L'épidémie est mondiale. La crise qu'elle a entraînée est globale. Ses conséquences sur l'équilibre du monde sont considérables.
Le 13 janvier, le premier cas de covid-19, détecté hors de Chine, en Thaïlande, était signalé à l'OMS. Le 11 mars, l'OMS qualifiait officiellement le phénomène de pandémie. Depuis, le virus n'a cessé de se diffuser, gagnant progressivement tous les continents, chacun en devenant, à tour de rôle, l'épicentre.
Cette crise est globale. Elle aura des conséquences majeures dans tous les secteurs : pas seulement sanitaire, mais aussi économique, social et, enfin, géopolitique. Cette crise a d'emblée mis à l'épreuve la solidarité et la coopération, à l'échelle internationale et à l'échelon européen. Elle aura une portée géopolitique considérable, que la France et l'Union européenne ne doivent pas sous-estimer. C'est autour de ces constats que la commission des affaires étrangères a orienté ses travaux depuis le début de l'état d'urgence sanitaire. Je vous en ferai parvenir demain un état des lieux exhaustif : si vous pouvez le joindre à votre rapport d'étape du 3 juin, ce sera très bien pour les parlementaires de cette commission, et pour nous tous.
En deux mois, notre commission a auditionné près d'une centaine de personnalités et adressé des questionnaires à différents organismes, parmi lesquels l'OMS, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l'Union africaine, la Commission européenne et ses différentes directions, de nombreux postes diplomatiques, des groupes d'experts internationaux, ou encore des organisations non gouvernementales.
Afin d'assurer un suivi de l'action menée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères durant cette période de crise, nous avons créé trois groupes de travail thématiques : le premier sur le réseau diplomatique consulaire et d'influence, le deuxième sur l'aide publique au développement, le troisième sur l'action économique extérieure. Sur chacun de ces thèmes, notre commission a déjà fait et continuera de faire des recommandations au ministère, avec un principe simple : les politiques publiques conduites doivent prendre en compte les situations nouvelles créées par la crise et tenter de répondre aux difficultés qui préexistaient.
Cette crise est mondiale, mais elle a suscité des réactions très variées. C'est pourquoi il nous a semblé important d'intégrer dans nos travaux une dimension comparative, nationale et régionale, afin de mieux prendre la mesure de ce qui a bien fonctionné et de ce qui, au contraire, a révélé nos limites. Dans l'ensemble, les pays asiatiques, forts de leurs expériences passées face à de semblables épidémies, ont su se montrer réactifs. L'Asie a elle-même compté plusieurs modèles de gestion de la crise, qu'il convient de distinguer. Des États aux systèmes politiques aussi différents que le Vietnam et la Corée du Sud ont su apporter des réponses satisfaisantes à l'épidémie de covid-19.
Par contraste, l'Europe, les États-Unis, et d'une façon plus générale, les pays occidentaux, ont fait montre d'un manque d'anticipation que nous devrons décrypter, avant d'en tirer des leçons pour l'avenir. Pourquoi nos sociétés ne sont-elles pas mieux préparées au risque ? Pourquoi leurs capacités d'anticipation sont-elles aussi faibles ? Pourquoi la prise en compte du long terme leur est-elle étrangère ? Autant de questions auxquelles nous devrons répondre pour changer ce qui doit l'être.
Notre pays a fait l'expérience de la difficulté à prévoir et à préparer la société à ce type de risques. Mais il n'est pas le seul : les États-Unis, les pays d'Amérique latine et de nombreux pays européens ont fait la même expérience. C'est la structure même d'un certain nombre de nos sociétés et leur mode de fonctionnement que nous devons interroger.
En Europe, après une difficulté à réagir collectivement en début de crise, une forme de solidarité s'est progressivement installée. Je pense aux transferts de patients d'un État à l'autre, aux dons d'équipement et de matériel médicaux, au plan adopté par l'Eurogroupe, à hauteur de 540 milliards, et à l'activation du Mécanisme européen de protection civile pour organiser le retour des ressortissants européens bloqués à l'étranger. La crise a posé deux questions à l'Europe : celle de sa vocation, avec la nécessité de créer une véritable solidarité européenne, et celle de son autonomie stratégique, qui devra servir de ligne directrice à notre engagement.
L'annonce d'orientations nouvelles exprimées lors du sommet franco-allemand constitue de ce point de vue une étape essentielle. L'émergence d'une véritable autonomie stratégique européenne, qui ne devra pas se limiter au seul domaine de la santé, la capacité d'emprunt de la Commission mise au service d'investissements d'avenir, l'adaptation nécessaire du droit européen de la concurrence, la nécessité d'un nouveau cahier des charges pour le commerce international, la construction d'une nouvelle politique de voisinage, en particulier avec les pays de la Méditerranée, l'affirmation de notre unité politique sur les grands enjeux de politique étrangère : ce sont autant de pistes qui, sans être exclusives, nous permettront de faire enfin de l'Europe une puissance respectée. Dans un contexte qui voit s'exacerber la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis, c'est bien la capacité de l'Europe à constituer une voie d'équilibre qui est attendue.
Cette solidarité, nous devons aussi en faire preuve avec les pays les plus vulnérables. Dans les zones de crise, de conflit, mais aussi dans les États dont les systèmes sanitaires sont fragiles, la pandémie est de nature à aggraver les crises préexistantes. La France a été en première ligne sur ces sujets, puisqu'elle a rapidement pris la décision de réorienter une partie de son aide publique au développement vers la lutte contre l'épidémie de covid-19.
Le continent africain a fait l'objet d'une attention particulière de la part de notre commission. Si l'Afrique reste relativement épargnée à ce stade d'un point de vue sanitaire, elle n'en est pas moins un sujet d'inquiétudes du fait de la fragilité de ses systèmes de santé et des conséquences inévitables qu'aura la crise sanitaire sur son économie, avec à la clef une augmentation de la pauvreté et des inégalités. Notre pays a contribué à obtenir un moratoire sur les dettes africaines et a plaidé pour que l'aide bilatérale européenne bénéficie en priorité à l'Afrique. D'autres zones vulnérables doivent faire l'objet d'une attention particulière, à commencer par les zones de conflit, où les besoins humanitaires sont très importants.
Enfin, la pandémie de covid-19 a mis à l'épreuve le multilatéralisme tel que nous le connaissons. À plusieurs égards, elle en a même accentué les fragilités. Je pense au Conseil de sécurité des Nations unies, qui n'a pas été en mesure, jusqu'à présent, d'adopter une résolution sur la pandémie. Au-delà, l'ensemble du système multilatéral est concerné. L'exemple le plus frappant est celui de la gouvernance sanitaire internationale, à commencer par l'Organisation mondiale de la santé. L'OMS a déjà connu des réformes à la suite des dernières crises sanitaires mondiales – le SRAS en 2003 et Ebola en 2014-2016 – et l'épreuve de la pandémie de covid-19 ne devra pas faire exception. La France devra être au rendez-vous de cette réforme. Notre commission fera un certain nombre de propositions pour renforcer l'indépendance et les pouvoirs d'investigation de l'OMS.
En matière de coopération internationale, la France a participé au lancement de l'initiative « ACT-A » (Acces to COVID-19 Tools Accelerator) pour accélérer la lutte contre le covid-19. Une levée de fonds organisée par la Commission européenne a permis de recueillir plus de 7 milliards de promesses de dons. Nous devrons veiller – c'est un objectif essentiel – à ce que tout traitement ou tout vaccin qui serait mis au point puisse être utilisé et distribué équitablement dans le monde, à commencer par les pays les plus vulnérables.
Le monde de demain doit être celui d'un nouveau multilatéralisme, appuyé sur une exigence renouvelée de coopération et de solidarité et sur la préservation des biens communs : la santé, mais aussi l'environnement, qui sont étroitement liés, nous le savons tous. Il s'agit d'une exigence absolument vitale, que nous devons préparer dès aujourd'hui. Tous les travaux menés par la commission des affaires étrangères, tant pour approfondir l'état des lieux d'une crise qui n'est pas terminée, que pour enrichir ses propositions sur ce que devrait être le « monde d'après » seront bien sûr poursuivis et feront l'objet d'une publication d'ici la fin de l'année.
Chers collègues, je crois que les crises majeures doivent être l'occasion d'une prise de conscience collective. Elles doivent aussi être une occasion de prendre de nouvelles orientations et d'adopter de nouvelles perspectives.