Intervention de Alain Griset

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Alain Griset, président de l'U2P :

Pour les trois millions de travailleurs indépendants que j'ai l'honneur de représenter, la crise a occasionné un double stress : à la crainte de la maladie s'est ajoutée la peur de perdre l'entreprise qu'ils ont créée. Nous avons ouvert une plateforme réunissant une trentaine de psychologues, pour répondre aux appels de collègues anxieux voire plongés dans une détresse extrême.

Notre pays est habitué à faire des plans – pour l'automobile ou l'aéronautique par exemple – mais pas pour les indépendants, qui exercent des métiers très variés. C'est un tort : nous avons besoin d'un plan global les concernant car il existe de nombreux trous dans la raquette.

Nous avons contribué à la mise en œuvre des quatre piliers que sont le chômage partiel, le PGE, le fonds de solidarité et le report de cotisations sociales. Ces mesures étaient indispensables pour permettre à nos collègues de tenir pendant le confinement, et je remercie le Gouvernement et le Parlement de les avoir mises en place ; néanmoins, et c'est un mal français, il n'est pas toujours simple d'accéder aux dispositifs.

Ainsi, le premier niveau du fonds de solidarité – une aide pouvant aller jusqu'à 1 500 euros – est facile d'accès, et 900 000 de nos collègues en ont bénéficié par le site gouvernemental des impôts. Mais les choses sont plus compliquées au second niveau. D'abord, l'automaticité n'existe plus puisque la demande doit être traitée par la région. Ensuite, seules les entreprises employant au moins un salarié étaient éligibles au départ. Après de longues discussions et avec le soutien de Bruno Le Maire, nous avons obtenu que les indépendants qui ne sont pas dans ce cas – la moitié de nos adhérents – aient tout de même accès à cette aide. Toutefois, elle n'a été octroyée qu'à ceux qui avaient essuyé un refus de PGE : quelques dizaines de milliers d'entrepreneurs seulement ont donc bénéficié de ce soutien pouvant aller jusqu'à 5 000 euros, alors que nous avions compris que nous pourrions tous en profiter. Nous demandons donc à nouveau l'ouverture du dispositif à l'ensemble des entreprises, notamment celles qui ont été fermées par décision de l'État, car il est proprement injuste que leurs frais fixes ne puissent être pris en charge alors qu'elles n'ont pas eu le droit de travailler.

Cela me permet d'évoquer un des principaux trous dans la raquette : les indépendants qui n'ont pas été obligés d'arrêter leur activité, mais qui ont fait zéro recette. Je pense aux photographes, qui ne sont ni dans le plan restauration ni dans le plan événementiel mais qui travaillent sur les événements et les mariages, ou au cas presque caricatural des traiteurs, qui ne sont pas inclus dans le plan visant les hôtels, cafés, restaurants ; ceux qui sont aussi bouchers ou charcutiers n'ont droit à aucune aide. Qui plus est, comme le fonds de solidarité est destiné aux entreprises de moins de dix salariés et réalisant moins d'un million de chiffre d'affaires, celui qui emploie onze salariés et dont le chiffre d'affaires atteint 1,2 million passe à côté de toutes les mesures de soutien. On voit bien les limites de ces dispositifs : ils procèdent de bonnes intentions mais sont toujours contraints par telle ou telle règle administrative qui vient entraver leur application. C'est pour nous très pénible et frustrant.

On nous a dit il y a une quinzaine de jours que les cotisations sociales feraient l'objet d'exonérations pour les indépendants qui ont été forcés d'arrêter leur activité. Mais on ignore encore le périmètre et la base de cette mesure : concerne-t-elle les allocations familiales, les cotisations d'assurance maladie ou retraite, la CSG, la CRDS ? S'agit-il des cotisations sur la base des revenus de 2019, de 2020 ? On laisse tomber ceux qui avaient le droit de travailler mais qui n'ont rien gagné ainsi que ceux qui ont perdu plus de 50 % de leur chiffre d'affaires et devront payer à un moment donné leurs cotisations. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.

Si nous voulons accompagner les indépendants, il faut aller jusqu'au bout ; le risque est réel d'une hécatombe complète au dernier trimestre qui produirait une explosion catastrophique du chômage. L'investissement massif dans le financement du chômage partiel n'aura servi à rien s'il aboutit dans quelques mois à du chômage total.

Le sujet de la reprise devra être tranché politiquement, car des problèmes de rentabilité vont se poser. Contrairement aux très grosses entreprises, la plupart des indépendants ne peuvent se permettre de travailler en perdant de l'argent plusieurs mois de suite. Nombreux sont ceux qui verront leur chiffre d'affaires diminuer – même les coiffeurs, qui font face à une demande importante, ne pourront pas servir le même nombre de clients qu'auparavant –, tout en devant faire face aux surcoûts liés aux mesures sanitaires. Petites ou grandes, ces entreprises auront tendance à augmenter leurs tarifs, entraînant la grogne des consommateurs et créant un problème social majeur. Il faut donc les accompagner de façon continue, de façon à passer cette difficulté.

Par ailleurs, Les Français ont économisé à peu près 60 milliards en trois mois. La reprise de la consommation et la relance de l'économie dépendront du fait qu'ils les dépensent ou non.

Enfin, on a évoqué la responsabilité pénale des employeurs, mais nos collègues pourraient aussi être attaqués par leurs clients : un garagiste m'a ainsi expliqué que sur douze clients reçus en une journée, trois lui avaient demandé de les assurer que leur véhicule ne serait pas infecté par le coronavirus lorsqu'il le leur rendrait. Nous sommes d'accord pour assumer nos responsabilités, mais, à partir du moment où nous respectons les contraintes sanitaires très strictes, nous ne voulons pas voir notre responsabilité pénale engagée. Le juge restera libre de choisir, mais la loi doit nous apporter cette garantie.

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