Intervention de Éric Woerth

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, co-rapporteur :

La commission des finances a fait partie des commissions permanentes qui, au cœur du confinement, ont eu à examiner des textes législatifs déposés et examinés dans des délais particulièrement brefs, afin d'apporter une réponse rapide à l'ampleur de la crise, d'abord sanitaire, puis économique.

Les deux projets de loi de finances rectificative (PLFR) ont chacun retracé une dégradation brutale des finances publiques, résultant de la combinaison d'une hausse des dépenses et d'une révision à la baisse des recettes. Les prévisions du premier PLFR étaient manifestement trop optimistes par rapport à la situation qui prévalait au moment de leur élaboration. Si le deuxième PLFR a été plus réaliste, il n'est pas exclu qu'une nouvelle révision ne se fonde sur des évaluations encore plus inquiétantes du déficit public ou du niveau de l'endettement public, qui devrait dépasser à la fin de l'année 115 % du PIB.

Ces collectifs ont permis de prendre des mesures d'urgence majeures : financement d'un dispositif de chômage partiel élargi, pour 24 milliards d'euros ; création d'un fonds de solidarité pour les très petites entreprises, pour 7 milliards d'euros ; instauration d'une garantie de l'État sur des prêts de trésorerie aux entreprises ; versement de 20 milliards d'euros afin de permettre à l'État d'intervenir au capital de sociétés dont la situation financière le nécessiterait.

Pour certaines mesures, le Gouvernement n'est pas passé par la voie législative. Citons les remboursements accélérés de créances fiscales, les reports d'impositions dues par les entreprises, pour 7 milliards d'euros, et les reports de charges sociales, pour 22 milliards d'euros, montants particulièrement élevés. Si ces mesures sont transitoires, on ne peut toutefois exclure qu'assez rapidement se posera la difficile question de leur mise en extinction, d'autant plus difficile à trancher si la reprise économique est lente ou faible. Les ministres ont d'ores et déjà annoncé des annulations portant sur les mesures relatives aux cotisations sociales mais pas aux impositions pour lesquelles un étalement sur plusieurs années a été retenu.

Plusieurs des apports proposés par les membres de la commission des finances ont été intégrés aux lois de finances rectificatives. Je pense à l'instauration d'un comité de suivi des dispositifs de soutien à l'économie, dont les documents, avons-nous précisé, devront être transmis aux commissions des finances des deux assemblées. Il s'agit là d'un instrument fondamental de suivi et de contrôle des dépenses engagées pour lutter contre la crise, dont la présidence a été confiée à Benoît Cœuré.

À côté de ce travail législatif, habituel mais accompli dans des conditions extraordinaires, la commission a décidé dès le 2 avril de conduire un programme d'auditions : principaux responsables politiques et administratifs en matière de finances publiques, afin de suivre la conjoncture, la mise en œuvre des mesures votées et la gestion de la crise par les administrations ; régulateurs et représentants du secteur financier – banques, assurances, Autorité des marchés financiers (AMF), Banque de France – afin d'évoquer leur action et d'apprécier la résistance de notre système financier, fondamentale dans le contexte actuel.

Les personnes auditionnées s'accordent pour dire que les conséquences économiques de la crise sanitaire ont été brutales et d'une ampleur considérable et que les solutions d'urgence mises en place, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne, dès le mois de mars, ont joué un rôle fondamental d'amortisseur. Certaines de ces solutions ont dû être complétées ou corrigées, notamment à l'occasion de l'examen du deuxième collectif budgétaire, afin de mieux répondre à la réalité des enjeux.

Le secteur financier, marqué par une forte résilience, a pris des mesures efficaces pour contribuer au soutien de l'économie. À côté de la mise en œuvre du prêt garanti par l'État (PGE), pour lequel les demandes ont dépassé, à la mi-mai, les 100 milliards d'euros sur une enveloppe totale de 300 milliards, signe d'un rythme soutenu, les banques ont accepté d'appliquer un moratoire de six mois sur le remboursement des prêts en cours des entreprises en faisant la demande. Les données de la médiation du crédit présentées par le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, attestent que les banques appliquent le moratoire sur les crédits en cours et distribuent largement le PGE, dans la majorité des cas au bénéfice des TPE et PME. Le niveau de l'épargne des ménages, a-t-il également souligné, a considérablement augmenté ; son utilisation reste une inconnue.

M. Frédéric Oudéa, président de la Fédération bancaire française (FBF), nous a indiqué que les banques pourront contribuer à la sortie de crise en élaborant de nouveaux produits de financement sous forme, non de prêts pour ne pas saturer les capacités d'endettement des entreprises, mais de renforcement des fonds propres, sous réserve qu'elles ne soient pas exposées à une transposition trop contraignante de l'accord dit de Bâle III qui renchérirait le coût des apports en capital.

La Fédération française de l'assurance (FFA) a souligné que le risque pandémique était un risque systémique qui ne saurait être couvert par les assureurs. Elle a défendu la thèse des compagnies d'assurance selon laquelle les pertes d'exploitation résultant des mesures de confinement ne pourraient être prises en charge, même dans le cadre d'une assurance contre les pertes d'exploitation. Les assureurs, de façon un peu dispersée, se sont toutefois engagés à abonder le fonds de solidarité en faveur des petites entreprises à hauteur de 400 millions d'euros, ainsi qu'à aménager certaines clauses des contrats d'assurance des entreprises et des particuliers pendant la période de confinement. A également été confirmé le fait que le secteur travaille avec le Gouvernement à l'élaboration d'un nouveau régime d'« assurance pandémie », qui pourrait être similaire à celui existant pour les catastrophes naturelles.

L'accroissement brutal du besoin de financement public résultant de la crise et des dépenses engagées en urgence pour y répondre, de l'ordre de 90 milliards d'euros, n'a pas empêché l'Agence France Trésor de garantir la continuité du financement de l'État. La durée de vie moyenne de la dette a été légèrement raccourcie et la part du financement de court terme de celle-ci accrue. Le directeur général de l'Agence France Trésor a souligné que cette augmentation du financement de court terme avait été rendue possible par la reconstitution de marges de manœuvre, après la précédente période de crise, les émissions de court terme ayant atteint, avant que ne débute la crise actuelle, leur plus bas niveau, avec 5 % de l'encours total. Les conditions de taux sont demeurées extrêmement favorables et devraient le rester. Toutefois, l'enjeu à moyen terme serait de maîtriser la trajectoire d'endettement et de la replacer sur une pente descendante, afin de conserver la confiance des investisseurs.

Il convient également d'évoquer brièvement les risques qui pèsent sur l'équilibre des finances locales. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont signalé que, si les finances des collectivités sont moins dégradées que celles de l'État par la crise, les recettes des départements, des communes touristiques et des communes ultramarines sont cependant fragilisées par la conjoncture. En outre, il est possible qu'un effet retard conduise à une baisse sensible des recettes locales en 2021, notamment pour les impôts de production. La solidité des collectivités locales et leurs capacités d'investissement jouent bien évidemment un rôle majeur dans la reprise de l'activité.

Cette question des effets retard doit appeler notre attention sur l'évolution de la situation à relativement court terme aussi bien qu'à moyen terme. Les statisticiens de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de la Banque de France et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) nous ont alertés sur la difficulté de l'exercice de prévision.

La question majeure qui se pose désormais est celle des conditions dans lesquelles peut s'opérer une reprise économique efficace et de la manière dont devra être mis en œuvre un plan de relance pour soutenir celle-ci, non seulement à l'échelle européenne, comme M. Bruno Le Maire a eu l'occasion de l'exposer devant nous, mais aussi à l'échelle nationale.

La commission des finances poursuit son travail d'évaluation et de contrôle de la crise économique que nous traversons, de deux manières : d'une part, les rapporteurs spéciaux ont réorienté leurs travaux dans le cadre du Printemps de l'évaluation pour étudier l'impact de la crise en termes de mobilisation des crédits budgétaires et de déploiement des politiques publiques ; d'autre part, nous poursuivons nos auditions.

Activité législative, travaux d'évaluation et de contrôle ont donc été menés de front par notre commission en cette période particulière où les déficits publics et la récession n‘ont jamais été aussi élevés et les menaces économiques et sociales aussi réelles. Notre activité ne faiblira pas au mois de juin, où nous aurons très probablement à nous pencher sur un troisième projet de loi de finances rectificative.

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