Intervention de Gérard Mardiné

Réunion du mardi 19 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC :

Nous vivons une crise d'ampleur exceptionnelle. Il faudra nous demander pourquoi son éventualité n'a pas été prévue par les plans de gestion de crises nationaux ou par les plans de continuité de l'activité des entreprises. Nous avons dû faire face à des situations très difficiles, avec un manque de moyens de protection ; des gens se sont dévoués, parfois au prix de leur vie pour que les missions essentielles soient assurées, en particulier dans le domaine de la santé.

Les mesures d'urgence prises par le Gouvernement ont tout de même permis de faire fonctionner ce qui pouvait continuer à le faire, et les dispositifs d'assistance, et notamment de chômage partiel, d'éviter de nombreux licenciements.

Là où il a bien fonctionné, le dialogue social a permis de résoudre les problèmes et de trouver le bon compromis entre préservation de bonnes conditions sanitaires et reprise de l'activité économique. La CFE-CGC a quant à elle plaidé pour que les accords d'entreprise comprennent des mesures de solidarité envers ceux qui étaient les moins indemnisés. Reste que les compétences sanitaires ont fait défaut dans nombre d'endroits : tout comme mes collègues, je regrette la suppression des CHSCT, qui étaient très utiles dans les établissements de production ou utilisant des techniques particulières.

La tension dans les hôpitaux et les EHPAD a confirmé la faiblesse structurelle du système, à laquelle il faut répondre de manière structurelle et non conjoncturelle comme cela a été fait avec les primes. Tous les partenaires sociaux doivent être associés à ce que l'on appelle sur les réseaux sociaux le « Ségur de l'hôpital », tant cette question est décisive.

Nous déplorons une dépendance stratégique que nombre de nos militants, sur le terrain, ont jugée inacceptable, et dont il faudra tirer tous les enseignements. Nous l'avons constatée avec les produits de première urgence médicale – nous ne sommes pas encore sûrs que tous nos besoins soient couverts – et la communication du directeur général de SANOFI à propos d'un futur vaccin n'a plutôt pas arrangé les choses, étant entendu que cette entreprise bénéficie d'un crédit d'impôt recherche de 130 millions par an.

Nous sommes favorables à l'ouverture relativement rapide d'une négociation interprofessionnelle et je crois que les organisations d'employeurs y songent également. Ce n'est pas tant le télétravail qui doit en être l'objet que ce que nous appelons la « continuité d'activité à domicile » telle qu'elle est vécue aujourd'hui. Bon nombre de gens souffrent de ces conditions de travail pour différentes raisons : manque d'équipement, présence d'enfants, etc. Sans doute faudra-t-il réguler un certain nombre de choses, ce qui doit pouvoir se faire si tout le monde est de bonne foi.

Comment voyons-nous la suite ? Peu à peu, l'anxiété sanitaire laisse la place à la peur de perdre son emploi. Nous devons vivre la situation actuelle comme une crise transitoire, à laquelle nous devons apporter des réponses transitoires même si, selon les secteurs, cela peut durer plus ou moins longtemps. On peut craindre une moindre indemnisation de l'activité partielle : de grandes entreprises en particulier proposent d'ores et déjà de négocier des mesures structurelles lourdes qui constituent en fait de véritables plans d'économies. Alors que le dialogue social avait jusqu'ici pas trop mal fonctionné, l'ambiance devient tendue, et les hypothèses de départ de plus en plus contestées. Les directions des grandes entreprises feraient mieux de se demander comment valoriser au mieux les compétences dont elles disposent en s'interrogeant par exemple sur les possibilités d'investir de nouveaux secteurs. Car si la crise est conjoncturelle, les besoins structurels demeurent, en particulier dans le domaine de la transition écologique. Comment se diversifier et continuer à investir dans la course technologique alors que les besoins d'investissement sont immenses ? Les entreprises ont évidemment veillé à sécuriser leur trésorerie, ce qui est une bonne chose, mais il faudra ensuite changer de logique : une fois la trésorerie assurée, il ne faudra plus raisonner au vu de ce que pourront être les résultats fin 2020 mais se demandant comment utiliser au mieux les compétences dont on dispose pour rebondir sur le long terme. Nous savons que l'exercice 2020 sera très chahuté ; il faut faire une croix dessus et donner la priorité à ce qui favorisera un rebond.

Ces sujets-là viennent sur la table et ils seront concrétisés à travers des convocations dans les semaines qui viennent. Les prérogatives de l'État en la matière devront être renforcées afin de s'assurer que l'intérêt général et le long terme seront bien préservés. Les mesures d'urgence ne doivent pas être revues à la baisse avant que les plans de relance ou de soutien sectoriel n'aient produit leurs effets. Le ministre Le Maire a annoncé un plan de relance pour septembre ; encore faut-il d'ici là éviter que des gens se retrouvent licenciés et ainsi hors d'état de contribuer à la reprise lorsqu'elle se produira. Il faut donc imposer des contreparties claires aux aides et aux garanties de l'État et les différencier en fonction de la taille des entreprises et des secteurs d'activité afin de maîtriser les effets d'aubaine.

La solidarité entre filières, entre donneurs d'ordre et sous-traitants, est indispensable. L'industrie conditionne une grande partie de l'activité économique et il importe que les réunions du Conseil national de l'industrie (CNI) se déroulent dans un esprit constructif et solidaire. Les partenaires sociaux ne sont pas suffisamment associés dans certains comités stratégiques de filières. Il faudra se préoccuper de la valorisation des compétences au lieu de garder les yeux rivés sur la réduction des périmètres d'activité.

Nous avons également l'opportunité d'agir en matière de formation, y compris en assouplissant le recours aux formations internes. Des cadres et des techniciens sont sans doute prêts à former un certain nombre de leurs collègues ; ce pourrait être une solution à explorer.

L'État doit bien sûr soutenir l'investissement, mais les entreprises doivent y prendre leur part – le plan de l'Union européenne annoncée hier reste quant à lui à entériner et la Banque centrale européenne (BCE) devra s'impliquer fortement. Compte tenu du volume des dépenses nécessaires, en particulier dans la sphère sociale, l'État, les régimes sociaux mais aussi les entreprises devront recourir à une dette à très long terme, sinon pérenne ; encore faut-il fixer des contreparties claires, et ne pas alourdir la fiscalité générale.

Certains ratios seront durablement atteints, à commencer par les taux d'endettement et de marge des entreprises. Tout cela sera sujet à de grandes modifications et il faudra donc, pour un temps certain, ne plus considérer systématiquement les mêmes indicateurs. Dans les grandes entreprises, beaucoup de gens craignent les résultats de l'exercice 2020. Pourquoi ne pas fusionner les exercices 2020 et 2021, ce qui n'empêchera pas de disposer de soldes intermédiaires, par exemple pour la fiscalité ?

Comme vous le savez, les normes comptables jouent également un grand rôle dans les résultats des entreprises. Il est même probable que cette grave crise entraîne des reprises d'activation de dépenses imputées dans des bilans, ce qui modifiera encore les résultats. Ces éléments-là, qui ne font pas l'objet des négociations sur l'adéquation entre la force de travail et le plan de charges de l'entreprise, doivent être soulignés.

En ce qui concerne les logiques de développement fondées sur de nouveaux produits, l'État doit aider les entreprises à promouvoir des approches de visionnaires et de stratèges plutôt que de gestionnaires, malheureusement les plus répandues à ce jour. Enfin, il faut continuer à investir dans tous les secteurs d'avenir comme la recherche et la transition énergétique car ils créeront des emplois et contribueront forcément à limiter la casse sociale due à cette crise.

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