Intervention de Laurent Touvet

Réunion du jeudi 14 mai 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin :

Si je me retrouve dans une bonne partie de l'exposé de mon collègue, je voudrais vous faire part de l'éclairage particulier qu'apporte le département du Haut‑Rhin sur la crise. Son déclenchement a été très soudain. Le dimanche 1er mars, j'ai appris l'existence du premier cas, celui d'une famille hospitalisée à Strasbourg. Le mardi 3 mars au réveil, j'ai su qu'un lien avait été établi entre plusieurs malades, cette famille et une autre : leur participation à un rassemblement évangélique à Mulhouse, la semaine du 17 au 21 février. Ce jour‑là, j'ai eu le sentiment qu'une énorme vague apparaissait à l'horizon et gonflait d'heure en heure. Il y avait peu de cas avérés, mais un nombre de cas potentiels considérable, dans la mesure où les cas avérés avaient côtoyé de près plus de 2 000 personnes. J'ai essayé de les localiser, ce qui était particulièrement difficile, puisqu'elles ne s'étaient inscrites nulle part et que la seule liste disponible était celle des enfants confiés en garde. J'ai ainsi pu remonter jusqu'aux familles, tandis que le nuage de points ne cessait de grandir jusqu'à couvrir l'ensemble du département – nous avons appris plus tard que les foyers de Guyane et de Corse avaient également pour origine le rassemblement de Mulhouse. Le soir même, je décidai de fermer trois écoles et interdis les réunions dans les trois communes de domicile et de travail des personnes concernées.

Pendant tout le mois de mars, le Haut‑Rhin a été aux avant‑postes de la crise. Le matin du vendredi 6 mars, j'interdisais tout rassemblement de plus de cinquante personnes, alors que la règle nationale concernait des rassemblements de plus de 5 000 personnes. J'ai également interdit aux mineurs de rendre visite à quiconque en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou à l'hôpital. J'ai interdit les manifestations sportives et fait fermer toutes les écoles où des cas, avérés ou probables, avaient été détectés. Le soir, le Premier ministre annonçait la fermeture de toutes les écoles du Haut‑Rhin et de l'Oise.

Nous avons également été aux avant‑postes à l'hôpital. Je voudrais souligner l'extraordinaire réaction des personnels des hôpitaux de Colmar et de Mulhouse qui, dès cette semaine‑là, voyant l'afflux aux urgences, ont complètement réorganisé leur hôpital, en fermant tous les services, à l'exception de la maternité, de la chirurgie cardiaque et de la cancérologie, pour en faire des services Covid. À l'hôpital de Mulhouse, plus de cinq cents lits ont été organisés ainsi, tout comme à l'hôpital de Colmar et à la clinique du Diaconat, qui possède un établissement dans les deux villes. L'adaptation a dû être très soudaine. Aux avant‑postes encore, avec l'installation d'un hôpital militaire, les 19, 20 et 21 mars, décidée le 16 mars par le Président de la République, qui est venu sur place le 25. Aux avant‑postes également, pour les évacuations sanitaires, la première ayant eu lieu par avion militaire le 18 mars. À partir du 22 mars, des évacuations ont commencé vers les hôpitaux allemands principalement, mais aussi belges et suisses : elles ont sauvé les hôpitaux du Haut‑Rhin. Plus de deux cents évacuations ont été faites dans le Grand Est, alors que la capacité en réanimation était de soixante‑dix lits avant la crise et qu'elle est montée à cent cinquante.

Un dépositoire a également été créé, grâce à une excellente coopération avec la ville de Mulhouse, qui a mis ses équipes à disposition pour gérer un espace devenu une annexe du centre funéraire municipal. Ouvert le 2 avril, il a contenu jusqu'à une centaine de cercueils. Aux avant‑postes aussi, avec une attention très soutenue des médias pendant tout le mois de mars. Mais au début du mois d'avril, lorsque l'épidémie a atteint massivement l'Île‑de‑France, ce problème régional est devenu national et nous avons disparu du spectre médiatique, alors que la situation n'était pas résolue. La baisse du nombre de personnes hospitalisées est encore très lente. Notre pic était de 1 100 malades le 2 avril ; nous en avons encore 700.

La gestion du confinement a été voisine de celle des autres départements. Elle a été facilitée par la discipline alsacienne, par la peur généralisée et le sens des responsabilités vis‑à‑vis des personnels soignants. Le bilan est très lourd dans notre département, avec 1 400 morts à l'hôpital ou en EHPAD. Alors que le taux moyen français est de 403 décès par million d'habitants, dans le Haut‑Rhin, nous en sommes à 1 823, soit 4,5 fois la moyenne nationale. Dans la commune de Mulhouse, la mortalité a triplé par rapport aux chiffres moyens sur la même période. Il y avait, à l'hôpital, jusqu'à cinquante décès par jour. Chaque famille, chaque village, chaque communauté professionnelle a été touchée ; chacun connaît quelqu'un qui a été malade. L'Assemblée nationale n'est d'ailleurs pas épargnée, puisque le député Jean‑Luc Reitzer a été hospitalisé dès le 4 mars et qu'il n'est sorti de réanimation qu'à la mi‑avril. Des élus sont décédés, comme le maire de Saint‑Louis, la troisième commune du département. Le nombre de pages de faire‑part de décès dans la presse quotidienne régionale était éloquent. L'économie était quasiment à l'arrêt ; le trafic sur autoroute quasi nul ; les villes mortes, silencieuses.

L'organisation de la préfecture a été complètement transformée. Je participais à trois réunions quotidiennes : l'une était consacrée à la sécurité ; l'autre à la synthèse départementale avec les acteurs de la crise ; enfin, la préfète de région a tenu une visioconférence à partir du 18 mars, ce qui m'a été particulièrement utile pour partager mes alertes, le Haut‑Rhin ayant été tristement en avance.

Pour terminer, je voudrais insister sur la nécessité que j'ai ressentie d'associer d'autres partenaires. Le préfet ne peut pas décider seul, sans être le plus largement informé, ni sans associer à sa réflexion l'ensemble des partenaires. Ses piliers traditionnels sont la police, la gendarmerie, les sapeurs‑pompiers et l'armée.

Le partenariat avec l'ARS a été parfois compliqué, notamment en raison de la difficulté d'obtenir des statistiques fiables et de bien connaître la situation. Cela m'a conduit, dans le respect des responsabilités de chacun, à être assez insistant pour identifier les risques de pénurie susceptibles de poser de grandes difficultés.

Les relations avec le rectorat ont été excellentes – cela tient beaucoup aux personnes. Nous avons organisé le dispositif de garde des enfants de soignants dès le 7 mars, et la réouverture des écoles, que nous avons planifiée avec les autorités académiques, se déroule bien.

J'ai organisé avec le monde social des conférences hebdomadaires. Je suis en contact au moins une fois par semaine avec les parlementaires, la présidente du conseil départemental, le président de l'association des maires et les maires des trois communes principales. Enfin, j'échange hebdomadairement avec le bureau de l'association des maires, ce qui me donne l'occasion de répondre à leurs interrogations sur l'application des mesures réglementaires décidées par le Gouvernement. Enfin, j'ai des contacts bilatéraux, notamment avec la maire de Mulhouse : qu'ils aient porté sur la mise en place du couvre-feu ou sur le dépositoire, ils se sont révélés particulièrement fructueux.

Il faut procéder en fait à un ajustement permanent entre l'application des règles nationales et l'adaptation à la situation locale. Il est parfois difficile de faire comprendre qu'un département confronté à une situation inédite doit prendre des mesures particulières qui s'écartent du cadre national. Il fallait veiller à ce que ces mesures soient prises en cohérence avec la situation du Bas-Rhin, département voisin touché avec une semaine de décalage dans des proportions analogues.

Les parlementaires connaissent bien les enjeux, liés notamment à la position frontalière ; lors des conférences hebdomadaires, ils ont souvent souligné les particularismes locaux mais ont aussi cherché à ce que soient reproduites dans le département des initiatives observées ailleurs en France. C'est la ligne sévère qui a prévalu dans l'ajustement permanent des mesures. Nous effectuons une levée très prudente et progressive du confinement. Quand bien même l'attention médiatique s'est portée ailleurs, la situation sanitaire reste grave dans le Haut-Rhin.

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