Étant en poste depuis un peu plus de quatre ans dans cette merveilleuse région des Hauts-de-France et son sublime département du Nord, je participe d'une certaine longévité du corps préfectoral ; je concrétise ainsi le souhait exprimé par la Cour des comptes en 2014.
Dans une situation de crise aussi grave, nous ne devons pas cesser de prendre en compte les autres risques. Il faut se garder de surinvestir dans certaines politiques publiques si cela conduit à sous-investir dans d'autres. Dans les territoires dont je m'occupe, le terrorisme est toujours une préoccupation majeure ; nous avons continué à nous engager dans ce domaine, et nous avons pu le faire d'autant plus que les services investis dans la gestion de crise sanitaire ne sont – heureusement – pas les mêmes que ceux chargés de la crise terroriste – qui se perpétue, certes à bas bruit. La direction générale de la sécurité intérieure et le renseignement territorial ne sont pas impliqués dans la crise sanitaire ; par ailleurs, le GED, que je préside, est maintenu ; il se tient de manière régulière.
Nous sommes préparés à un reconfinement ; le cas échéant, nous serons prêts, tant sur le plan technique qu'administratif et politique, surtout si celui-ci intervient de manière parfaitement circonscrite. Cette question renvoie à notre capacité à suivre l'évolution de la maladie sur un plan territorial très fin ; nous progressons beaucoup à ce sujet, avec la mise en place de la campagne de traçage permettant d'observer avec finesse les clusters susceptibles de se développer. Nous pourrions ainsi mettre en œuvre des reconfinements à une échelle beaucoup plus fine que ce que nous avons connu jusqu'à présent.
Les arrêtés d'interdiction sont le plus souvent cousus main ; c'est exactement l'antithèse de la technocratie que l'on se plaît à dénoncer dans les journaux, en particulier parisiens, à propos du corps préfectoral. Je déteste les approches territoriales préfabriquées ; étant sancerrois, j'aime le travail des vignerons, le vin que l'on distille en prenant son temps, et j'aime prendre mon temps en matière de droit administratif. Après tout, nous nous adressons à des populations ; lorsque nous interdisons, ou lorsque nous organisons les libertés publiques, nous devons le faire – c'est la moindre des choses – en écoutant la population et ses représentants, sans jamais oublier que le droit est un équilibre – certes précaire et fragile – entre les libertés et le règlement.
S'agissant des ARS, je me garderai bien de donner des leçons. Elles ont été créées en 2010, à l'issue d'un débat parlementaire auquel nombre d'entre vous ont participé ; je vous renvoie donc à vos propres travaux et à vos propres engagements. Cette organisation a en quelque sorte sacralisé le domaine sanitaire, en le sortant de l'organisation territoriale de droit commun de l'État. Cependant, ce sont des établissements publics locaux, et leur conseil de surveillance est présidé par le préfet de région ; les ARS sont donc territorialisées, selon un équilibre voulu à l'époque par le législateur. Cet équilibre est critiqué mais, contrairement à ce que vous disiez, ces agences ne sont pas centralisées ; elles sont régionalisées, et il est impropre de parler de centralisation à propos d'organismes dont le ressort territorial et le siège social se trouvent en région.
Ce qui donne ce sentiment de centralisation, c'est d'abord sans doute le rapport au territoire, à la proximité : il conviendra de s'interroger sur la territorialisation fine des ARS. C'est un peu le débat que nous avons eu en préfecture à propos des sous-préfectures, auxquelles certains bons esprits ont toujours voulu mettre un terme. Heureusement que nous en disposons pour gérer la crise ! Les maires ruraux, convaincus de leur utilité, vous le diront, à rebours de nombreux rapports effectués par des organismes savants expliquant qu'elles coûtent trop cher par rapport à leur valeur ajoutée. Réinvestir la proximité et le dernier kilomètre : voilà le grand enjeu de cette crise pour l'État, pour tous les ministères, mais aussi pour les collectivités locales elles-mêmes et, assurément, pour les ARS.
Le sentiment de centralisation procède ensuite du rapport à l'État central, au pouvoir : quel contenu les services territoriaux de l'État et les ARS accordent-ils au concept de déconcentration – auquel peu de gens accordent de la considération ? Je vous laisserai le soin de répondre à cette question.
À la question de savoir quelles sont les forces et les faiblesses de l'État français dans le cadre de cette crise, je vous ferai une réponse très centriste. La force de la France, c'est son unité mais aussi sa diversité ; son unité, c'est la capacité de l'État à se rassembler derrière ses représentants ; sa diversité, ce sont d'abord des collectivités locales très nombreuses – on a dit parfois qu'elles l'étaient trop, mais je ne suis pas de cet avis, car ce sont elles qui garantissent la proximité –, et ensuite, aux échelons supérieurs, les départements et les régions, qui ont montré leur extraordinaire agilité dans la gestion de cette crise. L'unité de l'organisation territoriale française, réalisée autour de ce chef d'état-major qu'est le préfet, constitue un atout très important ; il en est de même pour la diversité des collectivités territoriales, dont vous connaissez les responsabilités étendues.
Ce qui nous a manqué, c'est dans une certaine mesure la planification. Dans cette crise, nous avons été acculés et nous avons pu donner le sentiment d'être débordés – ceux d'entre nous qui ont connu des raz-de-marée savent que lorsqu'on se trouve trop proche de lui, on se fait absorber. Cependant, nous avons résisté, nous nous sommes relevés et nous avons fait face ; finalement, la comparaison avec le reste du monde ne nous est pas nécessairement défavorable – cela, l'histoire le dira. Quoi qu'il en soit, nous devons réfléchir à la fonction planificatrice au long cours qui incombe à l'État ; celui-ci doit se doter d'une culture du long terme, car les questions de sécurité sont tout sauf des questions conjoncturelles. Les réflexions stratégiques doivent être privilégiées ; si c'est ce que l'on pouvait retenir de cette crise, ce serait un formidable apport.
Je ne reviens pas sur les relations entre les maires et les préfets ; ils sont les deux faces de cette même monnaie qu'est la France. Quand leur relation ne fonctionne pas, il vaut mieux changer les préfets que les maires, qui sont élus au suffrage universel ; à chaque fois que le suffrage universel a été supprimé dans notre pays, les choses se sont très mal finies.
Le conseil zonal de préparation sanitaire ne se trouvait pas dans mes radars. Vous pouvez interroger tous les préfets de zone – nous ne sommes que sept – à ce sujet, mais il m'étonnerait que de nombreuses réunions de ce type aient eu lieu. Nous ne sommes pas pour autant étrangers à ces questions sanitaires ; nous nous en sommes saisis à travers la mise en place d'outils qui nous ont permis de suivre l'évolution de la situation sanitaire dans notre zone de défense et de sécurité, qui constitue la bonne référence territoriale pour appréhender les crises, que ce soit d'ailleurs dans le domaine sanitaire ou dans celui du terrorisme. Depuis que je suis en poste dans le Nord, soit en 2016, j'ai mis en place une conférence zonale de sécurité qui réunit tous les grands acteurs ayant à connaître des questions de sécurité : l'autorité judiciaire – les deux procureurs généraux et les deux présidents de cour d'appel y siègent –, les présidents de juridiction administrative et l'ensemble des services de sécurité – police, gendarmerie et renseignement –, mais aussi les responsables administratifs qui participent dans une certaine mesure à la sécurité de ce territoire. Un dispositif zonal existe donc, même s'il ne s'appelle peut-être pas comme vous le souhaiteriez ; à travers lui, nous avons la capacité de balayer tous les risques de crise auxquels notre territoire est exposé. Peut-être l'avons-nous quelque peu transformée, mais nous n'avons pas oublié l'intention du législateur.