Intervention de Geoffroy Roux de Bézieux

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF :

Le fait que nous puissions nous réunir – même masqués – pour dialoguer au Parlement constitue un beau symbole pour notre vie démocratique.

Je viens ici avec beaucoup d'humilité, car nous faisons face à quelque chose que personne ne connaît – un trou noir, selon les économistes. Les entrepreneurs sont pourtant des personnes qui aiment anticiper, mais, dans ce contexte, il est difficile de faire des pronostics et de trouver des solutions. La récession est très violente, la plus forte depuis soixante-dix ans ; selon les chiffres dont nous disposons – je le dis avec précaution parce que l'INSEE doute lui-même que les outils de mesure soient tout à fait adaptés à la situation, et nous en saurons davantage dans quelques semaines –, elle semble plus prononcée en France que dans les pays d'Europe du Nord, où le redémarrage paraît plus vif. Cette récession a des effets ponctuels sur un certain nombre de secteurs, mais elle accélère aussi des effets structurels, par exemple dans l'industrie automobile, qui connaissait déjà des difficultés avant la crise.

Les gouvernements européens ont apporté des réponses similaires en prenant trois grands types de mesures : des prêts de trésorerie massifs, assortis de contre-garanties de l'État, des mesures de type chômage partiel – prise en charge des salariés pour éviter les licenciements –, et des mesures de soutien aux très petites entreprises (TPE) et aux indépendants. Par-delà les différences de dénomination et de modalités, la philosophie a été à peu près la même partout. La comparaison des efforts fournis par les uns et les autres en proportion de leur PIB montre qu'un certain nombre de pays – en particulier nos amis allemands, qui partaient certes d'une situation budgétaire différente – prévoient des dépenses plus élevées que celles annoncées par le gouvernement français. Reste à voir quelle part de la somme annoncée sera effectivement dépensée. S'agissant du PGE, sur les 300 milliards d'euros de garantie annoncés par l'État, un peu plus de 100 devraient être consommés.

Les mesures prises ont globalement été les bonnes ; des problèmes de mise en place ont été observés mais, soyons justes, organiser un emprunt pour 500 000 entreprises à hauteur de 25 % de leur chiffre d'affaires n'est pas d'une simplicité absolue. Les banques ont joué le jeu ; on pourra toujours trouver çà et là des contre-exemples, mais les mesures de soutien ont plutôt bien fonctionné pour apporter de l'oxygène. Cela dit, en ce moment, on crée de la monnaie, on ne crée pas de la richesse – je ne parlerai pas de « planche à billets », car l'expression est trompeuse. D'ailleurs, si nous n'avions pas eu l'euro, nous n'en serions pas là ; nous serions en train d'envisager une dévaluation et d'observer une hausse très forte du taux d'emprunt français. L'Europe n'a pas été parfaite, mais elle a eu le mérite d'exister.

Plutôt que du « monde d'après », je préfère parler des leçons à tirer de cette crise et des évolutions qu'elle entraîne. Il n'est pas question pour nous de passer cette pandémie par pertes et profits, mais de bien en comprendre les enseignements. Nous assistons par ailleurs à l'émergence de nouveaux phénomènes, négatifs comme positifs, qui n'existaient jusqu'alors qu'à bas bruit.

Nous voyons les choses en trois temps. Dans l'immédiat, avant l'été, il faut relancer la consommation. Nous discutons avec Bruno Le Maire des mesures à prendre, mais il faut faire circuler l'argent, et que les acteurs économiques, entreprises et ménages soient encouragés par un signal positif.

Le deuxième temps sera celui de la reprise, en septembre : un plan de relance plus structurel, assorti de mesures fiscales et sociales plus élaborées, avec une dominante verte – dont il ne faut pas sous-estimer le coût. Ce plan doit être pris en compte dans un panorama européen, car il faut éviter que les relances soient mises en œuvre selon des objectifs différents d'un pays à l'autre. Nous avons réussi à faire signer au patronat allemand – ainsi qu'au patronat italien, mais ce sont surtout les Allemands qui ont posé des difficultés – une déclaration diplomatique comportant le mot « solidarité » et un engagement à soutenir le Green Deal. Il semble avoir compris qu'il ne pouvait pas être prospère dans une Europe qui ne le serait plus.

La plupart des entreprises connaissent des surcoûts significatifs pour exercer leur activité : du fait de la mise en place des barrières sanitaires, elles doivent se doter d'équipements de protection individuels (EPI) et de masques, ce que nous ne contestons pas ; surtout, leur productivité est bridée par les contraintes liées à la situation. Par exemple, lorsqu'une chaîne automobile doit être nettoyée pendant une heure toutes les huit heures, la perte de productivité s'élève à 15 %. Si ces contraintes ne devaient peser que durant quelques mois, les entreprises seraient capables de les absorber – nous avons conscience du fait qu'un très grand nombre d'entre elles perdront de l'argent en 2020 –, mais si elles devenaient structurelles, la réflexion à engager serait différente. Pour compenser ces surcoûts, certaines feront monter les prix et provoqueront de l'inflation – mon coiffeur, par exemple, veut augmenter ses tarifs.

Que se passera-t-il dans un an, lorsque les 500 000 entreprises qui ont emprunté jusqu'à 25 % de leur chiffre d'affaires auront le choix de rembourser tout de suite ou sur quatre ans ? Il faut imaginer un mécanisme massif de substitution pour que les banques soient remboursées sans que cela représente une contrainte financière trop forte pour les entreprises. Si tout l'argent va au remboursement, les entreprises ne pourront pas investir dans la transition.

Huit millions de personnes ont été placées en activité partielle, et non douze comme annoncé initialement. C'est une bonne nouvelle, mais il n'est pas possible qu'un si grand nombre de Français continuent d'être payés par l'État ainsi pendant plusieurs mois. Pour autant, la réduction de la prise en charge à partir du 1er juin nous semble trop précoce, alors que nous n'avons redémarré qu'il y a quinze jours. Il faut imaginer des dispositifs qui pourront prendre le relais.

Il y a deux grandes catégories d'entreprises : d'une part, celles qui n'ont pas assez de travail du fait d'un manque de demande – c'est le cas notamment de l'aéronautique, qui connaîtra une baisse significative des commandes sur une période longue ; d'autre part, celles qui ont besoin de rattraper le retard accumulé, qui ont des commandes mais dont le chiffre d'affaires est contraint par les mesures sanitaires car elles ne peuvent pas travailler sur les mêmes amplitudes horaires que d'ordinaire. Dans les deux cas, il faut trouver de nouvelles formes d'organisation du travail dans l'entreprise, et il faut le faire à chaque fois par le dialogue social.

En tant qu'employeurs, il n'a jamais été question que nous nous défaussions de notre responsabilité, car nous sommes en charge de la santé et de la sécurité de nos salariés. Cependant, il s'agit d'une obligation de moyens, pas de résultats ; le covid-19 peut s'attraper partout. Les chefs d'entreprise, en particulier les plus petits, s'inquiètent de subir des sanctions pénales, à la suite de plaintes qui pourraient éventuellement être déposées par les ayants droit de salariés décédés. L'amendement que vous avez adopté va dans le bon sens ; quoi qu'il en soit, le juge gardera toujours sa liberté.

Nous sentons monter un stress énorme et une angoisse chez les entrepreneurs. Nous avons tous été pris par surprise ; les premières semaines, nos adhérents, que nous voyons régulièrement en visioconférence, étaient dans l'urgence de la survie. On leur a donné de l'oxygène mais maintenant, ils font leurs calculs : comment rembourseront-ils le PGE, comment paieront-ils les charges sociales de juin, alors que les échéances de mars, avril et mai ont été repoussées ? Les entrepreneurs sont en général de tempérament optimiste, et nous essayons, mes confrères et moi, d'être raisonnablement positifs pour la suite, mais le sentiment d'angoisse est bien présent. Elle est difficile à rétablir, mais c'est bien la confiance – d'abord dans la situation sanitaire, ensuite dans les perspectives économiques – qui fera redémarrer le système. La machine ne commencera à repartir que lorsque les gens iront acheter une voiture – alors que les ventes d'automobiles sont à l'arrêt –, décideront de faire des travaux dans leur appartement ou de réserver leur hôtel pour les vacances. C'est pourquoi il ne faut pas attendre trop longtemps.

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