet, accordée sur la base d'un cahier des charges que le maire – ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale – a préparé. Le cas des plages donne un très bon exemple ce que doit être le dialogue entre les maires et le préfet, que nous évoquions. Si le maire n'est pas un assujetti de l'État, le préfet n'est pas non plus un syndic des affaires locales. Les missions de l'un et de l'autre ne doivent pas être confondues : on attend du maire qu'il défende son territoire et cherche à le promouvoir, on attend de l'État qu'il fasse respecter l'intérêt général, et c'est de l'équilibre entre ces deux prérogatives que ressortent les mesures administratives les plus pertinentes. J'en profite pour vous livrer un scoop : dans les minutes qui vont suivre la fin de cette réunion, je vais signer l'autorisation d'ouvrir des plages sur la mer du Nord.

Les violences conjugales et intrafamiliales ont effectivement augmenté durant le confinement – encore plus en valeur relative qu'en valeur absolue dans la région des Hauts-de-France, où la délinquance a globalement décru dans des proportions considérables : les cambriolages et les vols de voitures ont chuté de 60 % à 65 %. Dans le même temps, les violences conjugales et intrafamiliales ont continué d'augmenter de 5 % à 12 % selon les secteurs. Plusieurs solutions ont été mises en œuvre, parmi lesquelles il en est deux que je souhaiterais voir poursuivies : d'une part, la multiplication des points éphémères d'accueil ou de signalement, qui permettent de libérer la parole des femmes et des enfants victimes de violence – nous avons créé six de ces points dans le Nord, en nous appuyant non seulement sur les pharmacies, mais aussi sur certains centres commerciaux –, d'autre part, un dispositif mis en œuvre à mon initiative en accord avec les parquets, consistant à ce que les services de police et de gendarmerie rappellent systématiquement les femmes ayant été victimes de violences au cours des dernières années. Ce sont ainsi plus de 1 200 femmes qui ont été rappelées, ce qui a permis de remettre en prison des individus récidivistes.

Pour ce qui est de l'organisation sanitaire de l'État, il me semble que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires pourrait faire l'objet d'une évaluation à la lumière de la crise de que nous sommes en train de traverser, mais aussi d'expériences précédentes, visant non pas à sacrifier l'organisation d'une administration sanitaire qui me paraît absolument nécessaire, mais à s'interroger sur son management et son ancrage territorial. Pour ce qui est de ma région, les hommes et les femmes de bonne volonté ont accompli en commun un travail de qualité. Le directeur général de l'ARS a été de tous les comités que j'ai mis en place avec M. Xavier Bertrand et les présidents de conseils départementaux. La qualité des rapports avec l'ARS était déjà excellente, mais nos relations avec elles sont sorties confortées de la crise, chacun ayant compris qu'il était important de travailler avec les territoires, les élus, les associations et, disons-le, avec les citoyens eux-mêmes.

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Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin

Le rôle du préfet est de s'assurer, dans le respect des compétences de chacun, que tous les acteurs sont bien prêts et qu'il n'y a pas d'incompréhensions ou de non-dits entre les différentes équipes chargées chacune d'une partie de la mission. J'ai déjà présidé à deux reprises un comité de pilotage des actions de dépistage, traçage et isolement et, ce faisant, j'ai veillé à ce que les actions de dépistage et de traçage soient prêtes et disponibles sept jours sur sept, et à ce que tous les acteurs soient bien conscients de leur mission et aient les moyens de l'accomplir. Jusqu'à présent, je n'ai aucune raison d'en douter, notamment grâce à l'implication de la médecine de ville, mais aussi de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), qui met à disposition des équipes suffisamment fournies pour appeler les cas contacts et les envoyer vers un dépistage et une solution d'isolement. Je précise que seul l'isolement proprement dit incombe aux préfectures et que j'ai pour cela passé une convention avec deux hôtels et une association de protection civile.

En ce qui concerne le pouvoir de police administrative, je vous ai rappelé le contexte particulier du Haut-Rhin, qui m'inspire une grande réticence à ouvrir davantage l'accès à certaines zones par dérogation. Dans la mesure où nous sommes dans un département rouge, où le virus n'a pas été éradiqué, je n'ai pas l'intention d'ouvrir les lacs et les étangs. M. Cattin m'a déjà posé la question par plusieurs canaux différents, et je lui ai déjà répondu que, si le déversement d'alevins dans les étangs de pêche, qui relève de la pisciculture, me semblait tout à fait possible, la pêche en eau douce ne pouvait en revanche être autorisée avant début juin.

Pour ce qui est des marchés, j'ai procédé un peu différemment de mon collègue du Nord. L'examen de la situation sanitaire locale, effectué en concertation avec le bureau de l'association des maires, nous a conduits à un compromis qui me semble raisonnable : seuls les marchés de produits alimentaires ou périssables sont ouverts, les marchés de vêtements et les brocantes devant rester fermés. En effet, les produits alimentaires sont servis par les vendeurs aux clients sans que ceux-ci aient à les toucher, alors que pour les vêtements et la brocante, les clients touchent beaucoup les objets avant de les acheter – ou même de ne pas les acheter. Cela dit, même les marchés alimentaires ne disposent pas d'une liberté totale : ils doivent respecter un protocole établi entre la chambre d'agriculture et l'association des maires, qui reproduit les gestes barrières et prévoit des mesures de signalisation et de marquage au sol.

On trouve une autre illustration de la territorialisation dans ce que nous avons préparé avec les autorités académiques pour les écoles. Le Gouvernement a demandé que les écoles puissent reprendre dès le 11 mai, mais dans le Haut-Rhin, une grande partie des maires a souhaité une organisation plus progressive, ce que nous avons fait avec la rectrice en prolongeant et en développant le système d'accueil des enfants des personnels soignants pendant une à trois semaines. Chaque école peut ainsi reprendre à son rythme, en fonction de l'organisation des locaux, de la motivation des personnels et de l'attente des parents : certains établissements ont repris ce matin, d'autres reprendront le 18 mai, le 25 mai ou le 2 juin. Cette reprise progressive témoigne bien du dialogue avec les maires, auquel je suis très attaché.

M. Becht nous a demandé ce qu'il faudrait changer dans l'organisation sanitaire. Je crois que l'ARS a plutôt une culture de gestion comptable et financière de l'ensemble du système de santé, et qu'elle était assez peu préparée à la gestion d'une crise de cette ampleur. J'ai parfois eu du mal à savoir quelles étaient ses connaissances, son degré de préparation et son organisation, alors que cela m'aurait aidé de disposer d'une vision précise de son fonctionnement interne dans la gestion de la crise. Peut-être pourrait-il être envisagé que, durant la période de crise, les préfets puissent disposer de moyens plus efficaces pour coordonner l'ensemble des acteurs de la gestion de crise, y compris cet organisme de l'État un peu à part qu'est l'ARS – un élément tout à fait essentiel mais qui a parfois eu du mal à embrayer aussi vite qu'on l'aurait voulu.

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Bertrand Gaume, préfet de Vaucluse

Peut-être me suis-je mal exprimé, M. Molac, mais il y aura bien des tests en Vaucluse : il y en a déjà et il y en aura encore plus, grâce à un plan territorial de tests en laboratoires privés, en drive ou à l'hôpital. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y avait pas eu dans le Vaucluse de réquisition du laboratoire départemental agréé, c'est-à-dire du laboratoire départemental vétérinaire, qui peut faire des tests sérologiques, mais pas de tests PCR.

Nous mettons en place les dispositifs permettant le suivi des cas positifs et des cas contacts – dans le cadre de la loi promulguée, c'est-à-dire postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel. L'essentiel est que nous puissions agir de manière cohérente les uns par rapport aux autres mais, comme le dit la formule sacramentelle des décrets, « chacun en ce qui nous concerne ». Bien entendu, nous n'allons pas faire le travail du médecin de famille ou de la cellule de la CPAM qui, eux, peuvent avoir accès à des données médicales. Notre appui sera de nature logistique : il pourra s'agir de capacités d'hébergement, de portage de repas ou de services particuliers.

Pour ce qui est des mesures de police administrative, je rejoins mes collègues pour dire que nous avons systématiquement fait du « cousu main ». À la fin du confinement, quasiment un tiers des 151 communes du Vaucluse bénéficiaient d'un arrêté dérogatoire relatif aux marchés, mais j'insiste sur le fait que nous avons examiné toutes les situations au cas par cas, avec la volonté constante de favoriser les producteurs locaux et la filière du maraîchage, afin que nos concitoyens puissent continuer à être approvisionnés en produits frais.

En ce qui concerne les violences conjugales et intrafamiliales, je dirai moi aussi que les points éphémères, y compris ceux créés en des lieux où on ne s'attend pas à les trouver, ont sans doute constitué un dispositif très innovant de la crise pour permettre l'écoute des femmes et des enfants.

Enfin, pour ce qui est de l'évaluation des politiques publiques, je considère qu'il est très utile d'avoir des dispositifs réactifs mais permettant de planifier les choses à longue échéance. La chronologie des événements au cours des quinze dernières années fait apparaître que le changement de doctrine ayant consisté à responsabiliser tous les employeurs dans la gestion des stocks de masques mérite d'être examiné attentivement. Trop de centralisation, c'est sans doute excessif, mais pas assez de centralisation, c'est sans doute dangereux. Pardon pour cette réponse de Normand, mais je pense qu'il faut trouver un point d'équilibre et que, de ce point de vue, les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur ont une capacité logistique susceptible de nous appuyer très utilement.

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Messieurs, je vous remercie pour les réponses que vous nous avez faites, ainsi que pour votre mobilisation. Vous nous avez fait passer des messages qui éclaireront sans nul doute nos futurs travaux, notamment ceux relatifs à l'évaluation de l'organisation sanitaire de l'État dans les régions et dans les départements. J'ai mon idée de ce que doit être l'autorité des préfets sur un certain nombre d'administrations déconcentrées, et nous verrons au cours du débat parlementaire si elle est partagée.

L'audition prend fin à douze heures cinq.