Intervention de Yves Veyrier

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Yves Veyrier, secrétaire général de FO :

Les syndicats ont su tisser un réseau dense, constitué de dizaines de milliers d'implantations, dans les entreprises, même s'il ne s'y trouve parfois qu'un seul délégué. Nous avons été extrêmement sollicités au cours de la crise par nos relais ou par des salariés de très petites entreprises ou du secteur du travail à domicile, dépourvus de représentation syndicale. Beaucoup de questions ont porté sur l'activité partielle, les moyens de protection en cas de poursuite d'activité et, dans les entreprises, les organisations du travail permettant d'appliquer les gestes barrières. Les salariés se sont pliés à l'impératif de l'activité partielle, qui résultait de la consigne stricte de confinement donnée par les pouvoirs publics. Cette décision s'est traduite, pour beaucoup d'entre eux, par une perte immédiate de salaire, mais également, surtout dans les petites et moyennes entreprises, où l'échange direct avec le chef d'entreprise est quasi quotidien, par une profonde inquiétude sur les conditions de la reprise et l'avenir de leur emploi. Pour répondre à des critiques qu'on a beaucoup entendues, nous ne sommes ni irresponsables ni inconscients des enjeux économiques et sociaux de la crise pour les salariés.

Nous avons été très sollicités au sujet de l'application des mesures de protection. Les syndicats ont beaucoup œuvré pour l'installation des parois de plexiglas devant les caisses, dans le secteur du commerce : ces salariés avaient jusqu'alors poursuivi leur activité sans aucune protection. Dans le secteur de la santé, public comme privé, dans le domaine médico-social et du soin à domicile, comme dans ceux qui contribuent à assurer la chaîne de l'approvisionnement, tous se sont mobilisés sans se poser de questions ; pourtant, la peur de contracter la maladie s'est vite imposée devant la litanie quotidienne et dramatique du nombre d'hospitalisations et de décès.

Chacun a pris conscience du rôle essentiel de professions invisibles pour assurer l'approvisionnement de la population. Je pense en particulier aux salariés des entreprises de sous-traitance dans le domaine du nettoyage, de la prévention et de la sécurité, qui interviennent quand les locaux de l'entreprise cliente sont fermés. Ces personnes ne se sont pas arrêtées. Or, pour se rendre à leur travail, souvent très éloigné de leur domicile, elles prennent souvent les transports en commun. Elles perçoivent par ailleurs des revenus très faibles, étant généralement au SMIC et à temps partiel.

Depuis le début de 2019, Force ouvrière a lancé une campagne intitulée « Reconsidérer les professions de services à la personne ». Si cette perspective doit être élargie, au vu de la crise sanitaire, l'échelle des valeurs des métiers doit être repensée. Un ingénieur financier percevant environ 10 000 euros mensuels, ne pourrait assurer sa mission si personne ne s'occupait de ses enfants, de ses parents, de ses grands-parents, voire même, parfois, de son repassage et de son ménage. Or, les personnes en question sont au SMIC, à temps partiel, en situation précaire, et connaissent des difficultés de transport – lesquelles prennent un relief particulier dans un contexte de crise sanitaire. À cet égard, j'ai été sensible aux propos du Président de la République, rappelant l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » C'est une des questions qui demandent aujourd'hui une réponse. Il ne faut pas seulement revaloriser les salaires, mais, plus largement, reconsidérer les métiers. Il faudrait revenir sur la sous-traitance, l'externalisation, qui permet aux entreprises donneuses d'ordre de se débarrasser du visage même des gens qui nettoient leurs locaux. Lorsqu'ils étaient salariés de l'entreprise donneuse d'ordre, ils étaient beaucoup mieux considérés, car ils étaient partie prenante de la société ; Ils ne sont désormais plus qu'une valeur marchande, ce qui contredit la déclaration de Philadelphie, annexée à la constitution de l'OIT, selon laquelle le travail n'est pas une marchandise – et encore moins les travailleurs.

Plusieurs pays, dont la France – et ses organisations de travailleurs –, demandent que la santé au travail soit reconnue comme un droit fondamental par l'OIT, au même titre que les droits qu'elle consacre dans ses conventions fondamentales. La crise rend cette revendication d'autant plus légitime. Il faut s'en saisir pour faire avancer les normes en matière de protection de la santé au travail. La protection contre les maladies professionnelles date de la constitution de l'OIT de 1919. On rappellera que la première convention reconnaissant la nécessité de protéger les travailleurs contre les maladies professionnelles, qui remonte à 1925, visait entre autres une zoonose, la fièvre charbonneuse, transmissible du bovin à l'homme. Ces questions ne sont donc pas nouvelles.

J'en viens au dialogue social. Nous avons eu de nombreuses réunions, à tous les niveaux, non sans avoir dû parfois surmonter quelques difficultés : il nous a ainsi fallu insister auprès des antennes départementales de la direction du travail et de l'emploi pour qu'elles soient systématiques. Nous nous sommes fréquemment heurtés au silence des préfets – probablement surchargés, ce qu'on peut comprendre. Reste que dans les départements où le dialogue a fonctionné, parfois en présence de représentants du ministère de la santé et de l'agence régionale de santé (ARS), le suivi de la situation en a été grandement amélioré. J'observe qu'on fait beaucoup plus appel à nous dans le contexte de la reprise : on a le sentiment qu'on vient chercher les syndicats quand il faut remettre les salariés au travail, ce qui n'est pas sans susciter un certain malaise. Le Premier ministre parlait la ligne de crête entre le risque d'un rebond de l'épidémie et son écroulement. Ramenée à l'échelle de l'individu, la ligne de crête se situe entre le risque de contracter le virus et celui de perdre son emploi ou de ne plus être payé à la fin du mois… Cette situation demeure dans le contexte de la reprise.

Si le dialogue social a fonctionné, nous avons été parfois, trop souvent, mis devant le fait accompli, face à des décisions prises à l'initiative du ministère du travail ou du législateur. Je rappelle qu'en vertu de l'article L.1 du code du travail, les organisations patronales et syndicales doivent théoriquement être saisies de tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, en vue de l'ouverture éventuelle de la négociation collective. Je ne reviendrai pas sur les ordonnances qui ont été prises en matière de travail et sur les textes qui ont réduit les délais de consultation du CSE. Nous avons demandé, en vain, le rétablissement des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail partout où ils ont été supprimés. On s'est aperçu que les CHSCT auraient pu jouer un rôle efficace dans le cadre de l'application des mesures de protection, grâce, notamment, à l'expertise des représentants du personnel.

Toutes les organisations syndicales étaient en désaccord avec la réforme de l'assurance chômage ; nous nous sommes aperçus à quel point nous avions raison de l'être, dans ce contexte très particulier mais très révélateur de la situation vécue par de nombreux salariés. Si dialogue social il doit y avoir, il serait bon de revenir à son essence et à la convention négociée en 2017 et qui théoriquement courait jusqu'à la fin de l'année, en redonnant la main à la négociation collective, même si le contexte sera plus compliqué. En raison du coût de l'activité partielle et de l'augmentation du chômage, les moyens dont dispose l'assurance chômage seront plus difficiles à équilibrer.

S'agissant du dialogue social, nous avons beaucoup insisté pour que chacun identifie et assume ses responsabilités. Il nous semble important que ce soit les pouvoirs publics et non les organisations syndicales qui prescrivent les dispositions sanitaires précises devant être appliquées. Je ne sais pas quant à moi s'il faut ou non porter un masque ; pendant longtemps, on s'est satisfait d'une situation où des salariés devaient continuer à s'occuper de personnes âgées et malades, chez elles, sans aucun moyen de protection. Or même ici, même en restant à bonne distance, nous sommes tenus de porter un masque… Je ne sais pas davantage si la bonne distanciation sociale est d'un mètre ; mais si les pouvoirs publics arrêtent une distance d'un mètre, il revient aux employeurs de satisfaire à leurs obligations sanitaires et aux syndicats et représentants du personnel de s'en assurer.

Pour ce qui est de la réforme de la santé au travail, la négociation interprofessionnelle que nous avions prévu d'engager début mars conserve toute sa pertinence et son actualité, comme celle sur le télétravail. Notre confédération appelle à une reprise rapide des travaux ; j'ai cru comprendre grâce à Twitter que le MEDEF n'y serait pas forcément hostile.

Pour ce qui est de la reprise, j'ai retenu du discours du Premier ministre que la progressivité était l'un des maîtres mots du plan de déconfinement. Prenons toutefois garde à ce que la volonté d'accélération de la reprise ne se transforme pas en précipitation : n'oublions pas que les gestes barrière vont à l'encontre de la spontanéité du lien social qui entre pour une bonne part dans le plaisir d'aller au travail et d'y retrouver ses collègues. Hormis pour les cadres aisés, le confinement et le télétravail ne sont pas une partie de plaisir. La prévention des accidents du travail repose essentiellement sur la capacité du salarié à maintenir son attention au respect des gestes barrière. Une intensification du travail pourrait avoir des effets tout à fait contre-productifs.

Dans le contexte de la reprise, il nous paraît important d'être vigilants sur les aides publiques accordées aux entreprises : elles doivent être évaluées, conditionnés, contrôlées et les entreprises sanctionnées si elles ne respectent pas les conditions de leur obtention.

Sur le plan national comme sur le plan international, il importe de travailler à la responsabilisation des donneurs d'ordre sur toute la chaîne de valeur : sous-traitants, fournisseurs, clients. Nombre d'entreprises connaîtront des difficultés ; la responsabilité des donneurs d'ordre est parfois déterminante.

Je ne reviens pas sur la question des dividendes et de la stratégie industrielle – la relocalisation des industries essentielles devrait être accompagnée de plans de formation importants – ni sur l'enjeu de la coordination européenne, mais également du multilatéralisme, en grande difficulté ; c'était la pire des choses qui pouvait arriver dans de pareils moments.

Enfin, il importe de maintenir le rôle consultatif du Conseil économique, social et environnemental, où les représentants de l'activité économique et sociale peuvent faire valoir des avis, dont le Parlement peut ou non se saisir.

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