Intervention de Laurent Berger

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Laurent Berger, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) :

Face à la propagation du virus, nous avons fait le choix de mettre notre économie, mais aussi la vie sociale, sous cloche afin de préserver des vies humaines. Nous avons donc fait le choix de l'humain ; il faudra s'en souvenir pour ne pas repartir sur les bases antérieures.

Durant la crise sanitaire, les hôpitaux et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ainsi que leur personnel, déjà fragilisés par les restrictions budgétaires successives, ont été clairement mis sous tension. Mais le personnel soignant est resté mobilisé : nous leur devons donc une reconnaissance pérenne, en leur offrant de meilleures conditions de travail, des moyens supplémentaires et de meilleurs salaires.

Durant cette période inédite, nos amortisseurs sociaux ont également fonctionné à plein régime et ont fait la preuve de leur utilité : chômage partiel ou dispositifs équivalents dans les fonctions publiques ; arrêts maladie pour les personnes vulnérables, pour celles s'occupant des personnes vulnérables ou pour garde d'enfants. Ces dispositifs, enviés dans de nombreux pays, ont permis à des millions de Français de rester chez eux et de traverser au mieux cette période, en se protégeant et en protégeant les autres.

Mais les mécanismes de protection sociale ont aussi montré leurs limites, certains, comme les jeunes ou les indépendants, ne pouvant prétendre à aucun de ces mécanismes de sécurité collective. C'est un appel à les repenser ; cela étant, il faut le reconnaître, à chaque fois nous avons mis le doigt sur certaines situations particulières lors de nos réunions avec le ministère du travail ou celui de l'économie, des réponses ont été apportées. Même si elles n'ont pas toujours eu l'intensité souhaitée, on ne saurait parler d'insensibilité aux situations sociales.

Le confinement a été vécu très différemment par les Français. Il a encore accentué les inégalités existantes : certains ont pu télétravailleur, d'autres ont continué à se rendre sur leur lieu de travail, d'autres encore ont basculé en chômage partiel, perdant une partie de leur salaire. On a trop entendu que ce dispositif était un « confort » : rappelons que de nombreux salariés, particulièrement dans les très petites et petites et moyennes entreprises (TPE-PME), n'ont été payés qu'à hauteur de 84 % de leur salaire net. L'enquête que nous avons réalisée à l'occasion du 1er mai souligne l'inquiétude et le mal-être de ces travailleurs.

Certains salariés ont vécu le télétravail plutôt sereinement car ils disposaient d'un espace de travail, de moyens matériels et de communication corrects et avaient de bonnes relations avec leur entreprise. Mais, pour d'autres, cela a été plus difficile, notamment dans les fonctions publiques, moins préparées, et pour les femmes, le confinement n'ayant malheureusement pas permis de rééquilibrer le partage des responsabilités familiales. Reste que la demande sociale est là : il faudra donc être vigilant aux conséquences du télétravail sur le lien social, la relation à l'entreprise, le dialogue social ou les conditions de travail. D'où l'intérêt d'entrer rapidement dans une phase de concertation et de négociation avec les organisations patronales.

Même si ce n'est pas le sujet de la réunion, on ne peut passer sous silence le cas des personnes âgées, qui se sont retrouvées particulièrement isolées durant cette période. La solidarité et les actions collectives se sont développées entre voisins, à l'échelle des territoires, souvent sous l'impulsion de militants associatifs ou syndicaux. De leur côté, les organisations syndicales ont continué à consulter pour saisir toutes les réalités, par le biais de foires aux questions ou la mise en place de boîtes mél. Lors de nos réunions au ministère du travail, cette expertise était précieuse car beaucoup de situations sont méconnues – ce n'est pas un reproche. Cela souligne l'intérêt des corps intermédiaires, représentants associatifs, syndicaux, élus locaux. Nous devons continuer à être vigilants durant la période de reprise.

Déjà, avant la crise sanitaire, les fractures économiques, sociales et territoriales fragilisaient dangereusement notre démocratie. Déjà, les tensions sociales étaient fortes ; elles risquent de s'aggraver. La relance doit être un projet commun qui ne laisse personne au bord du chemin. Il faut d'abord répondre aux situations d'urgence. Certains sont plus touchés que d'autres par la crise – précaires, sans domicile. On a su mettre ces derniers à l'abri pendant le confinement. Notre société va-t-elle tolérer que des personnes soient à nouveau sans domicile ? Les jeunes vont également payer un lourd tribut : dévalorisation de leurs diplômes, difficultés à trouver un emploi, à se loger ou à se nourrir. Il faut renoncer à la réforme des aides personnelles au logement (APL), qui accentuerait encore les difficultés des plus précaires, et à celle de l'assurance chômage. Il faut élargir le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes et prévoir des mesures d'accompagnement. Il faut pérenniser les chèques-service pour les sans-abri et créer un dispositif pour le paiement des loyers. Bref, il va falloir innover pour faire face aux situations d'urgence.

Parallèlement, il faut continuer à protéger les travailleurs lors de la reprise d'activité. Dans les entreprises où le dialogue social se passe bien, la reprise a eu lieu dans de bonnes conditions. Il faudrait aller jusqu'à en faire une condition des aides publiques. La santé et la sécurité des salariés ne se discutent pas ; cela ne peut passer que par des accords, dans le cadre du dialogue social.

Il faut de toute urgence reconnaître et revaloriser le travail trop souvent ignoré – mais dont la crise nous a rappelé l'utilité – des soignants et des personnels des EHPAD, mais aussi des travailleurs de l'agroalimentaire, durement touchés – notamment dans votre région, monsieur le président –, des salariés des commerces alimentaires ou des transports. Grilles de salaires, déroulements de carrière, conditions d'accès facilitées à la formation et aux métiers, conditions de travail, ce chantier doit être ouvert sans tarder.

Enfin, il ne faut pas précipiter la fin des mesures de soutien aux entreprises : nous n'avons pas la moindre idée de l'ampleur de la crise à venir. À la CFDT, nous nous réjouissons que le chômage partiel ait permis de traverser le début de crise – contrairement à ce qui s'était passé en 2008-2009 – et de protéger les emplois, même si l'on peut regretter quelques effets d'aubaine. Prenons garde à pas débrancher trop rapidement ce dispositif, au risque d'amplifier les suppressions d'emplois et créer de nouvelles inégalités. Il faudra apprécier la pertinence de son maintien secteur par secteur, voire entreprise par entreprise ; le maintien de la prise en charge doit être conditionné au dialogue social autour des conditions de travail dans les entreprises et secteurs concernés.

L'ajustement du marché du travail a pour le moment surtout pesé sur les plus précaires – salariés en contrat à durée déterminée (CDD), intérimaires – mais la fragilisation d'un grand nombre d'entreprises fait craindre une importante hausse du chômage dans les prochains mois. Cherchons à réorienter l'activité, en lien avec les acteurs territoriaux, les plus compétents pour piloter un tel chantier : formations, mise en place de dispositifs d'accompagnement ou de reconversion, etc, en investissant dans la rénovation thermique des logements et dans les métiers du soin, du service et de l'accompagnement social.

Bien qu'une réunion se tienne en ce moment au ministère du travail, je regrette que le lancement de la grande mobilisation pour l'emploi et le travail n'ait pas encore eu lieu. Il ne s'agirait pas d'une grand-messe nationale mais d'un point de départ, qui s'articulerait avec des conférences sociales territoriales ou des pactes régionaux. N'attendons pas de nous prendre la vague dans la figure… La relance a besoin d'une gouvernance. Il faut prendre le temps du diagnostic – ce que vous faites –, sans se limiter aux données macroéconomiques, en analysant cette crise à l'aune des nouveaux indicateurs de richesse sur lesquels votre assemblée devrait se prononcer tous les ans depuis la loi du 13 avril 2015 visant à leur prise en compte dans la définition des politiques publiques.

Nous ne sommes pas des idéalistes, nous savons l'importance de la performance économique, tout comme les salariés. Mais ils demandent aussi de la justice sociale, de la transition écologique et des principes démocratiques solides, car tout porte à craindre que la crise que nous traversons ne nous mette collectivement en difficulté, y compris sur ce dernier plan.

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