Un éventuel reconfinement a été évoqué. Je suis en train de mettre en place des indicateurs d'alerte, car je ne veux pas retrouver la situation des 1er, 2 et 3 mars et être à nouveau pris par surprise, même si, à ce moment, tout le monde l'a été. J'ai demandé à recevoir quotidiennement un certain nombre de données concernant l'épidémie en cours : le nombre d'appels et le nombre d'arrivées aux urgences, mais aussi le nombre d'appels au SAMU, au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et à SOS Médecins, ainsi que le nombre de tests réalisés par les laboratoires et le nombre de cas contacts, afin de vérifier que nous restons toujours en-dessous de notre capacité de test ; si l'on s'en approchait, il faudrait faire appel à des solidarités régionales. Nous suivons de près les indicateurs d'ordre médical pour essayer de détecter le plus en amont possible une résurgence de la diffusion du virus. Ces signaux d'alerte ne pourront pas nous en prémunir totalement, mais ils seront utiles pour activer dans la journée les contacts entre autorités administratives et sanitaires, et pouvoir éventuellement prendre les décisions qui s'imposent.
Vous nous avez interrogés sur l'homogénéité des arrêtés d'interdiction. Compte tenu de la diffusion du virus dans tout le département, j'ai privilégié les discussions avec le bureau de l'association des maires du Haut-Rhin pour essayer de définir une réglementation applicable sur l'ensemble du département. Si l'on cible les communes où la maladie est la plus répandue, on aboutira assez vite à une peau de léopard, d'autant plus que la densité de population sur le territoire – 220 habitants au km2 – représente près du double de la moyenne française. Toute la partie des Vosges étant quasiment inhabitée, la population est assez dense sur la plaine d'Alsace, où l'on trouve une nouvelle commune tous les kilomètres ou tous les deux kilomètres. On ne peut donc pas faire des différences trop importantes entre les communes car celles-ci seraient très difficiles à expliquer, mais il y a tout de même quelques cas particuliers, notamment la ville de Mulhouse. S'agissant des marchés, pour lesquels la décision s'est faite au cas par cas – souvent selon un critère démographique – j'ai eu le souci de les rouvrir dans les communes rurales, pour permettre notamment aux agriculteurs de montagne d'écouler directement leurs produits.
S'agissant de la journée du 3 mars, j'ai pu bénéficier dès ce moment de conseils de l'ARS pour proposer et préparer des mesures. J'avais alors émis l'idée de fermer les écoles du département et d'y interdire toutes les réunions ; cependant, au cours de discussions avec mes collègues, il était apparu que cette mesure était sans doute disproportionnée par rapport aux informations dont nous disposions à l'époque – seulement dix cas avérés – ; c'est la raison pour laquelle nous ne sommes intervenus que deux jours plus tard, après avoir affiné notre connaissance de la diffusion de la maladie. Lorsque j'ai annoncé l'interdiction des réunions à plus de cinquante personnes et la fermeture d'une grande partie des écoles, le vendredi 6 mars au matin, les chaînes d'information continue – qui ne constituent certes pas la meilleure référence – avaient interrompu la diffusion d'une visite du Président de la République dans un EHPAD au profit de ma modeste conférence de presse, car les mesures prises apparaissaient alors comme inédites et assez audacieuses. Cependant, tout est allé très vite, et le Premier ministre annonçait le soir même des mesures de plus grande ampleur.
En ce qui concerne l'exercice de la fonction préfectorale, j'ai la chance d'être en poste depuis trois ans et demi. Cette longévité m'a certainement aidé pour bien connaître les acteurs et le territoire. Mais d'après mon expérience – même si elle est moins longue que celle de mes deux collègues ici présents –, l'incertitude quant à notre longévité administrative nous pousse à nous investir très vite ; aidés par nos équipes, notre sens du contact et par le désir des élus – maires et parlementaires – de nous exposer les problèmes auxquels ils font face, nous nous trouvons en quelques semaines au fait des grands enjeux du département et des bonnes personnes à solliciter dans telle ou telle situation. C'est encore plus intuitif pour ceux qui sont en poste depuis plus longtemps, mais je crois que les préfets dans leur ensemble, quels qu'ils soient, savent assez vite s'adapter à la situation de leur département.
Les relations avec l'ARS ont posé des difficultés. J'ai eu l'impression que la délégation départementale du Haut-Rhin avait été un peu abandonnée par sa direction régionale ; les grands enjeux de réflexion des ARS semblent se développer de manière privilégiée à l'échelon régional, en lien avec des équipes scientifiques, et l'unité départementale a tendance à se retrouver un peu seule, sa connaissance des mesures à prendre s'en trouvant altérée. Elle dispose d'une bonne connaissance du terrain, mais son lien avec les échelons supérieurs devra certainement être renforcé. L'ARS m'a par ailleurs souvent paru très accaparée, notamment sous l'influence de Santé publique France, par la collecte de données statistiques à visée scientifique mais sans usage opérationnel. C'est peut-être une question de culture – il est difficile de généraliser à partir du cas particulier de mon département. Ayant pour ma part maintenu le contact avec ma délégation territoriale, j'ai aussi dû composer avec les faiblesses de cette équipe, car il aurait été contre-productif d'appuyer trop fort sur des personnes qu'il n'était pas toujours possible de mobiliser sept jours sur sept sur la longue durée – ce que nous avons essayé de faire pendant deux mois et demi –, mais dont l'absence aurait causé un dommage encore plus important.
Enfin, je rejoins entièrement M. Michel Lalande sur le maintien des objectifs de lutte anti-terroriste ; il se trouve facilité par le fait que les services de renseignements spécialisés n'ont pas été directement investis dans la gestion de la crise sanitaire.