Intervention de Bruno Studer

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, co-rapporteur :

Je suis heureux de rendre compte des travaux que la commission des affaires culturelles et de l'éducation a menés sur les effets de la crise sanitaire dans les secteurs relevant de sa compétence, à savoir l'enseignement scolaire, l'enseignement supérieur, la recherche, la culture, les médias et les industries culturelles, le sport et la vie associative.

Tous ces secteurs ont été violemment touchés par la crise sanitaire et par la mesure générale de confinement. Mais ils se sont aussi pleinement impliqués dans la lutte contre le covid-19 – je pense à la mobilisation exceptionnelle de la recherche française – et contre ses effets sur la société française – saluons les acteurs de l'éducation, de la culture, des médias ou du monde associatif. Au total, cent vingt auditions et tables rondes ont été réalisées en groupe de travail et en commission en un mois afin d'identifier, pour chacun de ces secteurs, l'impact et les conséquences de la crise sanitaire, les mesures pour y faire face et les difficultés persistantes et à venir. Je remercie tous les collègues qui y ont pris part, ainsi que les administrateurs qui, dans des conditions parfois délicates, ont assuré la continuité de notre mission. Je vous renvoie, sur les deux premiers points, à la synthèse mise en ligne sur la page de la commission.

Je salue la réactivité des acteurs et des opérateurs publics des différents secteurs, ainsi que l'efficacité des mesures de soutien générales et sectorielles extrêmement volontaristes décidées par l'État et les collectivités territoriales. Même s'ils n'ont pas réglé toutes les difficultés individuelles, ces dispositifs ont permis de répondre aux urgences et d'éviter de nombreux drames économiques et sociaux.

La crise sanitaire, ainsi que le confinement destiné à l'endiguer, ont créé des difficultés, mais aussi révélé des fragilités : ce sont autant de points sur lesquels nous devrons nous montrer vigilants.

S'agissant de l'enseignement scolaire – sur lequel M. Alexandre Freschi et Mme Béatrice Descamps ont particulièrement travaillé – la rentrée 2020 constitue un premier défi. Nous ne savons pas ce que sera la situation sanitaire au mois de septembre et nous risquons de rencontrer les mêmes difficultés qu'aujourd'hui, avec la reprise progressive et partielle des cours – dont je me réjouis.

Comment faire respecter les consignes sanitaires et les gestes barrières dans des locaux inadaptés, par des élèves trop petits ou des adolescents rétifs aux consignes, avec des personnels en nombre insuffisant et des transports scolaires en difficulté ? Comment garantir la santé des élèves et des enseignants, alors que la médecine scolaire et la médecine de prévention des personnels de l'éducation nationale sont structurellement insuffisantes ? Comment préparer les emplois du temps et les répartitions de services, alors que les candidats aux concours internes, pour la plupart contractuels de l'éducation nationale, passeront leurs oraux en septembre ou en octobre ?

Le deuxième défi est lui aussi de taille : malgré l'engagement et la créativité des équipes enseignantes, la continuité pédagogique n'a pas pu être assurée partout ni pour tous les élèves. Les décrocheurs, qui représentent 5 à 8 % d'entre eux, ne sont pas également présents dans tous les territoires, ni dans toutes les filières. Nous avons besoin de données statistiques précises et d'une cartographie nationale du décrochage pour envisager l'avenir de l'enseignement à distance, qui nécessitera également une formation adaptée des enseignants. Cette situation démontre en tout cas le caractère irremplaçable de l'enseignement « en présentiel », qui seul permet une interaction sensible entre l'enseignant et ses élèves, particulièrement les plus fragiles.

Le troisième défi, c'est l'introduction d'un numérique éducatif véritablement national, garant d'une égalité entre tous les élèves. La continuité pédagogique s'est heurtée aux insuffisances d'équipement informatique et de connexion des élèves mais aussi, pour de nombreuses familles, à une fracture numérique qui dépasse les seuls problèmes matériels. Quant aux enseignants, l'urgence de la crise les a souvent conduits, pour pallier les manques et les insuffisances des espaces numériques de travail (ENT) mis à leur disposition, à utiliser des modes de communication dérivés et des outils commerciaux mal sécurisés, essentiellement anglo-saxons, pour communiquer avec les élèves et leurs familles. Il me semble primordial que la structure sur laquelle s'appuiera la stratégie nationale du numérique éducatif soit pensée et organisée par la République : c'est une question de souveraineté.

Toutes ces remarques valent également pour l'enseignement supérieur – sur lequel ont travaillé M. Pierre Henriet et Mme Muriel Ressiguier.

L'impact de la crise sanitaire a été particulièrement violent pour les étudiants les plus fragiles et ses effets vont se prolonger, à la fois sur le plan économique – avec la quasi disparition des jobs d'été et des stages –, mais aussi sur la poursuite de leurs études – le décrochage existe également à l'université – ou leur insertion sur le marché du travail. J'appelle votre attention sur plusieurs points : la situation budgétaire du réseau des CROUS, qui a été très sollicité depuis la fermeture des établissements ; le maquis des aides et des dispositifs de soutien, dans lequel les étudiants peinent à se retrouver et à exercer leurs droits ; la situation particulière des étudiants ultramarins, enfin, qui souffrent d'un grand isolement et souvent de précarité.

S'agissant de la recherche – sur laquelle ont travaillé M. Philippe Berta et Mme Sandrine Josso – et dans la perspective de la loi de programmation pluriannuelle qui s'impose plus que jamais, deux enjeux primordiaux doivent retenir notre attention.

Il importe, premièrement, d'inscrire la recherche sur les virus dans le temps long pour mieux anticiper et être capable de réagir plus rapidement lors de la survenue d'une épidémie. Il est impératif de mettre en place des dispositifs de soutien aux laboratoires de recherche sanitaire et scientifique et de les faire travailler de manière coordonnée sous l'autorité de leurs tutelles. Notre pays doit consolider son pilotage stratégique de la lutte contre les maladies infectieuses, notamment virales, comme il a su le faire pour le sida.

Il convient, deuxièmement, de valoriser la recherche fondamentale et de conforter son articulation avec l'industrie pharmaceutique. Malgré une recherche de qualité exceptionnelle, la France ne participe pas à la production de médicaments antiviraux. C'est un enjeu économique, mais aussi de souveraineté, puisqu'il y va de notre accès aux médicaments et, plus largement, aux produits de santé.

La culture, à laquelle se sont intéressées Mmes Aurore Bergé et Constance Le Grip, est l'un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, à côté des hôtels et des restaurants, puisque les musées et lieux de spectacle sont fermés depuis la mi-mars.

La situation des auteurs est particulièrement difficile car ils ne bénéficient pas, à la différence des intermittents du spectacle, d'une assurance chômage – dont le régime a été adapté à la situation de crise. Leurs ressources sont liées aux droits qu'ils perçoivent, et donc à la production de leurs œuvres. La piste d'un statut des artistes-auteurs, proposée par M. Bruno Racine dans le rapport qu'il a remis au ministre de la Culture, reste donc à creuser.

Les structures les plus menacées sont celles qui se financent principalement par des ressources propres – billetterie et mécénat –, à savoir les festivals, les théâtres, les grands musées et les monuments. L'ensemble du secteur culturel souffre de l'incertitude qui plane, tant sur la date que sur les conditions de la reprise de l'activité. Je salue, à cet égard, les annonces faites aujourd'hui par le ministre sur la réouverture des salles de spectacle.

Au-delà des mesures de soutien à la trésorerie et des dispositifs de relance, cette crise pourrait être l'occasion de clarifier la politique publique de soutien au spectacle vivant. Le modèle économique des grands musées et expositions, qui s'appuie sur l'affluence du public, en grande partie étranger, pourrait également être repensé dans une perspective de long terme.

Sur les médias et les industries culturelles, Mmes Florence Provendier et Elsa Faucillon ont mené un grand nombre d'auditions, qui ont mis au jour la situation paradoxale de ce secteur. Si ses pertes économiques sont très importantes, c'est aussi un secteur vers lequel les Français se sont massivement tournés dès le début du confinement, mais en modifiant leurs modes de consommation. Le Président de la République a d'ailleurs souligné le risque de voir arriver des prédateurs, susceptibles de mettre à mal notre exception culturelle – notamment les plateformes américaines. Comme pour les acteurs de la culture, la principale difficulté du secteur réside dans l'incertitude de la date de reprise des activités de production et d'exploitation.

Nous devrons être vigilants sur plusieurs points. La santé de l'ensemble de la filière audiovisuelle et cinématographique, du fait des mécanismes de contribution financière des diffuseurs, est suspendue au retour des annonceurs publicitaires, pour le moment très attentistes. La situation financière du Centre national de la musique, nouvellement créé et très sollicité depuis le début de la crise, devra faire l'objet d'une attention particulière. La situation des librairies, structurellement fragilisées par le développement des GAFA, devenus quasi hégémoniques, pourrait justifier un accompagnement spécifique. Il permettrait aux plus fragiles de traverser la crise et soutiendrait la demande de livres, qu'elle émane des particuliers ou des acheteurs publics que sont les collectivités territoriales.

L'avenir de la distribution de la presse, enfin, reste suspendu à celui de Presstalis. Déjà en grande difficulté financière avant le début de la crise, la société est désormais en cessation de paiement : il est plus urgent que jamais de trouver une solution réaliste et durable pour l'avenir de la filière.

S'agissant du sport et de la vie associative, sur lesquels se sont penchés Mme Fabienne Colboc et M. Régis Juanico, la reprise de l'activité des associations dépendra des consignes sanitaires à appliquer, des moyens matériels dont elles disposeront pour les faire respecter et du retour des bénévoles, dont les effectifs, qui comptent de nombreuses personnes de plus de 60 ans, ont fondu depuis le mois de mars.

Les conséquences de la crise sanitaire dans le domaine éducatif devraient nous inciter à porter une attention particulière, d'une part au secteur de l'éducation populaire et de l'accueil des jeunes en séjour collectif de loisir, d'autre part, à l'intervention des associations dans le cadre des activités scolaires dites « 2S2C » (Sport, santé, culture et civisme) et du temps périscolaire. Les établissements scolaires ne peuvent pas rester fermés cent cinquante jours par an.

Concernant le sport professionnel, la clôture de la saison sportive 2019-2020, fortement contestée, aura des effets importants sur le plan sportif – qualifications dans les compétitions internationales, accès aux divisions supérieures ou relégation – mais également des conséquences économiques sur les clubs, sur les fédérations et, indirectement, sur les médias, qui mériteraient une analyse à moyen terme. N'oublions pas qu'une partie des recettes que les chaînes tirent de la retransmission des matchs de football finance le cinéma et les séries de l'audiovisuel français.

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