Intervention de Céline Verzeletti

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail (CGT) :

Les mesures prises durant la crise ont eu un impact considérable sur l'organisation et les conditions de travail, sur les droits des travailleurs, ainsi que sur leur situation sanitaire et sociale. Certaines ont pu aggraver des inégalités préexistantes et créé de nouvelles situations de vulnérabilité.

Pendant le confinement, des salariés du secteur privé ou public dont les fonctions répondaient à des besoins vitaux ont continué à venir sur leur lieu de travail et ont travaillé dans des conditions extrêmement dégradées. Cela a parfois eu des conséquences sur leur santé : certains ont été contaminés, sont tombés malades, et parfois même en sont malheureusement décédés. Tout en admettant qu'une présence physique était inévitable pour certaines fonctions dites essentielles, nous avons régulièrement réclamé des protections individuelles et collectives, ainsi qu'une organisation du travail permettant de préserver leur santé et de ne pas transmettre le virus à sa famille ou à des proches. Or le manque de protections individuelles, catastrophique durant les premières semaines, est toujours patent. En outre, le travail s'est intensifié pour beaucoup de salariés – certains étant malades, la charge s'est reportée sur les autres. Enfin, dans certains secteurs, particulièrement dans les services publics et la santé, la charge de travail s'est accrue.

Parallèlement, un grand nombre de personnes se sont vues proposer ou imposer le télétravail, sans préparation préalable. Parfois, elles ont dû accepter des modifications d'horaires, sans accord préalable, ou ont été contraintes de prendre des congés. Un tiers des télétravailleurs et télétravailleuses n'ont pas été dotés d'équipements informatiques, 97 % sont dépourvus d'équipements de travail ergonomiques, un quart ne disposent pas d'un lieu adapté au télétravail ; enfin, un tiers, et particulièrement les femmes, ont dû télétravailler tout en gardant les enfants et en assurant la continuité pédagogique.

Nous avons demandé à de nombreuses reprises que seuls les secteurs dits essentiels à l'activité du pays continuent à fonctionner, ce qui aurait permis de réduire la durée du confinement ; or le Gouvernement a commis l'erreur de ne pas les définir. Du coup, de nombreux travailleurs et travailleuses se sont exposés inutilement à des risques de contamination, tant sur leur lieu de travail que dans les transports en commun, aggravant parfois la pénurie en matériel de protection individuelle qu'on a déplorée tout au long du confinement et qui persiste encore dans certaines professions.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a montré que cette exposition au risque touchait particulièrement les travailleurs les moins bien payés. Si 68 % des cadres ont pu travailler exclusivement à distance, cela n'a été le cas de seulement 32 % des employés et 4 % des ouvriers. Les inégalités sociales s'en sont trouvées aggravées, d'autant plus que 42 % des ouvriers déclarent avoir d'ores et déjà subi une baisse de salaire, contre 16 % des cadres, 25 % des professions intermédiaires et 29 % des employés. On a déjà rappelé que la plupart des travailleurs mis au chômage partiel ne touchent pas l'entièreté de leur rémunération, mais d'autres ont été privées d'emploi, ont vu leur mission se terminer pendant le confinement et, pour certaines, ont perdu leur travail.

Le Gouvernement a adopté, par voie d'ordonnance et de décret, une série mesures dérogatoires au droit du travail, qui plus est pour une durée parfois indéterminée. Les employeurs ont ainsi pu imposer ou modifier la prise de jours de congé ou de repos, déroger au repos hebdomadaire et dominical, allonger unilatéralement la durée du travail, différer le versement de certaines rémunérations, suspendre l'élection des représentants du personnel dans les entreprises, ou encore s'exonérer de certaines obligations de suivi médical. Dans la plupart des cas, les instances représentatives du personnel n'ont pas été consultées correctement au sujet de l'évaluation des risques, de la réorganisation du travail et de la reprise de l'activité, tant dans le secteur privé que public. Or, les plans de continuité ou de reprise de l'activité ont des conséquences sur l'organisation et les conditions du travail, ainsi que sur l'exercice des droits, ce qui rend nécessaire une concertation systématique, d'ailleurs prévue par les textes, avec les instances représentatives. Malheureusement, celles-ci n'ont très généralement pas été consultées ou n'ont été informées qu'au dernier moment, une fois les décisions prises.

Les libertés syndicales ont aussi été malmenées, qu'il s'agisse de la liberté de circulation des délégués sur les lieux de travail, pourtant essentielle, ou des droits d'expression. Nous avions demandé, en vain, que les représentants syndicaux soient autorisés à circuler pendant le confinement. Par ailleurs, les délais encadrant l'information et la consultation du comité social et économique (CSE) ont été récemment réduits, alors qu'il aurait fallu à l'inverse consolider ces instances et leur donner le temps de fonctionner correctement.

Nous avons aussi déploré l'insuffisance des garanties apportées pour protéger les droits des salariés. En période de crise sanitaire, l'inspection du travail devrait pouvoir faire usage des prérogatives renforcées ; or le Gouvernement lui a donné pour consigne de limiter le nombre de contrôles, alors même que ceux-ci étaient essentiels pour s'assurer de l'effectivité des mesures de protection des salariés. La direction générale du travail a même décidé d'apprécier elle-même l'opportunité des contrôles dans une entreprise, en contradiction avec les dispositions de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur l'inspection du travail. Les syndicats du ministère du travail ont d'ailleurs dénoncé les pressions subies et ont déposé une plainte auprès de l'OIT pour non-respect de l'indépendance de l'inspection du travail. Le 15 avril, un inspecteur du travail a été suspendu, avec mesure conservatoire, après avoir fait des rappels à la loi et demandé un référé pour la protection des salariés. Enfin, les inspecteurs, eux non plus, n'ont pas été dotés de matériel de protection, en particulier de masques ; ils ont été invités, de ce fait, à limiter leurs déplacements, ce qui va à l'encontre de leur mission. Le manque de protections a été constaté dans toutes les professions, y compris dans des lieux très confinés comme les prisons ou les centres de rétention.

La crise a exacerbé les inégalités. Plus de 10 millions de travailleurs et travailleuses se sont vu imposer le chômage partiel et ont subi, pour la plupart d'entre eux, une baisse de rémunération. Certains ont été dans l'incapacité de subvenir à des besoins élémentaires, y compris alimentaires. Près de 2 millions de personnes, qui travaillent sans être déclarées – notamment celles qui n'ont pas de papiers – n'ont perçu aucun revenu depuis le début du confinement et ne peuvent prétendre à une aide. Les personnes précaires – intérimaires, en CDD, contractuels – ont connu une interruption de leur mission et n'ont pas pu bénéficier du chômage partiel, si ce n'est au tout début de la période. Les travailleurs indépendants, les autoentrepreneurs, comme les travailleurs des plateformes, dépourvus de protection sociale, n'ont pas pu davantage bénéficier des dispositifs de chômage partiel ni de l'indemnisation complémentaire de l'employeur en cas d'arrêt d'activité, par exemple pour garder un enfant. Nombre d'entre eux, craignant une perte substantielle de revenus, ont continué leur activité, au prix, parfois, de risques élevés pour leur santé.

Les jeunes de moins de 25 ans en grande précarité n'ont pas pu tous percevoir l'aide financière associée à la garantie jeunes. L'ouverture de nouveaux contrats a souvent été repoussée à fin avril ou mai, ce qui a placé nombre d'entre eux en grande difficulté. Une aide de 200 euros a bien été annoncée le 4 mai, mais son montant reste faible au regard des besoins et elle ne sera versée qu'aux bénéficiaires de l'APL ou aux étudiants ayant perdu leur emploi.

Les inégalités entre femmes et hommes ont elles aussi explosé. Les femmes, majoritaires dans les métiers de services, de soins aux personnes, ont été particulièrement exposées à la crise. La fonction publique hospitalière est composée à 78 % de femmes ; celles-ci représentent 90 % des personnels de caisse, 97 % des aides à domicile et 70 % des employés de l'entretien. Elles occupent aussi majoritairement les emplois précaires et à temps partiel, ce qui explique qu'elles aient massivement subi des pertes de rémunération.

Les personnels hospitaliers demeurent en nombre insuffisant pour remplir leur mission dans de bonnes conditions. Il faut absolument lancer un plan massif de recrutement pour le système hospitalier et, plus généralement, développer les services publics dont l'utilité sociale a été une nouvelle fois mise en évidence. Les politiques d'austérité menées précédemment ont eu des conséquences catastrophiques, qui nous empêcheront de faire face à de nouvelles crises. Il faut tirer les leçons de cette expérience et donner dès à présent un signal fort. Or nous ne voyons rien en ce sens. Nous nous inquiétons de la déréglementation du droit du travail, actée dès les premières ordonnances. L'état d'urgence dit sanitaire ne s'imposait pas, car les questions sanitaires pouvaient être réglées par les dispositions du code de la santé publique. Surtout, il n'avait de sanitaire que le nom : il aura surtout eu pour effet le plus rapide d'introduire une série de dérogations au droit du travail. Il faut, à l'inverse, renforcer les droits des travailleurs, accorder immédiatement des aides massives à toutes les personnes en grande précarité et revaloriser – notamment en augmentant les rémunérations – tous les métiers d'utilité sociale, au lieu de se contenter de verser des primes de manière aléatoire, selon les départements et les postes. Cela permettrait de reconnaître ces professionnels.

Nous restons très inquiets du manque de protections individuelles. Le Gouvernement a eu du mal à comprendre l'utilité des masques. Compte tenu de leur coût, nous souhaiterions que, dès à présent, ils soient distribués gracieusement à tous les travailleurs. Dans la fonction publique comme dans le secteur privé, de nombreux salariés travaillent toujours sans protection individuelle suffisante, ou sans que le travail ait été réorganisé pour préserver leur santé.

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