La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

MERCREDI 20 MAI 2020

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Patrice Mignola, vice-président.

La mission d'information procède à l'audition de représentants des organisations patronales : M. Geoffroy Roux de Bézieux, président du mouvement des entreprises de France (MEDEF), M. Alain Griset, président de l'union des entreprises de proximité (U2P) et M. François Asselin, président de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

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Face à l'épidémie, notre pays, comme beaucoup d'autres dans le monde, a choisi de protéger la vie et la santé, fût-ce au détriment temporaire de la vie sociale et économique. C'est l'honneur de notre démocratie que d'avoir fait ce choix, et en parallèle d'avoir mis en œuvre des moyens exceptionnels pour sauvegarder l'économie et protéger ses acteurs, que ce soit à travers le chômage partiel, le fonds de solidarité pour les indépendants, ou les prêts garantis par l'État (PGE).

Afin d'accompagner au mieux les structures économiques de notre pays, nous avons souhaité vous entendre sur la manière dont elles ont vécu le confinement, sur ce que doivent être les points de vigilance dans leur organisation au moment où nous entamons le déconfinement, et sur la sortie des mesures exceptionnelles. Pour certaines entreprises, le redémarrage est net ; pour d'autres, il est plus lent, voire inexistant s'agissant de l'hôtellerie et de la restauration. Nous aimerions aussi vous entendre dresser des perspectives pour le plan de relance que nous aurons à préparer tous ensemble et toutes familles politiques confondues, au sein de l'Assemblée nationale et en partenariat avec les collectivités locales.

Se pose aussi la question de la responsabilité des entrepreneurs, comme celle des maires, qui dans cette période particulière peut se trouver engagée.

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Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF

Le fait que nous puissions nous réunir – même masqués – pour dialoguer au Parlement constitue un beau symbole pour notre vie démocratique.

Je viens ici avec beaucoup d'humilité, car nous faisons face à quelque chose que personne ne connaît – un trou noir, selon les économistes. Les entrepreneurs sont pourtant des personnes qui aiment anticiper, mais, dans ce contexte, il est difficile de faire des pronostics et de trouver des solutions. La récession est très violente, la plus forte depuis soixante-dix ans ; selon les chiffres dont nous disposons – je le dis avec précaution parce que l'INSEE doute lui-même que les outils de mesure soient tout à fait adaptés à la situation, et nous en saurons davantage dans quelques semaines –, elle semble plus prononcée en France que dans les pays d'Europe du Nord, où le redémarrage paraît plus vif. Cette récession a des effets ponctuels sur un certain nombre de secteurs, mais elle accélère aussi des effets structurels, par exemple dans l'industrie automobile, qui connaissait déjà des difficultés avant la crise.

Les gouvernements européens ont apporté des réponses similaires en prenant trois grands types de mesures : des prêts de trésorerie massifs, assortis de contre-garanties de l'État, des mesures de type chômage partiel – prise en charge des salariés pour éviter les licenciements –, et des mesures de soutien aux très petites entreprises (TPE) et aux indépendants. Par-delà les différences de dénomination et de modalités, la philosophie a été à peu près la même partout. La comparaison des efforts fournis par les uns et les autres en proportion de leur PIB montre qu'un certain nombre de pays – en particulier nos amis allemands, qui partaient certes d'une situation budgétaire différente – prévoient des dépenses plus élevées que celles annoncées par le gouvernement français. Reste à voir quelle part de la somme annoncée sera effectivement dépensée. S'agissant du PGE, sur les 300 milliards d'euros de garantie annoncés par l'État, un peu plus de 100 devraient être consommés.

Les mesures prises ont globalement été les bonnes ; des problèmes de mise en place ont été observés mais, soyons justes, organiser un emprunt pour 500 000 entreprises à hauteur de 25 % de leur chiffre d'affaires n'est pas d'une simplicité absolue. Les banques ont joué le jeu ; on pourra toujours trouver çà et là des contre-exemples, mais les mesures de soutien ont plutôt bien fonctionné pour apporter de l'oxygène. Cela dit, en ce moment, on crée de la monnaie, on ne crée pas de la richesse – je ne parlerai pas de « planche à billets », car l'expression est trompeuse. D'ailleurs, si nous n'avions pas eu l'euro, nous n'en serions pas là ; nous serions en train d'envisager une dévaluation et d'observer une hausse très forte du taux d'emprunt français. L'Europe n'a pas été parfaite, mais elle a eu le mérite d'exister.

Plutôt que du « monde d'après », je préfère parler des leçons à tirer de cette crise et des évolutions qu'elle entraîne. Il n'est pas question pour nous de passer cette pandémie par pertes et profits, mais de bien en comprendre les enseignements. Nous assistons par ailleurs à l'émergence de nouveaux phénomènes, négatifs comme positifs, qui n'existaient jusqu'alors qu'à bas bruit.

Nous voyons les choses en trois temps. Dans l'immédiat, avant l'été, il faut relancer la consommation. Nous discutons avec Bruno Le Maire des mesures à prendre, mais il faut faire circuler l'argent, et que les acteurs économiques, entreprises et ménages soient encouragés par un signal positif.

Le deuxième temps sera celui de la reprise, en septembre : un plan de relance plus structurel, assorti de mesures fiscales et sociales plus élaborées, avec une dominante verte – dont il ne faut pas sous-estimer le coût. Ce plan doit être pris en compte dans un panorama européen, car il faut éviter que les relances soient mises en œuvre selon des objectifs différents d'un pays à l'autre. Nous avons réussi à faire signer au patronat allemand – ainsi qu'au patronat italien, mais ce sont surtout les Allemands qui ont posé des difficultés – une déclaration diplomatique comportant le mot « solidarité » et un engagement à soutenir le Green Deal. Il semble avoir compris qu'il ne pouvait pas être prospère dans une Europe qui ne le serait plus.

La plupart des entreprises connaissent des surcoûts significatifs pour exercer leur activité : du fait de la mise en place des barrières sanitaires, elles doivent se doter d'équipements de protection individuels (EPI) et de masques, ce que nous ne contestons pas ; surtout, leur productivité est bridée par les contraintes liées à la situation. Par exemple, lorsqu'une chaîne automobile doit être nettoyée pendant une heure toutes les huit heures, la perte de productivité s'élève à 15 %. Si ces contraintes ne devaient peser que durant quelques mois, les entreprises seraient capables de les absorber – nous avons conscience du fait qu'un très grand nombre d'entre elles perdront de l'argent en 2020 –, mais si elles devenaient structurelles, la réflexion à engager serait différente. Pour compenser ces surcoûts, certaines feront monter les prix et provoqueront de l'inflation – mon coiffeur, par exemple, veut augmenter ses tarifs.

Que se passera-t-il dans un an, lorsque les 500 000 entreprises qui ont emprunté jusqu'à 25 % de leur chiffre d'affaires auront le choix de rembourser tout de suite ou sur quatre ans ? Il faut imaginer un mécanisme massif de substitution pour que les banques soient remboursées sans que cela représente une contrainte financière trop forte pour les entreprises. Si tout l'argent va au remboursement, les entreprises ne pourront pas investir dans la transition.

Huit millions de personnes ont été placées en activité partielle, et non douze comme annoncé initialement. C'est une bonne nouvelle, mais il n'est pas possible qu'un si grand nombre de Français continuent d'être payés par l'État ainsi pendant plusieurs mois. Pour autant, la réduction de la prise en charge à partir du 1er juin nous semble trop précoce, alors que nous n'avons redémarré qu'il y a quinze jours. Il faut imaginer des dispositifs qui pourront prendre le relais.

Il y a deux grandes catégories d'entreprises : d'une part, celles qui n'ont pas assez de travail du fait d'un manque de demande – c'est le cas notamment de l'aéronautique, qui connaîtra une baisse significative des commandes sur une période longue ; d'autre part, celles qui ont besoin de rattraper le retard accumulé, qui ont des commandes mais dont le chiffre d'affaires est contraint par les mesures sanitaires car elles ne peuvent pas travailler sur les mêmes amplitudes horaires que d'ordinaire. Dans les deux cas, il faut trouver de nouvelles formes d'organisation du travail dans l'entreprise, et il faut le faire à chaque fois par le dialogue social.

En tant qu'employeurs, il n'a jamais été question que nous nous défaussions de notre responsabilité, car nous sommes en charge de la santé et de la sécurité de nos salariés. Cependant, il s'agit d'une obligation de moyens, pas de résultats ; le covid-19 peut s'attraper partout. Les chefs d'entreprise, en particulier les plus petits, s'inquiètent de subir des sanctions pénales, à la suite de plaintes qui pourraient éventuellement être déposées par les ayants droit de salariés décédés. L'amendement que vous avez adopté va dans le bon sens ; quoi qu'il en soit, le juge gardera toujours sa liberté.

Nous sentons monter un stress énorme et une angoisse chez les entrepreneurs. Nous avons tous été pris par surprise ; les premières semaines, nos adhérents, que nous voyons régulièrement en visioconférence, étaient dans l'urgence de la survie. On leur a donné de l'oxygène mais maintenant, ils font leurs calculs : comment rembourseront-ils le PGE, comment paieront-ils les charges sociales de juin, alors que les échéances de mars, avril et mai ont été repoussées ? Les entrepreneurs sont en général de tempérament optimiste, et nous essayons, mes confrères et moi, d'être raisonnablement positifs pour la suite, mais le sentiment d'angoisse est bien présent. Elle est difficile à rétablir, mais c'est bien la confiance – d'abord dans la situation sanitaire, ensuite dans les perspectives économiques – qui fera redémarrer le système. La machine ne commencera à repartir que lorsque les gens iront acheter une voiture – alors que les ventes d'automobiles sont à l'arrêt –, décideront de faire des travaux dans leur appartement ou de réserver leur hôtel pour les vacances. C'est pourquoi il ne faut pas attendre trop longtemps.

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Alain Griset, président de l'U2P

Pour les trois millions de travailleurs indépendants que j'ai l'honneur de représenter, la crise a occasionné un double stress : à la crainte de la maladie s'est ajoutée la peur de perdre l'entreprise qu'ils ont créée. Nous avons ouvert une plateforme réunissant une trentaine de psychologues, pour répondre aux appels de collègues anxieux voire plongés dans une détresse extrême.

Notre pays est habitué à faire des plans – pour l'automobile ou l'aéronautique par exemple – mais pas pour les indépendants, qui exercent des métiers très variés. C'est un tort : nous avons besoin d'un plan global les concernant car il existe de nombreux trous dans la raquette.

Nous avons contribué à la mise en œuvre des quatre piliers que sont le chômage partiel, le PGE, le fonds de solidarité et le report de cotisations sociales. Ces mesures étaient indispensables pour permettre à nos collègues de tenir pendant le confinement, et je remercie le Gouvernement et le Parlement de les avoir mises en place ; néanmoins, et c'est un mal français, il n'est pas toujours simple d'accéder aux dispositifs.

Ainsi, le premier niveau du fonds de solidarité – une aide pouvant aller jusqu'à 1 500 euros – est facile d'accès, et 900 000 de nos collègues en ont bénéficié par le site gouvernemental des impôts. Mais les choses sont plus compliquées au second niveau. D'abord, l'automaticité n'existe plus puisque la demande doit être traitée par la région. Ensuite, seules les entreprises employant au moins un salarié étaient éligibles au départ. Après de longues discussions et avec le soutien de Bruno Le Maire, nous avons obtenu que les indépendants qui ne sont pas dans ce cas – la moitié de nos adhérents – aient tout de même accès à cette aide. Toutefois, elle n'a été octroyée qu'à ceux qui avaient essuyé un refus de PGE : quelques dizaines de milliers d'entrepreneurs seulement ont donc bénéficié de ce soutien pouvant aller jusqu'à 5 000 euros, alors que nous avions compris que nous pourrions tous en profiter. Nous demandons donc à nouveau l'ouverture du dispositif à l'ensemble des entreprises, notamment celles qui ont été fermées par décision de l'État, car il est proprement injuste que leurs frais fixes ne puissent être pris en charge alors qu'elles n'ont pas eu le droit de travailler.

Cela me permet d'évoquer un des principaux trous dans la raquette : les indépendants qui n'ont pas été obligés d'arrêter leur activité, mais qui ont fait zéro recette. Je pense aux photographes, qui ne sont ni dans le plan restauration ni dans le plan événementiel mais qui travaillent sur les événements et les mariages, ou au cas presque caricatural des traiteurs, qui ne sont pas inclus dans le plan visant les hôtels, cafés, restaurants ; ceux qui sont aussi bouchers ou charcutiers n'ont droit à aucune aide. Qui plus est, comme le fonds de solidarité est destiné aux entreprises de moins de dix salariés et réalisant moins d'un million de chiffre d'affaires, celui qui emploie onze salariés et dont le chiffre d'affaires atteint 1,2 million passe à côté de toutes les mesures de soutien. On voit bien les limites de ces dispositifs : ils procèdent de bonnes intentions mais sont toujours contraints par telle ou telle règle administrative qui vient entraver leur application. C'est pour nous très pénible et frustrant.

On nous a dit il y a une quinzaine de jours que les cotisations sociales feraient l'objet d'exonérations pour les indépendants qui ont été forcés d'arrêter leur activité. Mais on ignore encore le périmètre et la base de cette mesure : concerne-t-elle les allocations familiales, les cotisations d'assurance maladie ou retraite, la CSG, la CRDS ? S'agit-il des cotisations sur la base des revenus de 2019, de 2020 ? On laisse tomber ceux qui avaient le droit de travailler mais qui n'ont rien gagné ainsi que ceux qui ont perdu plus de 50 % de leur chiffre d'affaires et devront payer à un moment donné leurs cotisations. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.

Si nous voulons accompagner les indépendants, il faut aller jusqu'au bout ; le risque est réel d'une hécatombe complète au dernier trimestre qui produirait une explosion catastrophique du chômage. L'investissement massif dans le financement du chômage partiel n'aura servi à rien s'il aboutit dans quelques mois à du chômage total.

Le sujet de la reprise devra être tranché politiquement, car des problèmes de rentabilité vont se poser. Contrairement aux très grosses entreprises, la plupart des indépendants ne peuvent se permettre de travailler en perdant de l'argent plusieurs mois de suite. Nombreux sont ceux qui verront leur chiffre d'affaires diminuer – même les coiffeurs, qui font face à une demande importante, ne pourront pas servir le même nombre de clients qu'auparavant –, tout en devant faire face aux surcoûts liés aux mesures sanitaires. Petites ou grandes, ces entreprises auront tendance à augmenter leurs tarifs, entraînant la grogne des consommateurs et créant un problème social majeur. Il faut donc les accompagner de façon continue, de façon à passer cette difficulté.

Par ailleurs, Les Français ont économisé à peu près 60 milliards en trois mois. La reprise de la consommation et la relance de l'économie dépendront du fait qu'ils les dépensent ou non.

Enfin, on a évoqué la responsabilité pénale des employeurs, mais nos collègues pourraient aussi être attaqués par leurs clients : un garagiste m'a ainsi expliqué que sur douze clients reçus en une journée, trois lui avaient demandé de les assurer que leur véhicule ne serait pas infecté par le coronavirus lorsqu'il le leur rendrait. Nous sommes d'accord pour assumer nos responsabilités, mais, à partir du moment où nous respectons les contraintes sanitaires très strictes, nous ne voulons pas voir notre responsabilité pénale engagée. Le juge restera libre de choisir, mais la loi doit nous apporter cette garantie.

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François Asselin, président de la CPME

La visioconférence me permet de répondre aux exigences de mes deux fonctions, puisque je suis aussi chef d'une entreprise de charpenterie-menuiserie, basée à Thouars, dans les Deux-Sèvres. Nous avons réussi à y maintenir une activité d'atelier – 100 % des effectifs devraient être présents dès la semaine prochaine –, mais nous avons toujours une grande difficulté à redémarrer l'activité de chantier.

Quand cette catastrophe est arrivée, la CPME a tout de suite souhaité mettre en œuvre une stratégie claire d'accompagnement et de soutien. J'ai demandé aux unions territoriales de rester proches et en contact avec leurs adhérents, car il est nécessaire d'être solidaire en ces moments difficiles.

Nous devons protéger les salariés, les entreprises, et les entrepreneurs. Je souscris au plaidoyer développé par Alain Griset en leur faveur : ce sont souvent des travailleurs non salariés (TNS), dotés d'un statut difficile à protéger et à accompagner.

Comme tous les Français, et comme nous-mêmes, nos salariés étaient réticents à l'idée de reprendre le travail sans protection physique. Il faut comprendre que de nombreuses entreprises, faute de masque, n'ont pas pu redémarrer. Mais nous avons passé cette période délicate.

Aujourd'hui, certaines questions restent entières. Comment, quand bien même le carnet de commandes serait bien garni, récupérer le niveau d'activité antérieur et remonter l'échelle de production, en remettant l'ensemble des salariés au travail ? Comment, dans certains secteurs, rouvrir malgré les contraintes – notamment la règle des 4 mètres carrés par client –, qui obèrent toute rentabilité ? Nous faisons encore face à de grandes difficultés, mais nous avons la volonté farouche d'avancer, car c'est notre intérêt à tous.

Pour la CPME, le plan de relance doit être tout à la fois un plan de soutien et un plan d'investissements. Nous avons besoin de perspectives dès maintenant. C'est dans les semaines qui viennent que les entreprises devront décider, par exemple, si elles garderont leurs apprentis en fin de cycle ou si elles en recruteront de nouveaux au mois de septembre. Sans perspectives, nous risquons de passer à côté d'une génération de jeunes, ce qui serait dramatique. Il faut dès aujourd'hui que s'installent les conditions de la confiance, porteuse d'espoirs.

Le plan de soutien et d'investissements doit d'abord cibler les secteurs à fort taux de main-d'œuvre, car la priorité est de donner du travail au plus grand nombre de Français. Il doit ensuite favoriser des investissements intelligents qui reviennent d'abord aux territoires, français et européens, et qui ne stimulent pas l'importation de produits manufacturés en Asie. Enfin, un grand plan de rénovation énergétique permettrait de réaliser à terme des économies, ferait travailler les PME et les TPE françaises, améliorerait les parcs immobiliers public et privé et aiderait à développer un principe constructif de grande qualité.

Au-delà de la relance horizontale, il convient de cibler les secteurs directement touchés que sont l'automobile et l'aéronautique. Certains des nombreux sous-traitants sont des pépites technologiques que nous ne voulons pas voir disparaître.

Dès le départ, la CPME a soulevé la question de la responsabilité des employeurs. Le Gouvernement et le Parlement ont traité le sujet avec grande intelligence et le compromis qui a été trouvé – obligation de moyens renforcés, sans risque pénal – a permis de restaurer la confiance. Ce que vous avez voté doit devenir pérenne, car la judiciarisation est un phénomène de société et le principe de précaution a tendance à se transformer en principe d'inaction. Les chefs d'entreprise, comme les élus, aiment à prendre des responsabilités, mais s'ils savent anticiper les risques professionnels, ils ne sont pas médecins et ne peuvent maîtriser le risque sanitaire.

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Mes questions prennent appui sur les travaux de mes collègues Fadila Khattabi et Stéphane Viry, présentés le 6 mai en commission des affaires sociales, et qui ont permis de dresser un premier bilan des effets de l'épidémie sur le marché du travail, l'emploi et la formation.

Le dispositif d'activité partielle a constitué deux mois durant notre principal bouclier face au risque d'un effondrement du marché du travail. La suspension du contrat de travail et la couverture du salaire par l'État et l'Unédic ont apporté une réponse inédite à douze millions de salariés, qui étaient rapidement passés de la peur d'être contaminés à celle d'être licenciés. Le coût du dispositif et la nécessité d'accompagner la reprise invitent toutefois à le cibler sur les secteurs prioritaires, tels l'hôtellerie, la restauration et le tourisme.

Les mesures examinées la semaine dernière dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 s'inscrivent clairement dans cet objectif, en retenant des secteurs d'activité prioritaires et en complétant les droits en matière de retraite et de couverture complémentaire. Quel ciblage et quelles adaptations vous paraissent devoir être apportés à l'activité partielle pour accompagner les secteurs prioritaires sur la durée ?

Les remontées concernant l'action des services de santé au travail pendant la crise sont ambivalentes. Quelles difficultés avez-vous identifiées en matière de moyens, de missions, de disponibilité des services ? Quelles pistes de réforme vous semblent aujourd'hui prioritaires ?

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J'ajouterai une question sur le télétravail : pensez-vous qu'il ait vocation à se pérenniser, certes dans une moindre mesure ?

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Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF

Pour répondre au problème de l'emploi dans les mois et les années qui viennent, il faudrait inventer une boîte à outils dont le dispositif d'activité partielle ne serait qu'une composante.

Nous avons conclu avec l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) un accord, non encore validé, ouvrant la possibilité, dans les secteurs accusant une baisse structurelle des commandes, de « partager » le travail – le mot ne me fait pas peur. L'État compenserait la baisse de rémunération qui en découlerait. Cette solution pourrait avantageusement se substituer aux PSE, qui font disparaître les compétences.

Au-delà des restructurations et du chômage, nous craignons un tarissement des embauches. Comme l'a expliqué François Asselin, il faut faire dès maintenant des annonces concernant l'apprentissage, car les décisions se prennent avant l'été. Nous proposons de porter l'aide TPE jeunes apprentis, de 4 400 euros actuellement, à 10 000 euros. Cela créera sans doute un effet d'aubaine, nous devons l'accepter.

L'État ne peut continuer trop longtemps à payer 8 millions de salariés du secteur privé. Mais sans remettre en cause le principe de la dégressivité du taux de prise en charge, nous souhaiterions que la baisse soit progressive et que le reste à charge pour les entreprises n'augmente pas dès le 1er juin. Nous avons tous le sentiment que c'est trop tôt. La question du calendrier revêt une grande importance car le risque est que le chômage partiel ne se transforme en chômage tout court.

L'idée de secteurs prioritaires me gêne. La crise a montré que les codes d'activité principale (APE) étaient obsolètes : l'imbrication des secteurs économiques est telle que l'on peut difficilement distinguer les activités. C'est au terme d'un long débat que la ministre du travail a accepté que la prise en charge par l'État de l'activité partielle ne baisse pas dans les secteurs connexes aux secteurs fermés. Prenons l'exemple d'un grossiste travaillant pour les cafés restaurants : il n'est pas concerné par la fermeture administrative, mais il ne peut travailler. Nous ne souhaitons pas que le dispositif d'activité partielle perdure dans certains secteurs et s'arrête dans d'autres. Le patronat et les syndicats explorent de nouvelles pistes.

Je souhaite relancer la négociation sur la santé au travail dont nous avions décidé le principe avant le confinement. J'ai vu que des députés appelaient dans une tribune à une réforme, mais il faut laisser la démocratie sociale travailler. Nous faisons le constat d'un manque d'efficacité, de grandes disparités entre les services de santé au travail dédiés aux grandes et aux petites entreprises, de différences de qualité et de niveaux hétérogènes de tarification. En raison de la pénurie de médecins du travail, il faudrait pouvoir intégrer au système la médecine de ville et les infirmiers.

Le télétravail présente énormément d'avantages – 80 % de salariés qui y ont goûté lors du confinement ont apprécié – mais il recouvre aussi des inégalités, pose des problèmes d'ergonomie et d'adaptation des postes de travail. Je ne crois pas au « tout télétravail » et me méfie d'une approche binaire. Nous avons ouvert une discussion avec les partenaires syndicaux, dont je pense qu'elle devrait plutôt porter sur les nouvelles formes de travail. Pourquoi ne pas imaginer des hubs ou des lieux de rassemblement qui permettraient de rompre l'isolement tout en évitant les déplacements inutiles et polluants ? La crise a révélé des tendances, je suis convaincu des changements qu'elle a induits, mais là encore, il faut nous laisser quelques mois pour travailler.

Nous venons de traverser une période intense de dialogue social, plus ou moins formalisé selon les entreprises. Si les cas d'Amazon et de Renault Sandouville ont été médiatisés, c'est que ces sites étaient l'exception : dans la grande majorité des cas, les salariés, les organisations représentatives et les employeurs ont échangé pour trouver la meilleure façon de fonctionner. D'ailleurs, un sondage publié par Le Parisien montre que les salariés, dans leur grande majorité, sont rassurés par les mesures prises par leur employeur.

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Alain Griset, président de l'U2P

Je suis moi aussi gêné par la notion de secteurs prioritaires. On a bien vu que les secteurs que l'on ne mettait pas d'ordinaire en avant sont devenus essentiels à la vie quotidienne des Français durant le confinement. Il me semble choquant de faire passer certains secteurs à la trappe : les photographes ou les couturiers dans l'événementiel ne seront pas considérés comme prioritaires alors qu'ils sont directement touchés. Cela n'enlève rien au fait qu'il faut des actions spécifiques pour ceux qui sont encore fermés, comme les hôtels cafés restaurants.

L'action publique doit être cohérente : à quoi cela servirait-il d'avoir dépensé des milliards pendant trois mois pour aboutir au même résultat en septembre, avec un niveau de chômage similaire à celui que l'on aurait eu en mai sans dispositif d'activité partielle ? Mieux vaut réduire progressivement la prise en charge et accompagner les entreprises qui en ont besoin.

Je voudrais souligner la grande responsabilité des chefs d'entreprise, puisque beaucoup avaient demandé à recourir au dispositif en totalité mais ont finalement gardé une partie de leurs salariés. Il y a ainsi une grande différence entre les montants très élevés que le ministère du travail avait annoncés et ce qui sera effectivement payé par l'État. Certes, il y a eu des excès – nous les condamnons –, mais ce n'est pas une raison pour pénaliser toutes les entreprises.

J'étais très sévère sur la santé au travail, mon jugement ne s'est pas amélioré avec la crise. Les organismes de santé au travail auront été encore plus absents de nos entreprises, ce qui est pour le moins paradoxal. Les entreprises, de leur côté, considèrent qu'elles paient trop cher pour un service inexistant. Cela ne fonctionne pas.

Il y a moins de télétravail dans nos secteurs d'activité, mais nous participerons aux discussions sur le sujet. Certains éléments sont positifs, d'autres, comme les conditions de travail ou la mesure de la productivité par l'employeur, posent question.

Le risque est grand de voir disparaître l'apprentissage, fondamental pour nos secteurs, si l'on ne prend pas rapidement des mesures fortes. Il faut d'abord garantir aux centres de formation des ressources suffisantes. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ayant modifié leur financement, ils perdront des recettes si le nombre d'apprentis baisse ; certains devront fermer leurs portes. Par ailleurs, leur équilibre financier risque d'être compromis par l'application des règles sanitaires – matériel de protection, dédoublement des classes – : ces surcoûts pourraient être compensés par une augmentation du coût au contrat.

Les entreprises ont peut-être autre chose à penser que de recruter un apprenti, il faut leur envoyer un signal fort. Nous proposons qu'elles n'aient rien à payer pendant un an si elles gardent leur apprenti ou si elles en recrutent un nouveau.

Enfin, beaucoup de jeunes sont prêts à venir en apprentissage, mais les maîtres d'apprentissage seront vraisemblablement moins nombreux. Nous demandons que la période durant laquelle un jeune peut suivre le cycle de formation sans entreprise soit rallongée. Il faut prendre garde à ne pas exclure ces jeunes du système et à en faire une génération sacrifiée. Voilà trois mesures qu'il nous semble primordial de prendre d'urgence, car c'est maintenant que cela se passe ; si l'on attend un mois ou deux, on aura raté le moment.

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François Asselin, président de la CPME

Dans la situation que nous connaissons, il faut actionner tous les leviers, à commencer par celui de la formation professionnelle, en mobilisant le plan d'investissement dans les compétences (PIC) et les pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC).

Nous avons présenté hier à la ministre du travail une série de préconisations communes concernant l'apprentissage. Il est très important de maintenir la fluidité des formations. Pour cela, nous proposons que les apprentis parvenus en fin de cycle et en passe de décrocher leur CAP, leur bac pro ou leur BTS, puissent suivre une année supplémentaire en alternance, sanctionnée par une mention qualifiante. Cela laisserait le temps aux entreprises qui n'ont pas encore de visibilité et peut-être une partie de leurs salariés toujours en activité partielle de signer plus tard un CDI ; les apprentis, de leur côté, resteraient en contact avec leur entreprise tout en continuant de se former. Nous proposons aussi que les PME et les TPE, très fragilisées, puissent être en mesure d'accueillir un nouvel apprenti à la rentrée sans que cela leur coûte quoi que ce soit durant une année.

Je suis moi aussi très sévère sur la santé au travail. Un sondage que nous avons réalisé auprès de 1 800 chefs d'entreprise montre que 86 % d'entre eux n'ont pas été contactés par leur service de santé au travail depuis le début de l'épidémie. Pourquoi, dans une telle situation, les entreprises ne sont-elles pas accompagnées ? Pour ma part, j'ai tenté seul d'imaginer comment protéger mes salariés avant de recevoir le guide des bonnes pratiques. La médecine du travail, dont je ne remets pas en cause la qualité, m'a seulement demandé si j'avais mis à niveau mon document unique et mon plan de continuité d'activité – elle avait reçu l'ordre de ne pas se déplacer en entreprise ! Durant la même période, certains médecins généralistes étaient désœuvrés ; j'aurais apprécié qu'ils puissent venir rassurer mes salariés, les soumettent à un questionnaire santé, dans le respect, bien sûr, du secret professionnel. Ce que nous avons vécu, et que nous vivons encore, est ubuesque. Le système coûte très cher aux entreprises pour un service inexistant. Il faut le revoir de fond en comble, et nous avons quelques idées en la matière.

Le télétravail est apparu dans les médias comme le Graal des salariés, mais tout est question d'équilibre. Certains, qui en rêvaient, ont déchanté lorsqu'ils se sont trouvés contraints de travailler depuis leur domicile ; d'autres, qui le décriaient, ont découvert que ce n'était pas si mal. Il est de temps en temps nécessaire de se voir pour se stimuler, faire équipe, cultiver le sentiment d'appartenance à l'entreprise. La tentation ne sera-t-elle pas de se défaire des liens de subordination et d'externaliser tous les services qui peuvent l'être, en ne travaillant plus qu'avec des indépendants ? Attention à la voie dans laquelle nous nous engageons : elle pourrait se révéler un piège pour ceux qui rêvent de devenir télétravailleurs. Avant de se lancer dans une négociation, nous devons faire le point et clarifier les choses. Il faut éviter de rajouter de la contrainte à des acteurs économiques qui n'en ont surtout pas besoin.

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Les mesures de soutien ont été efficaces, il faut maintenant passer de la survie à la relance de l'économie. Le groupe Les Républicains a proposé des mesures précises pour relancer l'économie par la consommation et l'investissement, mais aussi la transformer.

Le chômage partiel ne doit pas devenir du chômage réel, alors que le nombre d'embauches diminue de 70 %. Suspendre le paiement des charges sociales patronales permettrait de réduire le coût du travail. Les crédits alloués au chômage partiel pourraient compenser cette perte de recettes, le temps que les chiffres d'affaires remontent.

Les problèmes d'embauche ne concernent pas seulement les apprentis, mais toute cette jeune génération qui risque d'être sacrifiée. Peut-être faudrait-il abandonner les charges sociales qui pèsent sur leurs emplois ?

Enfin, bien que très attaché à la médecine du travail, je partage vos constats, sur sa bureaucratisation notamment. Tous les gouvernements y sont allés de leur réforme, sans succès. Il est probablement nécessaire d'inventer autre chose. La médecine du travail a été présente dans mon département de l'Oise, mais pas partout, alors qu'elle aurait dû être au cœur de la lutte contre le virus.

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Les chefs d'entreprise que j'ai rencontrés dans les Landes étaient impliqués, réactifs, soucieux de leurs salariés ; il est heureux qu'ils aient pu compter sur la solidarité nationale et un dispositif de soutien exceptionnel.

Il faut maintenant un plan de déconfinement économique et social, et chaque jour perdu accroît la fracture, et la facture. Les propositions de M. Asselin sur les secteurs intensifs en main-d'œuvre et les investissements circulaires qui préparent l'avenir me paraissent intéressantes.

Monsieur Roux de Bézieux, cette crise remet en cause un certain modèle économique et nous invite à encourager un esprit d'entreprise plus responsable.

Êtes-vous prêt à vous engager en faveur de la lutte contre l'optimisation fiscale agressive de toutes les multinationales, notamment françaises ? Lorsqu'elles consolident 40 % de leur chiffre d'affaires dans des pays à fiscalité faible ou nulle, c'est aux TPE et aux PME de supporter les impôts dont elles s'exonèrent. Il a été envisagé de conditionner les aides selon ce critère.

Comment envisagez-vous un partage de la valeur ajoutée plus juste dans le monde d'après, et en particulier les écarts de rémunération ?

Les administrateurs salariés pourraient assumer un véritable rôle dans l'entreprise, et contribuer à faire prévaloir le long terme et les stratégies industrielles.

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Les PGE sont remboursables en cinq ans. Cette mesure indispensable nous permet de franchir un cap, mais elle risque de poser des problèmes alors que l'économie peine à redémarrer. Je propose de transformer ces PGE en quasi-fonds propres remboursables sur quinze ou vingt ans. La faiblesse des taux d'intérêt permet à l'État de soulager ces entreprises. Certaines d'entre elles ont emprunté un montant supérieur à leur chiffre d'affaires, leur demander de rembourser trop rapidement n'aurait fait que retarder leur chute.

Quels moyens envisagez-vous pour orienter l'épargne abondante des Français vers les PME, qui auront besoin de vrais fonds propres ?

Une mesure forte est indispensable pour casser les chaînes de contamination économiques. Les factures impayées d'une entreprise créent des difficultés en cascade pour ses fournisseurs. L'État et la sécurité sociale pourraient renoncer à leur rôle de créancier prioritaire. Ainsi, les difficultés d'une entreprise ne seraient pas transférées à cinq ou dix autres au prétexte que l'État s'est servi au passage, et ce dernier serait gagnant car il ne perdrait qu'un contribuable au lieu de dix.

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Nous sommes tous partisans de concilier relance économique et transition écologique. Le plus grand danger à cet égard serait de nous payer de mots.

Certaines mesures de relance sont écologiques par construction, à l'image du programme de rénovation des bâtiments. L'attribution d'aides aux entreprises peut être conditionnée à des engagements écologiques, nous en avons débattu à propos d'Air France. Enfin, les entreprises peuvent considérer que dans la nouvelle donne créée par la crise, elles ont intérêt à transformer leur modèle de production dans le sens d'une accélération de la transition écologique. La polémique engendrée par la suggestion du MEDEF de suspendre certaines normes a fait long feu ; les entreprises que vous représentez sont-elles prêtes à s'engager résolument dans une transformation de leur modèle écologique ?

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Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF

Compenser la réduction des aides à l'activité partielle par une baisse des charges patronales est une bonne idée. Il faut comparer le coût du maintien d'un salarié au chômage partiel à celui de son retour au travail, avec un chiffre d'affaires moindre. La transition ne doit pas être trop brutale : si nous devons supporter 150 % du coût – salaire et charges comprises – avec seulement 50 % du chiffre d'affaires, nous serons tous en exploitation négative.

Nous avons proposé un plan pour l'apprentissage car des mesures urgentes s'imposent, mais ce sont aussi 700 000 jeunes qui vont arriver sur un marché du travail très atone – les nouvelles embauches au mois de septembre seront rares.

Je ne désespère pas que les discussions en cours à l'OCDE sur l'harmonisation de la fiscalité internationale, bloquées par les États-Unis, débouchent. Selon les calculs, les pays à fiscalité normale ou forte – comme la France – en sortiraient gagnants, les paradis fiscaux perdants. Par ailleurs, l'Union européenne a réalisé des efforts significatifs sur la transparence fiscale et les entreprises françaises n'ont pas à rougir de leur comportement.

Avec les autres organisations patronales et trois organisations syndicales, nous avons publié l'an dernier un rapport passé inaperçu sur le partage de la valeur ajoutée. Il fait apparaître que sa répartition entre travail et capital est restée stable au cours des dix dernières années, les seules modifications étant dues au poids des prélèvements obligatoires. Quant à savoir où se situe le bon niveau de partage, le débat est presque philosophique. Les entreprises françaises sont en pointe, devant leurs concurrentes européennes, et plus encore américaines. C'est l'effet du mécanisme de participation, qui induit mathématiquement un plus grand partage de la valeur créée, et qui n'existe nulle part ailleurs.

Je suis prêt à rouvrir la discussion à ce sujet, qui nous a longuement occupés lors des débats sur le projet de loi PACTE. Nous pouvons imaginer de partager la richesse produite grâce à un renforcement du dispositif d'intéressement et de participation, ou à une prime défiscalisée dans les TPE. Mais rappelons que pour partager de la richesse, il faut pouvoir en créer. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup à partager en 2020.

Le montant moyen du PGE est de 160 000 euros, on peut donc estimer que le chiffre d'affaires moyen des entreprises qui ont demandé à en bénéficier est de moins d'un million d'euros. Les PGE seront remboursés en quatre ans, après la première année, il sera donc demandé aux entreprises de rembourser annuellement 6 % de leur chiffre d'affaires. Or l'excédent de trésorerie des TPE en France avant la crise était inférieur à 5 %.

Nous avons un an pour travailler à la création d'un dispositif de quasi-fonds propres, animé par la Caisse des dépôts, qui remplacerait les prêts des banques par des obligations de long terme. Ces obligations devront avoir un rendement raisonnable, qui n'assèche pas les entreprises et leur ôte toute capacité d'investissement. Mais avec un taux d'intérêt de 1,5 %, toujours plus avantageux que la rémunération du livret A ou du fonds en euros, il ne serait pas absurde d'y diriger l'épargne des Français.

Par un courrier, probablement maladroit, nous avons demandé un délai de six mois pour appliquer douze des deux cents décrets de la loi sur l'économie circulaire, car nous avons le sentiment que certaines entreprises ne pourront pas s'y conformer. Ainsi, il ne sera pas simple, compte tenu de la situation, d'appliquer la responsabilité élargie du producteur dans la restauration à compter du 1er janvier 2021. La ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté cette demande, nous en prenons acte.

Les entreprises peuvent être réparties en trois catégories selon leur rapport à la transition écologique.

Les premières ont un intérêt économique à accélérer la transition écologique, car il sert leur modèle d'entreprise.

Pour d'autres, la transition écologique est une contrainte, rendue impérieuse par les exigences de leurs clients, leurs salariés et l'ensemble des parties prenantes. Par exemple, les clients des constructeurs automobiles se détournent des véhicules diesels. Pour ces entreprises, produire décarboné entraîne un coût supplémentaire. Nous devons accepter que la transition écologique ait des conséquences sur les prix de revient, donc sur les prix de vente.

Mais il ne faut pas laisser s'installer une concurrence déloyale au-delà des frontières françaises. Nous nous battons pour convaincre l'ensemble du patronat français et européen de la nécessité d'un mécanisme d'ajustement intégrant le bilan carbone des procédés de fabrication des produits. Sans cela, nous serons perdants sur toute la ligne : nous ne produirons pas de manière à sauver la planète, et nous perdrons des emplois.

Prenons l'exemple du ciment, l'un des secteurs qui émet le plus de CO2. Les technologies pour produire de manière plus vertueuse existent, mais coûtent significativement plus cher. Si les cimentiers européens les adoptent, les frontières européennes ne doivent pas rester ouvertes à du ciment produit en consommant beaucoup d'énergies fossiles. Le MEDEF soutient l'instauration d'une taxe carbone aux frontières, afin de recréer une concurrence loyale en compensant le surcoût de production lié aux quotas carbone. Cette compensation doit également se faire au sein de l'Union européenne, car nous n'avons pas la même trajectoire carbone que certains voisins, notamment d'Europe de l'est. Nous avons besoin des élus pour appuyer cette réforme.

La troisième catégorie d'entreprises regroupe les petites entreprises dont l'activité est historique. Il n'est pas possible de leur tenir le discours schumpétérien selon lequel leur modèle étant dépassé, elles doivent disparaître. Il faut les aider, car elles perdront en rentabilité tout en devant investir pour changer de modèle. Les sous-traitants qui produisent les composants des moteurs diesels sont ainsi dans une situation très difficile, et ils ne peuvent changer de modèle en un claquement de doigts.

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Alain Griset, président de l'U2P

Je suis favorable à la réduction des cotisations patronales. Et pour éviter de sacrifier une génération, il nous semble indispensable d'agir en faveur des nouveaux entrants sur le marché du travail, en particulier les apprentis.

Les entreprises adhérentes à l'U2P ne sont pas réputées pour pratiquer l'optimisation fiscale.

Nous étions en désaccord avec l'exigence d'un accord d'entreprise pour distribuer la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, ou « prime Macron ». Le Gouvernement y a mis fin depuis, mais faute de bénéfices, il n'y a plus rien à partager. Néanmoins, avant que l'accord d'entreprise soit imposé, nos entreprises avaient été les plus nombreuses à accorder cette prime. S'il était possible d'accorder une prime défiscalisée et désocialisée permettant de partager la valeur ajoutée, tout le monde serait gagnant – un tel dispositif devrait être pérenne.

Beaucoup s'inquiètent du taux d'intérêt qui sera appliqué aux PGE après la première année et des modalités de remboursement. Nous ne retournerons pas à une activité économique complète dans les six prochains mois, il faut donc trouver un mécanisme de remboursement plus étalé, à un taux garanti, et suffisamment bas pour que les entreprises absorbent le choc. Permettez-moi de revenir sur les conditions d'attribution du PGE, car la situation est anormale. Il est demandé aux entreprises d'utiliser un prêt de trésorerie pour payer les charges fixes couvrant la période où elles ont dû fermer. Pourtant, l'objet du PGE était de payer les fournisseurs et les charges, pas les frais fixes des entreprises obligées de fermer. Ce n'est pas un cadeau, mais une double peine !

S'agissant de la trésorerie des entreprises et des créances, nous suivons toutes les semaines l'évolution des délais de paiement avec le médiateur des entreprises. Les plus grandes entreprises font leur trésorerie sur notre dos, et nous assistons à un phénomène nouveau : des assureurs-crédits obligent les fournisseurs à exiger des artisans un règlement immédiat. Nous sommes pris en étau, le montant du crédit inter-entreprises dépasse les encours de crédit bancaire. Il faut y remédier.

La transition écologique ne doit pas être punitive pour nos entreprises, et les mesures de transformation de l'économie ne doivent pas être complexes au point d'en devenir inapplicables. Les normes dans le bâtiment l'ont illustré jusqu'à la caricature, le bonus écologique venait à dépendre du côté du mur où l'on posait le robinet… Les kilos de circulaires rendent les mesures inapplicables ; prenez garde aux excès des règlements d'application ! Je me souviens que le président Hollande avait annoncé qu'un milliard serait consacré chaque année à la transformation de l'économie, nous n'en avons jamais vu le millième car le dispositif était inapplicable. La complexité est la pire chose pour nos entreprises, et elle est malheureusement très fréquente dans les normes écologiques.

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François Asselin, président de la CPME

Le coût du travail est un vrai problème. Les accords de branche ou d'entreprise permettent de travailler bien plus de trente-cinq heures par semaine, mais le coût de la trente-sixième heure est rédhibitoire. L'exonération de charges sur les heures supplémentaires a été un énorme succès car le pouvoir d'achat du salarié ne baisse pas, tandis que le coût du travail n'augmente pas de manière inconsidérée.

Il faut prendre des mesures incitatives à l'embauche des jeunes. On sait ce qui fonctionne. Toutefois, les entreprises recrutent principalement en fonction des perspectives, c'est-à-dire du carnet de commandes. La relance doit donc aller de pair avec les mesures de soutien.

Nous travaillons actuellement sur les trois sujets qu'a évoqués Jean-Christophe Lagarde. Nous réfléchissons aux moyens de transformer tout ou partie du PGE, au moment où il doit être remboursé, en quasi-fonds propres. Il pourrait être envisagé de transférer la gouvernance aux régions qui, pour certaines, ont déjà recours à ce type de véhicules d'investissement. Pour aider les entreprises, par exemple celles situées en zone rurale, l'échelon régional apparaît en effet le plus pertinent. Cela étant, nous souhaiterions connaître les modalités de remboursement du prêt.

Il serait de bon sens que l'État renonce à être créancier prioritaire. À quoi sert de contraindre une entreprise à déposer son bilan parce qu'elle ne parvient pas à payer ses charges ? Quant aux 3 millions de travailleurs indépendants, ils assument des dettes personnelles et peuvent être sommés de les acquitter plusieurs mois ou plusieurs années après le dépôt de bilan, ce qui est souvent dramatique – l'Urssaf n'est pas tendre à leur égard. Beaucoup de travailleurs non salariés risquent de connaître ce triste sort : nous demandons donc que ces dettes soient rattachées à la personne morale.

La transition vers le monde d'après sera longue et difficile. Cela étant, on peut accompagner la transformation, comme le propose la CPME avec son plan de relance en trois volets. Il ne faut toutefois pas pécher par naïveté : les pratiques actuelles, marquées par la financiarisation de l'économie, ne disparaîtront pas du jour au lendemain.

Il ne me paraît pas absurde de conditionner l'aide de l'État à la relocalisation à moyen et long terme. Cela étant, l'industrie française a plus délocalisé au cours des vingt dernières années que d'autres pays européens.

Nous ne sommes absolument pas favorables à la décroissance, qui a un caractère désespérant. Toutefois, la croissance peut s'accompagner d'une certaine sobriété. Ainsi, les capitaux qui ne sont pas distribués par l'entreprise pourraient être exonérés fiscalement – par exemple de l'impôt sur les sociétés (IS) –, ce qui lui permettrait de consolider ses fonds propres. Nous faisons cette proposition depuis de nombreuses années. Face aux difficultés, les entreprises qui se sont comportées en écureuil, en privilégiant la pérennité, s'en sortent le moins mal.

Par ailleurs, on ne récompense absolument pas les comportements vertueux. Nombre d'entreprises, parmi lesquelles des PME, se sont engagées en faveur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ce qui laisse malheureusement tout le monde indifférent. L'employeur voit que c'est un outil merveilleux de management, une source de progrès économique et social pour son entreprise, mais les fournisseurs y sont peu sensibles, et les clients encore moins. Quant à l'État, il ignore la démarche. Quand bien même on est labellisé RSE, les agents vont vérifier, en cas de contrôle, qu'on a rempli le bon formulaire au bon moment, sous peine d'être ponctionné d'un pourcentage de la masse salariale, ou de se voir infliger une amende !

La CPME a signé un accord en 2018 avec l'ensemble des organisations syndicales pour encourager les comportements vertueux. L'engagement en faveur de la RSE doit rester volontaire, sous peine de tuer cette démarche. Il faut que la RSE soit expérimentale, car il n'y a pas d'avantages acquis : notre environnement évolue. Les partenaires sociaux ont accepté que l'accord puisse être réévalué tous les trois ou cinq ans, cela semble indispensable. Les entreprises qui s'engagent ne doivent plus être contrôlées deux fois sur des composantes de la RSE, tel un plan sur l'égalité hommes femmes, validé par l'organisme certificateur de la RSE, ou un plan seniors, qui a donné lieu à des entretiens individuels. Par ailleurs, si un crédit d'impôt était accordé à la TPE ou à la PME qui s'engage dans cette démarche, il s'appliquerait à isocoût. Petit à petit, on élèverait la chaîne de valeur. Les donneurs d'ordres publics pourraient attribuer une note technique majorée aux entreprises labellisées RSE.

Depuis vingt-sept ans que je dirige mon entreprise, dont le modèle repose sur l'apprentissage et qui est labellisée Charpente 21 et Menuiserie 21, aucun client ne m'a demandé quel était mon taux de formation ou si mon bois était écocertifié – ou du moins, on n'est jamais venu le vérifier. En revanche, on m'a souvent dit que j'étais trop cher. Je ne regrette pas mes choix, car mon entreprise est toujours vivante, et je pense qu'elle le sera encore demain.

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Je ne reviendrai pas sur le fiasco de la médecine du travail et les dégâts qui ont été causés sur le terrain. Quelles mesures faudra-t-il prendre, à votre sens, pour permettre la relance, et selon quel calendrier ? Si vous ne deviez retenir que deux priorités, quelles seraient-elles ? L'Allemagne a enfin accepté que l'Union européenne engage un plan d'investissement de 500 milliards d'euros, dans un contexte marqué par la désindustrialisation. Que faire pour renforcer les filières de la santé, où l'on a relevé des défaillances considérables, et de la transition écologique, dont les principaux acteurs se trouvent en Asie ? Pensez-vous que cela permettra de créer des milliers d'emplois ? Enfin, que proposez-vous pour assurer la survie des hôtels, des cafés et des restaurants ? Les exigences sanitaires empêcheront beaucoup d'entre eux de redémarrer.

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J'ai rencontré des chefs d'entreprise mobilisés, malgré les difficultés auxquelles ils font face, pour répondre au mieux à la crise en ayant recours à l'innovation et à l'adaptabilité. Il faut le saluer.

Les mesures prises par le Gouvernement ont été essentielles. Les entreprises ayant fait l'objet d'une fermeture administrative vont bénéficier d'une exonération de charges sociales et fiscales, au titre de la période comprise entre le 1er mars et le 31 mai. Ne pensez-vous pas, toutefois, que cette mesure devrait couvrir la totalité de la période de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu'au 10 juillet, et être élargie aux indépendants ? Vous avez évoqué tous les professionnels qui ont poursuivi leur activité, ont perdu beaucoup de chiffre d'affaires mais n'ont droit à aucune aide. La plupart des entreprises ne peuvent bénéficier du second volet du fonds de solidarité car elles ne se sont pas vu refuser le PGE – même si elles n'ont souvent pas obtenu le montant souhaité.

La relance réclamera plus d'agilité, d'adaptabilité et un assouplissement des normes, parfois contraignantes et paralysantes. Quelles sont, à vos yeux, les mesures prioritaires à appliquer pour faciliter la relance ?

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On a perçu l'amertume des PME face au refus des grands groupes d'assurances de couvrir leurs pertes d'exploitation, au motif qu'elles n'étaient pas prises en charge par les contrats. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Les salariés qui ont continué à se rendre au travail, notamment dans les supermarchés, constatent que la prime attendue ne s'élèvera pas à 1 000 euros, comme annoncé initialement par certains chefs d'entreprise, mais à quelques centaines d'euros, car son montant sera proratisé en fonction du temps travaillé. Si l'on veut rétablir la confiance, il faut changer le discours des entreprises. Sanofi ne pourra s'abstraire du bien commun, comme le Président de la République l'a rappelé, le jour où ses chercheurs découvriront un vaccin. Je voudrais recueillir votre point de vue sur cette question de confiance et de responsabilité partagée.

À mes yeux de provincial et de décentralisateur convaincu, originaire du sud de la France, la priorité est d'évaluer avec responsabilité le coût sanitaire, financier, économique et environnemental de la concentration urbaine francilienne et d'y apporter les réponses nécessaires.

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Le jugement d'Alain Griset sur le fonds de solidarité me paraît assez sévère. En quelques semaines, on a créé des dispositifs exceptionnels, que l'on a fait évoluer, grâce, notamment, aux propositions des chefs d'entreprise. On aurait sans doute pu faire mieux concernant le second volet du fonds de solidarité, qui n'est pas encore complet. On attend que plusieurs régions fassent leur part du travail.

Beaucoup de chefs d'entreprise m'ont dit que la crise avait été l'occasion de repenser dans l'urgence leur manière de travailler. Peut-on en tirer des leçons pour l'organisation du travail, la rémunération des professions intermédiaires, la formation, l'évolution des carrières ? Que comptez-vous faire, à titre personnel et dans votre organisation, pour participer à ce mouvement ? Comme je l'ai dit hier aux organisations syndicales, on a une occasion en or de repenser le dialogue social dans une logique de coopération, du type « gagnant-gagnant » plutôt que, comme à notre habitude, selon la méthode du « donnant-donnant ».

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Alain Griset, président de l'U2P

S'agissant du second volet du fonds de solidarité, je ne mets pas en cause les régions, qui instruisent les dossiers, mais je regrette que l'État conditionne son bénéfice au refus de l'octroi du PGE. Nous avons salué l'initiative de l'État tout en déplorant qu'elle ait été ainsi gâchée. On exige du travailleur indépendant qu'il s'acquitte de ses charges fixes bien qu'il ne gagne rien parce qu'on lui a interdit de travailler. Il conviendrait de supprimer cette clause ridicule.

Par ailleurs, nos collègues ont très mal vécu la différence de traitement entre la grande distribution et les indépendants. À titre d'exemple, les jardineries, la grande distribution, les boulangers pouvaient vendre du muguet, mais non les fleuristes. Cela a paru incompréhensible. De même, les parfumeurs de centre-ville devaient rester fermés, tandis que la grande distribution pouvait vendre des cosmétiques. Le risque sanitaire n'était à mon avis pas plus élevé dans les magasins de centre-ville. Un autre exemple concerne les métiers liés à l'animal. Les éleveurs, les dresseurs n'ont pas le droit de livrer un animal ou de recevoir un client si celui-ci réside à plus de 100 kilomètres, alors que c'est parfaitement possible à la SPA. Pourquoi ce traitement différencié ? On a le sentiment que les indépendants sont marqués au fer. Il est de mon devoir de vous dire qu'à côté de mesures louables, des décisions incompréhensibles ont été prises – lesquelles, en l'occurrence, ne sont pas le fait du Parlement.

La situation des hôtels, cafés, restaurants est un crève-cœur : on a l'air de penser qu'il serait normal que 20 ou 30 % de ces établissements ferment. C'est inacceptable. On parle d'hommes et de femmes qui ont mis tous leurs biens, toute leur énergie dans leur commerce. S'il faut respecter un espace de quatre mètres carrés par client, on sait très bien que le chiffre d'affaires sera divisé par deux ou trois, que la rentabilité sera réduite à néant et que les dépôts de bilan surviendront très vite. Soit les établissements sont accompagnés financièrement dans la durée, ce qui n'est pas le modèle économique que nous souhaitons, soit on leur permet de travailler dans des conditions garantissant la rentabilité. Il n'y a pas de solution intermédiaire. On ne peut pas demander à une entreprise, même de très petite taille, de travailler en perdant de l'argent : c'est contraire à tous les principes économiques. Les hôtels pourront sans doute reprendre plus vite, mais ce sera très difficile pour les cafés, et dramatique pour les restaurants. Les garanties sanitaires sont nécessaires, mais on peut mettre en doute la logique des quatre mètres carrés, surtout en comparaison avec ce que l'on voit par ailleurs.

Un grand plan d'investissement pourra être lancé d'ici quelque temps, mais la relance doit être rapide, car les déficits de nos entreprises s'accroissent jour après jour. Les économies de 60 milliards réalisées par les Français offrent l'occasion de les inciter à consommer, tout en veillant au risque inflationniste. Parmi les initiatives récentes, citons l'idée lancée en Région Sud d'émettre des chèques tourisme, ou encore l'élévation du plafond de paiement en grande surface par ticket-restaurant, porté à 95 euros.

On ne peut évidemment limiter l'exonération de charges aux entreprises qui ont fait l'objet d'une fermeture administrative, car certaines sociétés, à l'activité connexe, ont eu un chiffre d'affaires nul, tandis que d'autres l'ont vu diminuer d'au moins 50 % – ces dernières peuvent être aisément identifiées car elles bénéficient du fonds de solidarité. On pourrait raisonnablement envisager une baisse de cotisations sociales proportionnelle à la diminution du chiffre d'affaires. En tout état de cause, il faut nous dire très vite quelles cotisations seront concernées. En l'occurrence, on a créé de l'espoir, avant que le doute s'insinue.

Les agents généraux d'assurances, qui sont adhérents à l'U2P, par le biais de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), ne sont pas en cause aujourd'hui. Bien au contraire, ils doivent gérer le mécontentement de leurs clients, du fait de décisions des grands groupes d'assurance qui ne sont pas comprises par nos entreprises. Beaucoup de nos collègues pensaient, peut-être à tort, être couverts au titre de la perte d'exploitation. Certains contrats s'appliquent, mais ils demeurent rares. Les assureurs répondent qu'ils ne peuvent prendre en charge ces pertes, car cela leur coûterait 60 milliards d'euros. On aurait toutefois apprécié qu'ils manifestent un peu de solidarité. La somme de 400 millions qu'ils ont apportée au fonds de solidarité est loin d'être suffisante au regard de leurs capacités. Nous avons été témoins de nombreux gestes de solidarité. En l'occurrence, les assureurs n'ont pas été solidaires des entreprises. La déception engendrée risque de peser dans la relation quotidienne qu'ils entretiennent avec leurs clients, pour l'assurance de leurs véhicules, de leur maison, de leurs économies. Les assureurs auraient pu, par exemple, renoncer à trois ou quatre mois d'échéance sur l'assurance – hors vol et incendie – des véhicules professionnels, qui ont peu ou pas roulé. Ne pas avoir pensé à cette mesure, qui aurait été très appréciée des entreprises sans mettre les assureurs à plat, relève presque de la maladresse. Je ne désespère pas qu'ils rectifient le tir.

Enfin, moi qui suis du Nord, monsieur Habib, je pense aussi qu'il faudrait revenir sur une certaine vision parisianiste des choses.

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François Asselin, président de la CPME

Je rejoins les propos d'Alain Griset sur l'accompagnement des hôtels, cafés et restaurants. Les normes fixées font peser une lourde menace sur la rentabilité de l'activité et suscitent une profonde inquiétude. De nombreux professionnels ont contribué à l'élaboration des guides de bonnes pratiques. Puis, à la veille du déconfinement, des normes de niveau supérieur ont été définies, qui contredisaient parfois les précédentes ou s'ajoutaient à elles, suscitant du découragement chez beaucoup de chefs d'entreprise. Ces règles n'ont pas fait l'objet de la moindre concertation. Si ces contraintes devaient durer, il conviendrait d'inclure les corps intermédiaires dans la réflexion.

J'ai demandé, dès la mi-mars, dans une lettre adressée à la Fédération française de l'assurance (FFA), comment seraient prises en charge les pertes d'exploitation. Il y va, ici, de la responsabilité des compagnies d'assurances. Malgré plusieurs relances, j'ai attendu six semaines l'appel de la présidente de la FFA, qui m'a indiqué que les assureurs apportaient beaucoup d'argent au fonds de solidarité. Je lui ai répondu qu'ils auraient dû avoir pour priorité de s'adresser, non au Gouvernement, mais à leurs clients. S'ils avaient fait cette démarche, cela ne leur aurait sans doute pas coûté plus cher que ce que l'État va leur demander et ce qu'ils devront débourser pour se racheter une conduite vis-à-vis de leurs clients.

Cela étant, de nombreuses compagnies d'assurances ont proposé spontanément à leurs clients de les exonérer de certaines primes, tout en maintenant le bénéfice des garanties : cela a été le cas, par exemple, pour les flottes de véhicules. Par ailleurs, on s'est aperçu que des contrats couvraient le champ épidémique, ce qui explique que certaines compagnies soient revenues vers leurs clients pour leur proposer un dédommagement forfaitaire – en cas de recours, elles auraient dû couvrir les pertes d'exploitation. Je regrette que certaines compagnies aient couvert ailleurs ces pertes pour les hôteliers restaurateurs, comme en Allemagne, mais qu'elles ne l'aient pas fait en France. Si elles revenaient sur leur décision, cela rassurerait beaucoup d'entreprises qui ne savent pas comment redémarrer : l'exploitation perdue ne sera en effet jamais récupérée.

Quant au dialogue social, il n'a jamais été aussi dense au sein des entreprises. Si nous n'avions pas dialogué quotidiennement avec nos salariés, pas un seul d'entre eux ne serait revenu travailler. Du fait de toutes ces difficultés, jamais le ménage n'a autant été fait, et la propreté des sanitaires sur les chantiers correspond enfin à ce qu'on est en droit d'attendre. Je souhaite que ce niveau d'hygiène soit maintenu, car les conditions de travail en sont grandement améliorées.

Certes, toutes ces mesures sont un peu pénibles mais une discipline individuelle et collective se met en place. Elles représentent toutefois un surcoût important, direct et indirect. J'ai fait le calcul pour mon entreprise : en tant que menuisiers charpentiers, mes salariés et moi sommes obligés d'utiliser des masques FFP2 à cause de la poussière. Pour chaque salarié, cet équipement coûte 10 euros hors taxe par jour, soit 2 000 euros par mois pour dix salariés travaillant vingt jours ouvrables. Sur les chantiers, le surcoût indirect généré par les gestes barrières varie de 7 à 20 %. En d'autres termes, si je n'arrive pas à m'entendre avec les clients, publics ou privés, concernant les contrats signés avant l'épidémie, mon entreprise est condamnée.

Cet exemple vous donne une idée des enjeux auxquels nous, entrepreneurs, sommes confrontés. Il faudrait concevoir un dispositif automatique pour apaiser les tensions entre maître d'ouvrage et entrepreneur, notamment dans le cadre de la commande publique, par exemple en établissant un partage des coûts des équipements de protection.

S'agissant du plan de relance, sa priorité doit être bien évidemment le soutien aux plus fragiles, c'est-à-dire les petites et très petites entreprises. Elles doivent être assurées que la poursuite d'activité ne les mènera pas au dépôt de bilan, qu'elles pourront remplir leur carnet de commandes. Malheureusement, on ne maîtrise pas le comportement des consommateurs, mais l'objectif est bien d'agir en matière de pouvoir d'achat et d'investissement pour orienter la consommation et l'épargne des Français vers les entreprises.

Il me semble que le moyen le plus efficace pour relancer l'économie est de remettre tout le monde au travail. J'ai été choqué que des pans entiers de notre pays s'arrêtent alors même que le télétravail aurait pu permettre une poursuite de l'activité. Dans certaines collectivités, tout s'est interrompu, notamment au sein des services d'urbanisme. Or, un permis de construire en attente de validation, c'est du travail en moins pour les entreprises qui en ont besoin.

Le service public doit continuer d'être au service du public. À cet égard, je tiens à saluer l'action remarquable des agents administratifs qui ont continué à notifier les marchés, à envoyer des ordres de service, évitant ainsi la mise en chômage partiel de salariés d'entreprises ; j'en ai d'ailleurs fait part à l'exécutif, car j'aurais aimé que ce soit une maladie contagieuse.

De la même manière, je regrette qu'on ait des difficultés à faire revenir les enseignant leurs établissements, même si ce qui leur est demandé est compliqué à mettre en œuvre, car cela a des répercussions économiques : de nombreux salariés doivent rester à leur à domicile pour garder leurs enfants.

Ce constat montre la nécessité d'une réflexion de fond, car nous avons réellement besoin d'un service public efficace.

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En l'occurrence, la plupart des ordres de services émis par les collectivités locales durant le confinement notifiaient l'arrêt des chantiers plutôt que leur poursuite.

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Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF

Je vois deux priorités pour la relance : la souveraineté et la transition écologique.

Le terme de souveraineté, revenu récemment en grâce, n'était pas si usité lorsque j'ai créé à mon arrivée au MEDEF en juillet 2018 le comité souveraineté et sécurité économiques des entreprises. Il s'agissait alors de prendre acte du fait que l'éclatement des chaînes de valeurs avait atteint un niveau critique, aux plans macroéconomique et microéconomique, ce qui a pu entraîner durant la crise des pénuries et une désorganisation de la production. Si la mondialisation a créé des richesses, bénéficiant notamment aux pays émergents, il faut toutefois revenir partiellement sur cette fragmentation.

Une telle réorganisation ne saurait être menée par une politique dirigiste. Elle nécessite une prise de conscience et une action au moyen d'incitations, de signaux par les prix et par la fiscalité. En tous les cas, la souveraineté n'est plus un gros mot au MEDEF.

Si l'industrie a été délocalisée, c'est d'ailleurs parce qu'elle a été trop lourdement taxée, en particulier par les impôts de production, qui sont beaucoup moins élevés en Allemagne, par exemple. Pour relocaliser, il faut donc aborder le sujet de la fiscalité locale, même si la baisse attendue de l'assiette fiscale des régions, des départements et des communes risque d'amputer leurs ressources.

Prenons le cas des masques : alors que l'on n'en fabriquait plus, près de 300 entreprises françaises se sont converties dans l'urgence et vendent aujourd'hui des pièces lavables en tissu à un prix qui leur permet de couvrir leurs coûts de production. Mais ne nous y trompons pas : dans six mois, lorsqu'il n'y aura plus de pénurie et que les marchandises circuleront de nouveau, le prix mondial des masques baissera et nos coûts de production seront toujours dix fois plus élevés que ceux des pays émergents.

Il convient donc de définir quelles sont les productions stratégiques, et de s'interroger sur le niveau de nos coûts de production, donc des impôts qui pèsent sur celle-ci. L'objectif n'est pas de faire concurrence aux pays à faible coût de main-d'œuvre mais d'encourager notre industrie grâce à une fiscalité idoine et à des signaux prix.

La deuxième priorité de la relance est l'accélération de la transition écologique, que nos concitoyens appellent de leurs vœux. À nouveau, pour s'engager dans des investissements coûteux, il faut envoyer le bon signal prix. Or, à 30 dollars le baril, le prix du pétrole est un mauvais signal : les investissements dans des énergies renouvelables ou la migration des systèmes énergétiques ne sont pas compétitifs. C'est une des données du problème, sans que l'on sache d'ailleurs si ce niveau sera pérenne.

S'agissant du dispositif d'exonération de charges, il faut l'améliorer pour les secteurs connexes, mais le vrai problème tient au fait qu'une partie de notre économie sera durablement dans le rouge à cause des mesures sanitaires. Si celles-ci sont maintenues telles quelles pendant vingt-quatre mois, je ne vois pas comment on s'en sortira. Et personne ici ne considère qu'être payé par l'État pour perdre de l'argent soit une solution.

En revanche, nous pouvons, en concertation avec les organisations syndicales et le ministre du travail, reprendre mesure par mesure les guides sanitaires élaborés dans l'urgence par nécessité afin de les optimiser, de les assouplir pour rendre leur application moins coûteuse tout en préservant un même niveau de sécurité sanitaire. Le benchmark européen que nous avons demandé pour chaque secteur devrait nous aider dans cette tâche.

Dans l'article publié à partir de l'entretien que j'ai donné au Financial Times la semaine dernière, le journaliste a retenu pour son titre l'idée de la fin du monopole de l'Île-de-France. J'ai émis, avec beaucoup de prudence, l'hypothèse que l'une des conséquences de la pandémie serait le ralentissement, voire le renversement de la métropolisation de l'économie.

À mon arrivée au MEDEF, partant du constat que 80 % des emplois créés ces dix dernières années l'avaient été dans neuf de nos vingt-deux métropoles, j'ai créé la commission croissance et territoires. Dans tout le monde occidental, les emplois se concentrent en effet dans les grandes métropoles internationales et universitaires. Si cette polarisation peut fonctionner à Singapour, elle n'est pas acceptable socialement et démocratiquement dans un État qui compte 67 millions d'habitants et 36 000 communes. Certaines observations laissent penser que cette tendance pourrait s'inverser, même s'il faut lire ces signes avec précaution. Une partie de ma famille étant originaire de Châtellerault, je sais combien il est difficile de créer de l'emploi qualifié dans des villes moyennes qui n'ont pas d'atout particulier à faire valoir.

Il me paraît nécessaire d'ouvrir une réflexion sur les moyens d'encourager ce mouvement, et la pandémie a montré que l'État centralisateur était moins agile à prendre des initiatives que les acteurs de terrain, entreprises ou élus locaux.

Concernant l'organisation du travail, des effets positifs ont été observés, mais le télétravail a aussi laissé de côté certains salariés, dont le rôle dans l'entreprise a été minoré. Et si la période a vu le dialogue social s'intensifier, il est trop tôt pour savoir si celui-ci en sortira durablement apaisé.

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Que pensez-vous de l'application d'un taux de TVA de 5,5 % au secteur des hôtels, cafés et restaurants pour améliorer les marges dans un contexte dégradé ?

Comment articuler la sortie du chômage partiel avec le dispositif présenté par l'UIMM, qui vise à diminuer le temps de travail des salariés en contrepartie du maintien dans l'emploi et d'une compensation de la perte de rémunération par l'État ou l'Unédic ?

Pour rendre possible la relocalisation industrielle, voyez-vous d'autres conditions que la baisse des impôts de production ?

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« On ne met pas […] du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, les outres se rompent […]. » La citation biblique n'aura jamais paru si actuelle.

Nous n'avons pas tiré les enseignements de la crise de 2008, qui était une invitation à réguler les marchés financiers. Les inégalités se sont creusées de façon considérable depuis lors : il y a en France quatre fois plus de milliardaires, et leur fortune a été multipliée par cinq – elle s'établissait l'an dernier à 329 milliards d'euros. Nous décrochons de façon très dangereuse par rapport à tous nos objectifs environnementaux et la catastrophe est inévitable. La crise des gilets jaunes nous a fait frôler l'insurrection, puis la réforme avortée des retraites est venue creuser le déficit du dialogue. Après la crise sanitaire, la grande crise économique risque d'être terrible, avec son cortège de chômeurs et les révolutions des modes de consommation. Amazon, qui ne paye pratiquement aucun impôt, prend des parts de marché au commerce traditionnel, lequel s'acquitte auprès du fisc français de 47 milliards d'euros par an au titre de plus de 90 taxes. Ce déséquilibre menace de détruire le commerce et l'artisanat.

Faire redémarrer l'économie est une priorité, mais répéter les erreurs passées sans tirer les leçons des crises antérieures, c'est creuser les tombes. Laurent Berger s'est dit hier, ici même, favorable à un Grenelle du développement humain, convaincu de la nécessité d'offrir une vision globale associant tous les corps intermédiaires. Considérez-vous que c'est une priorité ? Une chose est sûre : les vieilles outres ne tiendront pas longtemps, et c'est un parlementaire centriste qui vous parle.

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Qui parle des outres n'est jamais dans l'outrance !

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Si nous sommes familiers des difficultés relatives à la demande, nous sommes moins habitués à ce que l'offre soit bousculée. Les coûts d'adaptation aux gestes barrières, la reconstitution des fonds de roulement, le niveau d'endettement sont autant de freins à une reprise rapide des entreprises qui auraient un carnet de commandes.

Selon vous, les ruptures d'approvisionnement vont-elles s'aggraver ou, au contraire, s'atténuer ? Les entreprises parviennent-elles à trouver la main-d'œuvre nécessaire ? Le cas échéant, pensez-vous que des mesures ciblées pour les secteurs concernés seraient utiles, ou estimez-vous préférable de s'en tenir à des mesures générales ?

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Les financements interentreprises sont cruciaux, particulièrement en période de crise. Or la plupart des assureurs-crédits auraient procédé à des révisions des montants de couverture, ce qui bloque la chaîne de paiement et crée des difficultés de trésorerie pour les entreprises. Avez-vous des informations sur le sujet ? Des études sont-elles en cours ?

Les services aux entreprises rassemblent des activités souvent externalisées et peu valorisées. La crise a pourtant montré que celles-ci étaient essentielles au maintien de la chaîne de production : les salariés des sociétés de nettoyage, de maintenance et d'informatique, en première ligne, ont permis la poursuite de l'activité dans de nombreux secteurs. La crise n'appelle-t-elle pas à restructurer l'économie de service ? Grâce au rapprochement des métiers, à l'innovation, à la formation, les salariés pourraient s'insérer dans un vrai parcours professionnel.

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François Asselin, président de la CPME

Une démocratie moderne a besoin de corps intermédiaires constitués et placés en position de responsabilité pour faire accepter au plus grand nombre les réformes nécessaires. Or les organisations patronales que nous représentons n'ont pas renversé la table depuis de nombreuses années. J'approuve l'idée d'un Grenelle du développement humain, mais comment lui donner chair si nous nous enferrons dans cette stérilité collective ?

À la CPME, voilà deux ans que nous travaillons à refonder le paritarisme, à imaginer un nouveau contrat social. Pour que les corps intermédiaires jouent pleinement leur rôle, ils doivent être mis en position de responsabilité, d'indépendance et de transparence. Cela suppose l'interdiction de l'endettement des organismes en gestion paritaire, l'adoption de règles strictes concernant la dette, la suppression de la garantie de l'État, toutes propositions que nous avions avancées dans le cadre de la réforme des retraites.

Quand on s'arc-boute sur des avantages acquis, du côté tant syndical que patronal, alors que le monde autour de soi ne cesse d'évoluer, on ne rend service à personne, et surtout pas à ceux dont on est chargé de défendre les intérêts. La réforme du paritarisme s'impose donc, pour faire de ses acteurs une force efficace qui soit au rendez-vous de l'histoire.

Concernant la main-d'œuvre, certains secteurs auront des besoins, d'autres connaîtront une pénurie. Un des leviers à notre disposition est le prêt de main-d'œuvre, qu'une ordonnance permet de faciliter. Si cette possibilité est encadrée de manière souple, elle peut être utile à beaucoup de salariés et d'entreprises.

Le levier de la formation professionnelle pourrait également être activé, à condition d'améliorer ce volet. Selon France compétences, le compte personnel de formation (CPF) a été utilisé durant le confinement par 1 % des ouvriers, 2 % des employées, techniciens et agents de maîtrise, 3,5 % des cadres. Je m'attendais au contraire à ce que ces chiffres explosent ! C'est un échec cuisant. Ne faudrait-il pas redonner la main aux chefs d'entreprise pour renouer avec les plans de formation, qui fonctionnaient très bien ? Le problème du CPF, c'est qu'il est monétisé et propre au salarié, qui estime donc que c'est à lui de décider ce qu'il en fait.

Il y a en outre un énorme problème : les entreprises de taille intermédiaire – entre 50 et 300 salariés – continuent de payer la mutualisation de la formation sans avoir de retour sur investissement. Il faudrait réorienter les fonds du plan d'investissement des compétences (PIC) vers les ETI pour réactiver les plans de formation.

Le dispositif renforcé de FNE-formation pour les entreprises dont l'activité est ralentie ou arrêtée permet une prise en charge des coûts de formation des salariés en chômage partiel. Il faudrait l'élargir et en faire davantage la promotion.

Je n'ai plus de remontées du terrain sur des ruptures d'approvisionnement. Toutefois, pour certaines commandes de masques FFP2, les dates de livraison ne sont plus indiquées. Il faut veiller à ce que leur fourniture reste fluide, car sans cet équipement, une entreprise peut rapidement être condamnée à la fermeture.

De nombreux salariés de notre pays exercent des métiers modestes. Parmi eux, certains sont parvenus, à force de volonté et grâce à leur potentiel, à s'élever dans la société jusqu'à devenir chefs d'entreprise ; c'est le cas de beaucoup d'artisans. Or, il est parfois peu motivant pour un jeune d'imaginer qu'en vingt ans de métier, il n'évoluera pas et conservera toujours le même salaire. Invisibles par temps normal, ces tâches se sont avérées essentielles et doivent être valorisées.

À nouveau, du temps où les chefs d'entreprise avaient la main sur les plans de formation, ils étaient en mesure de jouer les stratèges et de distiller auprès de leurs salariés des informations utiles pour l'orientation de leur carrière. C'est cette maîtrise du parcours professionnel qu'il faut retrouver.

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Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF

La TVA à 5,5 % dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants est probablement une bonne solution, mais Bercy semble opposé à toute mesure sur la TVA.

Le dispositif sur lequel nous avons travaillé avec l'UIMM s'adresserait plutôt aux grandes entreprises industrielles. Il s'agit d'une alternative au chômage partiel. Une entreprise exposée à une baisse de la demande pendant douze mois pourrait diminuer le temps de travail en contrepartie du maintien de l'emploi et des compétences. L'État compenserait la baisse des rémunérations.

Il peut y avoir des relocalisations stratégiques : l'État pourrait décider par exemple qu'il faut des producteurs de masques français, en garantissant des achats annuels. Mais c'est plutôt le modèle minoritaire. Il est très difficile de résumer en une minute les raisons qui expliquent les délocalisations et le fait que la France ait moins bien conservé son industrie que l'Italie ou l'Allemagne. Certes, le coût du travail joue, mais de moins en moins car son poids dans la valeur ajoutée industrielle a baissé en raison de la robotisation. Ce sont bien les impôts payés sur le chiffre d'affaires qui ont fait la différence.

Laurent Berger propose un Grenelle du développement humain. Cette méthode, très française, qui consiste à réunir tout le monde a été employée à de nombreuses reprises sous le quinquennat de François Hollande, avec peu de succès. Lors de ces réunions nationales, les discours sont assez convenus, chacun campant sur ses positions. Si les problématiques sont communes entre un artisan adhérent à l'U2P, l'Oréal et une start-up du sentier, les modèles d'organisation et les dynamiques sont différents. C'est au niveau des branches, même si on doit revoir leur périmètre, que l'on doit pouvoir imaginer des solutions. C'est d'ailleurs ce qui vient de se passer, les solutions à la reprise du travail ayant été trouvées au niveau des branches et dans les entreprises.

Il est faux de dire que l'on n'a pas tiré les leçons de la crise financière de 2008. Cette crise, comme celle de 1929, résultait d'un excès de spéculation dans les banques américaines. On constate aujourd'hui que le système financier a continué de financer l'économie. Les régulations et les systèmes d'alerte ont fonctionné ; les marchés financiers et les systèmes bancaires ont tenu et les entreprises continuent de se financer sans difficulté.

S'il y a eu quelques tensions en matière d'approvisionnements au mois de mars, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Les entreprises rencontraient de grandes difficultés de recrutement dans beaucoup de métiers avant la crise, ce qui explique la baisse du taux de chômage, qui était de 7,8 % à la mi-mars, au plus bas historique depuis dix ans. Malheureusement, la disponibilité de main-d'œuvre ne constituera plus un problème, même si elle peut se ressentir exceptionnellement dans certains secteurs.

Le crédit interentreprises, surveillé comme le lait sur le feu par le comité de crise, a plutôt bien tenu, contrairement à ce qui s'est passé en 2009. Il y a eu des débordements, quelques grandes entreprises ayant envoyé des lettres circulaires tout à fait condamnables, et que nous avons condamnées. Nous avons fait passer le message : si les entreprises ont obtenu le PGE, ce n'est pas pour ne pas payer leurs fournisseurs.

L'attitude des quelques compagnies qui tiennent le marché de l'assurance crédit pose problème, puisqu'elles ont rapidement dégradé les notes, y compris celles de grandes entreprises. Nous avons fait une suggestion à Bruno Le Maire, qui l'a accueillie mais ne l'a pas encore concrétisée. Comme on sait déjà que les 300 milliards de garantie de l'État ne seront pas consommés, une partie pourrait servir à garantir les échanges, en obligeant les assureurs crédit à prendre leur part de risque, y compris à l'export où le dispositif instauré est insuffisant.

J'en viens à la revalorisation des « premiers de tranchée » et des métiers de service. Vous avez raison, une économie de services à bas coûts s'est développée. Le problème est que les marges sont très faibles dans ces secteurs : pour augmenter les salaires des agents de nettoyage ou de sécurité, il faudrait pouvoir augmenter le montant des prestations. Le sujet est plus large, car nous avons tous, producteurs et consommateurs, développé une économie low cost. Je ferai le lien avec ce qui s'est passé lorsque l'on a demandé aux grandes surfaces de vendre des fruits et légumes français : le prix des fraises a augmenté de 10 % car il est plus cher de produire et de ramasser une fraise en France. Nous sommes devant des choix de société : sommes-nous prêts à payer le prix pour permettre aux agriculteurs français de vivre décemment ? Les consommateurs auront-ils changé de comportement durablement ? Comment faire pour recréer de la valeur dans une économie qui ne peut pas être qu'à bas coûts ? En disant cela, je botte en touche, mais on ne peut pas imaginer une forte revalorisation de ces salaires dans la durée sans une revalorisation des prestations.

Dans ces métiers, pour lesquels on recrute sans diplôme, l'ascenseur social et la promotion interne qui existaient dans les années quatre-vingt fonctionnent moins bien. Avec l'aide de la grande distribution et de quelques fédérations qui recrutent beaucoup de non diplômés, nous avons lancé au mois de février un baromètre de l'ascenseur social qui permet de voir, à partir de cohortes de recrutement, si ces métiers donnent lieu ou non à de la promotion interne. On sait par exemple qu'un pourcentage significatif de directeurs d'hypermarchés ont commencé en tant que chefs de rayon. Les parcours professionnels peuvent-ils être mieux valorisés, accélérés, de façon que des perspectives de carrière compensent les faibles salaires au départ ? Ce sont des choses sur lesquelles il sera difficile d'agir rapidement, mais nous devrons nous inspirer des enseignements de la pandémie.

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Alain Griset, président de l'U2P

Comme François Asselin, il me paraît indispensable de revoir avec l'État le rôle et les missions réellement confiées aux partenaires sociaux. Quand on nous dit qu'on gère une structure, il est important de savoir jusqu'où on la gère et si on nous permet de la gérer vraiment. Dans certaines caisses d'assurance maladie, nous sommes présents, mais notre pouvoir d'intervention est faible. Je confirme que pendant cette crise, malgré la dureté de la situation, nous avons beaucoup échangé et le fait est que nous n'avons pas connu de problèmes sociaux majeurs dans les entreprises. Pour résumer, lorsque l'on nous fait confiance, cela ne fonctionne pas si mal.

On dit souvent que la baisse de la TVA influe sur les prix et permet d'augmenter la consommation. Je serai plus nuancé, car les contraintes sanitaires qui seront imposées aux hôtels, cafés et restaurants ne leur permettront de toute façon pas d'accueillir davantage de clients. Par ailleurs, la TVA étant un impôt que l'on collecte avant de le rendre, sa réduction ne fait pas gagner de marges à l'entreprise. Il convient de s'interroger plus généralement sur le modèle auquel le secteur devra se conformer, quasiment incompatible avec l'équilibre économique de ces sociétés.

Le modèle économique de la grande industrie n'est pas celui des indépendants. Dans les industries, la robotisation a allégé le poids du coût du travail, tandis que pour nos adhérents, le coût du travail représente l'essentiel des charges de l'entreprise. Si nous devons engager la réflexion à laquelle nous invite M. Pancher, il faudra prendre en compte la taille des entreprises. Trop souvent les mesures prises sont verticales, sans distinction des modèles. En France, c'est l'État qui assume les difficultés, tandis qu'aux États-Unis, où il y a eu 30 millions de chômeurs en deux mois, c'est l'individu, avec toutes les conséquences qui en découlent. Il est nécessaire de revoir le modèle des entreprises à forte densité de main-d'œuvre pour qu'on puisse les développer.

Si l'on met de côté la question des masques, nous n'avons pas de problèmes d'approvisionnement.

Au mois de février, la principale préoccupation des entreprises était de trouver de la main-d'œuvre qualifiée – d'où l'importance de la formation et de l'apprentissage. Le problème ne se pose plus car il n'y a pas de travail, mais il sera peut-être à nouveau d'actualité dans six mois ou un an. C'est pourquoi nous sommes très attentifs à ce que la chaîne de la formation ne casse pas.

Le modèle de l'assurance-crédit pose beaucoup de questions, les dégradations de notes ayant des conséquences sur les prêts bancaires. On a évoqué, avec Bruno Le Maire, l'idée de neutraliser plus ou moins la période de crise sanitaire dans la notation des entreprises, car elles pourraient être très pénalisées alors qu'elles ne sont pas directement responsables de ce qui s'est passé. C'est une piste de réflexion.

Paris, Lille ou Marseille sont des villes fantômes sans artisans, commerçants, ou professions libérales. Nous avons tous intérêt à permettre aux bouchers, aux charcutiers, aux boulangers, aux médecins libéraux, qui ont été indispensables pendant la crise sanitaire, de continuer à se développer et d'être rentables, afin que chacun puisse gagner sa vie.

La répartition de la valeur est un élément capital. Mais le consommateur est-il prêt à payer un coût supplémentaire ? N'oublions pas, outre le coût de la prestation, les taxes et impôts qui font qu'au final le prix est élevé. Nous espérons à l'U2P que nous parviendrons collectivement à tirer profit de cette crise pour que nous allions de l'avant, que nos entreprises soient plus fortes demain et que notre pays fonctionne encore mieux.

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Je vous remercie pour la qualité et la précision de vos réponses. Vous avez dessiné des perspectives qu'il sera très utile de reprendre lorsque cette mission parlementaire se transformera en commission d'enquête parlementaire. L'objectif ne sera pas de trouver des coupables mais des solutions, après avoir fait le bilan de ce qui a marché et de ce qui a moins bien fonctionné.

La réunion s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.