C'est à la commission des lois qu'ont été renvoyés les trois textes relatifs à l'état d'urgence sanitaire adoptés pendant le confinement : les deux lois dites « d'urgence » du 23 et du 30 mars 2020 et la loi du 11 mai prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Notre commission a donc d'emblée été invitée à mesurer les conséquences de la pandémie, à appréhender les mesures qui devraient être prises pour y faire face et à expérimenter des méthodes de travail adaptées au contexte épidémiologique.
En confiant aux huit présidents de commission la fonction de co-rapporteur, la mission d'information a souhaité assurer une articulation cohérente de ses travaux avec ceux des autres organes de l'Assemblée nationale. Cela répondait à une nécessité car il n'était pas non plus concevable que les commissions baissent la garde : leurs travaux répondent aussi à des exigences démocratiques.
Les contours de l'intervention de la commission des lois ont été définis par son bureau, réuni le jeudi 2 avril. Notre travail s'est déployé, en visioconférence, tout au long du mois d'avril et dans la première partie du mois de mai autour de cinq séquences thématiques qui n'ont été interrompues que pour mener à bien des activités législatives. Alimentées par l'audition d'une trentaine de personnalités, elles ont porté successivement sur l'utilisation des innovations numériques pour lutter contre l'épidémie, les risques en milieu carcéral, les enjeux de la sécurité, le rôle des collectivités territoriales et le fonctionnement de la justice. Chacune a donné lieu à une synthèse restituée aux membres de la commission des lois et à la mission d'information.
Je vais revenir, de façon nécessairement synthétique, sur leurs conclusions qui ont fait apparaître – c'est le propre du contrôle – des points positifs, et d'autres qui l'étaient moins. Mais je voudrais dire que cette présentation n'épuise pas le champ du travail accompli puisque, conformément aux décisions du 2 avril, a également été mis en place un dispositif de suivi des vingt ordonnances prises en application de la loi du 23 mars 2020 qui touchent aux compétences de la commission des lois et un recensement des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dont le régime a été modifié par la loi organique du même jour. Y correspondent deux fascicules annexés à la synthèse écrite.
Quand nous nous sommes penchés sur l'utilisation des innovations numériques pour lutter contre l'épidémie, nous avons longuement débattu de l'opportunité de développer l'application StopCovid, pour le tracing des personnes ayant été en contact avec une personne contaminée. La problématique centrale est celle du respect des libertés individuelles au regard des impératifs sanitaires. La présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a présenté le cadre européen et national, un épidémiologiste est intervenu sur l'opportunité de remonter les chaînes de contamination, dans le cas d'une épidémie. Nous avons été convaincus qu'on ne pouvait plus se battre contre la propagation des virus dans les populations humaines comme on le faisait jadis. Explorer cette voie est donc un point positif.
Le secrétaire d'État chargé du numérique, après avoir exprimé ses doutes et ses interrogations, nous a présenté le cadre protecteur auquel il entendait soumettre l'utilisation de ces technologies. L'enjeu n'est pas négligeable, ni sur le plan sanitaire, ni sur le plan des libertés. C'est la raison pour laquelle nous nous réjouissons de prendre toute notre part au débat suivi d'un vote qui aura lieu demain en séance publique.
Engagée depuis le début de la législature sur la question de la détention, la commission des lois a fait le choix de lui consacrer deux séquences de travail de huit heures au total. Le milieu carcéral, appelé par vocation à réunir un grand nombre de personnes dans des conditions de proximité et de promiscuité, a été d'emblée identifié comme un environnement à risque épidémiologique, d'autant que l'accompagnement médical des détenus n'est pas dimensionné pour la prise en charge d'une épidémie.
Le directeur de l'administration pénitentiaire a dressé un tableau général de l'action des pouvoirs publics. Nous avons également auditionné le directeur de la maison d'arrêt de Fresnes afin d'avoir un éclairage plus proche du terrain. L'action résolue des magistrats, procureurs et juges d'application des peines a permis l'abaissement du taux d'occupation de l'ensemble des établissements pénitentiaires, ce qui a évidemment joué un rôle important dans la maîtrise de la situation sanitaire en leur sein. Au total, il y a eu 13 500 personnes écrouées en moins. Bien évidemment, les autorités ont exercé la plus grande vigilance lors de l'examen de chaque dossier.
La commission des lois souhaite que soit garanti de façon pérenne ce taux d'occupation inférieur à 100 % des établissements pénitentiaires, seul à même de permettre à l'administration pénitentiaire d'assurer l'ensemble de ses missions.
Par ailleurs, au cours de cette séquence, a été abordée avec circonspection la décision prise par ordonnance d'autoriser la prolongation sans débat des détentions provisoires. Nos travaux ont pesé sur le libellé de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 et depuis cette même date ces prolongations requièrent de nouveau une décision de la juridiction compétente après débat contradictoire, je m'en réjouis. La Cour de cassation vient de rendre aujourd'hui deux arrêts qui rappellent l'importance de l'intervention du juge judiciaire dès lors qu'il est question de privation de liberté. Le Conseil constitutionnel aura également à se prononcer sur les QPC qui lui ont été transmises.
Sur les enjeux de la sécurité, disons-le, le confinement a été globalement bien respecté. La police et la gendarmerie se sont mobilisées de façon exceptionnelle pour faire respecter le confinement, et avec discernement ont géré plus de 20 millions de contrôles, qui ont donné lieu à 1,1 million de contraventions.
Une réserve néanmoins, évoquée au fil des auditions : les violences intrafamiliales, dont la recrudescence n'a pu manquer de nous interpeller. Les acteurs concernés sont restés mobilisés pour faire face à cette forme de délinquance inadmissible et, dans sa circulaire du 5 mai 2020 consacrée à la reprise des activités juridictionnelles, la ministre de la justice, entendue bien sûr par la commission, a fait opportunément figurer ces violences parmi les affaires prioritaires.
Par ailleurs, les intervenants ont souligné l'importance de la coopération entre tous les acteurs de la sécurité. Les représentants des polices municipales et de la sécurité privée auraient souhaité être davantage associés à la mise en œuvre du confinement. La commission des lois est très attachée au continuum de sécurité, qui fait l'objet du livre blanc de la sécurité intérieure en cours de finalisation. Il conviendra de veiller davantage encore à l'articulation des actions mises en œuvre par tous ceux qui œuvrent dans le domaine de la sécurité et de la sûreté.
Avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, avec l'Assemblée des départements de France, avec Régions de France, nous avons évoqué la situation des collectivités locales et leur implication dans la gestion de la crise sanitaire. Je soulignerai seulement que dans une telle période, il est plus que jamais nécessaire que les collectivités territoriales et l'État articulent leurs actions avec le plus de cohésion et de cohérence possibles. Rappelons qu'au début de l'état d'urgence sanitaire, des points de friction ont été identifiés : absence de concertation préalable ; initiatives de certains maires dans l'exercice de leurs pouvoirs de police en contradiction avec les instructions données au niveau national ; « guerre des masques », etc.
Enfin, la situation de la justice devait être évaluée, toute la justice, car là aussi nous pourrions parler de continuum ! En avril 2020, le nombre de dossiers enregistrés par les huissiers de justice ne représentait que 10 % d'un mois normal ; 41 % des avocats individuels ont totalement arrêté leurs activités depuis le début du confinement et 80 % ont connu une baisse de leur chiffre d'affaires de plus de 50 % ; pour les notaires, le nombre d'actes établis a diminué de 80 %. Je remercie la présidente du Conseil national des barreaux, le président du Conseil supérieur du notariat et le président de la Chambre nationale des commissaires de justice pour leurs explications, comme je remercie le président du tribunal judiciaire de Paris et le procureur de la République qui nous ont aidés à apprécier le travail des magistrats.
La reprise de l'activité des juridictions doit aujourd'hui être favorisée. Alors que le confinement a conduit au report de nombreuses audiences pénales, le Gouvernement a fait adopter, dans le cadre du projet de loi, en cours d'examen, relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, la possibilité pour le président du tribunal judiciaire de renvoyer une procédure engagée avant la publication de la loi et pour laquelle l'audience sur le fond n'est pas encore intervenue au ministère public afin que celui-ci apprécie à nouveau la suite à lui donner. C'est une bonne chose : il est opportun de faire confiance aux magistrats !
Il ressort cependant de nos travaux que des progrès considérables sont encore possibles en ce qui concerne l'équipement informatique. Les greffes, notamment, qui étaient confinés, ne disposaient pas suffisamment d'ordinateurs ultra-portables, et les applications informatiques de l'institution judiciaire ne sont pas toujours consultables à distance. C'est un vrai sujet de préoccupation car cela a provoqué une situation de tension. Les greffiers ont à résorber le stock des décisions rendues, tâche dont nous aurions pu faire l'économie s'il n'y avait pas eu un écart aussi important entre la situation des magistrats qui ont pu travailler à leur domicile et celle des fonctionnaires de justice qui n'ont pas été en mesure de télétravailler pour la plupart.
Tous ces sujets ont donc été abordés et au fil des auditions les membres de la commission n'ont pas manqué de rendre hommage, de façon unanime, à l'engagement de ceux qui se sont investis pour assurer la continuité de la vie de la nation. Je pense, en particulier, aux forces de l'ordre, aux personnels de l'administration pénitentiaire, aux acteurs de la justice.
Par cet hommage ainsi réitéré s'achève, pour la commission des lois, une restitution qui intervient au moment où s'organise la reprise progressive de l'activité parlementaire. Un retour à la normale qui est bien sûr lié, dans ses modalités, à une atténuation de la menace épidémiologique, et qui est donc, pour des raisons sanitaires et démocratiques, infiniment souhaitable.